Le tableau de l’Assemblée des six comtés à Saint-Charles-sur-Richelieu

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Étude sur les personnages de la tribune des orateurs

https://collections.mnbaq.org/fr/oeuvre/600000874

Les visiteurs du Musée national des beaux-arts à Québec peuvent contempler une peinture de grandes dimensions, trois mètres sur sept, consacrée à l’assemblée du Parti patriote tenue à Saint-Charles-sur-Richelieu le 23 octobre 1837, connue sous le nom d’Assemblée des six comtés. Cette œuvre du peintre Charles Alexander Smith a été créée à Paris en 1889-1890.

Devant une foule estimée à 5000 personnes, hommes, femmes et enfants, Louis-Joseph Papineau sur une tribune harangue les Canadiens massés à ses pieds. Derrière lui, des personnages assis ou debout occupent la totalité de la tribune ; qui sont-ils ?

Dans La Presse du 6 décembre 1895, Gustave-Adolphe Drolet publie un article qui présente le déroulement de l’assemblé. Rappelons que Louis-Joseph Papineau et plusieurs autres ont pris la parole à cette occasion et que treize propositions soumises à l’approbation des participants ont été adoptées.

Drolet ajoute à son article la liste des personnages de la tribune, avec un chiffre assigné à chacun d’eux qui permet de le localiser sur un dessin du tableau. Des erreurs manifestes et quelques incongruités m’ont invité à entreprendre une analyse pour y voir plus clair.

Au départ, mes recherches m’ont permis d’apporter des précisions sur chaque individu tel que présenté par Drolet dans son article.

1 – L’honorable Louis-Joseph Papineau

Montréal, 7 octobre 1786 – Montebello, 23 septembre 1871. Avocat et seigneur de la Petite-Nation. Chef du Parti patriote et député de Montréal-Ouest. Son discours le classe dans la tendance modérée.

2 – Le docteur Nelson, député, président de l’assemblée de Saint-Charles

Wolfred Nelson. Montréal, 10 juillet 1791 – id., 17 juin 1863. Médecin. C’est son frère Robert qui était député, de Montréal-Ouest également. Président de l’assemblée et l’un des orateurs, de tendance radicale : « Le temps est venu de fondre nos plats et nos cuillères pour en faire des balles ».

3 – Jos Toussaint Drolet, député de Verchères, vice-président de l’assemblée de Saint-Charles

Joseph-Toussaint Drolet. Saint-Marc, 31 octobre 1786 – id., 31 octobre 1838. Commerçant et seigneur de Cournoyer. Élu député de Verchères en 1832 lors d’une élection complémentaire ; réélu aux élections générales de 1834. Vice-président de l’assemblée, il n’a pas pris la parole, sauf pour présenter la cinquième proposition.

4 – Le docteur Frs Chicou-Duvert, vice-président de l’assemblée de Saint-Charles

François Chicou dit Duvert. Saint-Vallier-de-Bellechasse, 21 janvier 1790 – Saint-Charles, 5 août 1841. Médecin. Propriétaire du terrain où se déroule la rencontre. Vice-président de l’assemblée, il n’a pas pris la parole, sauf pour présenter la sixième proposition.

5 – L’honorable Louis Lacoste, député de Longueuil

Boucherville, 3 avril 1798 – id., 26 novembre 1878. Notaire. En réalité deuxième député de Chambly, élu aux élections générales de 1834. Un des orateurs, de tendance modérée ; il a aussi présenté la quatrième proposition.

6 – L. M. Viger, député (le Beau Viger) du comté de Chambly

Louis-Michel Viger. Montréal, 28 septembre 1785 – L’Assomption, 27 mai 1855. Avocat. Élu aussi député de Chambly, aux élections générales de 1830 et 1834. Un des orateurs, de tendance modérée.

7 – Boucher-Belleville, secrétaire

Jean-Philippe Boucher-Belleville. Québec, 8 septembre 1800 – Saint-Michel-de-Napierville, 1874. Instituteur et journaliste. L’un des deux secrétaires de l’assemblée.

8 – M. Ed. Rodier, député de L’Assomption

Édouard-Étienne Rodier. Montréal, 26 décembre 1804 – id., 5 février 1840. Avocat. Élu député de L’Assomption en 1832 lors d’une élection complémentaire et réélu aux élections générales de 1834. Un des orateurs, de tendance modérée.

9 – Dr Duchesnois, de Varennes

Eugéne-Napoléon Duchesnois. Varennes, 16 février 1808 – Buenos Aires, 16 novembre 1880. Médecin. Il a appuyé la cinquième proposition. Rien ne justifie sa présence sur la tribune.

10 – Rodolphes Desrivières, président du club des Fils de la Liberté

Rodolphe Des Rivières. Oka, 5 mai 1812 – Montréal, 17 mars 1847. Commis de banque. Non pas président des Fils de la liberté, mais capitaine de la 6e section ; s’il était présent à l’assemblée, il assurait le service d’ordre avec sa compagnie et n’était pas sur la tribune.

11 – P. Amiot, député de Verchères

Pierre Amiot. Verchères, 9 mars 1781 – id., 31 janvier 1839. Cultivateur. Élu député de Surrey [Verchères] en 1813 ; réélu aux élections générales de 1814, 1816, 1820, 1824, 1827, 1830 et 1834. Il a présenté la septième proposition.

12 – Louis Blanchard, député de Saint-Hyacinthe

Louis Raynaud dit Blanchard. L’Assomption, 12 mars 1789 – Saint-Hyacinthe, 9 août 1868. Cultivateur. Élu député de Saint-Hyacinthe aux élections générales de 1830 et 1834. Il a présenté la dixième proposition.

13 – Côme Cartier, Saint-Antoine

Antoine-Côme Cartier. Saint-Antoine, 1809 – id., 1886. Notaire. Frère de George-Étienne Cartier. Il a présenté la douzième proposition. Il n’a participé à aucune activité du Parti patriote par la suite. Sa présence sur la tribune est inexplicable.

14 – Dr Allard, de Beloeil

Jean-Baptiste Allard. Saint-Denis, 28 mars 1809 – Belœil, 27 mai 1874. Médecin. Il a appuyé la sixième proposition. Il est demeuré inactif après l’assemblée. En 1838, il a adhéré au mouvement des Frères Chasseurs et le 11 novembre de cette année, il s’est rendu à Chambly chez le juge Hart dénoncer les Patriotes du camp de la montagne de Boucherville. Sa présence sur la tribune paraît pour le moins surprenante.

15 – Dr O’Callaghan, rédacteur du Vindicator

Edmund Bailey O’Callaghan. Mallow, Irlande, 27 février 1797 – New York, 29 mai 1780. Médecin et journaliste. Élu député de Yamaska aux élections générales de 1834. Directeur du Vindicator. Il était sans doute présent pour couvrir l’assemblée, tout comme Ludger Duvernay, directeur de La Minerve. Il n’y a aucune raison de le retrouver à la table des secrétaires.

Si la présence sur la tribune de plusieurs personnages paraît injustifiée, l’absence de parlementaires dont La Minerve et le Vindicator ont rapporté la participation semble plus étonnante.

Absent, le seul conseiller législatif qui appuie le Parti patriote : François-Xavier Malhiot. Verchères, 4 décembre 1781 – Boucherville, 12 juin 1854. Marchand et seigneur de Contrecœur. Député de Richelieu en 1815, de Surrey [Verchères] de 1828 à 1832. Membre du Conseil législatif de 1832 à 1838.

Absent aussi un député de l’un des six comtés : Jacques Dorion. Québec, vers 1797 – Saint-Ours, 29 décembre 1877. Médecin. Élu député de Richelieu aux élections générales de 1830 et de 1834.

Plus surprenant, trois orateurs ont été escamotés.

Cyrille-Hector-Octave Côté. Québec, 1er septembre 1809 – Hinesburg, Vermont, 4 octobre 1850. Médecin. Élu député de L’Acadie aux élections générales de 1834. Le plus violent des orateurs : « Le temps des discours est passé, c’est du plomb qu’il faut envoyer maintenant à nos ennemis ».

Thomas Storrow Brown. St Andrews, Nouveau-Brunswick, 1803 – Montréal, 26 décembre 1888. Quincaillier et journaliste. Commandant des Fils de la Liberté. Son discours le range dans le clan des radicaux. Général de l’armée du Sud dans la vallée du Richelieu en novembre 1837.

Amury Girod. Canton de Vaud, Suisse, v 1798 – Rivière-des-Prairies, 18 décembre 1837. Écrivain et journaliste. Secrétaire de l’assemblée, sa place était sur la tribune, à côté de Boucher-Belleville. À la fin de son discours, il lance un appel à prendre les armes contre le gouvernement. Général de l’armée du Nord dans les Deux-Montagnes en novembre et décembre 1837.

Voilà beaucoup d’oubliés.

Le nombre exact de personnalités sur la tribune demeure inconnu. En nous limitant aux quinze du tableau du peintre Charles Alexander Smith, il faut retrancher cinq personnes pour les remplacer par Malhiot, Dorion et surtout par Côté, Brown et Girod dont les présences ne peuvent être ignorées.

D’ailleurs, dans le Paris-Canada du 27 décembre 1890, Maurice O’Reilly souligne la présence sur la tribune du tableau des deux secrétaires Girod et Boucher-Belleville ; dans le numéro du 28 mars 1891, il mentionne celle du docteur Côté. De plus, dans son article, Gustave-Adolphe Drolet précise que Côté, Brown et Girod « adressèrent [sic] aussi l’immense assemblée » ; il sait également que Girod occupait les fonctions de secrétaire avec Boucher-Belleville.

Comment expliquer ces glissements ? Pourquoi a-t-on décidé de ne pas mentionner ces cinq personnes ?

D’abord Girod. L’historiographie s’est montrée sévère et injuste à son endroit. Nombreux furent les commentaires visant à le vilipender, le bafouer, souvent de façon caricaturale. Même Laurent Olivier David le voue aux gémonies dans son livre qui visait pourtant la réhabilitation des Patriotes, paru en 1884. Les jugements inéquitables à son endroit ont pu jouer pour méconnaître sa participation. Le numéro 15 doit lui être attribué, à la place de O’Callaghan.

Quant à Côté, député de L’Acadie, la violence de ses propos en a irrité plus d’un. Exilé aux États-Unis, il se dissocie de Papineau et se rallie à Robert Nelson ; l’un des rédacteurs de la Déclaration d’indépendance du Bas-Canada, il contribue à mettre sur pied l’association secrète des Frères Chasseurs et à élaborer un plan d’invasion suivie d’une insurrection générale. Après l’échec du soulèvement, de retour aux États-Unis, il se met à dos la quasi-totalité de la colonie des exilés par son agressivité à l’endroit de ses compatriotes et par son anticléricalisme virulent. Sa conversion au protestantisme et son prosélytisme dans la vallée du Richelieu suscitent réprobations et condamnations. Par étonnant qu’on ait relégué cet apostat dans les oubliettes de l’histoire. Donnons-lui le numéro 9, aux côtés des autres députés, à la place de Duchesnois.

Brown, pour sa part, a laissé un souvenir ambigu. Cet intellectuel plus à l’aise dans la parole et l’écrit que dans l’action s’est retrouvé commandant des Fils de la Liberté et général de l’Armée du sud, sans grand talent d’organisateur et de meneur d’hommes. À Saint-Charles, le 25 novembre 1837, il quitte le champ de bataille pour aller chercher des renforts et prend sans gloire la route des États-Unis.  Disons le numéro 13 à la place de Cartier.

Il y a peu à dire des deux autres. Le conseiller législatif Mailhot, réfractaire au changement social et à la violence armée, s’est dissocié du Parti patriote après l’assemblée et se ralliera aux loyalistes qui appuient le gouvernement colonial. Pour sa part, le député Dorion a contribué à l’organisation du mouvement patriote et s’est manifesté à l’assemblée. Nous pouvons leur attribuer les numéros 10 et 14 pour remplacer Desrivières et Allard.

En dressant la liste des Patriotes sur la tribune des orateurs qu’il présente dans La Presse du 6 décembre 1895, Drolet aurait-il sciemment remplacé Côté, Brown et Girod par trois personnes moins controversées ? Nous pouvons l’affirmer sans hésitation. Il arrive souvent, pour des raisons politiques ou autres que la réalité historique soit trafiquée. Dans son roman 1984, George Orwell décrit admirablement bien cette pratique de réécrire l’histoire au nom d’intérêts supérieurs.

Rappelons que le tableau de Charles Alexander Smith composé et peint à Paris en 1889-1890 attendra plus d’un siècle pour être exposé en permanence, soit en 1995 au Musée national des beaux-arts du Québec.

Avril-Mai 2024

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