À quand une campagne électorale avec l’indépendance ?

D’entrée de jeu, je me suis réjoui comme tous les indépendantistes du retour en force du Bloc québécois. Oui, on avait enfin une bonne nouvelle, nationalistes comme indépendantistes. Cependant, lorsqu’on regarde les choses en fonction du progrès ou du recul de l’indépendance, on doit se demander pourquoi encore, comme l’an dernier pour le PQ à Québec, ce refus de faire une campagne de promotion de l’indépendance. On en parle dans les réunions internes, mais pas devant les micros entre les élections, et surtout pendant les débats électoraux.

Bravo au Bloc québécois

À l’instar des commentateurs qui souvent présentent ces campagnes comme une joute sportive, on a pu admirer l’élégance du coup de patin d’Yves-François Blanchet ; sur la patinoire adverse il a réussi à contourner les défenses ennemies pour compter un but redonnant espoir aux partisans. Le Bloc a mené une campagne d’idées, une campagne propre, une campagne à la défense des intérêts du Québec, même si sa plateforme électorale a été inexplicablement vidée de tout son contenu souverainiste.

Le point le plus positif de cette élection pour le Québec, c’est le message très clair au reste du Canada. Le Québec n’acceptera pas que les lois de son État, surtout celles qui fondent son identité nationale comme la loi sur la laïcité, soient combattues par l’État canadien. Même si celui-ci s’en est donné unilatéralement le droit par la constitution de 1982, même s’il n’aime pas que nous soyons différents, nous sommes une nation et nous allons résister chaque fois que cela sera nécessaire. Comme l’a rappelé le chef du Bloc, transgresser les lois du Québec aura un prix politique !

Le résultat concret de l’élection de 32 bloquistes à la Chambre des communes, outre une bouffée d’espoir bienvenue, c’est 32 porte-paroles des valeurs et des projets de la nation québécoise dotés de moyens accrus, d’une tribune parlementaire et médiatique. C’est 150 députés et attachés politiques payés à plein temps, travaillant exclusivement pour le Québec… et c’est donc 32 députés des partis fédéralistes de moins avec leurs personnels, autant d’adversaires de l’indépendance de moins sur le terrain pour bloquer l’indépendance.

Ce n’est pas rien, mais cela est-il un progrès pour l’indépendance ? Tout dépend si ces ressources considérables vont travailler maintenant à faire avancer l’indépendance. On doit saluer l’élection de militants engagés qui ont beaucoup à apporter à la chose publique au cours des prochaines années, et dont certains sont des indépendantistes convaincus et déterminés. Seront-ils capables d’influencer leur parti pour que la promotion de l’indépendance se fasse ? Pourront-ils convaincre d’autres députés élus de les laisser travailler à l’indépendance, alors qu’il n’y a pas si longtemps certains députés réélus voulaient créer un autre parti « Québec debout » qui n’avait plus rien d’indépendantiste ?

Le retour du bloc, une victoire pour l’indépendance ?

Maintenant que le Canada est dirigé depuis le 22 octobre par Justin Trudeau, le régime canadien continuera à nous imposer ses valeurs, ses priorités, ses projets pétroliers et autres. Les quelques députés québécois nationalistes ou souverainistes qui ont été élus à Ottawa le 21 octobre devront essayer d’éviter le pire pour le Québec, que ce soit pour bloquer les projets pétroliers comme Gazoduq Saguenay ou le retour possible d’un corridor énergétique devant la pression de l’Ouest — ou que ce soit pour combattre les décisions et les lois les plus fondamentales de notre Assemblée nationale, comme la loi 99, la Charte du français ou la loi sur la laïcité.

On oublie trop facilement que le Québec ne peut gagner une élection canadienne, mais seulement éviter le pire. Dans ce cas-ci, le pire aurait été l’élection d’un gouvernement conservateur ou d’un gouvernement libéral majoritaire. Mais devant un gouvernement libéral fortement minoritaire, qui sera souvent appuyé par NPD, le Bloc n’aura pas la balance du pouvoir. Il n’a pas de rapport de force, tout comme le gouvernement Legault d’ailleurs.

En fait, cette élection n’a rien changé. Même si on a beaucoup parlé du Québec des positions « nationalistes » du gouvernement Legault, le Québec est toujours un corps étranger au Canada, toujours sur la défensive, pour préserver ses valeurs, pérenniser ses décisions et ses projets. Ces quatre prochaines années, il fera face aux mêmes blocages, au même rejet de son caractère national distinct, aux mêmes périls pétroliers ou identitaires parce qu’il ne peut être maître chez lui en restant dans le Canada.

Cacher le programme pour promouvoir l’indépendance

L’an dernier à pareille date, nous faisions au MQI le bilan de l’élection québécoise. Cette défaite électorale sans précédent du Parti québécois n’était pas une défaite de l’indépendance puisque les résultats démontrent que 36 % des électeurs appuyaient toujours l’indépendance, sans compter les abstentionnistes. Ce fut une défaite du Parti québécois, mais pas une défaite de l’indépendance puisque celle-ci n’était pas l’enjeu de l’élection. Cette fois-ci, le progrès du Bloc n’est pas non plus une victoire de l’indépendance pour les mêmes raisons. Elle n’était pas non plus l’enjeu de l’élection et le Bloc n’a pas demandé de mandat pour en faire la promotion.

Dans les deux cas, comme dans les 7 dernières élections depuis le référendum de 1995, les indépendantistes se sont à nouveau privés d’une belle occasion de faire avancer leur option. L’appui à l’indépendance stagne depuis 23 ans, faute de défenseurs quand cela compte, au moment où on choisit notre gouvernement national ou nos représentants à Ottawa d’ici à ce qu’on en sorte, au moment où la population pourrait s’intéresser le plus à la politique, au moment où les idées d’émancipation nationale pourraient progresser.

Eh bien, cette fois-ci encore, l’indépendance a été exclue de la campagne du Bloc. Par exemple, accusé par Trudeau de cacher son agenda indépendantiste plutôt que travailler à la protection du climat, il aurait pu répondre que les indépendantistes ont besoin de sortir du Canada pour travailler pour le climat. Samedi soir, à deux jours du scrutin, Yves-François Blanchet a affirmé plutôt que le programme du Bloc québécois était écologiste, progressiste, nationaliste et, évoquant comme pour s’excuser « que la nation devra à nouveau se donner tous les attributs de la souveraineté ». Accusé par ses adversaires de vouloir faire la promotion de la souveraineté, il s’en est défendu rapidement en affirmant que « ce n’est pas le mandat que beaucoup de Québécois nous confient ». Bien sûr, puisqu’il ne l’a pas demandé.

Il a affirmé que même les militants du Bloc québécois avaient accepté le fait que cela n’incluait pas, pour le moment, l’indépendance du Québec. Cela est totalement faux ! Cet énoncé, c’est comme si tout à coup, le référendum interne de juin 2018 n’avait pas eu lieu où 64 % des membres du Bloc, même sans donner à la cheffe un mandat de confiance, ont appuyé l’objectif de « promotion de l’indépendance sur toutes les tribunes et à toutes les occasions ».

Les délégués au Congrès général du Bloc de mars 2019 ont appuyé à l’unanimité les articles suivants qui font partie du programme officiel de leur partie :

A2-1 Pour le Bloc québécois, l’indépendance est la seule option permettant à la nation québécoise de s’épanouir pleinement. Non seulement notre parti est le défenseur de l’option indépendantiste à Ottawa, il en est aussi le promoteur sur toutes les tribunes et à chaque occasion. [Une campagne électorale n’est-elle pas la meilleure occasion, la meilleure tribune pour promouvoir l’indépendance ?]

A3-1 Sur chaque enjeu canadien soulevé à la Chambre des communes, notre parti explique sans équivoque ce qu’un Québec souverain aura le pouvoir de faire de plus et de mieux dans l’intérêt de la nation québécoise. Ce faisant, notre parti porte et illustre ce qu’est le Québec et en défend ses intérêts d’ici l’indépendance.

A6-1 Mobiliser nos membres et la population en général dans la réalisation d’une campagne permanente visant à convaincre les Québécois d’opter majoritairement pour l’indépendance comme solution d’avenir pour la nation québécoise.

Mais voilà, cette évacuation totale de l’indépendance était voulue dès le lendemain du congrès par la nouvelle direction. Non seulement on n’en a pas parlé durant la campagne, mais on a émasculé le programme politique du parti voté pourtant à la presque unanimité par les délégués au congrès après une vaste consultation des membres.

Ces articles précités et l’ensemble de la partie C du programme qui présentait une position indépendantiste sur toutes les questions actuelles ont été carrément biffés dans la plateforme électorale du Bloc. C’est environ la moitié du programme officiel du Bloc, une base solide pour la promotion de l’indépendance, qui est retournée dans les catacombes et dont personne n’a entendu parler. En fait, on a retardé la publication du programme pour laisser toute la place à la plateforme électorale du Bloc, la seule diffusée à date, celle pour laquelle il a demandé un mandat qui ne contient que deux mentions du mot indépendance : sur la défense de la loi 99 et les missions à l’étranger pour faire connaître le projet d’indépendance.

Il s’agit sans doute d’une excellente plateforme de parti d’opposition progressiste, bien intégré au parlement canadien, uniquement dédié à la défense des intérêts du Québec, mais une campagne et un mandat qui nous disent, contrairement au programme du parti : « L’indépendance ce n’est pas nous ».

La résurrection d’un Bloc provincialiste

Nous avons assisté lors de cette élection à la résurrection d’un Bloc provincialiste, à un retour aux positions traditionnelles du Bloc d’avant le désastre de 2011. Avant 2011, le Bloc de Lucien Bouchard et Gilles Duceppe se comportait comme une loyale opposition de Sa Majesté, concentrée sur son travail de législateur, développant toutefois une véritable expertise dans les dossiers de compétence d’Ottawa, celles qui échappent au Québec. Parizeau avait l’habitude de souligner la qualité du travail du Bloc qui épluchait à fond les projets de loi et exerçait une véritable surveillance du gouvernement de l’autre nation. C’était positif. Ce n’était pas un parti souverainiste, mais un parti de souverainistes en attente d’un référendum. Un parti qui, malgré le credo indépendantiste de ses membres, travaillait dans les faits à un autre projet : celui d’améliorer la position la province dans le Canada en attendant l’indépendance.

Après les désastres de 2011 et 2015 sous la gouverne de Gilles Duceppe, le parti s’est retrouvé sous la barre des 20 %, avec 4 députés, puis 2, puis 10 en 2015, largement privé de moyens. Il a ensuite frôlé la fermeture suite à la mutinerie de sept députés qui ne pouvaient accepter le virage indépendantiste que voulait opérer Martine Ouellet. On peut bien qualifier celle-ci de tous les maux tant on minimise l’énorme difficulté de réorienter des partis indépendantistes qui n’osent plus travailler à l’indépendance malgré leurs convictions. Et pourtant, avant la démission des 7 députés et la campagne médiatique extrêmement négative et parfois mensongère qui a suivi, le Bloc approchait les 30 % d’appuis à la fin de 2017, avec un positionnement indépendantiste assumé intégré à la défense des intérêts du Québec, qui le plaçait loin devant les conservateurs et le NPD.

Après les troubles, tout a changé. Le Bloc est passé en quatrième place avec un plancher de 12 % d’appui et des finances qui faisaient craindre la fermeture de la permanence. Il a fallu se retrousser les manches. J’étais vice-président du Bloc à ce moment-là. Je n’ai pas voulu que le Bloc ferme ses portes. J’ai contribué à la réunification du parti avec Yves Perron, même si nous étions opposés lors du référendum interne. J’ai fait en sorte que le congrès de mars adopte un programme indépendantiste, marié à la défense des intérêts du Québec, à son congrès de mars dernier. C’est ce programme officiel du parti, toujours en vigueur pourtant, dont la partie indépendantiste a été écartée de la campagne du Bloc.

Le Québec sur la défensive

Cette élection canadienne laisse trois inquiétudes majeures à toutes celles et tous ceux qui souhaitent l’émancipation politique du Québec.

1. Les indépendantistes n’ont plus de véritable véhicule politique à Ottawa. Celui-ci cache son programme souverainiste, il n’a pas demandé de mandat pour faire la promotion de l’indépendance (pas de la faire, car cela ne peut se faire qu’à Québec) et il n’a pas l’intention d’utiliser les moyens importants qu’il a acquis pour faire cette promotion dans les médias. Cela ressemble à un air connu après chaque élection québécoise de la part du PQ, sauf à l’époque de Jacques Parizeau.

2. Le Québec n’est pas en position de force pour contrer l’offensive prochaine d’Ottawa et son blocage certain des positions provincialistes du gouvernement Legault sur lesquelles le Bloc s’est enligné. Le Bloc est plus fort qu’il était, heureusement, mais le vent de l’Ouest, de l’Ontario et des Maritimes va souffler encore plus fort qu’avant devant la révolte du Canada pétrolier et communautariste.

3. Du côté du gouvernement du Québec, les positions nationalistes et provincialistes de la CAQ, même nettement en deçà des positions traditionnelles du Québec, seront bloquées à Ottawa par tous les autres partis. Il faut le rappeler, des positions comme le respect de la loi sur la laïcité, la déclaration de revenus unique et quelques revendications de transfert de responsabilités ou de fonds ne sont défendables par aucun parti au Canada anglais. Au contraire, nous avons à Ottawa deux partis (libéral et NPD) qui voudront intervenir encore plus dans les affaires du Québec et une Cour suprême qui a le droit de désavouer les lois de notre Assemblée nationale dans quelque domaine que ce soit.

Malgré leur campagne provincialiste, le chef du Bloc et les députés de son parti pourront-ils faire le lien entre tous ces reculs prévisibles du Québec dans le Canada et la nécessité de l’indépendance ? Il faudra leur rappeler constamment le programme de leur propre parti.

Changer de cap

Manifestement, il faut changer de cap et pour cela il faudra convaincre d’abord tous les indépendantistes qui pensent que le Bloc n’avait pas le choix d’évacuer la souveraineté de sa plateforme électorale, tout comme le PQ l’a fait l’an dernier. C’est le cas de Jean-Marc Léger qui affirme sans preuve que le Bloc n’aurait eu que 14 % d’appui plutôt que 31 %. Pourtant, avant la démission des 7, en octobre 2017, le Bloc frôlait déjà les 30 % d’appui. Un Bloc indépendantiste assumé aurait sans doute perdu certains électeurs, relativement peu tant la conjoncture était éminemment favorable depuis 2017 : un gouvernement libéral en perte de vitesse et une opposition conservatrice carrément inacceptable au Québec. Il aurait perdu des électeurs, mais il en aurait gagné d’autres, des indépendantistes qui se sont abstenus faute d’enjeu et de sens pour l’indépendance, ou qui ont voté stratégiquement contre les conservateurs, ou qui ont appuyé d’autres partis verts ou progressistes.

Et surtout, la progression du Bloc, même si elle avait été un peu plus faible, aurait eu du sens pour l’indépendance du Québec.

Le virage indépendantiste du Bloc que souhaitaient les membres n’a pas échoué. Il n’a pas été essayé, encore une fois, comme dans les 7 dernières élections au Québec. En fait la seule fois où il a été essayé, nous avons atteint la majorité et plus de 60 % des francophones. C’était il y a longtemps, en 1995, vous vous rappelez ? Et cela a pris un Jacques Parizeau qui l’a imposé à son caucus.

Pour reprendre la route vers l’indépendance, il nous faut au moins un parti politique doté de moyens dont il se servira pour l’indépendance, pour en finir avec le provincialisme à Québec et à Ottawa et pour que cette élection canadienne soit l’une des dernières à se tenir sur le territoire du Québec.

Pour cela, il faut que nos moyens collectifs, gagnés chèrement par nos partis à Québec et à Ottawa, servent à promouvoir, à préparer l’indépendance, servent à expliquer sur chaque question d’actualité ce qu’un Québec indépendant pourrait faire de plus, surtout sur la question de l’environnement et du climat. Pour cela, il nous faut résister, non seulement contre le Canada, mais contre la tentation de démission du combat indépendantiste, toujours présente à l’intérieur des partis politiques ou des mouvements indépendantistes.

Nous avons besoin de partis et de mouvements qui, ensemble, appuient une démarche du peuple québécois où, pour la première fois de notre histoire, nous nous donnerons notre propre constitution du Québec comme pays. Nous sommes toujours à portée d’une majorité pour le faire.

C’est la seule solidarité, la seule convergence qui en vaille la peine ! q

* Ex-ministre du Parti québécois, ex-vice-président du Bloc québécois et membre fondateur du Mouvement Québec indépendant.