Affrontement idéologique méconnu: Claude Ryan/Jean-Marc Léger

Cet article a valu le prix André-Laurendeau du meilleur article de l’année à son auteur

On ne peut distinguer le vrai du faux, ni distinguer une réponse adéquate à un problème d’une réponse non pertinente, ni distinguer de bonnes idées d’idées banales, on ne peut pas évaluer des idées de manière critique, si ce n’est lorsqu’elles sont présentées avec suffisamment de clarté.
Karl Popper

D’un point de vue macroscopique, la position du Devoir sur la question du Québec (la question nationale ou la question constitutionnelle canadienne) est essentiellement marquée par le passage tranché du fédéralisme de Claude Ryan au souverainisme de Lise Bissonnette[1]. Un regard plus attentif sur une période clé de la direction de Ryan révèle toutefois un affrontement qui, s’il avait connu un dénouement autre, aurait modifié non seulement l’évolution de la position du journal, mais vraisemblablement aussi l’histoire politique contemporaine du Québec. Au moment même où, en 1967, Ryan consolidait sa position fédéraliste, une position souverainiste divergente était défendue par un autre éditorialiste du Devoir, Jean-Marc Léger. Cet affrontement s’est conclu par l’exclusion de Léger de l’équipe éditoriale (et quelques mois plus tard par son départ du quotidien) où le fédéralisme de Ryan est devenu la ligne de pensée incontestée.

Le débat entre Ryan et Léger est aujourd’hui à peu près totalement tombé dans l’oubli. Sans doute en bonne partie parce que Jean-Marc Léger s’est ensuite consacré à des engagements au sein d’organismes internationaux de la Francophonie, mais aussi en raison de la discrétion dont il a fait toujours preuve. Quand il évoque son différend avec Ryan, Léger le fait dans des termes extrêmement sobres et réservés. C’est notamment le cas dans le texte qu’il a signé tout récemment dans les « Souvenirs de la rédaction » que publie Le Devoir à l’occasion de son centenaire :

[…] je fus placé devant un choix. J’avais pris publiquement position pour l’indépendance du Québec. Le directeur du Devoir de l’époque, Claude Ryan, fédéraliste convaincu, m’indiqua que si je tenais à exprimer mes convictions, je ne pouvais plus le faire comme éditorialiste[2].

La prise de position à laquelle Léger réfère est une série de trois textes, hors éditorial, coiffés du titre générique « La souveraineté, condition de salut[3] ». Ces articles sont introduits par une note de la direction dans laquelle Ryan précise que la position de Léger s’écarte de celle de la direction et que « comme il est essentiel que, sur une question aussi fondamentale, l’équipe éditoriale partage et exprime les mêmes convictions générales, M. Léger cessera, à compter de maintenant, de faire partie de l’équipe éditoriale du Devoir à titre régulier[4]. » Les trois textes de Léger expriment de façon synthétique son point de vue et mettent en évidence les différents aspects de son désaccord avec Ryan. La position de ce dernier n’est pas condensée dans des articles aussi bien identifiés à cette fin. Elle est énoncée de manière plus diffuse dans tous les éditoriaux signés par Ryan avant et après la publication des trois textes de Léger[5].

Mon objectif principal sera ici d’analyser le différend entre Ryan et Léger sur la question québécoise. Je m’efforcerai d’identifier les points précis de divergence entre le fédéralisme de Ryan et le souverainisme de Léger et de caractériser l’argumentation déployée par chacun pour étayer sa position. En supplément, pour ainsi dire, à cette analyse, je chercherai ensuite à spécifier le souverainisme de Léger, notamment en dégageant sa correspondance avec celui qu’allait préconiser Lise Bissonnette près de vingt-cinq ans plus tard.

Les désaccords entre Ryan et Léger au sujet de la question du Québec portent sur six questions principales : le sort des communautés francophones hors Québec, l’impact économique de la souveraineté, l’évaluation de l’expérience canadienne, l’intérêt du système fédéraliste, la solution à la crise québéco-canadienne et la nature de la spécificité du Québec.

Les communautés francophones hors Québec

L’une des raisons les plus courantes, bien que secondaire, pour prôner le maintien du Québec au sein de l’ensemble canadien est la survie des poches francophones ailleurs au pays : si le Québec devient indépendant, est-il avancé, ces communautés, déjà fragilisées, ne pourront pas subsister. L’argument se présente avec une évidence telle qu’il est le plus souvent formulé sans démonstration le moindrement développée. C’est tout à fait le cas chez Ryan. Sans expliciter davantage, il mentionne la préservation et le développement des communautés françaises hors Québec comme motif (parmi d’autres) de maintenir le lien fédéral. C’est que, pour Ryan, l’idéal de la dualité canadienne reste bien vivace (il considère même que l’attachement historique au Canada est inscrit dans la vocation immuable du Devoir). Cela le rend réfractaire à l’idée de restreindre au seul Québec le problème posé au Canada par le fait français. Le Québec, à ses yeux, ne condense pas en lui la totalité du « Canada français ». S’il conçoit bien qu’il est devenu le « foyer principal » des francophones et qu’il s’impose de lui octroyer des pouvoirs lui permettant de se développer à ce titre, il se refuse à envisager « la question du Québec » indépendamment de celle des francophones hors Québec.

Jean-Marc Léger n’en fait pas non plus abstraction. Mais il considère que le « Québec francophone » est déjà lui-même en état d’urgence face au danger de « minorisation ». Léger opère, à la suite, un retournement de l’argument – procédé que nous lui verrons utiliser à d’autres reprises. Il avance que l’intégration du Québec au Canada n’a pas permis jusqu’ici de défendre et de faire avancer les minorités francophones hors Québec et que leur survie passe au contraire par la souveraineté du Québec.

L’argument économique

Les avantages de l’appartenance du Québec au Canada et les risques de la souveraineté sur le plan économique constituent un autre enjeu du débat entre fédéralisme et souverainisme. Comme l’indique Léger, l’argument économique est le principal argument invoqué contre l’indépendance et celui-là également auquel la population québécoise est le plus sensible. Ryan l’aborde très prosaïquement sans le dramatiser. Il pose que, comme tous les États, le Québec a besoin de débouchés extérieurs et d’investissements étrangers et que le Canada est à cet égard un partenaire, sinon idéal du moins naturel, que le Québec devrait d’ailleurs chercher à conserver advenant son accession à la souveraineté. (Ce que ne nient pas les souverainistes.) Ryan n’agite donc pas l’argument de la peur : il n’avance pas que la souveraineté serait porteuse d’un désastre économique. Tout simplement parce qu’il lui apparaît impossible de prédire quoi que ce soit à cet égard : « Tout dépendrait, dans l’hypothèse d’une séparation, des circonstances politiques dans lesquelles elle s’accomplirait[6]. »

Léger n’est pas d’un avis contraire : « Personne ne peut prédire ce qu’il adviendra de l’économie québécoise si le Québec accède à la souveraineté […][7] ». Léger, cependant, prend la peine de s’attarder assez longuement à l’argument économique tel que le brandissent des fédéralistes qui, selon son propre terme, cherchent à créer une « psychose ». Sa réplique ne vise donc pas Ryan. Léger prétend qu’il est erroné de penser que l’indépendance politique implique une totale indépendance économique, que l’écart du niveau de vie et du volume des investissements entre le Québec et l’Ontario s’accentuerait advenant l’avènement de la souveraineté et que celle-ci provoquerait un isolement désastreux pour l’économie du Québec. À propos du niveau de vie et des investissements, Léger procède à un autre renversement argumentatif : « Mais précisément cette situation […] persiste depuis des décennies, voire depuis l’origine de la fédération à laquelle il est difficile de ne point la rattacher. En quoi peut-on relier à l’aspiration à l’indépendance une situation qui s’est développée tout au cours du régime fédéral […]?[8]»

L’expérience canadienne

Le désaccord le plus profond (on pourrait même dire le seul véritable désaccord) entre Ryan et Léger est politique et, plus nettement encore, constitutionnel. Ils divergent d’opinions sur le régime le plus à même de permettre la satisfaction des aspirations du Québec et son développement. Leur point de départ est cependant le même. Ils conviennent tous deux que la spécificité du Québec (qu’ils ne définissent cependant pas de la même manière, comme nous en rendrons compte plus loin) exige un accroissement des pouvoirs de son gouvernement tel qu’il acquiert le statut de véritable État, que cette « montée du Québec » (comme la qualifie Ryan) le distingue originalement du reste du Canada et suscite une crise de grande ampleur qui appelle un changement politique majeur. Pour Léger, ce bouleversement doit aller jusqu’à la séparation et l’indépendance. Ryan conclut, à l’opposé, que la voie la plus préférable est celle d’un fédéralisme radicalement réformé.

Leur opposition se cristallise d’abord dans une appréciation distincte du premier siècle d’existence de la fédération canadienne. Ryan se montre très critique vis-à-vis le régime constitutionnel qu’il juge « […] ambigu, incomplet, trop peu explicite en tout ce qui a trait à la dualité fondamentale du pays […][9] » et qui « […] ne donne pas satisfaction [en ce que] […] ni la place qu’elle fait au groupe francophone dans son ensemble, ni la place qu’elle accorde en particulier au Québec ne sont de nature à satisfaire les aspirations du Canada français[10]. » Le diagnostic par lequel Ryan explique ce jugement sévère est que le Canada, d’une part, et le Québec, de l’autre, sont animés par des dynamismes contradictoires :

C’est l’émergence progressive de deux communautés distinctes dont l’une tend depuis toujours, même quand elle se montre disposée à reconnaître ses erreurs passées, à se réaliser autour d’un gouvernement principal ayant son siège à Ottawa, dont l’autre tend de plus en plus, malgré les concessions qui lui viennent de l’autre côté, à chercher son foyer de gravité à Québec[11].

En dépit de la gravité de cette estimation, Ryan dresse un bilan globalement positif de la fédération canadienne. Le point focal de l’appréciation qu’il en donne est l’octroi par le régime fédéral de libertés : « [il] nous a donné au Québec, l’usage plénier de ces libertés fondamentales qui sont la pierre d’assise de toute démocratie véritable. Liberté de parole, liberté de déplacement, liberté de croyance, liberté de réunion […][12] » Ryan voit même dans l’expérience canadienne une expérimentation d’un modèle exemplaire :

Cette expérience n’en conserve pas moins une valeur significative dans un monde où les frontières politiques traditionnelles apparaissent de plus en plus étroites. Elle fournit comme un laboratoire sur la route de ce fédéralisme continental, puis éventuellement mondial, vers lequel les peuples se dirigent[13].

Le jugement de Léger est aux antipodes. Il formule à l’encontre de la fédération canadienne un blâme non équivoque : le Québec y est « sous tous rapports minoritaire ». Selon lui, le rattachement au Canada est néfaste sous trois aspects complémentaires. Il maintient le Québec dans une inégalité culturelle ; il restreint son autonomie en ne lui octroyant pas les moyens constitutionnels requis à son épanouissement ; il lui fait courir un risque d’assimilation et d’anglicisation. Le Canada, en quelque sorte, ampute le Québec des pouvoirs indispensables à son développement et à sa survie même. Pour Léger, la situation est dramatique : le Canada met le Québec en « danger de mort » et « […] la fédération canadienne est, à terme, le tombeau de la nation canadienne-française[14]

Le système fédéraliste

Si Claude Ryan est fédéraliste, ce n’est pas, à l’opposé de beaucoup, parce qu’il considère comme irréalisable, périlleuse ou dangereuse la souveraineté. Elle lui apparaît au contraire une option parfaitement légitime et défendable[15]. La raison fondamentale sur laquelle il retient plutôt « l’hypothèse canadienne » est le très grand intérêt qu’il reconnaît au fédéralisme comme mode d’organisation politique. Aux yeux de Ryan, « […] le régime fédéral est celui qui convient le mieux à nos conditions géographiques, historiques, économiques et politiques[16]. » Les avantages que Ryan voit au fédéralisme relèvent essentiellement du pluralisme culturel qui le constitue. Le système fédéraliste serait bénéfique du fait qu’il favorise

[…] le développement de cultures différentes, sans être rigidement ni exclusivement conditionné […] par une seule » et, de la sorte, s’offre comme un cadre « plus propice à la culture des libertés fondamentales, à la longe, que les sociétés calquées de trop près sur les seules réalités d’une culture particulière[17].

On le voit, le point de vue de Ryan sur le fédéralisme tient à une considération de philosophie politique : « […] le principe fédéral procède de l’idée même de liberté et est même le plus apte à bien servir la liberté dans une société pluraliste[18]. » À ses yeux, le fédéralisme est le régime le plus avantageux dans un monde devenant toujours plus international et mondial :

Bien appliqué, le fédéralisme est une forme supérieure d’organisation politique qui correspond très bien aux réalités de notre époque. Il procure un élargissement des chances économiques, sociales et politiques. Il est source de tolérance, de respect des libertés individuelles qui progressent souvent mieux dans un contexte où règne la diversité, d’épanouissement des particularismes culturels et géographiques à l’intérieur d’un cadre qui favorise en même temps l’association à des entreprises d’envergure[19].

Quant à lui, Jean-Marc Léger ne se prononce pas à proprement parler sur la valeur du fédéralisme. En fait, il considère que la fédération canadienne n’en est pas véritablement une, qu’elle est plutôt une « semi-fédération » dans la mesure où « […] ni [sa] constitution, ni [ses] structures n’expriment en quoi que ce soit [le] caractère binational [que promeut] la creuse rhétorique d’hier et d’aujourd’hui sur l’association de “deux nations fondatrices”[20]. »

Léger n’en a donc pas contre le fédéralisme en tant que tel, mais contre le supposé fédéralisme canadien qui « […] représente pour le Québec une sorte d’effrayant mythe de Sisyphe[21] », les exigences de l’État québécois restant toujours incompatibles avec « […] son inspiration et surtout, avec l’évolution à laquelle l’époque le condamne[22]. » Selon Léger, le dynamisme propre au système canadien, et ce qui en fait une « semi-fédération », est le centralisme. Le gouvernement fédéral est mu par une tendance irrésistible à intervenir dans tous les domaines, y compris ceux de juridiction purement provinciale, ce qui « […] abouti[t] inexorablement à réduire l’autonomie effective du Québec[23] ». Par le jeu des vases communicants, tout accroissement des pouvoirs du gouvernement fédéral se traduit par une diminution de la marge de manœuvre du Québec. Or,

[…] nous allons vers une fédération toujours plus centralisée quant à l’essentiel […] Le progrès et l’unité du Canada exigeront, de plus en plus, un État central fort et Ottawa ne peut rester en dehors d’aucune des grandes politiques qui commandent l’avenir du pays et la qualité de ses citoyens : l’éducation et les affaires scientifiques comme la main-d’œuvre et la mise en valeur des ressources naturelles, l’aménagement du territoire et les affaires culturelles comme l’essor des régions déshéritées et l’expansion de la sécurité sociale. Coopération, consultation, décentralisation dans l’application des politiques, tant qu’on voudra, mais il y aura un maître d’œuvre : Ottawa[24].

Le verdict de Léger est clair : ce centralisme fait de la fédération canadienne une « impasse ». Une impasse pour le Québec, ses revendications entrant en conflit avec les prétentions interventionnistes du gouvernement central et suscitant une « collision permanente ».

La solution à la crise québéco-canadienne

Si Claude Ryan reste envers et contre tout fédéraliste, il n’en préconise pas moins une révision en profondeur du régime constitutionnel canadien. Elle lui apparaît s’imposer par la « montée du Québec » qui nécessite la mise au point d’une nouvelle entente avec le Canada. Ce nouvel arrangement, Ryan l’articule autour des deux notions clés de société distincte et de statut particulier. Ryan adhère complètement au point de vue originellement mis en avant par la commission Dunton-Laurendeau suivant lequel le Québec a une identité spécifique qui le distingue du reste du Canada. Il considère, à la suite, que cette spécificité légitime la volonté du Québec de maîtriser son destin et implique que soient apportées au fédéralisme canadien des modifications majeures. Cette refondation, Ryan la condense dans la proposition d’un statut particulier qui, par une nouvelle répartition des pouvoirs, viendrait élargir les champs de compétence de l’État québécois et lui permettrait de la sorte de jouer pleinement le rôle qui est le sien.

Aux yeux de Ryan, le statut particulier est à la dualité ce que le bilinguisme est à l’égalité. Selon lui, tous deux représentent des exigences liées qui constituent le prix à payer pour la conservation du fédéralisme canadien. Tel que Ryan envisage les choses, le statut particulier est parfaitement conciliable avec le fédéralisme, un fédéralisme « renouvelé ». D’ailleurs, le statut particulier du Québec lui semble dès à présent inscrit dans la réalité : « Québec, qu’on aime cela ou non, jouit déjà, à toutes fins pratiques, d’un certain régime particulier à l’intérieur du Canada. Nous sommes en face d’une évidence[25]. » Cependant, d’une part, le principe n’en est qu’implicitement admis et devrait faire l’objet d’une reconnaissance juridique formelle et, d’autre part, il demanderait à être étendu à tous les secteurs où il s’avère indispensable que le Québec soit le maître d’œuvre.

À l’époque où toutes les possibilités apparaissent encore ouvertes, le statut particulier est, selon Ryan, la troisième voie entre celle de l’indépendance et celle d’un régime confédéral tel que préconisé par la thèse des États associés. Quand, après coup, le débat tend à se dichotomiser dans l’affrontement entre les positions de Lévesque et Trudeau, Ryan cherche à ménager un espace au statut particulier entre la proposition de souveraineté et le statu quo fédéraliste. Ultimement, il optera pour le maintien du fédéralisme tout en continuant tant bien que mal à défendre l’octroi au Québec d’un statut particulier.

Léger rejoint totalement Ryan sur la nécessité pour le Québec de disposer des pouvoirs requis pour son développement. Cependant, contrairement à Ryan, il ne réduit pas cette exigence à la dualité et à l’égalité. À ce propos, le bilinguisme est, pour lui, un « faux problème ». Surtout, Léger ne croit pas que le fédéralisme, plutôt le « semi-fédéralisme » canadien, puisse être réformé. C’est en cela qu’il considère que la fédération est une « impasse ». À ses yeux, il y a incompatibilité insurmontable entre les aspirations québécoises et le système canadien en raison, essentiellement, de la propension irrépressible de celui-ci à la centralisation. Léger et Ryan, nous le verrons en détail dans la prochaine section, ne partagent pas la même conception de la société distincte. Ryan arc-boute sur ce constat sa proposition d’un statut particulier. De l’avis de Léger, elle est irréaliste parce que fédéralisme et statut particulier sont parfaitement antithétiques :

Il n’y aura jamais de statut particulier au sens où l’entendent ceux des Québécois qui croient y trouver une solution : cette sorte de minimum vital […] le fédéralisme canadien ne saurait s’accommoder d’un tel statut particulier. Il y aura peut-être le mot, voire l’ombre de la chose, mais jamais la chose. Rechercher à la fois un authentique statut particulier et une véritable fédération, c’est vouloir la quadrature du cercle[26].

C’est sans acrimonie à l’égard du Canada et sans état d’âme que Léger formule ce diagnostic ; il prend acte, tout simplement, de ce qu’il considère comme une réalité qui s’impose :

Le rapport des forces sur tous les plans rend proprement chimérique l’égalité des nations francophone et anglophone au Canada, comme l’égalité effective des langues et des cultures. Par son origine, son inspiration et, surtout, du fait de l’évolution contemporaine, le fédéralisme canadien ne saurait d’aucune façon s’accommoder d’un véritable statut particulier pour le Québec ; tout le porte, au contraire, à une centralisation et à une uniformisation accrues[27].

L’unique solution pour le Québec, selon Léger, c’est l’indépendance (ou la souveraineté – Léger utilise indifféremment les deux termes). Il la considère comme la « condition de salut », la seule manière d’échapper au « danger de mort » qui guette le Québec. Cette conviction, Léger n’a pas attendu son débat avec Ryan pour l’exprimer. Dans un éditorial publié en 1962 – donc non seulement avant la nomination de Ryan à la direction du Devoir en 1964, mais avant même son arrivée au journal comme éditorialiste –, il plaide de manière prémonitoire pour une véritable Confédération dans les termes mêmes que reprendront René Lévesque et le Parti québécois plus de cinq ans plus tard :

[…] le système né en 1867 a vécu et […] il faut envisager sans retard et lucidement la mise en route d’une autre formule. […] le malaise ira s’aggravant, malgré toutes les réformes, si la majorité n’accepte pas de regarder en face les réalités suivantes et d’en tirer les conséquences : l’existence de deux nations bien distinctes qu’il faut reconnaître officiellement ; la volonté des Canadiens français de reprendre leurs affaires en main et d’avoir la plus grande maîtrise possible de leur destin ; la nécessité de préparer une nouvelle association entre deux nations souveraines et égales, qui mettraient en commun et géreraient en commun quelques domaines limités, étant entendu que dans ces domaines communs, les décisions importantes devraient être prises à l’unanimité. Bref, la Confédération, une véritable confédération, volontairement formée par deux nations souveraines. Ce sera dans peu d’années la seule forme de connivence possible[28].

Léger avance que la souveraineté, la souveraineté-association qu’il définit, est non seulement impérative pour le Québec, mais aussi souhaitable pour le Canada :

Pour le Québec, en effet, l’indépendance est de l’ordre de la nécessité vitale ; pour le Canada, l’indépendance du Québec est la condition d’un meilleur épanouissement. Pour les deux États, elle marquerait un nouveau et fructueux départ. Car nous pesons sur le Canada anglais dans le même temps où nous menons une existence mutilée. Le Canada dans sa forme présente se trouve condamné à la médiocrité : c’est dans un climat permanent de méfiance, dans la mauvaise humeur et l’insatisfaction générales, l’interminable série des compromis boiteux et fragiles, les négociations toujours à recommencer tout à la fois à propos des problèmes anciens et des réalités nouvelles, une extraordinaire perte de temps, de ressources et de talents […][29].

La spécificité du Québec

Les divergences de vues entre Claude Ryan et Jean-Marc Léger au sujet des francophones hors Québec, de l’appréciation de l’expérience canadienne et celle du système fédéraliste, du choix à faire entre statut particulier et indépendance relèvent toutes, en dernière instance, d’un désaccord fondamental au sujet de la nature de ce qu’on appellerait aujourd’hui « l’identité » québécoise ». Pour le dire très globalement, Léger est conduit au souverainisme parce que pour lui le Québec est une nation alors que c’est parce qu’il se refuse en dernier ressort à considérer que c’est vraiment le cas que Ryan ne se résout pas à cesser d’être fédéraliste. C’est cet écart entre leur conception respective de la spécificité québécoise qui, fondamentalement, entraîne leur affrontement sur le devenir politique du Québec.

Ryan reconnaît tout à fait la différence du Québec : « […] d’un Québec canadien-français dont la langue, la culture, les institutions, voire très souvent les désirs, diffèrent profondément de ceux des autres parties du Canada[30]. » Toutefois, il étend cette distinction à l’ensemble de la communauté francophone canadienne. La spécificité dont Ryan convient reste celle du Canada français. Si, pour lui, la discussion qu’elle soulève a une dimension québécoise particulière et forte, c’est parce que le Québec est le « point d’appui », la « principale expression politique », la « pierre d’assise », le « levier politique » du Canada français.

Aussi, Ryan ne caractérise pas le Québec comme une nation. C’est ce qui explique qu’il préfère évoquer non pas la « question nationale », mais la « question du Québec ». En fait, Ryan manifeste toujours beaucoup de réserve à traiter du problème politique québécois à partir du point de vue du nationalisme. Le concept de société distincte (qu’il reprend, redisons-le, de Dunton-Laurendeau) lui est d’un secours théorique inestimable : il lui permet de marquer très loin la distinction du Québec sans avoir à en assumer une définition en terme de nation.

Il y a chez Ryan une méfiance sourde ou feutrée à l’égard du nationalisme. Elle ne s’exprime pas à la façon d’une opposition virulente comme chez Trudeau ou Mitterrand, mais prend la forme d’une vigilance qui, d’emblée, donne valeur au fédéralisme :

Si l’histoire des deux derniers siècles doit servir à quelque chose, ce doit être de nous rappeler que la liberté des nations, si elle n’est pas complétée et tempérée par des éléments de fédéralisme de plus en plus prononcés à l’échelle internationale, conduira inévitablement l’humanité à de nouvelles guerres[31].

Cette réticence ne vise pas particulièrement le Québec : à ses yeux, « le mouvement d’affirmation du Québec » est parfaitement sain. Elle l’amène cependant, dans son analyse de la question québécoise, à diluer les considérations nationales et nationalistes dans une représentation moins compromettante. On peut même dire, en fait, que la position de Ryan procède de ce que j’appelle ailleurs (Gauthier, 2011b) un « anationalisme ». C’est en s’affranchissant de la perspective du nationalisme, que Ryan tente tant bien que mal de faire tenir ensemble sa promotion du statut particulier et son adhésion au pluralisme culturel du fédéralisme. De même, c’est en faisant abstraction de toute définition de la nation qu’il cherche à définir une « troisième voie ». On le voit bien dans sa façon de rendre compte de l’opposition entre le souverainisme de René Lévesque et le fédéralisme strict de Pierre Elliot Trudeau :

Pour M. Lévesque, les Québécois forment une nation, ni plus ni moins. […] De là découlent pour M. Lévesque [des] conclusions […] Si les Québécois forment une nation originale, ils ont le droit d’aspirer à diriger eux-mêmes […] leurs institutions et leur vie collective. Ils ont également le droit d’aspirer à maîtriser complètement les leviers de leur vie politique. […] Pour M. Trudeau, au contraire, les Québécois se distinguent des autres Canadiens par la langue ; mais pour le reste, les différences qui les caractérisent n’ont pas une importance telle […] M. Trudeau emploie le mot « réalité », non le mot « nation », pour décrire la communauté francophone, dans laquelle il englobe d’ailleurs les francophones de tout le pays, non les seuls francophones du Québec. Quand il emploie le mot « nation », c’est pour désigner tout le pays[32].

Ryan, lui, n’oppose pas la « nation » canadienne à la « nation » québécoise. Et, contre Trudeau, il fait valoir une certaine spécificité du Québec.

Simplement, il n’appréhende pas cette spécificité d’un point de vue national. Chaque fois qu’il en a l’occasion, il prend ses distances vis-à-vis ce cadrage. Il lui préfère les notions de société et de culture. Il écrit, par exemple, que « L’histoire de ce pays s’explique, en dernière analyse, par la rencontre difficile de deux nationalismes ou, si l’on préfère, de deux sociétés distinctes[33]. » De manière encore plus explicite, Ryan récuse la version trop strictement politique de la thèse des deux nations et lui oppose une version plus « sociologique et culturelle » :

Quant à nous, nous préférons la thèse des deux cultures. Elle est peut-être moins séduisante dans l’immédiat. Elle est, en retour, plus apte à assumer la réalité intégrale de ce pays. Elle offre aussi plus de garanties pour le progrès des valeurs de liberté et d’amitié civique qui sont, en définitive, la première raison d’être des sociétés politiques[34].

Léger, lui, détermine le Québec essentiellement par le fait qu’il constitue une nation. C’est même là le postulat qui commande son souverainisme : « Il y a d’abord cette réalité indiscutable qui s’appelle la nation canadienne-française, installée pour sa plus grande part au Québec, sa patrie, sa seule patrie authentique[35]. » Ce point de départ est, pour Léger, d’une importance et d’une portée telles qu’il relativise les deux revendications qui font consensus au Québec : l’égalité des deux langues et des deux cultures partout au Canada et l’octroi au gouvernement du Québec des compétences nécessaires à son rôle d’État. Les deux impératifs d’égalité et de dualité cruciaux dans la logique fédéraliste de Ryan ne se suffisent plus à eux-mêmes dès lors qu’est reconnu, comme chez Léger, le principe premier de la nation québécoise.

Dans l’esprit de Léger, tout est déjà joué dans cette idée fondamentale. Les options même, les formules et systèmes voient leur pertinence s’effacer devant cette réalité :

Faisons abstraction, pour un moment, des expressions d’indépendance et de statut particulier. Posons simplement la question : que faut-il à une nation désireuse de se développer normalement dans le monde moderne, de le faire selon ses aspirations et dans la ligne de sa culture propre ? Il lui faut pouvoir agir sur quatre ou cinq composantes essentielles qui sont la croissance démographique, la croissance culturelle, le meilleur emploi possible de ses ressources humaines […], l’aménagement de son espace ou de son habitat, les moyens de l’adaptation constante au changement […] les ressources financières nécessaires de telles politiques[36].

Ces exigences, conclut Léger, sont « strictement incompatibles avec le fédéralisme canadien » et impliquent donc l’accession à la souveraineté.

On le voit, la trame de la position de Léger est claire et simple, moins tortueuse que celle de Ryan[37]. Pour Léger, l’idée d’État-nation s’impose d’elle-même. À ses yeux, qui admet le caractère national du Québec est logiquement conduit à adhérer au projet souverainiste, la « […] patrie [l’État] étant […] droit fondamental et condition première de la vie nationale[38]. » À n’en pas douter, c’est parce qu’il ne veut pas subir cette contrainte formelle que Ryan se refuse à reconnaître véritablement la nation québécoise.

En franchissant ce pas, Léger situe parfaitement sa position dans le sillage du raisonnement déductif du nationalisme, l’argument souverainiste central[39] suivant lequel il est légitime pour le Québec d’accéder à la souveraineté (ou même qu’il devrait le faire) en raison du fait que les Québécois forment un peuple. L’idée du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes sur laquelle l’argument s’articule est d’ailleurs explicitement évoquée par Léger[40].

La souveraineté lui apparaît à ce point naturelle et normale que, pour lui, elle est moins un point d’arrivée qu’un point de départ. À ce propos, il affiche même un humanisme plutôt idéaliste : à ses yeux, l’indépendance « […] passera par l’édification d’une société nouvelle par le souci de l’humain[41] ». De même, il confère à la souveraineté une dimension messianique : « Il s’agit aussi, et peut-être d’abord, de fonder en Amérique une société originale et progressive qui échappe au moderne Minotaure que sont les U.S.A. et qui soit soucieusement principalement du progrès humain[42]. »

Le souverainisme, Le Devoir, Jean-Marc Léger

Plus de vingt après que Jean-Marc Léger eut quitté Le Devoir, Lise Bissonnette en prend la direction et, à l’heure de l’échec de l’Accord du lac Meech, lui fait adopter une position souverainiste. À une considération près, majeure, le souverainisme de Bissonnette est en tout point semblable à celui de Léger. Tous deux procèdent de la même évaluation de la situation.

Sur un ton moins dramatique que Léger, mais de manière tout aussi nette, Bissonnette estime que l’expérience canadienne se solde par un échec qui finira par « miner » la « différence québécoise ». À défaut d’avoir su intégrer celle-ci, le Canada est devenu un « acte manqué ». Comme Léger encore, Bissonnette est d’avis que le fédéralisme fait obstacle au développement du Québec. Léger y voit une « impasse » ; Bissonnette la cause d’« une société bloquée ».

Tous deux fournissent également la même explication à l’impossibilité du système canadien de tenir compte de la distinction québécoise : sa dynamique centralisatrice irréversible. Aux yeux de Léger, l’essor même du Canada conjugué aux contraintes imposées par le contexte international commande une extension toujours plus poussée de l’intervention fédérale. Bissonnette ne dit pas autre chose ; elle le dit même dans des termes tout à fait semblables à ceux de Léger :

D’un côté le gouvernement fédéral devient le grand timonier dans tous les domaines de l’activité étatique : il établit les cadres, oriente les politiques, fixe les grands objectifs. Les provinces acceptent cette présence tutélaire sur leur terrain, mais gagnent en contrepartie une plus forte marge de manœuvre dans l’application des politiques convenues au centre. L’un est à la conception, l’autre à l’exécution relativement autonome[43].

Comme Léger, Bissonnette conçoit que ce centralisme relève d’une logique et résulte d’une évolution inéluctable :

Le Canada qu’on nous dessine est une société cohérente, hiérarchisée, où le centre est au sommet, le gouvernement fédéral établit les grands principes des choix sociaux, politiques, économiques et même culturels et les provinces les mettent en œuvre, elles livrent des services. Telle est, sur le terrain, « l’évolution » du fédéralisme canadien[44].

Bissonnette rejoint Léger dans son diagnostic sur les effets de ce centralisme structurel du fédéralisme canadien : il rend impossible la reconnaissance en son sein de l’« aspiration fondamentale qui pousse le Québec » et fait que « les grands leviers du futur lui échappent ».

Par suite, Bissonnette, pas plus que Léger, ne voit d’autre voie d’avenir pour le Québec que la souveraineté. Dès son entrée en fonction comme directrice du Devoir, elle affiche cette position comme allant de soi :

Le temps des grands diagnostics historiques sur les malentendus entre le Québec et le Canada est terminé […] Il s’agit de se mettre immédiatement au travail pour savoir ce que le Québec veut […], mais que devrait vouloir le Québec ? Le maximum de souveraineté pour l’essentiel, et une entente productive, organique, avec le Canada. L’heure n’est pas à choisir les modèles en feuilletant les catalogues européens d’unions fédératives, de superstructures, de communautés et autres façons de s’épouser sans passer par la fusion corps et âme. L’heure est à définir jusqu’où le Québec veut aller[45].

La souveraineté, pour Bissonnette, est la « conclusion » qui s’impose du fait « […] de la direction qu’une majorité de Canadiens veut légitimement imprimer à un pays dont l’idée ne correspondra plus jamais à celle que partagent une majorité de Québécois[46] ».

La souveraineté, pour Bissonnette, relève donc d’une nécessité contextuelle ou historique et non pas formelle. Il s’agit là de la grande différence entre son souverainisme et celui de Léger. Si elle conçoit bien que les Québécois sont un peuple, Bissonnette ne croit pas que cette spécificité entraîne automatiquement l’exercice de la souveraineté : celle-ci n’est pas, pour elle, « […] un devoir qui s’impose au peuple québécois depuis sa naissance […][47] » ni « […] une sorte de prédestination du Québec […][48] » : « On ne se “sépare” pas nécessairement parce qu’on est “différent”[49] », ajoute-t-elle, mais le Québec est en quelque sorte contraint de le faire en raison de la « faillite » du projet canadien.

Contrairement à Léger, Bissonnette n’adhère donc pas à l’idée d’État-nation. Si elle reconnaît l’identité nationale du Québec et une certaine légitimité au nationalisme, elle démarque sa position du raisonnement déductif du nationalisme en conformité avec lequel Léger défend le souverainisme. Selon elle, il ne suit pas du fait que les Québécois forment un peuple qu’ils doivent obligatoirement accéder à la souveraineté. Celle-ci s’impose essentiellement en raison de l’incapacité chronique du fédéralisme canadien à admettre la spécificité du Québec. Bissonnette soutient même, à l’encontre du raisonnement déductif du nationalisme, que la souveraineté n’est pas l’aboutissement, mais le dépassement d’un sentiment nationaliste qui serait en fait un effet pervers du fédéralisme !

Nonobstant cette dissemblance, le souverainisme de Bissonnette s’articule autour du même arrangement argumentatif que celui de Léger. Si sa pensée avait été à l’époque dans le même état d’achèvement qu’au moment où elle dirigeait Le Devoir, elle aurait très certainement pris le parti de Léger dans son débat avec Ryan.

L’histoire ne se refait pas et un exercice d’uchronie reste toujours fantaisiste. Mais on peut quand même se demander comment les choses se seraient présentées si ce débat avait connu un dénouement contraire. Il est peut-être passé bien près que ce ne soit pas le fédéralisme de Ryan, mais le souverainisme de Léger qui devienne la position du Devoir sur la question du Québec à la Révolution tranquille. En effet, le choix d’un nouveau directeur du Devoir en 1964 se serait fait entre Ryan et Léger[50]. Si Léger avait obtenu le poste, la position du Devoir, le débat sur la question nationale et, sans doute aussi, l’évolution politique du Québec n’auraient pas été les mêmes. Aussi, Jean-Marc Léger serait sans nul doute devenu l’une des figures de proue du souverainisme québécois. q

 

 

Références bibliographiques

Gauthier, Gilles (2011a) : « L’argumentation éditoriale du Devoir sur la question nationale. Du fédéralisme de Claude Ryan au souverainisme de Lise Bissonnette », Communication, à paraître.

Gauthier, Gilles (2011b) : « La généalogie de la position fédéraliste de Claude Ryan au Devoir », Politique et Sociétés, à paraître.

Gauthier, Gilles (2006) : « L’argumentation sur la question nationale au Québec », Globe, 9(1), 257-274.

Leclerc, Aurélien (1978) : Claude Ryan. L’homme du devoir, Montréal : les Éditions Quinze.

 

 

 

[1] Dans Gauthier (2011a), je retrace cette évolution sur le plan argumentatif.

[2] « Accorder toute sa place à l’information internationale », 6 août 2010, A1 et A10. Le titre même de ce texte tend à reléguer dans l’ombre l’importance de la prise de position de Léger sur la question nationale en donnant à penser que son action au Devoir s’est limitée à l’information internationale. Elle fut marquante, certes, mais ne devrait pas occulter l’expression de ses opinions sur la situation politique du Québec et du Canada.

[3] « 1-Une impasse nommée fédération », 23 octobre 1967. « 2-L’argument économique ou la création d’une psychose », 24 octobre 1967. « 3-La voie de la dignité et de la coopération pour le Québec et le Canada », 25 octobre 1967.

[4] « Note de la direction », 23 octobre 1967.

[5] Certains de ces éditoriaux sont plus importants en ce qu’ils font en quelque sorte le point sur sa position fédéraliste. Ce sont, tout particulièrement, « Un nouveau pas vers la minute de vérité » du 20 septembre 1967 et « Le fédéralisme, voie préférentielle de la liberté et de la collaboration » du 23 septembre 1967. Par ailleurs, Ryan signe un autre éditorial,« Unité et liberté au Devoir », le 28 octobre 1967, réagissant spécifiquement aux trois articles de Léger. Il ne traite pas de leur divergence de vues mais des réactions suscitées par le départ de Léger de l’équipe éditoriale. Ryan y défend un principe d’unité : « La poursuite efficace [des] objectifs [d’action déterminés au niveau de l’opinion publique] exige qu’au niveau de l’éditorial en particulier, il existe, entre les membres de l’équipe, une très forte unité, une réelle communion de pensée sur les questions fondamentales. »

[6] « À la recherche de la pierre philosophale », 14 mai 1964.

[7] 24 octobre 1967.

[8] 24 octobre 1967.

[9] « À l’aube du deuxième acte de la ‘révolution tranquille’ », 23 juin 1966.

[10] « La difficile recherche de l’égalité », 30 juin 1966.

[11] « Les simplifications de M. Pierre Elliot Trudeau », 15 mars 1967.

[12] 23 septembre 1967. Lise Bissonnette dénie ce supposé héritage du fédéralisme : « C’est évidemment notre système démocratique, bien plus que le système fédéral en soi, qui a eu raison au Canada, au Québec et dans les autres provinces, des quelques tentations politiques autoritaires. Et quand les pouvoirs ont été discriminatoires et des droits ont été bafoués, le système fédéral a rarement été l’instrument de redressement. » « Le syndrome de l’orphelinat », 10 décembre 1990.

[13] « Vers un Canada nouveau », 24 juillet 1963.

[14] 23 octobre 1967.

[15] Dans Gauthier 2011b, je soutiens que c’est coincé par la polarisation du débat entraînée par la confrontation entre Lévesque et Trudeau que Ryan a en quelque sorte été forcé de basculer définitivement dans le fédéralisme et que la souveraineté restait donc pour lui jusque là une option ouverte. Il ne faudrait pas en déduire que Ryan aurait été vraiment tenté par le souverainisme. Ses a priori fédéralistes étant très fort, c’est seulement poussé dans ses derniers retranchements qu’il aurait peut-être pu adhérer au projet de souveraineté.

[16] « La position du Devoir dans la crise actuelle du Canada », 18 septembre 1964.

[17] « La position du Devoir dans la crise actuelle du Canada [2] », 19 septembre 1964.

[18] 23 septembre 1967.

[19] « Le Devoir et l’élection du 15 novembre 2) L’objection de l’indépendance », 13 novembre 1976.

[20] 23 octobre 1967.

[21] 25 octobre 1967.

[22] 23 octobre 1967.

[23] 23 octobre 1967.

[24] 23 octobre 1967.

[25] « La formule du statut particulier », 30 novembre 1965.

[26] 23 octobre 1967.

[27] 23 octobre 1967.

[28] 26 février 1962. C’est moi qui souligne.

[29] 25 octobre 1967.

[30] « La formule du statut particulier », 30 novembre 1965.

[31] 23 septembre 1967.

[32] « Ce qui sépare MM. Lévesque et Trudeau », 29 novembre 1976.

[33] 30 juin 1966.

[34] « Deux cultures ou deux nations », 16 juin 1964.

[35] 23 octobre 1967.

[36] 23 octobre 1967.

[37] Qui reconnaît lui-même que le fédéralisme « intégral » et le souverainisme ont par comparaison à la « position intermédiaire » qu’il fait valoir la « supériorité de la clarté et de la logique ».

[38] 23 octobre 1967.

[39] Ainsi que je l’identifie dans Gauthier (2006).

[40] 25 octobre 1967.

[41] 25 octobre 1967.

[42] 25 octobre 1967.

[43] « Un fédéralisme hiérarchique », 10 octobre 1992.

[44] « La souveraineté, pour la suite du Québec », 26 octobre 1995.

[45] « Un superbe moment pour bouger. L’heure est à définir jusqu’où le Québec veut aller », 3 juillet 1990.

[46] « Post-scriptum », 6 août 1998.

[47] 26 octobre 1995

[48] 6 août 1998.

[49] « Le projet de société », 25 septembre 1995.

[50] Voir Leclerc (1978), p. 79-81.

Cet article a valu le prix André-Laurendeau du meilleur article de l'année à son auteur

On ne peut distinguer le vrai du faux, ni distinguer une réponse adéquate à un problème d’une réponse non pertinente, ni distinguer de bonnes idées d’idées banales, on ne peut pas évaluer des idées de manière critique, si ce n’est lorsqu’elles sont présentées avec suffisamment de clarté.
Karl Popper

D’un point de vue macroscopique, la position du Devoir sur la question du Québec (la question nationale ou la question constitutionnelle canadienne) est essentiellement marquée par le passage tranché du fédéralisme de Claude Ryan au souverainisme de Lise Bissonnette[1]. Un regard plus attentif sur une période clé de la direction de Ryan révèle toutefois un affrontement qui, s’il avait connu un dénouement autre, aurait modifié non seulement l’évolution de la position du journal, mais vraisemblablement aussi l’histoire politique contemporaine du Québec. Au moment même où, en 1967, Ryan consolidait sa position fédéraliste, une position souverainiste divergente était défendue par un autre éditorialiste du Devoir, Jean-Marc Léger. Cet affrontement s’est conclu par l’exclusion de Léger de l’équipe éditoriale (et quelques mois plus tard par son départ du quotidien) où le fédéralisme de Ryan est devenu la ligne de pensée incontestée.

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