Les universités québécoises tirent des revenus de multiples sources. Par ordre d’importance, il s’agit, en moyenne et pour l’ensemble du réseau : 1) du gouvernement québécois (49,9 % des revenus totaux), 2) d’Ottawa (20,9 %), 3) de droits de scolarité payés par les étudiants québécois, canadiens non résidents du Québec et internationaux (16,4 %) et 4) d’autres sources (12,9 % dons, fondations, secteur privé, etc.)1. Dans l’ensemble, le gouvernement du Québec fournit la moitié des fonds globaux des universités québécoises.
Dans un texte précédent2, j’ai démontré que malgré le recours à des métriques objectives pour attribuer les fonds, les universités anglaises du Québec étaient nettement favorisées dans l’attribution de fonds d’immobilisation par le gouvernement du Québec. Les universités anglaises reçoivent quatre fois plus de fonds d’immobilisation comparativement au poids démographique des anglophones (langue maternelle) au Québec. Sur l’île de Montréal, un étudiant qui étudie en anglais bénéficie de 56% de plus de fonds d’immobilisation qu’un étudiant qui étudie en français.
L’étudiant est théoriquement au cœur de la mission éducative des universités. Cette politique de financement devrait viser à assurer, autant que faire se peut, des conditions d’études comparables sur tout le territoire québécois afin de fournir à chaque personne une véritable égalité des chances, peu importe le revenu des parents ou la langue maternelle. Il semble que la complexité et l’opacité de la formule actuelle de financement des universités aient fait perdre de vue cet objectif fondamental, au moins pour ce qui est des fonds d’immobilisation, au gouvernement du Québec.
Mais en est-il de même pour les autres sources de revenus des universités ? Existe-t-il aussi des iniquités systémiques dans la répartition de ces autres fonds entre les universités anglaises et françaises au Québec ?
La contribution provenant de chaque source au revenu global d’une institution varie grandement selon l’université ; certaines universités, dont les institutions régionales du réseau de l’Université du Québec, sont presque entièrement dépendantes des fonds du gouvernement du Québec et des droits de scolarité versés par les étudiants québécois3. Leurs revenus globaux sont donc relativement faibles. Ces universités sont les « pauvresses » de notre système universitaire. Viennent ensuite les universités de plus grande taille (l’UQAM) ou les petites universités dotées de facultés plus « rémunératrices », comme les facultés de génie par exemple l’Institut national de la recherche scientifique [INRS], l’École de technologie supérieure (ÉTS), les Hautes études commerciales (HEC)) qui forment la « classe moyenne inférieure » du réseau. Les universités dotées d’une faculté de médecine, comme l’université Laval (Laval), Sherbrooke et l’Université de Montréal (UdeM) font partie d’une classe moyenne que l’on pourrait qualifier de « supérieure ». Concordia, qui n’a pas de faculté de médecine, mais qui dispose de juteux revenus versés par les étudiants internationaux, peut être rangée dans cette catégorie. Au sommet de la hiérarchie trône McGill, « l’aristocrate » de notre réseau. McGill, il faut le souligner, exerce un rôle de plus en plus hégémonique dans le monde universitaire à Montréal et au Québec. Cette université est de loin la plus riche au Québec.
Dans ce texte, la question de l’équité de l’attribution des fonds provenant de diverses sources est examinée en fonction de la langue d’enseignement de l’institution en particulier et aussi en général. C’est-à-dire que la contribution relative de chaque source de revenus au budget d’une université est d’abord passée au crible, soit : 1) le fonds de fonctionnement versé par Québec pour financer les coûts directs de l’effectif étudiant2) les revenus globaux en provenance de Québec (fonds de fonctionnement, fonds d’immobilisation et subventions de recherche) 3) les fonds versés par Ottawa via les différents conseils de recherche et les fondations4 relevant d’Ottawa4) les revenus de vente de produits et de services et enfin, 5) les revenus de droits de scolarité. Finalement, l’équité d’attribution des revenus totaux de toute source (incluant 1 à 5) pour chaque université est analysée.
Dans mon livre, Pourquoi la loi101 est un échec (Boréal 2020), je démontre que les universités anglophones jouissent d’une « surcomplétude institutionnelle », c’est-à-dire que leur taille relative, par rapport aux universités de langue française et relativement à la taille de la communauté anglophone du Québec, est telle qu’elles aspirent et canalisent une part disproportionnée des fonds, des revenus et de l’effectif étudiant. À l’inverse, les universités de langue française sont en situation « d’incomplétude institutionnelle » ; elles sont sous-financées relativement à la proportion relative des francophones et allophones au Québec. Cela nourrit et consolide puissamment la force de l’anglais comme langue des études supérieures à Montréal. À Montréal, l’université la plus riche et la plus prestigieuse est une université anglaise. Cela n’est pas sans conséquences profondes. L’iniquité d’attribution des fonds aux universités joue directement contre le français comme langue d’intégration, langue de savoir et langue de la modernité à Montréal.
L’incomplétude institutionnelle des universités de langue française est une injustice, disons « macroscopique » ; qui joue contre le français au niveau global, sociétal. Mais il y en a une autre, une injustice « microscopique », qui se joue au niveau individuel. Il s’agit de l’iniquité d’attribution des fonds sur une base individuelle, par étudiant. L’exemple des fonds d’immobilisation est patent : à Montréal, un étudiant qui choisit d’étudier en anglais a à sa disposition (ou fournit à son université d’attache) 56 % plus de fonds d’immobilisation qu’un étudiant qui choisit d’étudier en français. On peut imaginer que cela lui donne accès, par exemple, à de meilleurs laboratoires, à des salles mieux aménagées, etc., bref, que cela lui offre des conditions d’études plus avantageuses, plus propices à la réussite académique5. On peut vérifier s’il existe une iniquité d’attribution des fonds en calculant le revenu dont dispose une université pour chaque étudiant. Ce « revenu par étudiant » devrait théoriquement être approximativement égal partout au Québec. Égal, si tant est que l’égalité des chances, fruit le plus capiteux de la Révolution tranquille, soit réelle.
Les sources de revenus
Québec : les revenus totaux
L’argent investi par le Québec est essentiellement réparti selon trois enveloppes ; 1) les fonds de fonctionnement2) les fonds d’immobilisation et 3) les subventions de recherche. Le fonds de fonctionnement regroupe la majorité des sommes (il sera traité plus en profondeur dans la section1.1). La question du fonds d’immobilisation a été traitée dans un texte précédent6.
Voyons d’abord ce qui en est pour les revenus totaux versés par Québec (subvention de fonctionnement, fonds d’immobilisation et subventions de recherche confondus). Les données financières proviennent de Statistique Canada et couvrent l’année 2017-20187. L’effectif étudiant est calculé en « étudiants équivalents temps plein pondérés », c’est-à-dire que l’ensemble de l’effectif étudiant temps plein et temps partiel d’une institution est d’abord ramené à un chiffre équivalent d’étudiants à temps plein (EETP, le nombre d’étudiants qu’il y aurait si tous étaient inscrits à 30 crédits de cours par année) et ce nombre est ensuite pondéré à l’aide d’une grille selon le niveau d’études (1er, 2e ou 3e cycle) et la faculté. Cette pondération est effectuée afin de tenir compte du coût moyen des études en fonction des familles disciplinaires et des cycles d’études. L’EETP pondéré pour 2017-2018 est utilisé pour normaliser les données financières8. La figure 1 fournit le revenu versé par Québec en fonction de l’EETP pondéré pour chaque institution.
Figure 1 : Revenus totaux provenant de Québec par EETP pondéré en 2017-2018.
On constate que Concordia touche le minimum avec 5221$/EETP (soit 271 millions de dollars) tandis que l’INRS touche le maximum avec 21 479$/EETP (soit 72,8 millions de dollars). Si l’on considère seulement les universités de plus grande taille (figure2), on constate une dispersion beaucoup moins grande des données comparativement à la figure1 : les montants vont de 5221$/EETP pour Concordia à 6983$/EETP pour Sherbrooke, une différence de 33,7%.
Figure 2 : Revenus totaux provenant de Québec par EETP pondéré en 2017-2018.
Finalement, la figure3 présente les sommes versées par Québec par EETP en fonction de la langue d’enseignement pour l’ensemble des universités du Québec.
Figure 3 : Revenus globaux provenant de Québec par EETP pondéré selon la langue d’enseignement en 2017-2018.
Les universités françaises bénéficient de 7048 $/EETP tandis que les universités anglaises ont 5453 $/EETP, soit une différence 1615 $/EETP ou une différence de 29,2 %.
Il est important de spécifier que cette différence de 1615 $/EETP entre anglophones et francophones est largement due au fait que les universités anglophones accueillent un grand nombre d’étudiants canadiens non résidents et d’étudiants internationaux soumis à un régime forfaitaire qui les oblige à payer plus par crédit universitaire que les étudiants québécois. Ces sommes excédentaires sont soustraites des sommes versées par le MEES, ce qui tire à la baisse la somme par EETP versée par Québec aux universités anglophones. Ce qui ne signifie nullement, toutefois, que les universités anglophones soient défavorisées par Québec ; les sommes leur sont simplement versées directement par les étudiants au lieu de l’être par le MEES9. Il s’agit donc d’une simple question de poste comptable. Ces sommes versées directement par les étudiants se reflèteront dans les revenus totaux des universités.
Si on considère maintenant la « complétude institutionnelle », c’est-à-dire la répartition des fonds en fonction du poids démographique des anglophones (8,1 % en 2016) et des francophones et allophones (78 % +13,9 %), les 3 626 milliards de dollars versés par Québec en 2017-2018 étaient répartis ainsi : 744 millions de dollars aux universités anglophones (Bishop’s, Concordia et McGill), soit 20,5 % du total, et 2,88 milliards de dollars aux universités de langue française, soit 79,5 % du total.
Rappelons que, si le financement était réparti de façon équitable en fonction du respect de la complétude institutionnelle, les universités de langue française toucheraient 90% du total, et non 79,5%. Ceci équivaut à 3,26 milliards de dollars, c’est-à-dire 381 millions de dollars de plus par année par rapport à la situation actuelle.
Québec : le fonds de fonctionnement
Le fonds de fonctionnement répartit plus de trois milliards de dollars chaque année entre les différentes universités. C’est la source principale de financement d’une majorité d’institutions universitaires au Québec. Ce fonds est donc particulièrement important. Il est composé d’une subvention générale, normée (selon l’EETP), accompagnée de subventions spécifiques.
Les subventions générales versées par Québec sont détaillées dans les « Règles budgétaires et calcul des subventions de fonctionnement aux universités du Québec », publiées chaque année10. Les sommes récentes pour 2020-2021 sont donc disponibles. Les EETP pondérés sont disponibles à l’annexe1.19 de ce document. Pour l’année2020-2021, une somme de 3,014 milliards de dollars était versée à la subvention générale tandis que la subvention de fonctionnement globale atteignait 3,284 milliards de dollars.
Quelle était la somme versée pour chaque EETP pondéré dans chaque institution universitaire pour l’année2020-2021 ?
La figure4 présente la somme par EETP pondéré versée à chaque établissement en 2020-2021 à travers la subvention normée (enseignement, soutien à l’enseignement, terrains et bâtiments).
Figure 4 : Revenus provenant de Québec par EETP pondéré en 2020-2021, subvention normée
On remarque à la figure4que la somme versée via la subvention normée varie de 4 740nbsp;$/EETP (UdeM) à 7086nbsp;$/EETP (Bishop’s), une variation de 49,5%. Il est à noter que Bishop’s11, comme d’autres petites institutions, bénéficie d’un « ajustement pour les établissements de petite taille » de l’ordre de ٦,٣٤ millions de dollars (soit une majoration de ٢٣ % de son enveloppe de base), ce qui vient introduire une distorsion relativement à une répartition qui suivrait parfaitement l’EETP pondéré. A noter que cet ajustement pour les établissements de petite taille est également versé à la plupart des établissements de l’Université du Québec (sauf l’UQAM).
Si on fait l’analyse selon la langue d’enseignement, les universités anglophones disposent de 5040 $/EETP via la subvention normée tandis que les universités francophones touchent 5002 $/EETP, des sommes presque exactement égales (38 $/EETP de plus pour les anglophones). Ces sommes représentent un peu plus de 3 milliards de dollars par année.
Les fonds de fonctionnement attribués par Québec s’écartent, à cause de diverses mesures telles que l’ajustement pour la taille par exemple, d’une pure répartition selon l’EETP pondéré. Sans, cependant, que les universités anglaises soient nettement favorisées sur la base des sommes versées par EETP. Elles restent cependant favorisées du point de vue de la complétude institutionnelle dont elles jouissent.
Les fonds versés par Ottawa
En 2017-2018, Ottawa versait 948 millions de dollars aux universités québécoises. La majorité de cette somme était versée en subventions de recherche attribuées par concours. La figure5 présente la somme versée par EETP par Ottawa.
Figure5 : Revenus globaux provenant d’Ottawa par EETP pondéré selon la langue d’enseignement en 2017-2018.
L’INRS récolte la plus importante somme par EETP de toutes les institutions universitaires de la part d’Ottawa, soit 8375$/EETP, alors que la TELUQ ne touche que 210$/EETP. Rappelons que l’INRS est une université de deuxième et troisième cycle et que le nombre d’étudiants est faible (3388). Retirons l’INRS et le réseau de l’UQ (sauf l’UQAM) du calcul pour voir la dynamique dans les universités de plus grande taille, soit de « classe moyenne » (voir figure6).
Figure 6 : Revenus globaux provenant d’Ottawa par EETP pondéré l’institution en 2017-2018
Si on exclut l’INRS, McGill est alors l’institution qui récolte la somme la plus importante par EETP (3724$/EETP) provenant d’Ottawa12. En termes absolus, McGill récolte 302 millions de dollars, soit 32% de la somme totale versée par Ottawa au Québec chaque année. En comparaison, l’UdeM ne reçoit que 184 millions et Laval177 millions de dollars.
La figure7 présente les revenus d’Ottawa en fonction de la langue d’enseignement.
Figure7 : Revenus globaux provenant d’Ottawa par EETP pondéré selon la langue d’enseignement en 2017-2018.
Les universités de langue anglaise touchent 2663$/EETP d’Ottawa tandis que les universités de langue française touchent 1430$/EETP, une différence de 86,2%. La majorité de la différence est due au fait que les subventions fédérales sont canalisées vers McGill de façon totalement disproportionnée (McGill touche un dollar sur trois versé par Ottawa au Québec !).
Les anglophones touchent globalement 38,3% des fonds provenant d’Ottawa tandis que les francophones en récoltent seulement 61,7%. Les anglophones bénéficient donc de 4,7 fois leur poids démographique du financement reçu d’Ottawa tandis que les francophones sont très nettement sous-financés.
Les revenus de vente de produits et de services
Les universités vendent des produits et services (formation continue, etc.) dont les profits sont reversés à leur fonds d’opération et qui leur servent à accroître les sommes touchées par étudiant. La figure8 présente la somme par EETP.
Figure 8 : Revenus de vente de produits et services
par EETP pondéré selon l’institution en 2017-2018.
Concordia bénéficie d’une somme importante, soit 3 382$/EETP (11,6 millions de dollars). L’INRS est deuxième avec 2 624$/EETP (8,9 millions de dollars) et McGill troisième avec 1 874$/EETP (152,1 millions). McGill reçoit 32,5% de toutes les ventes de produits et services effectuées par les universités au Québec, ce qui est tout à fait remarquable. Globalement, les universités anglophones touchent 41% des ventes de produits et services au Québec, soit cinq fois leur poids démographique.
Les revenus de droits de scolarité
Les droits de scolarité pour les étudiants internationaux ont été progressivement dégelés à partir de 2008 et complètement déréglementés en 2019 (une décision du PLQ de Philippe Couillard). Les sommes récoltées (souvent des dizaines de milliers de dollars par étudiant) peuvent être conservées par les universités et reversées dans leur fonds d’opération. Il s’agit d’une décision taillée sur mesure pour favoriser les universités anglophones. La figure9 présente la somme globale récoltée par institution, pour les cours crédités et non crédités.
Figure 9 : Revenus de droits de scolarité par EETP pondéré selon l’institution en 2017-2018.
L’on constate que les universités anglophones dominent ce palmarès. Leurs revenus sont les suivants, dans l’ordre : Bishop’s 4,158 $/EETP (14,3 millions), McGill 3 268 $/EETP (265,2 millions), Concordia 3 070 $/EETP (159,3 millions). Notons que les HEC sont en quatrième position dans ce classement et récoltent 2 267 $/EETP (30,2 millions). Les HEC offrent maintenant un grand nombre de parcours d’études en anglais seulement et sont « bilingues » plutôt que de « langue française ». Ceci permet aux HEC d’attirer de nombreux étudiants internationaux « payants ». L’anglicisation est galopante aux HEC et commence même à menacer la survie des programmes en français13.
En 2017-2018, les universités anglophones touchaient 438,9 millions de dollars de revenus de droits de scolarité, soit 45,2% du total. Ceci équivaut à 5,6 fois le poids démographique des anglophones.
Il est à noter que les chiffres de la figure 9 n’incluent pas encore l’effet de la déréglementation totale des droits de scolarité qui s’exerçait pleinement à partir de 2019 seulement (les chiffres sont pour 2017-2018). Cette dérèglementation permet aux universités de charger, à partir de 2019, les sommes qu’elles souhaitent aux étudiants internationaux. Ces sommes peuvent atteindre trente ou quarante mille dollars par année dépendant des programmes. Or, les programmes en anglais sont les plus populaires et les plus lucratifs. Il y a fort à parier que la proportion de droits de scolarité récoltée par les universités anglophones va croître. La seule façon pour les universités de langue française de soutenir la concurrence sera de lancer des programmes en anglais. Un processus qui est d’ailleurs bien en cours14.
Revenus totaux de toute source
Finalement, la figure10 présente le revenu total de toute source (Québec, Ottawa, vente de produits et services, versements de fonds de dotation, droits de scolarité) en fonction de l’EETP selon l’institution.
Figure 10 : Revenus totaux de toute source par EETP pondéré selon l’institution en 2017-2018.
En raison de sa structure particulière, l’INRS domine encore le classement. Les revenus totaux par EETP varient de 38 666$/EETP pour l’INRS à 10 221$/EETP pour l’UQAM. Il est significatif que l’UQAM soit l’université qui dispose de la plus faible somme par étudiant de tout le classement. La plus proche rivale de l’UQAM, Concordia, touche 11 350$/EETP, soit 11% de plus.
La figure 11 présente le revenu total par EETP pour certaines institutions seulement.
Figure 11 : Revenus totaux de toute source
par EETP pondéré selon l’institution en 2017-2018.
On constate à la figure 11 que des universités anglaises, Bishop’s et McGill, dominent le classement. Viennent ensuite les universités dotées d’une faculté de médecine (UdeM, Laval et Sherbrooke). Concordia domine l’UQAM.
La figure 12 présente le revenu total en fonction de la langue d’enseignement pour l’ensemble des universités du Québec.
Figure 12 : Revenus totaux de toute source par EETP pondéré selon la langue d’enseignement en 2017-2018.
Les universités anglaises touchent globalement 16 095$ par EETP tandis que les universités de langue française touchent seulement 12 507$ par EETP, soit une différence de 3 588$ par étudiant ou 28,7% en termes relatifs.
En termes absolus, les universités anglaises reçoivent 79,86 millions (Bishop’s), 589 millions (Concordia) et 1,53 milliard (McGill), soit 30,1 % des revenus totaux de toute source au Québec. Ceci équivaut à 3,7 fois le poids démographique des anglophones au Québec.
Synthèse et conclusion
Le tableau 1 présente une synthèse des données présentées dans les sections 1 à 5.
On peut constater à la colonne (1) et (2) que le revenu par EETP est généralement supérieur dans les universités anglaises comparativement aux universités de langue française. La seule exception à cette règle est pour les fonds attribués par Québec (colonne [3]), qui sont supérieurs dans les universités de langue française (de 1615$/EETP). Il s’agit là cependant d’un artéfact de calcul dû à la retenue des sommes forfaitaires pour les étudiants canadiens non résidents par le MEES tel qu’expliqué à la section 1.
Tableau 1 : (1) Revenu par EETP pour les anglophones ($/EETP anglos), (2) Revenu par EETP pour les francophones ($/EETP francos), (3) différence entre le revenu par EETP pour les anglophones et les francophones (Différence $/EETP)
(1) $/EETP anglos |
(2) $/EETP francos |
(3) Différence $/EETP ($) |
|
Fonds de Québec |
5 453 |
7 048 |
-1 615 |
Fonds d’Ottawa |
2 663 |
1 430 |
1 233 |
Produits et services |
1 407 |
676 |
731 |
Droits de scolarité |
3 215 |
1 303 |
1 912 |
Revenus totaux |
16 095 |
12 507 |
3 588 |
Globalement, les universités anglaises disposent de 16 095 $ par EETP tandis que les universités de langue française n’ont que 12 507 $ par EETP, une différence 3588 $ ou 28,7 %. Un étudiant « pondéré » qui étudie en anglais a donc à sa disposition, globalement, nettement plus de revenus qu’un étudiant qui étudie en français.
À cette iniquité de revenu par étudiant s’en ajoute une autre : il s’agit du surfinancement global des universités anglaises au Québec relativement au poids démographique des anglophones. Le respect du principe de la complétude institutionnelle voudrait que la proportion du financement accordé aux anglophones soit égale à leur poids démographique (soit environ 10 %). Le tableau 2 présente la proportion des revenus qui va aux universités anglaises en fonction du poste budgétaire et au total. La colonne (3) du tableau 2 nous indique que la complétude institutionnelle n’est jamais respectée dans le financement des universités au Québec ; les anglophones sont systématiquement surfinancés et obtiennent une proportion des fonds considérablement supérieure à 10 % ; allant de 20,5 % pour les fonds provenant du Québec à 45,2 % pour les revenus de droits de scolarité. De façon globale, les universités anglophones reçoivent 30,1 % des revenus totaux des universités au Québec. Il s’agit presque d’un dollar sur trois.
Tableau 2 : (1) revenu total en 2017-2018 pour l’ensemble des universités (Revenu total 2017-2018), (2) revenu total des universités anglophones (Revenu total anglos) et (3) proportion du revenu total allant aux universités anglophones (Proportion anglos)
(1) Revenu total 2017-2018 (millions de $) |
(2) Revenu total anglos (millions de $) |
(3) Proportion anglos (%) |
|
Fonds de Québec |
3 626 |
744 |
20,5 |
Fonds d’Ottawa |
948 |
363,6 |
38,3 |
Produits et services |
468,5 |
192 |
41 |
Droits de scolarité |
971,8 |
439,9 |
45,2 |
Revenus totaux |
7 310 |
2 197 |
30,1 |
Le tableau 3 présente le ratio d’équité (1), c’est-à-dire le ratio entre la proportion des fonds alloués aux universités anglophones sur le poids démographique des anglophones ainsi que la « somme manquante » pour les universités de langue française, c’est-à-dire la somme manquante (2), soit la somme supplémentaire dont elles disposeraient si les fonds étaient répartis de façon équitable, respectant le principe de la complétude institutionnelle15.
Tableau 3 : (1) Ratio d’équité pour les universités anglophones (Ratio d’équité anglos) et (2) somme manquante pour les universités de langue française
(1) Ratio d’équité (anglos) |
(2) Somme manquante pour les universités de langue française (millions de dollars) |
|
Fonds de Québec |
2,5 |
381,8 |
Fonds d’Ottawa |
4,7 |
268,7 |
Produits et services |
5,1 |
145,2 |
Droits de scolarité |
5,6 |
342 |
Revenus totaux |
3,7 |
1 466 |
Les sommes manquantes aux universités de langue française sont substantielles peu importe le poste budgétaire. Cela va de 268,7 millions de dollars pour les fonds versés par Ottawa à 381,8 millions de dollars pour les fonds versés par le gouvernement du Québec. Chaque année.
La somme manquante totale aux universités de langue française afin d’assurer leur complétude institutionnelle est de 1 ٤٦٦ millions de dollars par année. Ceci équivaut à ٢٠,١ % de tous les revenus annuels des universités au Québec (7 310 millions de dollars par année). Ou bien au budget total, toutes sources, par année, de McGill.
Au Québec, les universités anglophones bénéficient d’un net avantage (d’un facteur 2,5 à 5,6 en proportion au poids démographique) pour ce qui est des fonds de toute source. À l’injustice « macroscopique » d’une sous-complétude institutionnelle pour les universités de langue française s’ajoute une autre injustice qui frappe les étudiants au niveau individuel. Ceux qui choisissent de poursuivre leurs études universitaires en anglais jouissent d’un avantage systémique par rapport à ceux qui poursuivent leurs études en français. Ceci sans que la politique de financement des universités du Québec ne cherche vraiment à atténuer le désavantage structurel considérable qui frappe les universités de langue française16.
Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi les universités françaises sont en train de multiplier les programmes en anglais17 ; il s’agit de gestes désespérés pour tenter de faire concurrence aux universités anglaises et de capter une partie de la manne financière qui tombe sur celles-ci, gracieuseté d’Ottawa, du secteur privé ou bien des étudiants canadiens non résidents et internationaux18.
Mais il faut le redire ; sans un réseau universitaire fort et dominant, le Québec français n’a pas d’avenir. À ce jour, ni l’Assemblée nationale du Québec ni le Vérificateur général n’ont tenté d’évaluer la formule de financement des universités sous l’angle de son équité sociolinguistique.
Au pays du Québec, rien n’a vraiment changé, semble-t-il, depuis que l’historien Michel Brunet concluait, dès 1963, que McGill était favorisée par les nouvelles subventions fédérales aux universités provenant d’Ottawa19.
1 « Document d’information sur le financement universitaire », Université du Québec, janvier 2020, https://www.uquebec.ca/reseau/fr/system/files/documents/memoires_avis_rapports/document_dinformation_sur_le_financement_universitaire_final.pdf
2 « Québec préfère les universités anglaises », L’Action nationale, Mars 2021
3 Ces deux sources représentent 90% de leurs revenus.
4 En particulier : Conseil de recherches en sciences humaines, Santé Canada, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, Instituts de recherche en santé du Canada, Fondation canadienne pour l’innovation et Chaires de recherche du Canada.
5 On notera que le taux de diplomation universitaire des francophones est toujours, en 2016, inférieur de 40 % à celui des anglophones. Voir Pourquoi la loi 101 est un échec, p. 136.
6 Québec préfère les universités anglaises, l’Aut’Journal, 15 mars 2021, https://lautjournal.info/20210315/quebec-prefere-les-universites-anglaises
7 Statistique Canada, Information financière des universités et collèges, 2017-2018, données publiées le 24 juillet 2019. Ce sont les données les plus récentes disponibles.
8 « Règles budgétaires et calcul des subventions de fonctionnement aux universités du Québec », février 2018, http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/enseignement-superieur/universitaire/Regles_budgetaires_universites_2017-2018.pdf
9 Notons qu’il n’y a pas de différence par EETP entre anglophones et francophones pour la somme versée en subventions normées via le fonds de fonctionnement, ce qui prouve que l’origine de cette différence vient des sommes « sujettes à récupération », dans le jargon du MEES, donc des étudiants non résidents. Voir section 1.1.
10 « Règles budgétaires et calcul des subventions de fonctionnement aux universités du Québec », 2020-2021, Ministère de l’Enseignement supérieur, http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/enseignement-superieur/universitaire/Regles-budgetaire-universites-calcul-subvention2020-2021.pdf
11 Les institutions membres de l’Université du Québec bénéficient généralement de cette subvention d’ajustement excepté l’UQAM. L’INRS, par exemple, double sa subvention normée à l’aide de cette subvention d’ajustement. Voir p. 127, op.cit.
12 En chiffres absolus, l’INRS récolte 28,3 millions de dollars (en 2017-2018).
13 « L’anglicisation est un tabou pour des étudiants des HEC », Journal de Montréal, 5 janvier 2017
14 Voir Pourquoi la loi 101 est un échec, Boréal, 2020.
15 Rappelons que dans ce cas de figure, les universités de langue française obtiendraient donc 90 % des revenus et les anglophones 10 %.
16 Les subventions normées, qui représentent plus de trois milliards de dollars par année et 90 % des fonds de fonctionnement, sont égales peu importe la langue.
17 « L’université Laval pourrait offrir plus de cours en anglais », Journal de Québec, 26 septembre 2018, https://www.journaldequebec.com/2018/09/26/lul-pourrait-offrir-plus-de-cours-en-anglais
18 « L’anglais gagne du terrain dans la recherche universitaire », Le Devoir, Marco Fortier, 30 mars 2021.
19 Michel Brunet, Le financement de l’enseignement universitaire au Québec, Montréal, L’académie canadienne-française, Montréal, 1963.
* Ph. D.