Automne 2012 – Le temps de la tergiversation est terminé

2012automne250Le livre n’est pas une marchandise comme une autre. C’est un vecteur de culture, un objet catalyseur qui conduit toujours au-delà de sa fonction première – fût-elle pratique et utilitaire. Les libraires le savent depuis des siècles, vendre des livres c’est souvent se faire passeur entre des mondes, entre le pouvoir de révéler et le bonheur d’apprendre. Aussi le sort du livre en dit-il toujours beaucoup sur le sort de ceux qui le chérissent ou s’en écartent. La lecture est essentielle au dynamisme culturel comme à l’épanouissement individuel et tout obstacle dressé devant sa pratique contribue à enfermer dans le « noir analphabète » (Miron) les intelligences et les volontés.

Le prix des livres est un de ces obstacles. Ce n’est certes pas le seul et sans aucun doute pas le plus difficile à éliminer. Mais précisément, pour cette raison même, tout nous presse d’agir pour aplanir le terrain et réserver nos énergies pour venir à bout des obstacles plus coriaces, ceux-là qui nichent dans les mentalités et qui se sont sédimentés dans des logiques institutionnelles lourdes et contraignantes. Cela aura été une curiosité de la dernière campagne électorale que de ramener dans l’actualité la question du prix unique des livres dans un débat politique qui, il faut bien le reconnaître, n’avait pas fait grande place aux enjeux culturels. Cela s’explique sans doute par la persévérance des acteurs réunis autour de la Table de concertation du livre qui mènent une campagne en faveur de l’adoption d’une politique de prix unique. Une persévérance qui les honore et qui mérite d’être renchaussée par des appuis plus larges, portés par des acteurs qui n’ont pas tant des intérêts dans l’industrie de l’édition que la volonté de soutenir la démocratisation de la culture.

La politique du prix unique s’impose en effet pour contenir un tant soit peu, les effets niveleurs de la présence des grands groupes commerciaux dont les pratiques déstabilisent d’ores et déjà le marché du livre. Le prix ne représente certes qu’une facette de ces pratiques, mais c’est là un aspect qu’il faut traiter en priorité non seulement sous l’angle de l’encadrement de la concurrence mais encore et surtout sous celui des valeurs démocratiques. Le prix unique, en effet, c’est un moyen de s’assurer que partout sur le territoire les citoyens auront un accès égal au livre. C’est la dimension « service public » de la librairie qui doit ici primer sur l’étroite logique du commerce. Et cela peut se faire sans que n’en souffrent les acteurs économiques. À cet égard le plaidoyer qu’a livré Antoine Gallimard, président-directeur général des éditions Gallimard (Le Devoir, 26 septembre 2012) ne manquait pas de grandeur.

Dans un pays où le nombre de librairies diminue et où les plans-lecture aussi bien national que municipaux et scolaires souffrent d’une indigence inacceptable, laisser le grand commerce et ses politiques de solde faire la pluie et le beau temps, ne tient pas d’abord de l’insouciance du laisser-faire économique mais bien d’une faute contre la culture. Il faut le rappeler, la politique du prix unique existe dans une quinzaine de pays et dans certains cas depuis près de cent ans et elle n’a pas nui à la santé de l’industrie de l’édition. C’est même le contraire. Dans la plupart des cas cette politique a fourni l’encadrement juridique et institutionnel qui a facilité la structuration de l’offre en favorisant la diversité des acteurs – diversité de taille, de spécialité, de modèle de pratique professionnelle – et leur répartition sur l’ensemble du territoire national.

En dépit d’une diminution du nombre de ses librairies et malgré des déficiences structurelles graves dans son système de distribution, le monde du livre québécois fait preuve d’un admirable dynamisme. Foisonnement d’auteurs et d’œuvres dans tous les domaines, nombre impressionnant d’éditeurs inventifs, le monde de l’édition est en fait un vivant paradoxe. À l’image du Québec lui-même, ce monde est un mélange de fragilité et d’audace, de persévérance et d’ambition qui force l’admiration. Il témoigne d’un dynamisme culturel qui mérite mieux qu’une simple promesse d’accélérer l’étude d’un problème dont les solutions sont pourtant éprouvées. Le Parti québécois qui, en fin de campagne, a pris l’engagement d’accélérer l’examen d’une éventuelle politique serait mieux avisé d’en faire une priorité de réalisation. Le temps de la tergiversation est révolu.

Il faut une politique du prix unique et il la faut rapidement. Le Québec a tout intérêt à bouger vite en ces matières où les puissances multinationales peuvent mobiliser des moyens faramineux pour mener de véritables blitzkrieg culturels et commerciaux. Les évolutions fulgurantes des technologies numériques, les mouvements de concentration de la propriété et les stratégies de convergence rendent plus impératives que jamais l’adoption d’une loi pour affirmer et définir les paramètres de ce dont le Québec a besoin pour soutenir le dynamisme de ses industries et pour favoriser l’affirmation de sa singularité continentale. Les précédents existent, les exemples sont nombreux et inspirants de politiques qui, ailleurs, ont déployé des moyens de concilier l’intérêt national et les valeurs démocratiques touchant l’accessibilité et la démocratisation de la culture.

Une politique du prix unique ne règlera pas, tant s’en faut, tous les problèmes de l’industrie du livre. Mais elle aura le mérite de provoquer le recentrage de l’attention sur des problèmes pour lesquels les solutions techniques ne sont pas aussi évidentes. Dans l’état actuel des choses, le lambinage a mal servi l’ensemble des acteurs qui doivent consacrer des énergies considérables à une bataille qui ne devrait pas tant en requérir. En quittant l’univers de la procrastination velléitaire de ses prédécesseurs, le nouveau ministre de la Culture enverrait un signal clair de son intention de s’attaquer aux problèmes nouveaux dont les solutions ne nous sont pas encore connues plutôt que de s’agiter en comité, pour trouver les meilleurs moyens de se hâter lentement pour appliquer une solution pourtant éprouvée. Il ferait du coup la démonstration que les enjeux de son mandat ne se définiront pas dans la gestion des problèmes et des hésitations mais bien dans la volonté de soutenir l’audace et la ferme intention de construire sur ce qu’elle a permis de réaliser jusqu’ici. Il faut régler le prix du livre pour aborder les plus exigeants défis de la lecture.

Robert Laplante

Directeur

2012automne250Le livre n’est pas une marchandise comme une autre. C’est un vecteur de culture, un objet catalyseur qui conduit toujours au-delà de sa fonction première – fût-elle pratique et utilitaire. Les libraires le savent depuis des siècles, vendre des livres c’est souvent se faire passeur entre des mondes, entre le pouvoir de révéler et le bonheur d’apprendre. Aussi le sort du livre en dit-il toujours beaucoup sur le sort de ceux qui le chérissent ou s’en écartent. La lecture est essentielle au dynamisme culturel comme à l’épanouissement individuel et tout obstacle dressé devant sa pratique contribue à enfermer dans le « noir analphabète » (Miron) les intelligences et les volontés.

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