À Alexandre Shields (Le Devoir)
À Michel Girard (Journal de Montréal)
Et à tous les journalistes, principalement du Devoir, grâce à qui ce bilan a été rendu possible.
Lorsque la source n’est pas mentionnée, il s’agit du Devoir. Les dates renvoient aux articles publiés après le 2 mars 2018, date de ma dernière chronique portant sur le gouvernement Couillard. Tout ce qui est rapporté ici tient compte de faits référencés dans les chroniques précédentes.
Après le bilan de quatre ans d’action d’Ottawa (L’Action nationale, avril 2018), voici celui du gouvernement Couillard. Depuis 2014, ce gouvernement s’est employé à détruire un à un les outils nécessaires à l’existence du Québec comme nation : 1. l’État provincial, 2. une économie qui appartient le plus possible aux Québécois, 3. la légitimité du désir des Québécois de langue française d’intégrer les nouveaux arrivants et l’établissement d’une relation saine avec la minorité anglophone et les Premières Nations du Québec, et 4. la cohésion sociale. Ce bilan est structuré selon ces quatre parties.
Il ne fait pas de doute que, comme tout gouvernement, celui de Philippe Couillard a réussi quelques bons coups et qu’il a pris à l’occasion des décisions favorables au Québec et aux Québécois. Il a des moyens que je n’ai pas pour publiciser ses réussites. Il ne fait pas de doute non plus que le budget du printemps 2018, le dernier avant les élections du 1er octobre, en a donné un peu à tout le monde. Cela ne change rien au processus en cours de démantèlement du Québec et de dépossession des Québécois. C’est ce processus que je me suis attachée à mettre en lumière. Car au-delà de telle ou telle mesure factuelle, de telle ou telle politique économique ou sociale, de telle ou telle mesure budgétaire, c’est une attaque en règle contre la nation et nos outils collectifs que nous avons subie.
Des analystes ont insisté sur l’idéologie néolibérale de ce gouvernement et sur sa mise en pièce de l’État providence. D’autres ont souligné qu’il s’agit d’un gouvernement particulièrement hostile aux femmes. Je partage leur lecture et leurs critiques. On a généralement été moins attentif à la logique viscéralement antinationale qui anime le gouvernement libéral et en particulier le premier ministre Philippe Couillard lui-même.
Trois grands types d’acteurs se partagent le butin qu’a laissé pirater le gouvernement Couillard. A) Le gouvernement fédéral : l’unitarisme d’Ottawa n’a rencontré depuis quatre ans aucune résistance du gouvernement provincial, Ottawa pénètre de plus en plus largement et profondément au Québec. B) Le secteur privé à but lucratif : plusieurs missions de l’État sont désormais privatisées, de grands fleurons comme Hydro-Québec, la SAQ et d’autres le sont déjà partiellement ou sont menacés de plus en plus concrètement de l’être, et c’est sans compter la privatisation galopante des services de garde, de plusieurs services de santé profitables, et de tant d’autres dans tous les champs de l’activité de l’État. C) Le secteur privé sans but lucratif et celui de l’économie sociale doivent pour leur part assumer les services les moins payants, comme l’aide à domicile, avec un soutien public très rationné. D) On devra surveiller aussi comment les nouvelles missions des villes, un quatrième acteur, grossissent actuellement et grossiront des dépouilles de l’État provincial.
J’ai conscience que ce bilan est lacunaire. J’espère seulement qu’il incitera tous ceux qui aiment les Québécois et le Québec à s’unir et à agir pour libérer l’avenir.
Le démembrement de l’État québécois
Aussi bien durant la campagne électorale de 2014 qu’après son assermentation, Philippe Couillard n’a jamais caché qu’un des objectifs de son gouvernement serait de réduire le « périmètre » de l’État québécois. Plusieurs moyens ont été employés à cette fin.
L’opacité en matière d’accès à l’information
En campagne électorale, Philippe Couillard a promis de faire de son gouvernement le plus transparent de l’histoire du Québec. Rien n’a été entrepris en ce sens pendant presque quatre ans. Puis, par la loi 164 adoptée à l’hiver 2018, l’accès à certains documents du Conseil exécutif a été restreint davantage plutôt qu’élargi. Enfin, c’est le 17 mai qu’a été déposé le projet de loi 179 sur l’accès à l’information. Trop tard pour être adopté avant la fin des travaux de l’Assemblée nationale. Le projet est mort au feuilleton. Il est donc assez difficile de faire toute la lumière sur les agissements du PLQ au pouvoir.
L’aplaventrisme constitutionnel
L’échec de l’essai de sauver les apparences. Le gouvernement libéral est très loin, évidemment, d’exiger de nouveaux pouvoirs pour le Québec ni même le respect élémentaire des compétences de la Province. Au contraire, il participe sciemment à l’érosion de celles-ci. Mais comme il voulait signer la constitution de 1982 à l’occasion des festivités du 150e anniversaire de la Confédération (rebaptisée Canada), il a dû prononcer le mot « constitution » une fois ou deux, essentiellement pour que le Québec obtienne non pas même la reconnaissance de sa spécificité, mais du moins l’apparence de cette reconnaissance. En septembre 2014, il a annoncé qu’il était prêt à signer en échange de presque rien. Trop. En mai 2015, devant l’Assemblée législative de l’Ontario, il a donc dit qu’il se contenterait d’une reconnaissance « formelle » du Québec plutôt que « constitutionnelle ». Trop. En janvier 2017, le ministre des Affaires intergouvernementales, Jean–Marc Fournier, a présenté la Politique d’affirmation nationale de son gouvernement comme l’occasion d’un dialogue. Trop. Le premier ministre Trudeau a cavalièrement fait savoir qu’il ne souhaite pas dialoguer.
La fin de la perception par Québec de son propre impôt ? Il a été question au début du mandat de céder à Ottawa la perception de l’impôt provincial. Récemment, le gouvernement Couillard a suggéré, comme s’il y croyait, que ce pourrait être l’inverse (30 mai 2018). Le premier ministre Justin Trudeau a bien sûr fermé la porte immédiatement. Parions que Québec s’alignera bientôt sur les autres provinces. D’ailleurs, le projet de construction d’un édifice pour Revenu Québec a été abandonné dès 2017.
L’abandon du « . quebec » alors qu’il a fallu six ans à l’organisme PointQuébec pour l’obtenir. Pourtant, même le gouvernement de Jean Charest, en 2008, avait soutenu et financé cette initiative. Le gouvernement Couillard s’affiche en. ca.
La réduction des ressources de l’État
Le laxisme fiscal. – Le gouvernement Couillard n’a exigé aucune correction du déséquilibre fiscal, qui seul permettrait au Québec d’avoir les moyens d’exercer pleinement ses responsabilités dans ses juridictions constitutionnelles. – Il n’a pas exercé de pression consistante sur le gouvernement fédéral pour que celui-ci surveille de près les banques et autres entreprises adeptes de l’évitement fiscal ; et lui-même a très peu agi, allant jusqu’à légitimer la Caisse de dépôt et placement pour ses investissements dans les paradis fiscaux (13 juillet 2018). – Il s’est dans un premier temps délesté sur l’Agence de revenu du Canada de la lutte contre l’évasion fiscale, et ce n’est qu’ensuite qu’il s’est doté d’un plan de récupération surtout dans les secteurs de la restauration et de la construction. – Il a réduit le « fardeau fiscal » des particuliers et des entreprises. – Il n’a pas imposé Airbnb autant que la France ou la Californie, loin de là.
Le consentement à la diminution des transferts fédéraux. – Le gouvernement ne s’est pas battu pour obtenir une hausse des transferts fédéraux. Cette solution est loin d’être une panacée puisque les transferts sont assortis de conditions qui limitent la capacité du Québec de décider de l’allocation de ces fonds, perçus à même les revenus des Québécois, dans ses domaines de compétences. Déjà plus de 20 % du budget du Québec provient des transferts fédéraux. Mais au moins, devant les Québécois, cet argent contribue à la visibilité de notre État. – Plutôt, pire donc que les transferts, le gouvernement du Québec, dans les propres compétences provinciales, a laissé le riche Ottawa développer une relation de soutien financier de plus en plus directe avec les citoyens, les associations, les municipalités, les entreprises et tous les corps constitués.
Le renoncement à de nouvelles sources de revenus. Pour satisfaire Couche-Tard notamment, le gouvernement Couillard a renoncé d’emblée au monopole public de la vente du cannabis, privant ainsi le trésor public d’une part importante des profits escomptés de la légalisation.
Le renoncement à des revenus à long terme. Le gouvernement a vendu plusieurs actifs, préférant obtenir des revenus à court terme au lieu d’une assurance de revenus à long terme pour l’État. La SAQ d’ailleurs est sous la menace constante et désormais imminente de sa privatisation au moins partielle et de la concurrence de l’alcool en provenance des autres provinces. Hydro-Québec a été contrainte, en quinze ans de régime libéral, de soutenir la croissance et les profits de producteurs d’électricité privée, au détriment de revenus pour l’État.
Le refus d’augmenter les redevances, et le favoritisme sur les taxes. Le gouvernement n’a pas augmenté le taux ridiculement faible des redevances versées par les minières et les embouteilleurs d’eau. – C’est seulement à la veille des élections qu’il s’est décidé à taxer Netflix et qu’il a manifesté un peu fermement l’intention de récupérer les taxes qui échappent à l’État par le commerce en ligne. Dans ce cas, les douaniers et les experts doutent toutefois que son plan soit réaliste (Radio–Canada info, 29 mars 2018). – On apprend par ailleurs qu’Uber et Téo Taxi, deux compagnies proches du premier ministre personnellement, pourront utiliser leurs propres modules d’enregistrement des ventes, au détriment peut-être des revenus versés à l’État (Radio-Canada info, 18 mai 2018).
Le coût du remboursement de la dette. Les compressions budgétaires des dernières années ont permis l’accumulation de surplus considérables au prix de la contraction de l’État québécois. Une bonne partie des milliards engrangés a été redistribuée aux souteneurs du PLQ (voir plus bas). Une autre a été versée au Fonds des générations, puis retirée à perte pour rembourser une partie de la dette. Cependant, ce fut un coup d’épée dans l’eau, car les agences de notation n’ont pas été impressionnées du tout (15 mars 2018).
Le sabordement des institutions publiques
La délégitimation des institutions de l’appareil législatif. Au cours de son mandat : – Le gouvernement Couillard s’est attaqué à de nombreuses reprises à la crédibilité de la Vérificatrice générale en la surchargeant de travail, en coupant dans le nombre des employés de son bureau, et en refusant catégoriquement de créer un poste de Directeur parlementaire du budget. Il faut dire que la Vérificatrice a mis au jour de très nombreux cas de favoritisme libéral dans l’octroi de contrats publics. – Le gouvernement a imposé tant de compressions à la Protectrice du citoyen et au Commissaire au lobbyisme que ceux-ci sont intervenus publiquement pour déplorer ne pouvoir remplir efficacement leurs mandats. – En nommant Tamara Thermitus à la tête de la Commission des droits de la personne et en tolérant le chaos qui s’y est installé en l’y maintenant, il a donné prise à la Ligue des droits et libertés qui a soupçonné publiquement le gouvernement de souhaiter la paralysie de la Commission (1er décembre 2017, 2 mai 2018) – En juin 2018, le gouvernement s’en est pris à la Commissaire à l’éthique dans l’affaire des allocations de logement du député libéral Pierre Paradis. – Quant au Directeur général des élections du Québec, il s’est discrédité lui-même en refusant de rendre public avant les élections le rapport de son enquête sur le financement des partis politiques depuis 20 ans (Journal de Montréal, 5 juin 2018).
Les institutions de l’appareil judiciaire sauvées par Ottawa. Jusqu’à la fin de 2016, leur inefficacité était devenue proverbiale notamment à cause des délais d’attente interminables pour instruire les causes. Ces délais étaient dus aux compressions de plusieurs centaines de millions de dollars imposées dans le système de justice québécois depuis le début des années 2000. Il a fallu l’arrêt Jordan pour que, en catastrophe, le gouvernement Couillard décide à la fin de 2016 de débloquer 175 millions $ pour réduire les délais. Depuis cet arrêt, le Directeur des poursuites criminelles et pénales a abandonné 330 dossiers (30 mai 2018). Parmi eux, ceux de fraudeurs libéraux notoires tels Luigi Coretti et Christian Blanchet, mais aussi 36 personnes arrêtées en 2014 dans l’opération Clemenza.
Le discrédit jeté sur les institutions de la sécurité publique. L’impasse dans tant d’affaires louches qui concernent le PLQ et le gouvernement Couillard a permis de mettre en lumière le contrôle étroit qu’ont exercé les libéraux sur la commission Charbonneau, sur la Sûreté du Québec et sur l’Unité permanente anticorruption. Renaud Lachance, Martin Prudhomme et Robert Lafrenière apparaissent réellement comme des hommes de main des libéraux. Nous nous dirigeons vers une troisième élection depuis 2009 tout en ne sachant encore presque rien du financement illégal du PLQ. On attend depuis des années les résultats de l’enquête Machurer, qui concerne de près l’ancien premier ministre Jean Charest, ainsi que les procès de Nathalie Normandeau et Marc-Yvan Côté. Un des tout derniers exemples d’une longue liste : les apparences sont tellement claires que le Directeur des poursuites criminelles et pénales et l’UPAC ont été obligés de nier qu’ils ont laissé s’éterniser l’enquête sur la Société immobilière du Québec et qu’ils ont volontairement retardé l’arrestation d’organisateurs du PLQ et du président de la SIQ, compromis dans une affaire de vente au rabais d’immeubles (6 juin 2018). Un nouveau comité de surveillance de l’UPAC mis sur pied par le ministre Martin Coiteux et présidé par le crédible Claude Corbo, réussira-t-il à redonner confiance aux citoyens ? (17 juin 2018)
L’enfermement dans la province
Le ratatinement du déjà chétif ministère des Relations internationales. Plusieurs représentations ou antennes du Québec à l’étranger ont été fermées, et celles qui sont restées ouvertes ont été amputées, ce qui saborde des décennies d’effort pour stimuler les relations et les échanges internationaux. C’est à la toute veille des élections qu’a été annoncée la création d’une première Délégation générale en Afrique, à Dakar (Journal de Montréal, 15 août 2018). Avec celle-ci, le nombre de Délégations générales passe de 7 à 8 ; il fut déjà d’au moins douze.
L’Association internationale des études québécoises. Chaque année depuis le début du mandat, celle-ci a été menacée dans son existence et amputée dans son budget. Ce n’est que par la mobilisation des chercheurs québécois et étrangers qu’elle a dû d’obtenir finalement, au printemps 2018, la stabilité pour trois ans de son financement diminué (29 avril 2018).
Relations avec la France. Elles ont été abîmées sérieusement : augmentation des frais de scolarité pour les étudiants français du premier cycle, abolition de neuf postes à la Délégation générale du Québec à Paris, compressions de 30 % du budget des Offices franco-québécois pour la jeunesse, diminution considérable de la contribution québécoise aux associations France-Québec et Québec-France, vente de la maison Kent qui abritait le consulat français à Québec.
Indifférence. Le premier ministre Couillard n’a pas cessé de manifester son indifférence à la reconnaissance internationale du Québec comme État. – Il accepte que la présence du Québec soit de plus en plus diluée par celle des autres provinces à l’Organisation internationale de la Francophonie. – Il continue à soutenir la candidature de Michaëlle Jean à sa propre succession à la tête de cet organisme, discréditant ainsi le Québec dans la Francophonie (Radio-Canada, 9 juillet 2018) – Il a bafoué à maintes reprises la doctrine Gérin-Lajoie selon laquelle le Québec est souverain dans ses champs de compétence. – Il s’est contenté d’une rencontre publique avec le pape François ; il était absent au moment de la grande manifestation de solidarité avec les victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo ; il n’a pas cherché à rencontrer le premier ministre de la Belgique lors de son voyage en 2015. – Il est resté en marge du G7 à La Malbaie au printemps 2018 malgré tout l’argent que l’État québécois a dépensé pour la tenue de l’événement. – Et il ne s’est pas formalisé que le président français Emmanuel Macron ne daigne pas s’adresser à l’Assemblée nationale lors de sa venue au Québec à cette occasion.
Le saccage des ministères
L’évidement. Il touche tous les ministères. – Donnons ici l’exemple de celui du Tourisme, parce qu’il fournit une illustration limpide de la manière dont sont partagées les dépouilles de notre État. Depuis 2015, ce n’est plus ce ministère qui fait la promotion touristique du Québec à l’étranger, mais un organisme privé d’une part et, d’autre part, la Commission canadienne du tourisme, qui est un organisme public fédéral. – Autre exemple : Emploi Québec. Les centres locaux d’emplois ont été partiellement démantelés ainsi que plusieurs points de services dans les régions. De plus en plus, Québec renonce aux moyens d’exercer sa compétence constitutionnelle sur l’emploi, le marché du travail et la main d’œuvre, ce qui ouvre la porte sans résistance à l’emprise fédérale.
L’attrition de la fonction publique. Des milliers de postes ont été abolis. Les conditions de travail et de retraite ainsi que les salaires ont été revus à la baisse et sont désormais nettement moins avantageux que dans le secteur privé ou le secteur public fédéral (30 mai 2018). Parmi les conséquences, la perte de fierté des jeunes pour le service public québécois. Et aussi, bien sûr, la perte d’expertise. Au ministère des Transports, par exemple, ce sont des sous-traitants qui vérifient des contrats valant au total des milliards de fonds publics. Les risques de magouille s’en trouvent considérablement accrus.
La non-reconnaissance du travail effectué par les juristes de l’État. Le gouvernement a préféré une grève d’une durée de quatre mois, en 2015-2016 plutôt que de reconnaître à sa pleine valeur le travail fait par ces avocats et notaires dans le domaine de la justice civile et administrative.
Le renoncement au pouvoir de réglementation et d’inspection. Quelques exemples seulement d’une attitude qui sévit dans tous les ministères et organismes publics : – La Loi sur l’encadrement de l’hébergement touristique, entrée en vigueur en avril 2016, n’est pas appliquée et ne peut l’être faute d’inspecteurs. Les petits hôteliers et ceux qui offrent des gites sont exaspérés du laxisme du gouvernement libéral face à Airbnb. – Dès le départ, il a été clair que le premier ministre Couillard était vivement opposé à la réglementation des activités d’Uber et, en effet, il ne se formalise pas que même l’entente hyper souple qui a fini par être signée ne soit pas respectée par cette multinationale. La valeur des indemnisations qui seront versées aux propriétaires pour le saccage de leur industrie est restée inconnue jusqu’au moment du déclenchement des élections (Radio-Canada info, 12 août 2018). – En 2016, le ministre Carlos Leitao, spontanément, s’est dit prêt à laisser Ottawa réglementer la vente du cannabis au Québec alors qu’il s’agit d’une compétence provinciale ; il a dû se dédire. Par contre, Québec a bel et bien renoncé en faveur du fédéral à délivrer les permis de production, à la stupéfaction et au détriment des producteurs québécois. Quant à la loi qui interdit la production à domicile, faute de contrôle suffisant, elle sera peu respectée, encore une manière de dévaloriser l’État québécois ; en passant, la nouvelle Société québécoise du cannabis ne sera pas contrainte de s’approvisionner exclusivement au Québec. – Pour satisfaire certains promoteurs privés, la loi 122 soustrait les municipalités rurales à la Loi sur la protection du territoire agricole et autorise le gouvernement à procéder par simple règlement pour tout dézonage sans avoir à consulter la Commission de protection du territoire agricole.
Le renoncement au pouvoir de réglementation et d’inspection. Donnons ici seulement l’exemple des minières. Le gouvernement a cédé aux minières sur l’allégement des normes environnementales (sur les poussières par exemple pour les mines à ciel ouvert). Il ne fait pas respecter ses propres règlements : de 2006 à 2015, la minière Osisko à Malartic a reçu 150 avis de non-conformité, sans qu’elle ait à subir de conséquences. Le gouvernement n’exige plus que les compagnies rendent publiques les informations sur la quantité et la valeur des richesses extraites de notre sous-sol. Il n’exige pas que la garantie financière pour la remise en état des sites soit versée avant le début des activités des minières, alors que c’est la norme dans plusieurs autres provinces. Seulement entre 2003 et 2015, le MERN a inscrit 1 152 milliards $ au volet « minier » du passif environnemental du Québec… (13 août 2015). Ce sont les Québécois qui devront payer les dégâts des minières.
Le renoncement de l’État québécois en environnement. – En faveur d’Ottawa. Par exemple, il n’y a eu aucun BAPE sur les projets d’agrandissement des ports de Québec, de Montréal et de Saguenay. Autre exemple, la protection de la faune (bélugas, caribous forestiers, chevalier cuivré, rainette faux-grillon, etc.) est désormais laissée aux organismes de l’État fédéral. L’expertise québécoise en rétablissement des espèces menacées est désormais tout à fait compromise. – Au grand bénéfice de l’entreprise privée. Les compensations exigées des promoteurs pour la destruction des milieux humides ont été diminuées (14 juin 2018). Les objectifs de protection du territoire fixé en 2011 pour 2020 ne sont vraiment pas en voie d’être atteints, ce qui laisse la voie à d’éventuels projets industriels dans certaines des zones visées. La Loi sur la qualité de l’environnement, entrée en vigueur en mars 2018, réduit de 30 % les autorisations antérieurement nécessaires pour réaliser une activité ayant des impacts sur l’environnement. De plus, même si un « test climat » sera désormais imposé à certains projets, rien n’est prévu pour empêcher ni même freiner ceux qui ne le réussiraient pas ; sans compter que bien des projets industriels lourds, comme celui du terminal d’approvisionnement de carburant aéroportuaire de Montréal et l’énorme projet Énergie Saguenay sont dispensés de ce test (19 mars 2018). En conséquence, il paraît de plus en plus certain que Québec n’atteindra pas en 2020 la cible qu’il s’est fixée de réduction des GES, le premier ministre le reconnaît d’ailleurs (28 mars 2018).
La suppression d’un très grand nombre de programmes gouvernementaux. Comme le montre la suite de ce bilan, la capacité de l’État québécois de structurer le territoire, la nation, la société est de plus en plus gravement compromise.
L’abolition ou l’érosion des organismes gouvernementaux, le peu de mordant des nouveaux
Une étude spécifique serait nécessaire pour comparer le nombre d’organismes gouvernementaux ainsi que, plus important encore, celui de leurs effectifs au début et à la fin du mandat de Philippe Couillard. On aurait là une mesure nette de la contraction de la capacité de l’État qui s’exerce à travers eux. Les quelques indications dont je dispose ne fournissent pas une idée juste de ce phénomène. Lorsqu’on compare la liste publiée par l’Observatoire de l’administration publique de l’ÉNAP sur les données d’octobre 2010, et celle fournie par Quebec.ca le 1er août 2018, on note bel et bien un déclin du nombre d’organismes de 157 à 115 (voir http://cerberus.enap.ca/Observatoire/docs/Etat_quebecois/a-organismes.pdf et https://www.quebec.ca/ministeres-et-organismes/). Parfois, des commissions ont été fusionnées ; c’est le cas de la nouvelle Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail. En revanche, certains organismes ont vu le jour comme le Bureau des enquêtes indépendantes ou la Commission de l’éthique en sciences et en technologies. Un très grand nombre d’organismes consultatifs ont été abolis : parmi beaucoup d’autres, on peut noter la disparition du Conseil de la famille et de l’enfance, du Conseil de la science et de la technologie, de la Commission des biens culturels, et du Conseil des relations interculturelles. Des régies n’existent plus : le Bureau d’accréditation des pêcheurs et des aides-pêcheurs, la Commission de reconnaissance des associations d’artistes et de producteurs, la Régie du cinéma, d’autres encore. Il y aurait là une piste à creuser.
Je ne peux évidemment faire le tour de chacun des organismes gouvernementaux et sociétés d’État. Je vais donc m’en tenir ici à Hydro-Québec, au Bureau des enquêtes indépendantes, et à l’encadrement du secteur financier et à celui des contrats publics.
Hydro-Québec. Le gouvernement Couillard augmente gravement le risque que cette société d’État passe sous le contrôle d’Ottawa, car il encourage la multiplication des ententes avec l’Ontario d’un côté et Terre-Neuve de l’autre pour la vente ou les échanges d’électricité. Il fait tout pour contraindre Hydro à acheter l’électricité des producteurs privés que les libéraux ont fait naître et prospérer, et ce, même si Hydro dispose déjà d’importants surplus. Le projet éolien Apuiat contre lequel le PDG Éric Martel s’est opposé frontalement en août 2018 n’est que le plus récent exemple de cette propension du gouvernement libéral à instrumentaliser Hydro-Québec.
Si Hydro-Québec écoule trop de ses surplus au Canada et en vient à être perçue comme une entreprise interprovinciale, elle passera sous contrôle fédéral en vertu de l’article 92 de l’AANB. Les instruments existent maintenant pour ce transfert. En effet, le gouvernement Trudeau a créé à l’hiver 2018 la Régie canadienne de l’énergie pour réglementer les lignes interprovinciales et internationales de distribution d’électricité. La députée bloquiste Monique Pauzé a fait remarquer que désormais Hydro-Québec devra se soumettre aux conditions d’Ottawa pour obtenir un permis d’exportation et devra d’abord offrir son électricité aux autres provinces (http://www.m1035fm.com/details_nouvelle.aspx?nid=16557). – Par ailleurs, le financement de la construction des nouvelles lignes d’électricité interprovinciales comptera certainement parmi les projets de développement de la nouvelle Banque des infrastructures du Canada.
Bureau des enquêtes indépendantes. Cet organisme a été créé pour surveiller le travail des policiers. Après des mois de blocage par le ministre suppléant Pierre Moreau, le ministre en titre, Martin Coiteux, a accepté de nommer les personnes recommandées par la directrice de cet organisme. Mais l’indépendance du BEI a d’emblée été mise en doute du fait que la moitié des enquêteurs sont d’anciens policiers. Or, les liens entre les divers corps de police et le Parti libéral du Québec sont extrêmement étroits. L’expert Jocelyn Caron a même parlé même de « symbiose » entre les libéraux et la police. – Et maintenant, faudra-t-il aussi se méfier des enquêteurs de Revenu Québec ? La Cour supérieure a annulé en juillet des saisies visant Marc Bibeau (La Presse, 12 juillet 2018) parce qu’il y aurait eu vice dans le processus d’obtention des mandats de perquisition par les enquêteurs de Revenu Québec en 2016. Ce grand argentier du Parti libéral est décidément un intouchable.
Encadrement du secteur financier. Après des années et des années de travail, la loi 141 sur l’encadrement du secteur financier a finalement été adoptée au printemps 2018. La loi modernise cet encadrement. Parmi les éléments qui ont bloqué l’avancement des travaux, il y avait la détermination du gouvernement Couillard d’abolir la Chambre de la sécurité financière et la Chambre de l’assurance de dommages pour confier toutes leurs activités à l’Autorité des marchés financiers. Les groupes de consommateurs s’opposaient vivement à la réduction de la protection du public qui aurait selon eux résulté de cette double disparition. Le gouvernement a dû finalement reculer ; toutefois, selon eux, l’encadrement de la vente d’assurance en ligne reste nettement insuffisant (14 juin 2018).
Autorité des marchés publics. Dès le début de son mandat, le premier ministre Couillard a allégé les règles en matière d’octroi de contrats publics ; il a notamment réduit le pouvoir du Québec d’exiger des retombées économiques locales. En 2016, il a adopté une loi sur les lanceurs d’alerte très insuffisante et qui fait fi de plusieurs recommandations de la commission Charbonneau. Les mauvaises pratiques de l’État ne pourront pas être dénoncées par les employés de l’État. De nouveaux Arthur Porter et de nouveaux Premier Tech sont encore possibles. Puis le gouvernement a attendu jusqu’en novembre 2017 pour créer l’Autorité des marchés publics. Cependant, cet organisme n’était pas encore en activité en août 2018, de plus il n’aura pas juridiction sur les contrats municipaux d’une valeur de moins de 100 000 $ (13 juin 2018). La nouvelle Autorité saura-t-elle empêcher que d’autres Frank Zampino, Paolo Catania, Bernard Trépanier, Tony Accurso et compagnie prospèrent sur le dos des citoyens ?
Le retrait des régions et des municipalités
Sous le gouvernement Couillard, l’État a quitté les régions au profit d’une centralisation sans précédent du pouvoir à Québec. Le palier régional a été vidé de signification par l’élimination des institutions objet de la décentralisation politique et administrative. En effet (je suis ici Bernard Vachon) : – Fermeture des directions régionales de ministères aussi importants que celui de l’Éducation par exemple. Celles du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion ont été abolies, puis rétablies, mais réduites à la seule mission d’attirer des immigrants en région pour qu’ils comblent des emplois vacants. – Abolition des agences régionales de la Santé et des Services sociaux. – Abolition des conférences régionales des élus. – Suppression de la moitié des budgets des Centres locaux de développement et attribution aux municipalités régionales de comtés du pouvoir de décider de leur survie. – Abolition de la Politique nationale de la ruralité et du Fonds de soutien aux territoires dévitalisés. Tous les organes par lesquels l’État existait réellement au niveau régional et par lesquels les régions disposaient d’une voix au sein de l’appareil de l’État ont disparu. Quant aux nouveaux petits fonds de soutien créés sous les libéraux, ils sont infiniment moins bien pourvus que les anciens.
Cette centralisation du pouvoir a été accompagnée toutefois de tant de compressions au ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire que celui-ci s’est le plus souvent trouvé empêché d’agir. Ce gouvernement, par exemple, s’est complètement désintéressé de l’élaboration d’une politique nationale d’aménagement du territoire et de l’urbanisme. Son ambitieuse Politique de mobilité durable, publiée en avril 2018, ne pourra pourtant avoir des chances de réussir que si prévaut une nouvelle vision de l’aménagement du territoire (Brian Myles, 19 avril 2018) ; et d’ailleurs, des experts comme François Tanguay sont déjà certains qu’elle est irréaliste (23 avril).
Le retrait de l’État québécois a donc eu comme effet de laisser encore davantage de place à Ottawa dans les régions. Comme l’a écrit Marc-Urbain Proulx, « Depuis 2014, le véritable ministre des régions du Québec s’avère celui de Développement économique Canada. […] Si le réflexe traditionnel des acteurs locaux et régionaux consiste à se tourner vers Québec pour exprimer leurs problèmes, leurs besoins, voire leurs doléances, la question régionale devrait désormais être adressée au gouvernement fédéral » (24 août 2015) . Pendant que les organismes québécois fermaient, les Sociétés d’aide au développement des collectivités, de juridiction fédérale, restaient pour ainsi dire seules à intervenir en région. Le développement régional peut désormais se faire beaucoup plus facilement en fonction des intérêts du Canada, qui sont loin de toujours concorder avec ceux des Québécois.
Les relations entre l’État québécois et les municipalités se sont également beaucoup redéfinies. La loi 122 a reconnu les municipalités comme de véritables gouvernements de proximité plutôt que de simples administrations. Cela leur ouvre tout grand la porte pour avoir des relations plus directes avec Ottawa, comme s’en réjouissent l’Union des municipalités, la Ville de Montréal et la Ville de Québec. Comme le pacte fiscal a beaucoup réduit les revenus complémentaires que les municipalités tirent de l’État québécois, les villes sont heureuses de pouvoir obtenir directement du financement fédéral pour le développement durable, la rénovation des infrastructures, le transport en commun, l’habitation, et tout autre programme qu’Ottawa mettra sur pied dans les compétences des provinces (12 mai 2018).
En septembre 2017, le gouvernement Couillard a adopté la loi 121, qui donne à Montréal le statut de métropole, plusieurs nouveaux pouvoirs en matière de développement économique et de nouvelles ressources pour assumer ceux-ci. Montréal voulait depuis longtemps négocier directement avec Ottawa comme le fait Toronto. Elle n’a pas obtenu d’un coup tout ce qu’elle désirait, et notamment l’autorisation de transiger directement avec le fédéral sur les questions cruciales pour l’avenir reliées à l’immigration. Néanmoins la marginalisation de l’État québécois dans la métropole est bel et bien en cours.
Des relations tendues avec les Premières Nations
La délégation des pouvoirs du Québec à Ottawa. Le gouvernement Couillard a tenté durant toute l’année 2016 de ne pas créer de commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics, dont la Sûreté du Québec. Il est allé jusqu’à déléguer les pouvoirs l’État québécois au gouvernement fédéral pour que celui-ci s’en occupe à sa place dans le cadre de sa commission d’enquête sur les femmes autochtones disparues ou assassinées. Finalement, sous la pression, la commission québécoise « Écoute, réconciliation et progrès », dite commission Viens, a été formée et a commencé ses travaux en 2017.
Ce que les audiences ont démontré, c’est que le gouvernement Couillard ne fait vraiment pas grand-chose pour améliorer la présence de l’État québécois dans les communautés autochtones. Dans le contexte où celui-ci est mis en retrait partout par les libéraux, ce n’est pas étonnant. Par ailleurs, bien des programmes ou des solutions (formation des policiers autochtones, services ambulanciers, développement social et tant d’autres) sont coincés dans des chicanes Ottawa-Québec. Tout cela a un coût en souffrances pour les Premières Nations et les Inuits. Et cela abîme leur sentiment d’appartenance au Québec, déjà distendu.
La question de la gouvernance autochtone. Pour augmenter les liens entre l’État québécois et les Premières Nations et les Inuits, le ministre Geoffrey Kelley aurait souhaité la création d’un ministère des Affaires autochtones du Québec. Le chef de l’Assemblée des Premières Nations, Ghislain Picard, n’en veut pas. Il veut plutôt que le Québec reconnaisse l’existence de gouvernements autochtones autonomes (7 mars 2018).
Cette revendication mérite un petit rappel. Au début de l’automne de 1995, le Projet de loi sur l’avenir du Québec avait stipulé que la constitution du Québec indépendant reconnaîtrait aux nations autochtones, dans le respect de l’intégrité du territoire québécois, le droit de se gouverner sur des terres leur appartenant en propre et de participer au développement du Québec ; leurs droits constitutionnels existants y seraient reconnus ; et comme pour les anglophones, des représentants de chacune des nations seraient invités par la commission constituante à participer à ses travaux pour ce qui est de la définition de leurs droits, qui ne pourraient être modifiés que suivant des modalités particulières. À la protection strictement juridique offerte par l’article 35 de la Charte canadienne des droits, le gouvernement de Jacques Parizeau, soutenu par les forces indépendantistes, offrait donc d’ajouter un véritable pouvoir politique autonome. Le constitutionnaliste Jacques-Yvan Morin était allé encore plus loin, il avait parlé d’une participation, comme nations, directement aux institutions de l’État québécois. C’est pourquoi tous furent si surpris de l’hostilité des autochtones, celle des Premières Nations tout particulièrement. Il leur avait échappé alors qu’aux yeux même de celles-ci leur identité, définie et cadrée depuis si longtemps par la Loi sur les Indiens et les institutions fédérales, ne pouvait plus se concevoir sans relation avec l’État canadien. Quitte à laisser passer l’occasion de saisir ce qui aurait été obtenu dans un Québec indépendant comme moyen de presser Ottawa d’en céder autant aux nations autochtones du Canada.
Plus de 20 ans plus tard, alors que le gouvernement fédéral de Justin Trudeau refuse de négocier une réelle autonomie gouvernementale et se contente de donner de l’argent pour sortir tant soit peu les Premières Nations et les Inuits du quart-monde dans lequel l’incurie d’Ottawa les a maintenus, la question rebondit au Québec. Au crédit du gouvernement Couillard, l’entente – tardive – avec les Attikameks qui pourront mettre sur pied leur propre système de protection de la jeunesse, ainsi que la volonté de faire des Autochtones de véritables partenaires de l’État québécois dans la régulation du cannabis. Or, ce qui apparaît, c’est plutôt la volonté des Premières Nations d’être carrément soustraites à l’autorité des États provinciaux. L’exemple du cannabis est probant : tout comme son pendant canadien, l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador a exigé que le gouvernement fédéral modifie la loi C-45 pour donner préséance à la compétence des Premières Nations sur les lois et règlements du Québec (Ghislain Picard, 14 mai 2018). En vain pour l’instant. Mais voilà où ont mené toutes ces années d’inaction libérale dans l’établissement de relations de nation à nations entre l’État québécois et les Amérindiens du Québec.
A parte : gouverner pour les amis
Le gouvernement Couillard n’a pas gouverné pour le Québec, tout ce bilan le démontre. Il a gouverné pour le Canada, d’une part. Et pour les amis, de l’autre. Plus ou moins petit patronage dans l’octroi des contrats publics, c’est une chose. Junex, Pétrolia, c’en est une autre. On en parlera ci-après. Mais il y a aussi Bombardier et Desmarais, entre autres. À un niveau qu’on imagine mal. Il faudrait scruter. Je donne quelques exemples au fil de ce que j’ai trouvé sans chercher vraiment. La pointe de l’iceberg ?
– Privatisation du programme de procréation assistée en 2015. Aux États-Unis, une des compagnies de l’empire Desmarais, IntegraMed, offre aux couples infertiles des prêts pour qu’ils puissent payer les programmes privés de procréation assistée ; elle les dirige aussi vers le réseau de cliniques qui appartient à son réseau Attain Fertility. C’est ce modèle que Desmarais cherche à implanter au Québec.
– Le retour des clubs privés ? Le règlement a été modifié : la pêche au saumon est désormais réservée, en monopole, aux pourvoiries privées dans une zone qui s’étend sur la moitié de la région Nord-du-Québec. À noter que la pourvoirie Helen Falls, qui fait des affaires dans le Nord, a été achetée l’an dernier par un homme d’affaires avec le concours d’André Desmarais. (Journal de Montréal, 2 mai 2018)
– Le projet de loi 400 permet au journal La Presse, propriété de Power Corporation, elle-même propriété des Desmarais, de se transformer en organisme sans but lucratif. La loi a été adoptée sous le bâillon en juin 2018. Le gouvernement a donné tout ce que Power voulait et il a refusé un amendement qui aurait assuré le maintien du siège social au Québec (15 juin 2018).
– Ce gouvernement a laissé toute latitude à Ottawa de soutenir les médias québécois vu qu’il a pour ainsi dire délaissé sa responsabilité en ce domaine. Toutefois un groupe de journaux échappe à son indifférence. En 2015, la famille Desmarais s’est délestée de ses journaux régionaux, rachetés par l’ancien ministre libéral fédéral Martin Cauchon, propriétaire du Groupe Capital Médias. Le gouvernement Couillard a ordonné en 2017 à Investissement Québec de prêter 10 millions $ à ce groupe de presse ; et Québec s’est joint à Ottawa pour une nouvelle subvention de 1,4 million $ à l’été 2018 (Journal de Montréal, 12 août 2018).
– Ciment McInnis. Le gouvernement y a englouti 1,5 milliard $ de fonds publics, soit directement, soit par la Caisse de dépôt, soit par Investissement Québec. La cimenterie appartient à la famille Beaudoin-Bombardier (Léo-Paul Lauzon, Journal de Montréal, 13 juillet 2018).
L’Économie : une arme contre le Québec et les Québécois
La piètre performance du gouvernement Couillard ne peut pas lui être imputée entièrement, car l’État québécois, un État provincial, non seulement ne dispose pas de tous les outils pour assurer le développement économique du Québec, mais en plus il est très souvent entravé dans son action par le gouvernement fédéral. Cela dit, l’administration Couillard a tout fait pour affaiblir davantage l’État québécois et pour dépouiller les Québécois.
La fragilité économique du Québec s’est accrue depuis 2014
Emploi. En campagne électorale en 2014, les libéraux avaient promis la création de 250 000 emplois en cinq ans. Les analystes avaient alors parlé d’un faux objectif vu qu’il se crée bon an mal an entre 50 000 et 60 000 nouveaux emplois au Québec sans que personne n’ait rien à faire ! Selon Gérard Fillion, le bilan pourrait se rapprocher de cette cible, mais sans l’atteindre, pour un total de 244 604 emplois sur cinq ans (Radio-Canada nouvelles, 17 août 2018). Surtout, les libéraux ne parlaient pas de création nette d’emplois, c’est-à-dire une fois décomptés les emplois perdus, mais simplement de création brute. Cet objectif facile a donc été atteint, et aujourd’hui il nous est jeté comme de la poudre aux yeux. Car voyons les chiffres.
Emploi. Pour 2017, un bilan accessible sur internet a été produit par l’Institut du Québec, qui est un organisme créé par HEC Montréal et le Conference Board of Canada (https://www.institutduquebec.ca/docs/default-source/default-document-library/ppt_bilan-annuel—2017_vf.pdf?sfvrsn=0). J’en résume les principaux constats – En proportion de leur population, l’Ontario, la Colombie-Britannique, l’Alberta et la petite Île-du-Prince-Édouard ont fait mieux que le Québec au chapitre de la création d’emplois. – La croissance de l’emploi à temps plein était inférieure au Québec qu’au Canada (2,4 contre 2,7 %). – Bien que sa population soit deux fois moindre, l’Alberta a créé autant d’emplois dans le secteur privé que le Québec. – Ces 35 000 nouveaux emplois privés, moins qu’en 2016, comptent pour seulement 65 % de la création totale d’emplois, ce qui représente un creux historique depuis la crise de 2008. – Si le taux de chômage a décliné, c’est que les Québécois vieillissent et se retirent du marché de l’emploi ; en conséquence la population active n’augmente que très faiblement : à peine 14 500 en 2017. – Une donnée intéressante : pour l’Institut du Québec, organisme plutôt néolibéral, le plein emploi et la rareté de main-d’œuvre ne commencent pas à 3 % de chômage, mais à 7 %. Comme le taux de chômage était de 4,9 % en 2017 et qu’il est de 5,6 % en juillet 2018, les organismes patronaux crient à la pénurie de main-d’œuvre. Pourtant, toujours selon l’Institut du Québec, malgré cette soi-disant pénurie, la croissance des salaires a marqué un léger recul en 2017 par rapport à 2016. – Encore un signe de l’abandon des régions par les libéraux : la majorité des emplois nets ont été concentrés dans la grande région de Montréal et très peu dans les autres régions.
Le Tableau statistique canadien publié en juillet 2018 (http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/economie/comparaisons-economiques/interprovinciales/tableau-statistique-canadien.pdf) indique :
– Produit intérieur brut réel. La croissance du PIB réel était de 1,8 % en 2014, de 1 % en 2015 et de 1,4 % en 2016, toujours entre 1 et 2 points de moins que l’Ontario. Pour 2017, la croissance du PIB réel a été de 1,8 %, contre 2,9 % en Ontario (https://news.ontario.ca/mof/fr/2018/02/lontario-rend-public-le-rapport-finances-du-troisieme-trimestre-2017-2018.html). Le ministre Leitao et le Conference Board se sont tous deux montrés dubitatifs sur la capacité du Québec de maintenir le taux de croissance du PIB pour 2018. Le PIB du Québec pèse 19,4 % du PIB canadien alors que la population du Québec représente 22,8 % de celle du Canada.
– Exportations : La tendance au déclin des exportations internationales du Québec, lourde depuis au moins le début des années 2000, a été confirmée sous ce gouvernement, et ce malgré un taux de change très favorable au dollar canadien. Une recherche dans le moteur Euréka pour la période 2016-2018 avec les mots clés suivants : « exportations » dans le titre et « Institut de la statistique du Québec » dans le corps du texte donne 19 articles du Devoir, dont 13 signalent des reculs.
– Niveau de vie en déclin relatif. Le Tableau statistique canadien publié en juillet 2018 montre que le Québec occupe désormais le dernier rang des provinces pour le revenu disponible.
Investissements. Toujours selon Gérald Fillion (Radio-Canada nouvelles, 17 août 2018), entre 2013 et 2017, les investissements privés ont reculé de 13 % au Québec. Il y a eu une hausse en 2018 qui devrait, si elle se concrétise ramener ceux-ci au niveau de 2014. Ajoutons que le gouvernement Couillard a été incapable d’attirer au Québec des investissements privés pour une part correspondant à son poids dans la démographie ou l’économie canadienne. En fait, ce sont les investissements publics qui ont stimulé l’économie. Mais ces investissements, comme on va le voir ci-après, ont souvent été un véritable gaspillage de fonds publics et des dons aux grandes entreprises, plutôt que pour le renforcement à long terme de l’économie québécoise.
Une volonté d’intégration plus poussée de l’économie québécoise à l’économie canadienne
Le Québec a énormément profité du libre-échange avec les États-Unis, beaucoup plus que l’Ontario. Mais le premier ministre Couillard se sert aujourd’hui de la poussée protectionniste extrême de l’administration Trump, qui ne peut être que temporaire, comme justification à la réalisation d’un plan d’intégration plus poussée de l’économie québécoise à l’économie canadienne. C’est une autre manière d’enfermer le Québec dans le Canada.
Le premier ministre Trudeau a nommé son homme de confiance, Dominic Leblanc, ministre responsable de faire tomber les barrières au commerce interprovincial afin de créer de plus en plus un seul marché canadien unifié. Le premier ministre Couillard entre tout à fait dans de telles vues : abolition des barrières au commerce interprovincial, ouverture aux professionnels des autres provinces, stratégie maritime, consentement total à la politique d’Ottawa qui fait du Canada un pétro-État, pas de défense de la compétence exclusive du Québec sur les valeurs mobilières, consentement à la participation de la Caisse de dépôt et placement à des projets structurants pour l’économie canadienne bien davantage que pour celle du Québec, pas de défense d’Hydro-Québec contre la convoitise fédérale. Voilà une visée importante de l’action économique du gouvernement Couillard.
On en a un autre exemple dans le secteur du numérique : le gouvernement a décidé de s’associer avec l’Ontario, Ottawa et les géants du numérique pour financer ceux-ci dans l’implantation du réseau de nouvelles technologies sans fil qui traversera les deux provinces (20 mars 2018).
Le Québec donné aux pétrolières et aux gazières
Le gouvernement Couillard appuie totalement la Stratégie canadienne de l’énergie, qui passe par le développement du pétrole de l’ouest plutôt que par les énergies renouvelables, le marché du carbone et l’émergence de technologies vertes. Toutes ses décisions depuis quatre ans vont dans ce sens. Il est très significatif que, à la fin de janvier 2016, ce soit au cours d’un cocktail organisé par une firme d’avocat et de lobbyistes à la fois proche du PLQ et de plusieurs entreprises minières, pétrolières et gazières albertaines que le ministre Pierre Arcand a présenté les orientations de Politique énergétique du Québec. Et rappelons que le projet – finalement suspendu – de TransCanada, c’était seulement 33 emplois à temps complet après la fin des travaux de construction de l’oléoduc. Le gouvernement Couillard avait renoncé d’avance à exiger toute redevance et accepté que la compagnie verse moins de taxes foncières aux municipalités québécoises qu’à celles des autres provinces. D’ailleurs, aucun des projets albertains en cours n’apportera de revenus au Québec.
Les projets annoncés ne se sont pas tous réalisés, mais tous ont été l’occasion pour le gouvernement Couillard de céder sur les pouvoirs de l’État québécois et ceux des organismes qui en relèvent, et de favoriser l’intégration du territoire du Québec dans les plans de développement de l’industrie pétrolière et gazière canadienne. Aucun de ces projets n’a été accepté par les Québécois, mais chaque fois, le gouvernement Couillard s’est placé du côté des compagnies.
Abandon de la souveraineté exclusive du Québec dans la portion québécoise du golfe du Saint-Laurent. En 2015, le gouvernement Couillard a signé un accord avec le fédéral qui concrétise la « gestion conjointe » du pétrole québécois. Or, les ressources naturelles sont une compétence exclusive des provinces. De plus, contrairement à tous ses prédécesseurs, le premier ministre Couillard a accepté que l’État fédéral ait un mot à dire sur le territoire québécois dans le golfe du Saint-Laurent (27 juin 2018).
Renoncement au respect des lois votées par l’Assemblée nationale. En février 2016, dans un des multiples épisodes de la saga de l’oléoduc Énergie-Est, le gouvernement Couillard a refusé de s’associer à une motion de l’opposition exigeant le respect par TransCanada des lois votées par l’Assemblée nationale.
Acceptation que seul Ottawa mène désormais des évaluations environnementales dans des projets dont une partie se réalise au Québec. Et pourtant, l’environnement est reconnu comme une compétence partagée dans la constitution de 1982.
Dévalorisation du BAPE. Que ce soit dans le projet Énergie-Est de TransCanada, dans celui de Chaleurs Terminals de Secure Energy, dans celui de l’inversion du pipeline 9B d’Enbridge, et dans celui du transport par bateau depuis Sorel du pétrole albertain, soit il n’y a eu aucun BAPE, soit Québec a accepté que celui-ci se tienne aux conditions de TransCanada. Et c’est sans même attendre ses résultats que le gouvernement Couillard a autorisé TransCanada à effectuer des relevés sismiques dans le fleuve.
Cession à des intérêts albertains de projets financés par les Québécois. Après avoir bénéficié de plusieurs dizaines de millions $ de fonds publics, Petrolia et Junex, deux compagnies appartenant à des proches du PLQ, ont été vendues en 2018 à des intérêts albertains, la première à la pétrolière Pieridae Energy et la seconde à Cuda Energy. Du coup, le contrôle sur les projets rentables Bourque et Haldimand de Petrolia, et sur le projet Galt développé par Junex passent en Alberta. Rappelons que le gouvernement Couillard a refusé de protéger la baie de Gaspé et la baie des Chaleurs contre l’exploration pétrolière, et qu’un de port d’exportation gazier à Gaspé est envisagé, au grand dam de la population et de la Ville, mais avec le soutien du premier ministre. Le gouvernement est aussi allé en cour pour obtenir une injonction contre les opposants au projet pétrolier de Junex en Gaspésie (26 mai 2018). Rappelons tout le soutien qu’ont donné les libéraux à Pétrolia à Anticosti. Et bien, après avoir contribué notablement à l’enrichissement de cette compagnie, Québec doit continuer à payer, cette fois pour fermer les puits sur l’ile (11 juin 2018).
Cession du sous-sol québécois à des intérêts albertains. En achetant Petrolia et Junex, les deux albertaines contrôlent désormais des milliers de km2 de permis d’exploration du gaz de schiste un peu partout au Québec et notamment dans les basses-terres du Saint-Laurent (3 août 2018). Ces permis, le gouvernement Charest les avait donnés pour 10 ¢ l’hectare à ses amis libéraux. En tout, c’est plus de 82 000 km2 que contrôlent 27 compagnies. La loi 106 du ministre Heurtel, adoptée sous le bâillon, donne aux gazières et pétrolières détentrices de titres d’exploration à peu près tous les droits sur le territoire agricole, les réserves fauniques, le territoire de centaines de municipalités, et sur votre jardin. Elles sont autorisées à exproprier et on ne peut les empêcher d’explorer. À cause de ces permis, les initiatives de protection du territoire deviennent de plus en plus difficiles et sujettes à poursuites. Et comme il semble de plus en plus clair que l’affaire ne sera pas très rentable, le gouvernement du Québec est dorénavant exposé à des demandes de compensation ! (9 juin 2018). Des forages seront désormais possibles dans les lacs et rivières, et assez près des périmètres urbains quoiqu’en dise le ministre Pierre Moreau (15 août 2018).
Car le gouvernement Couillard est aussi très actif dans le secteur du gaz de schiste.
Dévalorisation de la SEPAQ. Avec l’aval du premier ministre lui-même, GNL Québec envisage de construire des infrastructures de liquéfaction, d’entreposage et de transbordement de gaz naturel provenant de l’Ouest canadien. Trois à quatre bateaux par semaine feraient l’aller-retour dans le parc marin du Saguenay, la seule aire protégée au Québec, dans laquelle les bélugas sont à l’abri. Si bien que c’est Ottawa qui s’élève maintenant pour protéger cette espèce. « “Le gaz est au cœur de la politique énergétique 2030 du Québec, son développement est financé à la fois par le Fonds vert et le Fonds Capitale Mine Hydrocarbures”, a expliqué Carole Dupuis, coordonnatrice du Regroupement vigilance hydrocarbures Québec. Selon elle, Québec se laisse convaincre par les 138 lobbyistes de Gaz Métro inscrits au registre des lobbyistes. » (Journal de Montréal, 6 septembre 2017). Le gaz naturel, mais aussi de schiste est d’ailleurs une des pistes retenues par le Plan de transition énergétique pour réduire la dépendance du Québec au pétrole… mais pas aux hydrocarbures (12 juin 2018).
Détournement du Fonds vert. D’ailleurs, Gaz Métro est financé à même le Fonds vert alors que cette entreprise distribue de plus en plus de gaz de schiste.
Retrait aux municipalités de leur compétence sur l’eau potable. En 2014, la municipalité de Ristigouche Sud-Est a été poursuivie pour 1,5 million $ en Cour supérieure par la pétrolière Gastem qui contestait l’adoption d’un règlement municipal sur la protection de l’eau potable. Cette pétrolière était alors présidée par un ancien ministre libéral, Raymond Savoie. Puis Gastem a cédé ses permis d’exploration à Pétrolia, une autre pétrolière libérale, qui n’a pas voulu y continuer l’exploration, mais a poursuivi le village quand même pour récupérer ses investissements. Non seulement Québec n’a pas levé le petit doigt en faveur de la municipalité, mais le ministre Heurtel, dans la loi 106, a dépouillé les municipalités de leur compétence à réglementer tant la distance entre les forages et les sources d’eau potable que les prélèvements d’eau dans le cadre de l’exploration et de l’exploitation du pétrole et du gaz. Du coup, 166 municipalités ont fait front commun et ont intenté une poursuite contre l’État québécois (26 mai 2018). [Je l’inscris ici même si cela concerne cette fois une minière : Canada Carbon de Vancouver poursuit la petite municipalité de Grenville-sur-la-Rouge, en Outaouais, parce que celle-ci a refusé un projet de mine à ciel ouvert. Québec n’a pas l’intention d’intervenir (8 mars 2018 ; Radio-Canada Ottawa-Gatineau, 12 juin 2018).]
L’indifférence à laisser partir sièges sociaux et produits phares
Les Québécois ont été spoliés de leur esprit d’entreprise et de leur créativité industrielle. Voici une liste bien incomplète. Juste pour donner une idée de la manière dont le gouvernement Couillard n’a pas défendu la propriété des Québécois sur leur économie.
Astral, Dessau, Minière Osisko, St-Hubert, Le Cirque du Soleil, Van Houtte, Cossette, Canam, Tembec, Rona, Atrium Innovations, Juste pour rire, Camso, etc. : c’est à la pelle que des fleurons ont été vendus à des intérêts canadiens ou étrangers depuis 2014, sans garantie que les sièges sociaux soient maintenus au Québec. Quand la Caisse de dépôt et placement aurait pu faire quelque chose pour garder au Québec le contrôle des entreprises, elle n’a pas agi, bien au contraire. Idem pour Investissement Québec.
On rappellera brièvement le 1 milliard $ consenti par Philippe Couillard pour la CSeries. C’était une très mauvaise décision économique, qui ouvrait toute grande la porte à des représailles. Il aurait plutôt fallu aider Bombardier, la société mère. Plusieurs l’ont dit à l’époque. Cette décision est directement reliée au don, oui le don, de la CSeries à Airbus. Même si la menace des sanctions souhaitées par Boeing n’existe plus, Airbus construira à terme les avions en Alabama plutôt qu’à Mirabel, et ce grâce à un investissement supplémentaire de 300 millions $ de Bombardier dans l’usine américaine (3 mai 2018). Déjà, Airbus fait pression sur les fournisseurs québécois pour qu’ils réduisent leurs prix (7 mars 2018). On rappellera aussi que dans toute cette affaire de la CSeries, les gouvernements libéraux provinciaux ont lamentablement échoué pendant des années à convaincre Ottawa de soutenir Bombardier, contre laquelle les financiers de Bay Street se sont acharnés.
Hydro-Québec a investi des millions et des millions dans la recherche pour le moteur électrique et créé une filiale, TM4, pour fabriquer et commercialiser celui-ci. L’entreprise est désormais sous le contrôle de l’équipementier automobile américain Dana (Journal de Québec, 22 juin 2018).
Des grandes stratégies nationales insatisfaisantes
Le plan Nord. – Sous ce gouvernement, le plan Nord a contribué à revitaliser un peu Malartic et Chibougabau, surtout par des programmes du gouvernement d’ailleurs. Mais globalement le prix à payer dans ces deux régions a été lourd. – Par exemple, des mines à ciel ouvert ont vu le jour en Abitibi sans que Québec exige le respect des normes contre les poussières. Le gouvernement a aussi accepté le projet de mine Akabasa Ouest qui est situé en plein cœur d’un habitat de caribous menacés (28 juin 2018). – Le premier ministre Couillard a dû reconnaître qu’il n’y a pas de marché pour le phosphate du projet Ariane Phosphate sise dans son comté ni pour Mine Arnaud, dont Investissement Québec est propriétaire à 62 %. Le gouvernement va payer 80 des 130 millions nécessaires pour la mise en route d’une mine au lithium au nord de Chibougamau (31 mai 2018) – Le plan Nord est d’ailleurs un échec presque complet sur la Côte-Nord. Mine Arnaud, justement, a coûté plus de 500 millions $ au gouvernement du Québec et elle lui coûte encore et pourtant elle est toujours fermée : aucun investisseur étranger ne s’est montré intéressé. La multinationale FerroAtlantica n’a jamais ouvert son usine. La mine du lac Bloom a fermé puis elle a redémarré en mars 2018, mais il a fallu la participation et un prêt du gouvernement et de la CDP représentant 151 millions $, soit plus de 40 % des investissements. AcelorMittal a réduit de 20 % le nombre de ses employés, mais elle laisse 1318 tonnes de résidus miniers au parc de Mont-Wright. Québec a racheté pour 68 millions $ d’actif de la minière Cliffs Resources en faillite. Le gouvernement s’est aussi associé à Tata Steel alors que le fer restera bon marché dans les prochaines années. Au printemps 2018, c’est encore Québec qui investit plutôt que les entreprises : des millions pour refaire des routes (par exemple la 389 entre Baie-Comeau et Fermont) et pour développer les installations de la Société ferroviaire et portuaire de Pointe-Noire à Sept-Îles. Dans ces deux cas, Ottawa devient un partenaire majeur, ce qui contribue à orienter le développement minier en fonction des priorités fédérales (Gouvernement du Québec, salle de presse, 26 mars 2018). Et c’est l’État qui financera désormais les études d’impact des minières (3 avril 2018). Dire que le gouvernement Couillard n’a jamais fait d’analyse coûts-bénéfices du Plan Nord, que le Québec retire très peu de l’exploitation des ressources naturelles par les compagnies (presque toutes étrangères) et que le ministre Pierre Arcand refuse de promettre que les Québécois récupéreront leurs investissements ! La Coalition Québec meilleure mine a d’ailleurs déjà réclamé, mais en vain, la tenue d’une enquête publique pour ce qu’elle considère le gaspillage des fonds publics par le gouvernement Couillard dans plusieurs projets miniers sans avenir ni acceptabilité sociale.
La stratégie maritime. Elle a été lancée en 2015. On serait malhonnête de prétendre que rien n’a été fait. Plus de trois ans après son lancement, le bilan, néanmoins, est très mitigé. Comme une grande partie de cette stratégie dépend de la collaboration d’Ottawa et que celle-ci soit se fait attendre, soit n’existe pas, le ministre délégué Jean D’Amour n’a pas grand-chose à annoncer sauf des petites initiatives ici et là (Radio-Canada info, 19 avril 2018). – Une partie de l’argent sert à racheter de vieux ports fédéraux grandement détériorés dont Ottawa ne veut plus et dont il n’entend pas payer le juste prix des rénovations avant de les céder (9 août 2018). Une autre partie paie une bonne part de la note de l’agrandissement des ports de Montréal et de Québec, qui, pourtant, sont de propriété fédérale. – Une autre partie encore sert à soutenir les intérêts privés. Or, ou bien ceux-ci ne sont pas au rendez-vous, ou ils sont très risqués. C’est le cas notamment du projet Énergie-Saguenay, de la compagnie GNL Québec. Celle-ci a été créée par deux fonds d’investissements américains. Le projet, sis dans le comté du premier ministre, consiste à construire un gazoduc de 650 km entre l’Ontario et Saguenay, édifier une usine de liquéfaction de gaz à Grande-Anse, et construire des installations portuaires sur les rives du fjord. Et tout cela pour que 160 navires méthaniers par année traversent l’aire protégée du parc marin du Saguenay et débouchent dans le fleuve à l’endroit où les bélugas se reproduisent ! Le gouvernement fédéral ayant décidé de s’intéresser aux espèces menacées, il se pourrait bien que tous ces investissements publics aient été faits en pure perte.
La stratégie de développement de l’aluminium. Elle aussi a été annoncée en 2015 et elle répond à des objectifs nécessaires et difficiles, notamment celui de doubler la transformation de l’aluminium au Québec sur un horizon de 10 ans. Or, depuis qu’elle est en vigueur, Rio Tinto a réduit ses activités sur la Côte-Nord. À Bécancour (député caquiste), il a fallu des mois avant que le gouvernement nomme un médiateur spécial dans le lock-out de l’aluminerie ABI, qui a commencé en janvier 2018 et durait encore à la mi-août. Finalement, c’est seulement au Saguenay qu’il y a eu un peu d’investissements, mais même là, ils ont été rares, ce qui a laissé davantage de place pour les exportations de la Colombie-Britannique dans un marché américain en croissance. Et maintenant, le contexte est devenu très défavorable depuis la surtaxe de 10 % imposée en 2018 par les États-Unis sur l’aluminium canadien. Cette situation ne durera pas toujours. Alors que le Québec semble en train de rater la cible, malgré des conditions d’accueil très favorables aux alumineries, l’expert Marc-Urbain Proulx a suggéré de faire comme en Norvège : que l’État prenne une participation même minoritaire, dans les alumineries, ce qui lui permettrait de mieux maîtriser la structuration de la filière industrielle dans un esprit d’ajout de valeur et de création d’emplois (2 septembre 2016). Qu’attend le gouvernement pour parler avec la Caisse de dépôt ?
La stratégie d’aménagement durable des forêts. – C’est une autre stratégie adoptée en 2015. Elle recule sur les cibles de protection de l’environnement définies en 2010. Elle déleste l’État québécois de ses responsabilités pour les confier plutôt aux municipalités régionales de comtés. Elle leur coupe les budgets d’environ les deux tiers. Quant aux caribous forestiers, le gouvernement a jugé qu’ils coûteraient trop cher à sauver, il va donc persister dans son idée du début, à savoir laisser s’éteindre l’espèce (9 mars 2018). – Cette stratégie d’aménagement durable, par ailleurs, n’a pas empêché la perte de milliers d’emplois forestiers supplémentaires.
L’insuffisance du soutien aux PME
On aura remarqué que les grandes stratégies économiques du gouvernement Couillard reposent sur le soutien massif à la grande entreprise étrangère ou canadienne et, dans une moindre mesure à la grande entreprise québécoise. Les PME, qui souvent appartiennent à des intérêts québécois et sont le fer de lance de l’emploi, ont en revanche très peu reçu hormis quelques allégements fiscaux et l’offre de mesures pour stimuler l’innovation et les exportations. On vient de voir les résultats très limités de ces mesures. Comme l’a constaté Pierre Fortin, les faillites se sont multipliées dans les deux premières années du mandat sans que le gouvernement réagisse ; selon cet expert, si c’est un peu mieux maintenant, c’est surtout grâce à la vigueur des économies canadienne et américaine (Radio-Canada info, 16 août 2018). En fait, depuis dix ans, les libéraux ont été incapables de relancer la production manufacturière au Québec.
La Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation. Le gouvernement Couillard n’a pas donné suite à la Politique nationale sur la recherche et l’innovation élaborée par l’administration Marois. – Une de ses premières décisions a d’ailleurs été de supprimer le programme de soutien aux « gazelles », qui était pourtant en coïncidence avec les recommandations de l’OCDE. – Une autre des premières décisions a été de mettre fin aux crédits d’impôts pour les entreprises y compris dans les niches où le Québec performe : jeu vidéo, effets spéciaux, technologies de la santé et aérospatiale. – Si bien qu’entre 2014 et 2017, des compagnies ont hésité à investir parce qu’elles ne pouvaient compter sur aucun engagement financier à long terme de la part du gouvernement : « le milieu pilote à l’aveugle », a déclaré le président de l’ACFAS, Frédéric Bouchard. – Puis, en mai 2017, après trois années perdues, on a eu droit à la nouvelle Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation. Des engagements, oui, mais comme l’a souligné Yannick Villedieu, il y a là très peu d’argent frais, en fait, le gouvernement va simplement réinvestir après les coupures des trois premières années du mandat (Radio-Canada info, science, 19 mai 2017). « Innovation « peu efficace » : ce sont les mots du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal pour qualifier cette politique, qui n’aide que les grandes entreprises alors que l’économie québécoise tourne grâce aux PME.
La Stratégie numérique du Québec. – Les coupes dans les crédits d’impôt et le soutien public ont fait en sorte que la stratégie numérique conçue par le bref gouvernement Marois a été sciée à la base. Cela a laissé le temps au gouvernement fédéral d’élaborer la sienne. – Puis le gouvernement a préféré offrir son aide à des entreprises étrangères comme Cinesite et Ubisoft plutôt que d’encourager les entrepreneurs québécois. – C’est finalement en décembre 2017 seulement que la ministre Dominique Anglade a fait connaître la stratégie numérique du gouvernement Couillard. Et seulement en février 2018 qu’a été lancée la première action découlant de cette nouvelle stratégie, à savoir le Plan « Start Up » d’action en économie numérique. Il est donc trop tôt pour en évaluer les résultats. De nouveau, cependant, la grande préoccupation de ce gouvernement d’attirer des joueurs étrangers dans les accélérateurs et les incubateurs québécois, ce que facilitera la suppression de l’exigence de parler français, risque de nuire aux jeunes entreprises québécoises (2 août 2018).
La Politique énergétique. Elle a été adoptée sous le bâillon en décembre 2016, à cause de l’opposition suscitée par son volet sur le développement des hydrocarbures. Le volet consacré aux énergies renouvelables a obtenu consensus, quoique des organismes comme Équiterre et Greenpeace l’ont trouvé peu ambitieux. On peut toutefois se demander si le gouvernement exigera des entreprises qu’elles incorporent une certaine proportion de contenu québécois. Quant à Transition énergétique Québec, le nouvel organisme gouvernemental responsable des investissements, il a été critiqué par le professeur et expert Normand Mousseau pour l’annonce d’investissements dans la filière de l’hydrogène puisque ceux-ci ne contribueront en rien à développer une expertise ni des entreprises québécoises, mais serviront seulement à tester des véhicules de Toyota (31 juillet 2018).
La grappe industrielle en intelligence artificielle. Elle a été créée en 2017. Là encore, dans ce secteur qui réclame des investissements de centaines de millions $, le fédéral est évidemment le mieux placé pour orienter le développement de la filière du Québec en fonction des intérêts du Canada. La stratégie québécoise elle-même est d’ailleurs financée en partie par le fédéral (6 février 2017). L’action du gouvernement du Québec vise un peu les PME, mais elle privilégie les GAFAM, toutes des multinationales étrangères. Dans ce modèle, les PME québécoises sont de simples sous-traitants (16 juillet 2018).
Certains secteurs où le Québec s’illustre vivent des difficultés directement reliées aux décisions du gouvernement Couillard. – Les technologies de l’électricité. Après avoir consacré 1,5 milliard $ de fonds publics en recherche d’une technologie de stockage d’énergie, Hydro-Québec et le Québec ont dû accepter la décision du gouvernement Couillard de faire fabriquer la batterie pour autobus en France plutôt qu’ici (TVA nouvelles, 4 mars 2015). – L’industrie du médicament générique. Le gouvernement Couillard s’est avéré incapable d’empêcher le départ des derniers laboratoires pharmaceutiques. Les multinationales du médicament breveté n’étant plus là, ce sont les PME québécoises de médicaments génériques qui ont pris la relève depuis quelques années et maintenu l’expertise québécoise mondialement reconnue dans ce secteur. Mais le ministre Barrette, pour économiser quelques dollars, a prévu de procéder à un appel d’offres aux enchères à la baisse pour obtenir le plus bas prix pour des médicaments couverts par le Régime général d’assurance-médicaments, quitte à mettre en compétition inégale nos PME avec les géants asiatiques du médicament générique. De plus, si l’on s’en va vers un régime pancanadien d’assurance-médicaments financé surtout par le fédéral, comme le souhaitent les provinces anglophones (Radio-Canada info, 20 juillet 2018), il est à peu près certain que les fournisseurs québécois pâtiront. – L’aéronautique. Tout le secteur de la construction d’hélicoptères civils est en difficulté partout au monde. Mehran Ebrahimi, spécialiste du management du secteur de l’aéronautique à l’UQAM, explique que ce qui manque ici, c’est une stratégie concertée entre le gouvernement et les entreprises pour repositionner le Québec comme joueur incontournable dans au moins un ou quelques sous-secteurs de l’industrie (Journal de Montréal, 11 février 2016). Bombardier n’a pas cessé d’annoncer des pertes d’emplois. En n’ayant jamais voulu aider Bombardier pour la peine, Ottawa fragilisé toute les PME québécoises actives dans ce secteur. Et maintenant, il investit dans la grosse CAE et le gouvernement Couillard se tient dans son ombre (9 août 2018). Un autre exemple de la gestion déficiente de ce gouvernement concerne l’entreprise Aveos. Alors que le gouvernement du Québec avait gagné en Cour d’appel contre Air Canada dans l’affaire de la fermeture de ce sous-traitant, il a refusé d’exploiter sa victoire en continuant le combat jusqu’à la Cour suprême et a préféré laisser tomber les 1800 employés contre une promesse d’Air Canada d’acheter des CSeries…
L’absence de vision à long terme pour les secteurs agricole et agroalimentaire
L’amoindrissement du soutien au secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Rappelons que ce secteur concerne directement ou indirectement 200 000 emplois. – Selon l’OCDE, en 2013, le Québec accordait un soutien de 21 % à son secteur agricole (Union européenne = 18,2 % ; Norvège = 52,9 %). Mais ce soutien était alors de 11,6 % seulement au Canada. Dès l’automne 2014, le gouvernement Couillard a donc laissé entendre qu’il verrait à mieux enligner le Québec sur la moyenne canadienne. – Et en effet, les mécanismes de stabilisation des revenus ont été amoindris. – Le soutien à la recherche et développement est beaucoup plus bas que de la moyenne dans les pays de l’OCDE. – Les menaces qui pèsent sur toutes les PME de l’agriculture et de l’agroalimentaire ont augmenté depuis la signature de AECG entre le Canada et l’Union européenne et celle du Partenariat Trans-Pacifique sans que le gouvernement Couillard prenne des mesures efficaces. – Alors que les agriculteurs sont écrasés par les taxes foncières, le gouvernement a tenté en 2016 une réforme de la fiscalité agricole qui aurait encore alourdi le fardeau fiscal. Unanimement décriée, y compris par la Fédération québécoise des municipalités, la réforme a dû être annulée. Mais depuis, rien n’a été fait pour soulager les agriculteurs. En juin 2018, le ministre Laurent Lessard a même refusé de les rencontrer (Radio-Canada info, 19 juin 2018). – Le milieu a attendu jusqu’en avril 2018 une Politique agroalimentaire. Celle-ci veut stimuler l’agriculture biologique et l’achat de produits locaux par les Québécois. Elle a été accueillie par des « réactions partagées » : bonnes intentions, mais financement insuffisant et rien pour assurer la relève agricole (Radio-Canada, Bas-Saint-Laurent, 7 avril 2018). – De plus, nos terres agricoles sont vendues à des promoteurs d’autres provinces, qui veulent bénéficier de nos bas tarifs d’électricité (16 sept. 2017)
La financiarisation de l’agriculture. – Depuis 2015, le gouvernement Couillard a laissé des sociétés d’investissements ontariennes acheter des milliers d’hectares de terres agricoles partout au Québec. – Il a accepté aussi bien sûr que Pangea, compagnie d’investissement de Charles Sirois dans laquelle la Caisse de dépôt et placement et le Fonds de solidarité sont engagés, fasse de même. L’objectif de Pangea est de devenir à terme le plus important propriétaire agricole du Québec, la compagnie est très active dans l’acquisition de terres. Le gouvernement a pourtant refusé de donner à l’État québécois les moyens de rendre ces transactions plus difficiles lorsqu’elles n’impliquent pas seulement des producteurs agricoles. La financiarisation de l’agriculture empêche la compromet le modèle agricole québécois fondé sur la ferme familiale et transforme les jeunes agriculteurs en employés à vie, ne possédant ni la terre ni leurs outils. Tout ce que le ministre Lessard a fait, c’est de commander une étude en 2017. Dévoilée en avril 2018, la principale recommandation de cette étude est qu’il faut en faire une autre (27 avril 2018). – Un autre modèle de transformation de l’agriculture existe, celui de l’UPA-Fondaction CSN : dans celui-ci, les jeunes agriculteurs ne deviendront pas des employés à vie, mais des fermiers. Les fermiers possèdent leur outillage, mais pas la terre. Voilà le sort qui attend la relève en agriculture : ils ne posséderont plus la terre.
Le prix de l’absence aux tables de négociations des accords internationaux
Gestion de l’offre. La gestion de l’offre a été érodée dans l’Accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne et dans le Partenariat Trans-Pacifique. Alors que les négociations pour le renouvellement et la « modernisation » de l’ALÉNA s’éternisent, et qu’il apparaît de plus en plus clair que les États-Unis lorgnent du côté de l’industrie automobile, concentrée en Ontario, consentir à élargir les trouées dans la gestion de l’offre du lait, des œufs et de la volaille est de plus en plus tentant pour le fédéral. Ottawa s’est montré en juin 2018 beaucoup moins catégorique dans sa défense de la gestion de l’offre. Le gouvernement Couillard lève un peu le ton (12 juin et 14 août 2018), c’est tout ce qu’il peut faire. Citons ici l’éditorialiste Jean-Robert Sansfaçon : « Après avoir subi la concentration de l’industrie de l’automobile en Ontario et les attaques répétées contre Bombardier, après avoir vu les dizaines de milliards en dépenses militaires lui échapper, le Québec doit plus que jamais se tenir debout devant la menace d’une entente sacrifiant son agriculture, sa forêt, son papier, son aluminium, et quoi d’autre encore, en échange d’un deuxième sauvetage in extremis de l’industrie de l’automobile ontarienne. » (Le Devoir, 2 août 2018).
Bois d’œuvre. Malgré les tarifs imposés par l’administration américaine, le marché du bois d’œuvre est tellement vigoureux aux États-Unis que nos entreprises, finalement, n’ont pas trop souffert. Il reste que dans les négociations, le gouvernement Trudeau s’est montré bien plus soucieux des intérêts de l’industrie du bois d’œuvre de la Colombie-Britannique que de ceux de la nôtre.
A parte : la Caisse de dépôt et placement agit-elle encore en fonction de l’intérêt des Québécois ?
Réparties un peu partout dans ce bilan, on a vu que la Caisse prend souvent des décisions qui semblent contre l’intérêt des Québécois. Je n’y reviens pas ici. La recherche du rendement à tout prix compromet sa mission de soutenir l’économie québécoise. Et c’est sans compter que la spéculation nécessaire pour obtenir de hauts rendements met l’argent de nos régimes de retraite en péril.
Ses investissements à l’étranger sont sans commune mesure avec ceux pour soutenir les PME en région. Dans son rapport annuel de 2017 (p.10), on voit que le portefeuille de la Caisse n’est plus qu’à 42 % « canadien », sans même qu’il soit possible de savoir la part québécoise de cette portion. Il était canadien à 59 % en 2011. Son actif net au Québec correspond à seulement 20,5 % du total (63,4 milliards $ sur 298,5). Au Québec même, la Caisse concentre de plus en plus ses investissements à Montréal et la région métropolitaine au détriment des autres régions.
En fait, on s’aperçoit que la Caisse a décidé de renforcer l’inscription de l’économie québécoise dans l’économie canadienne et même d’épauler les grands choix d’Ottawa. Michel Sabia fait d’ailleurs partie du Conseil consultatif en matière de croissance économique mis sur pied par le ministre fédéral des Finances Bill Morneau. – Hydrocarbures. Au 31 décembre 2017, le deuxième plus grand investissement de la Caisse dans les entreprises cotées en bourse était celui dans Enbridge (Journal de Montréal, 11 mars 2018), qui veut faire passer le pétrole sale albertain à travers le Québec. Selon le mouvement Sortons la Caisse du carbone, entre 2014 et 2016 la participation de la Caisse dans TransCanada est passée de 218 à 1 028 millions $. Le portefeuille comprend aussi des participations dans Kinder Morgan (2 mai 2018). Les appels au désinvestissement dans les énergies fossiles (y compris le charbon, dans lequel la Caisse est bien présente aussi) se sont multipliés ces dernières années auprès des grands fonds mondiaux. Les Québécois aussi l’exigent. La Caisse a donc été contrainte de s’y intéresser et a dit en 2017 avoir amorcé le début d’un virage vers les investissements sobres en carbone (28 avril 2018). – Entreprises canadiennes. Les quatre autres principaux investissements de la Caisse dans des entreprises cotées en bourse sont trois banques canadiennes (aucune banque québécoise) et le Canadien National. – Infrastructures. Le gouvernement fédéral souhaite que les grands investisseurs institutionnels canadiens contribuent au déploiement de la Banque des infrastructures du Canada. Cette Banque vise à attirer du capital privé pour construire à profit les nouvelles grandes infrastructures publiques et pour privatiser celles qui existent. Elle a été construite sur le modèle de la structure choisie par la Caisse pour le REM. Le premier ministre Trudeau a choisi Toronto comme siège social de la BIC, ce qui déclasse définitivement Montréal comme place financière. Le journaliste économique Michel Girard a suggéré que la Caisse de dépôt et placement ainsi que les autres grands investisseurs québécois boycottent la BIC et se regroupent plutôt pour créer une Banque des infrastructures du Québec (Journal de Montréal, 13 mai 2017). Mais Michael Sabia s’est au contraire montré intéressé à la collaboration BIC-CDP, et rappelons que trois des membres du conseil d’administration de la BIC proviennent du Québec dont deux ont été de très hauts gestionnaires de la Caisse, Michèle Colpron et Bruno Guillemette (La Presse +, 24 mai 2018).
Réseau express métropolitain. Il s’agit d’un projet de construction de 6,3 milliards $ fournis par l’ensemble des Québécois, mais qui est essentiellement à l’avantage des résidents du West Island. Sauf de ceux-ci, les critiques fusent de partout depuis l’annonce du projet. – Dès le début, on a fait remarquer que le REM risque de nuire aux déplacements par train entre Québec et Montréal et de marginaliser encore davantage l’est du Québec. – On a noté qu’il ne réduira pas le temps de déplacement des résidents de la Rive-Sud. – On a émis des doutes sur son potentiel structurant pour la grande région de Montréal. – Le BAPE n’ailleurs a refusé d’émettre un avis favorable, tant sur le plan de l’environnement que sur celui de la rentabilité, mais Philippe Couillard n’en a eu cure. – L’Institut de recherche socioéconomique a fait remarquer en mars 2017 que la Caisse a créé une filiale privée (CPDQ-infra) pour ce projet, et donc que le REM pourrait être vendu dans quelques années à des intérêts privés, éventuellement non québécois, ce que Michael Sabia a confirmé tout en niant que ce soit l’intention de la Caisse (24 avril 2018). Le gouvernement n’a pris aucune disposition législative pour empêcher ce scénario (6 avril 2018). – En revanche, il a fait adopter la loi 137 pour priver les expropriés du REM de leur droit de contester. – Les wagons seront construits non par Bombardier au Québec, mais par Alstom en Inde. – La Caisse s’est fait céder de vastes zones de monopole pour le REM dans les banlieues des rives nord et sud, quitte à ce que soient compromis d’autres services de transport en commun. Elle a aussi contraint les municipalités à lui céder pour 99 ans de grands territoires de rabattage où les autobus devront conduire les voyageurs vers les gares du REM. Évidemment les banlieues s’y opposent, comme elles s’inquiètent de l’explosion prévue des tarifs pour les usagers, qui couvriront malgré tout seulement le tiers des coûts d’exploitation (24 et 26 mars 2018). – La Caisse facturera le reste à l’Autorité régionale de transport métropolitain, qui elle-même refilera 15 % de cette facture aux municipalités concernées et 85 % au gouvernement. Tous les Québécois seront de nouveau conviés à payer le REM, cette fois pour l’exploitation : on parle de peut-être 11 milliards $ sur 20 ans (17 avril 2018). – Le gouvernement a émis des obligations vertes, qui ont eu un grand succès auprès des investisseurs étrangers (29 juin 2018). Mais « le REM pourrait être neuf fois plus polluant que prévu » (26 juin 2018). – Enfin, pour assurer leur emploi aux travailleurs de l’usine de La Pocatière à qui a échappé le contrat de construction des wagons, le premier ministre Couillard a dû avancer de 40 ans le remplacement des wagons du métro de Montréal ; en accordant le contrat sans appel d’offre, l’État québécois est ainsi exposé à des poursuites des concurrents internationaux de Bombardier (15 et 18 avril 2018). Et dire que la Caisse a été mise sur pied pour le développement du Québec.
Les attaques contre la nation et la cohésion nationale
La lâcheté dans la défense des droits fondamentaux du peuple québécois
En 1999, sous un gouvernement du Parti québécois, l’Assemblée nationale avait adopté la loi 99 sans l’appui de l’opposition libérale. Cette loi réaffirmait les droits fondamentaux du peuple québécois. Presque aussitôt elle fut contestée par l’ancien chef du Parti égalité, Keith Henderson, soutenu par le gouvernement fédéral. L’affaire a trainé de nombreuses années. En 2016, le gouvernement Couillard a donné au Procureur général du Québec le mandat de défendre la loi le plus mollement possible devant la Cour supérieure, quitte à faire passer celle-ci pour une simple « affirmation solennelle » (sept. 2016). Puis, en septembre 2017, le premier ministre a dit qu’il était très dangereux de défendre le droit des peuples à l’autodétermination et il a brandi de nouveau l’épouvantail de la partition : en cas d’indépendance, les autochtones, a-t-il faussement déclaré, pourraient réclamer « au moins la moitié du territoire du Québec » ! Mais en avril 2018, la Cour a confirmé la validité de la loi 99 (21 avril 2018)1.
L’indifférence à protéger cette institution fondamentale qu’est le Code civil
Déjà avant l’arrivée de l’administration Couillard aux commandes, le juriste Georges Lebel, parmi d’autres, avait attiré l’attention sur les blessures du Code civil, qui perd de sa cohérence et de sa capacité d’encadrement (Le Devoir, 26 avril 2013). L’harmonisation entre Code civil et common law se fait à sens unique et devinez lequel ? Et dans cette affaire, le gouvernement du Québec, quel qu’il soit, n’est pas le premier responsable.
Il reste que le gouvernement Couillard s’est montré particulièrement inactif sur un des aspects du Code civil qu’est le droit de la famille.
Après l’affaire Lola contre Éric, dans laquelle la Cour suprême a statué en 2013 que le Code civil est discriminatoire parce qu’il ne protège pas les conjoints de fait de la même manière que la common law, le Conseil consultatif sur le droit de la famille, présidé par Alain Roy, a produit en 2015 un rapport proposant des mesures pour moderniser le droit de la famille. La ministre Stéphanie Vallée s’est alors montrée intéressée à procéder à une réforme globale, mais le premier ministre Couillard l’en a empêchée. Il a préféré qu’à la faveur d’autres affaires, notamment celles reliées au tourisme procréatif et aux mères porteuses, le droit de la famille continue d’être modifié par les tribunaux à la pièce, sans vision d’ensemble, quitte à le rendre incohérent, souvent injuste et à l’enligner sur la common law. Par ailleurs, les contrats de mères porteuses, non reconnus en vertu du Code civil, seront peut-être prochainement réglementés par Ottawa. Le premier ministre Trudeau s’y est montré ouvert. Ottawa s’ingèrerait alors dans un domaine qui relève clairement de la spécificité du Québec la plus constitutionnellement reconnue : son Code civil (5 avril et 30 mai 2018).
Une autre affaire, en 2016, a fait gravement fait reculer l’État québécois et le Code civil, cette fois sous la pression d’un baptiste intégriste et du premier ministre. Dans un premier temps, la Cour supérieure et la ministre Stéphanie Vallée ont maintenu que c’est l’enregistrement civil qui compte pour établir le mariage aux yeux de l’État, l’union religieuse ne suffit pas. Monsieur en a appelé et cette fois le premier ministre Couillard a contraint sa ministre à plaider qu’un mariage religieux sans enregistrement civil doit quand même être reconnu civilement. C’était inviter la Cour d’appel à invalider le Code civil au nom de la prééminence de la liberté de religion, ce qu’elle a fait. Pour valider un mariage, l’État ne peut plus imposer ses propres conditions, il est soumis aux conditions religieuses de validité.
Le combat sans merci contre un Québec français
Selon Statistique Canada, la proportion de la population de langue maternelle française ne sera plus que de 70 % au Québec, en 2036. Et celle de première langue officielle parlée ne sera plus que de 82 % contre 85,4 % actuellement. Les couronnes de Montréal, en particulier, seront largement anglophones. Et pourtant :
Le refus du français comme seule langue officielle. – C’est la ministre Kathleen Weil, une ancienne militante de haut rang d’Alliance Québec, qui a été choisie comme ministre responsable de la Charte de la langue française ; elle a prêté serment dans les deux langues et est restée à ce poste jusque tard en 2017. – Malgré la réprobation générale, le premier ministre Philippe Couillard n’a jamais vu de problème à s’exprimer uniquement en anglais lorsqu’il représente le Québec à l’étranger. – Une de ses premières décisions fut de mettre la hache dans le budget des organismes de l’État responsables de l’application de la Loi 101. – Non seulement a-t-il accepté qu’Ottawa finance la bilinguisation des services de santé au Québec jusqu’à Havre-Saint-Pierre, il a systématiquement autorisé et encouragé la bilinguisation de l’État québécois et celle de l’administration publique. – Et quand l’Assemblée nationale a adopté une motion non contraignante (et non applicable) pour encourager les commerçants à accueillir leurs clients par un simple « bonjour », plutôt que par « bonjour-hi », la ministre Kathleen Weill s’est franchement irritée.
La mollesse sur la question de la langue d’affichage. En 2014, la Cour supérieure a donné raison à huit grands détaillants qui voulaient afficher leur raison sociale en anglais seulement. Le premier ministre Couillard fut alors tout heureux de rappeler que les marques de commerce sont une compétence fédérale. Il a refusé de modifier la loi 101 dans les étroites limites qui sont encore les siennes afin, a-t-il dit, de préserver la « paix linguistique ». Désormais, les Québécois devront se contenter de voir le français occuper une « place suffisante » quelque part à côté de la marque de commerce unilingue anglaise, et sans précision sur la taille des caractères en français.
Le laisser-faire en matière de langue de travail. – Rien n’a été tenté pour que les entreprises sous juridiction fédérale soient assujetties aux dispositions de la loi 101. – CHUM, Davie, échangeur Turcot : l’Office de la langue française n’a pas les moyens de faire respecter le français comme langue de travail dans les grands chantiers (29 avril 2018). – Désormais deux Québécois sur trois doivent utiliser au moins un peu d’anglais au travail. Philippe Couillard n’y voit rien d’inquiétant. – Il n’y a eu aucune volonté d’étendre la loi 101 aux petites entreprises alors que c’est là surtout que les immigrants trouvent de l’emploi. – Les programmes de francisation en milieu de travail ont écopé encore davantage que les autres programmes de francisation, car la ministre Weil a volontiers cédé aux réclamations des organismes patronaux. – Le gouvernement n’a jamais exigé qu’en contrepartie de l’aide publique reçue pour soutenir leur expansion à l’étranger, les entreprises se dotent d’une politique favorisant l’embauche de cadres parlant français.
La langue à la garderie, à l’école, dans les cégeps et à McGill. – Depuis qu’il est au pouvoir, le gouvernement libéral a encouragé la création de milliers de places dans les garderies privées au détriment des CPE alors que les études confirmaient déjà en 2009 que dans 60 % des garderies privées et 75 % des garderies familiales le français n’était pas utilisé de manière prépondérante. – Il a mis fin au moratoire sur l’enseignement intensif de l’anglais en 6e année dès 2014. – La ministre Hélène David a souhaité accroitre les échanges entre écoles francophones et écoles anglophones non pour que les petits anglophones apprennent le français, mais pour que les petits Québécois des régions apprennent l’anglais plus tôt. – Le ministre Sébastien Proulx ne s’est donné aucun moyen de s’assurer que la loi 101 soit respectée dans les écoles à la maison. – Il n’y a eu aucune stratégie pour améliorer la qualité de l’enseignement du français, langue maternelle. – Le gouvernement pas étendu la loi 101 au cégep : chaque année, a rappelé Michel David, environ 4000 jeunes passent du secondaire français au collégial anglais, soit l’équivalent de la création d’un gros cégep anglophone (23 juin 2017). Le gouvernement encourage la création de diplômes d’études collégiales bilingues (21 juin 2018). – L’Université McGill dispense une bonne partie du programme de médecine en anglais en Outaouais, alors que l’État a le pouvoir d’exiger que l’enseignement s’y donne en français ou de mandater une université.
La francisation des immigrants. Depuis 2014, les programmes de francisation des immigrants, insuffisants déjà auparavant, ont été charcutés sévèrement, tout comme le budget alloué par le MELS à la Commission scolaire de Montréal pour la francisation des enfants immigrants. En 2017, à peine 42 % des immigrants parlaient le français à leur arrivée et 60 % d’entre eux refusaient de suivre les cours de francisation ; pour les autres, les taux d’échecs sont accablants. Mais le ministère n’évalue pas ses programmes, ni ne vérifie le travail des organismes communautaires à qui il sous-traite ses responsabilités. – Le gouvernement a abaissé le niveau de connaissance du français pour les candidats immigrants désireux de devenir membres d’un ordre professionnel. – Les universités McGill et Concordia ont obtenu que les nouveaux professeurs étrangers puissent obtenir la résidence permanente même si, après 3 ans, ils ne répondent pas aux exigences de connaissance du français, qui, comme chacun sait, sont pourtant minimales. – Le gouvernement a décidé de laisser tomber toute exigence de connaissance du français pour les entrepreneurs étrangers admissibles au programme « visa start up » (2 août 2018). – Par ailleurs, la régionalisation de l’immigration, qui pourrait favoriser la francisation, est un véritable échec (27 mai 2018). Dans ce contexte de laisser-aller, comment ne pas être inquiets devant l’obsession libérale de hausser constamment les seuils d’immigration en utilisant le prétexte du manque de main-d’œuvre. On ne peut malheureusement pas s’empêcher de penser que l’immigration est délibérément instrumentalisée contre la majorité francophone.
La volonté de couper la nation de ses racines et l’ouverture toute large au fédéral dans la culture
Pendant la campagne électorale de 2014, Philippe Couillard avait averti que les investissements d’un gouvernement libéral en culture dépendraient de l’état des finances publiques. Immédiatement après son arrivée, il s’en est pris à l’histoire, à la mémoire et au patrimoine, ainsi qu’à la culture en train de se faire.
– Amputation de centaines de milliers de dollars depuis 2015 dans le budget de la Fête nationale. – Abolition instantanée en 2014 du programme de chaires sur l’identité québécoise annoncé par le précédent gouvernement. Annulation immédiate du cours obligatoire d’histoire nationale qui devait enfin faire partie du cursus collégial. – Nombreux reports pendant trois ans du nouveau programme d’histoire au secondaire, notamment parce que le ministre Proulx était désireux de le modifier « pour satisfaire entre autres la communauté anglophone ». – Il a fallu les interventions du président français François Hollande, de l’ancien ministre fédéral Stéphane Dion et de sa propre mère pour que le premier ministre Philippe Couillard accepte finalement d’appuyer la motion de l’Assemblée nationale qui exigeait d’Ottawa de conserver le nom de Champlain au nouveau pont fédéral. – Toujours pas de politique de commémoration au Québec malgré la mobilisation du milieu.
Nos institutions culturelles ont été affamées. – Coupes dans les budgets des quatre musées d’État. Par manque d’argent, a été sévèrement restreinte la consultation des archives et collections des musées intégrés au Musée de la civilisation, dont certains fonds sont inscrits par l’UNESCO au registre Mémoire du Monde. – Certains musées privés ont dû fermer par manque de soutien public, emportant avec eux des pans entiers de notre histoire : le Centre historique des Sœurs de Sainte-Anne à Lachine, le Musée Bon-Pasteur à Québec, et le Centre Élisabeth-Bergeron à Saint-Hyacinthe. Ce ne sont que quelques exemples. – La cinémathèque québécoise n’a dû sa survie comme institution autonome qu’à la forte mobilisation du milieu. – Bibliothèque et Archives nationales du Québec a été asphyxiée littéralement jusqu’au printemps 2018. Au point que cette institution n’a plus les moyens de soutenir les centres d’archives agréés en région, dont plusieurs vont disparaître (5 avril 2018)
Le gouvernement s’est aussi complètement désintéressé du sort des édifices patrimoniaux : Hôtel-Dieu de Montréal, bâtiments du XIXe siècle à Percé, abbaye d’Oka, studio Ernest-Cormier, Village des Tanneries, église patrimoniale de Pierreville, maisons centenaires de Tadoussac, phares historiques délaissés par Ottawa sans que Québec les reprenne, magnifique édifice des Sourdes-Muettes à Montréal. Il a fallu un tollé pour que la ministre Hélène David renonce à vendre l’édifice Saint-Sulpice, ancien siège de la Bibliothèque nationale. La petite chapelle des Indiens à Tadoussac, qui est la plus vieille église de bois d’Amérique du Nord, a failli être démolie. L’église de Saint-Eustache, haut lieu des Rébellions de 1837, risque de fermer sans que le gouvernement s’en préoccupe (10 avril 2018). La maison natale de Jacques Ferron est à vendre à Louiseville (28 mai 2018). Les protecteurs bénévoles de celle de Gilles Vigneault à Natashquan viennent seulement de trouver enfin le financement pour la rénover (Journal de Québec, 28 juin 2018). Pour un Saint-Jérôme sauvé (printemps 2018), combien d’œuvres d’art et de bâtiments patrimoniaux abandonnés ?
« À Cap-Rouge, le berceau de l’Amérique française dépérit » (Radio-Canada info, 20 juillet 2018). Depuis 10 ans, soit depuis la fin des festivités entourant le 400e anniversaire de la fondation de Québec, le gouvernement a abandonné le site, qui pourrit à l’air et que les marmottes rongent.
Le patrimoine vivant a été très affecté par les compressions drastiques dans le budget du Fonds du patrimoine culturel et les autres budgets pour la culture. Le compositeur Bruno Laplante, par exemple, ne bénéficie d’aucun soutien du ministère de la Culture pour faire connaître les partitions des compositeurs québécois (23 juin 2018).
Depuis l’arrivée des libéraux à Ottawa, le fédéral finance abondamment la culture tandis qu’à Québec on a continué de couper, ce qui a eu des impacts directs sur les revues d’art, les entreprises artistiques, et évidemment les artistes eux-mêmes (3 avril 2018). Tout ce beau monde pourra donc désormais se tourner avec gratitude vers le fédéral. C’est d’ailleurs ce que compte faire Martin Roy, PDG du Regroupement des événements majeurs internationaux (RÉMI), qui demande depuis 2016 la mise sur pied d’un fonds ou d’un programme fédéral de financement dédié aux grands événements et festivals (1er juin 2018). Les milieux culturels se tournent vers Ottawa aussi pour sauver le Vieux-Palais de justice de Montréal, pour financer la présentation d’art contemporain dans les musées, etc. etc. Le gouvernement fédéral consacre 35 % de son budget de la culture au Québec, pour 23 % de la population (Michel David, 8 oct. 2017), envahissant ainsi lourdement une compétence québécoise exclusive et orientant le développement culturel du Québec.
Finalement, après des années de compressions et d’attente, le ministre Luc Fortin a présenté la nouvelle politique culturelle à la fin de 2017. Globalement, elle a été bien accueillie. Malgré tout, les sommes accordées à la culture sont restées très imprécises (1er mai 2018). Des personnalités comme Dinu Bumbaru, Carole Deniger et Phyllis Lambert en ont déploré par ailleurs plusieurs « incohérences » (24 juin 2018). Et l’éditorialiste du Devoir, Bryan Miles, a fait remarquer que le gouvernement Couillard a abandonné toutes les revendications historiques du Québec quant au respect de sa compétence exclusive en culture (18 juin 2018).
La compromission de l’avenir : le démembrement des CPE et la baisse de la fécondité
Le gouvernement Couillard a choisi de privilégier les garderies commerciales, dont certaines entreprises de grande taille qui en exploitent plusieurs, et ce malgré la mauvaise qualité de 90 % d’entre elles et les nombreux cas de négligence, auxquels le ministre Luc Fortin reste indifférent (6 juin 2018). Les libéraux ont choisi ce modèle pour plusieurs raisons : persister dans la destruction entreprise sous le gouvernement Charest du réseau des CPE, qui fut certainement la réalisation la plus marquante de Pauline Marois ; fidéliser certaines clientèles électorales ; et parce que cela ne lui coûte pas trop cher électoralement vu que le fédéral consent des crédits d’impôt pour frais de garde (une fois de plus Ottawa préfère transférer l’argent directement aux parents plutôt que de remettre au Québec la capacité fiscale de maintenir les CPE). C’est ainsi que les garderies commerciales ont connu une expansion de plus de 1000 % depuis 2009. Or, les études ont montré que la meilleure mesure de soutien aux familles et de loin la plus efficace est d’offrir à tous les parents des services de garde accessibles et de qualité comme ceux des CPE.
C’est donc aux décisions libérales qu’on doit imputer la baisse de la fécondité. L’indice synthétique de fécondité était de 1,6 en 1996 avant la création des CPE, de 1,73 en 2008, et il est redescendu à 1,59 en 2016 (Sophie Mathieu, 4 décembre 2017). On est donc bien loin du 2,1 nécessaire au remplacement des générations. À noter aussi que les congés parentaux n’ont pas été bonifiés depuis 2006 et que les parents qui n’avaient pas un emploi au moment de la naissance de l’enfant n’y sont pas toujours pas éligibles.
Le Québec comptait 23,1 % de la population canadienne en 2014, contre 22,8 % en 2018.
La compromission de l’avenir : le sacrifice de l’éducation publique et les compressions dans l’enseignement supérieur
Je n’entre pas ici dans le détail des compressions effectuées dans l’éducation publique. – Celles-ci ont touché tous les niveaux, de la prématernelle à l’université. – Et tous les secteurs : les services de garde scolaire, l’aide aux devoirs et au soutien alimentaire, les programmes pour les élèves en difficulté, le programme « Chapeau les filles » pour intéresser les filles aux sciences, le soutien aux élèves issus de l’immigration, les programmes d’alphabétisation, les écoles à vocation particulière, le transport scolaire, les achats des bibliothèques, l’enseignement général, l’enseignement professionnel, l’enseignement aux adultes, les conservatoires de musique, etc. – Même la Fondation Chagnon s’est indignée, en 2016, que le gouvernement se retire du soutien à la persévérance scolaire, un problème qui, encore en 2018, est considéré comme alarmant (5 mars). – Et même le Conseil du patronat lui a reproché, à l’hiver 2018, de ne pas encourager la création de programmes de formation initiale et continue, du secondaire à l’université, dans les domaines particulièrement vulnérables à la transition énergétique comme les transports, la construction, ainsi que la transformation et la distribution d’énergie (16 janv. 2018). – La promotion automatique pour sauver des sous fait en sorte que bien des élèves faibles ne maîtrisent même plus les contenus de base (6 juin 2018). – L’encadrement des enfants qui font l’école à la maison est très déficient. – Les compressions ont touché aussi les bâtiments et les équipements scolaires : souvenons-nous des moisissures dans de nombreuses écoles de la CSDM et de cette école de Gatineau qui, en 2016, a fait vendre du chocolat à ses élèves pour acheter des pupitres et des chaises. Et notons une des solutions retenues : le projet Lab-École, une initiative d’hommes d’affaires plutôt que d’éducateurs – Dans les deux dernières années, les investissements ont augmenté en éducation, mais jamais pour compenser les ravages des compressions du début du mandat.
Je me contente donc de souligner certains traits qui me paraissent structuraux :
– L’implantation insuffisante de la maternelle 4 ans, elle-même solution insatisfaisante au démembrement des CPE et au peu de valeur des garderies privées non régies. Les annonces en ce sens datent du 4 juin 2018 seulement. Les experts critiquent ce programme, et notamment le fait qu’il est limité à certains milieux défavorisés.
– Le manque de volonté politique de contrer le décrochage scolaire. La Politique de la réussite éducative date de 2017 seulement.
– L’acharnement contre la Commission scolaire de Montréal. Le ministère a menacé plusieurs fois de la démembrer. Il a menacé de la mettre en tutelle. Il ne l’a pas fait, mais il l’a littéralement affamée. Il a tout fait pour rendre moins attrayantes les écoles publiques francophones de Montréal. Et rien pour régler le problème de surpopulation dans certaines d’entre elles. À force de se traîner les pieds, le gouvernement du Québec a par exemple ruiné les espoirs placés par la CSDM dans le projet d’une école intégrée à un ensemble immobilier dans le quartier Peter-McGill (1er et 2 mars 2018).
– L’abandon des milieux ruraux. Des centaines d’écoles de village ont fermé ou vivent sous une épée de Damoclès.
– Alors que le gouvernement libéral souhaite augmenter les seuils d’immigration soi-disant pour contrer la pénurie de main-d’œuvre, le ministre a annoncé en février 2018 qu’il n’investira pas davantage dans la formation professionnelle au secondaire.
– Le ministre François Blais a déclaré en 2015 que le Québec n’avait pas les moyens de diminuer les subventions aux écoles privées. Puis son remplaçant, Sébastien Proulx, a reconnu que notre système scolaire, partagé entre écoles ordinaires, écoles publiques à projets particuliers et écoles privées, est le plus inéquitable au pays, mais il a laissé entendre en entrevue au Devoir qu’il ne ferait rien pour y remédier (6 janv. 2018).
– La menace constante sur les cégeps. – En 2014, les jeunes libéraux avaient recommandé leur abolition. Le premier ministre s’est alors engagé à maintenir leur existence ; cependant, a-t-il précisé, les structures, les programmes seraient revus, et la réforme se ferait sans injection d’argent frais. – Le ministre Bolduc a accueilli favorablement le rapport Demers, qui proposait de renoncer au socle commun de cours de formation générale au collégial pour les remplacer plutôt par des cours au choix. – Les cégeps des régions éloignés sont contraints année après année de sacrifier des programmes par manque d’argent, ce qui encourage l’exode des jeunes et nuit aussi aux universités régionales. – Tant d’autres mesures encore ont été prises pour dévitaliser ce niveau d’enseignement et préparer la justification de son éventuelle abolition. – Au printemps 2018, le ministère a mis la hache dans le programme de sciences (3 avril). Plusieurs professeurs ont aussi mis en lumière que la réforme en cours risque d’accentuer les disparités entre les mêmes programmes d’un cégep à l’autre, détruisant ainsi l’idée d’un DEC unifié (30 mai 2018).
– Le sous-financement des universités francophones, particulièrement celles du réseau de l’UQ, mais pas seulement. Il affecte les programmes, le soutien aux étudiants et bien sûr, la recherche. En janvier 2018, Lise Bissonnette a démissionné de son poste de présidente du conseil d’administration de l’UQAM en déplorant le sous-financement chronique dans lequel le gouvernement laisse cet établissement.
– Au lieu de réclamer la correction du déséquilibre fiscal, le gouvernement Couillard encourage l’entrée du fédéral dans cette compétence provinciale exclusive par excellence qu’est l’éducation. – Ottawa finance désormais en partie le programme québécois de prêts et bourses. L’autonomie de celui-ci est donc compromise et le gouvernement fédéral gagnera de la visibilité auprès des jeunes. – Par son programme d’infrastructures, le fédéral investit dans la rénovation et l’agrandissement du parc immobilier des cégeps et des universités. Évidemment les écoles primaires et secondaires veulent elles aussi cet argent fédéral – Passant par-dessus la tête de Québec, Ottawa s’adresse directement aux enseignants, aux étudiants et aux élèves en multipliant la confection de trousses éducative, en histoire notamment, ainsi que les programmes d’échanges éducatifs.
La dépréciation constante des Québécois de langue française, présentés comme des racistes
Les Québécois sont habités par les « démons » de l’intolérance envers les immigrants, c’est le premier ministre Couillard qui l’a dit ! (16 nov. 2016). Le ministre des Finances, Carlos Leitao a renchéri : le PQ et la CAQ pratiquent un nationalisme ethnique ; les libéraux ont d’ailleurs refusé de se rallier à la motion affirmant « qu’aucune formation politique représentée à l’Assemblée nationale ne prône le nationalisme ethnique » (16 mars 2018).
La consultation sur le « racisme systémique » dont seraient victimes les immigrants qui s’installent au Québec visait à consolider l’emprise du PLQ sur les personnes issues de l’immigration. Mais les Québécois en ont assez de se faire injustement traiter de racistes. Après la débâcle libérale dans la partielle de Louis-Hébert, le premier ministre a été invité par ses troupes à effectuer un petit calcul électoral. En novembre 2017, il a donc changé l’objectif de sa consultation afin d’éviter le « débat toxique » qu’il avait lui-même cherché à provoquer.
Entretemps, le premier ministre n’a pas manqué d’accuser les partis d’opposition de nourrir « l’inquiétude » et les « préjugés » des Québécois à l’égard des milliers de migrants (plus de 18 000 en 2017) qui traversent « irrégulièrement » la frontière au chemin Roxham. On a tellement attaqué les Québécois pour avoir constaté qu’il est illégal de passer la frontière Canada-USA entre deux postes frontaliers tant qu’Ottawa tient à l’entente sur les tiers pays sûrs ! Le gouvernement Couillard a par ailleurs été tellement timide dans ses demandes au fédéral que Québec continue de payer en attendant encore et encore une contribution équitable et le plan de triage d’Ottawa (27 juillet 2018).
La délégitimation de la volonté des Québécois de baliser la place de la religion dans les institutions publiques
Cette question a constitué un des enjeux de la campagne de 2014 ; le PLQ a promis une loi sur la neutralité religieuse. Il apparaissait déjà clair à l’époque que le gouvernement fédéral et les politiciens fédéraux cherchent à imposer l’idée que toute charte de la laïcité au Québec, même adoptée par les élus, n’est légitime que si elle est validée par les tribunaux fédéraux. Dès lors, tout le débat a dévié. Plutôt que de discuter de ce que signifie la laïcité de l’État, et de voir que celle-ci exclut le financement par l’État d’institutions comme les écoles privées religieuses par exemple, la discussion, acrimonieuse, s’est réduite à la question du visage couvert ou découvert lors de la prestation de services publics. Nous avons attendu la loi pendant plus de trois ans. Entretemps, les groupes religieux ont continué d’avancer leurs pions.
Religion et école. – Ainsi, les écoles juives hassidiques légales, subventionnées à au moins 60 % comme toutes les écoles privées, continuent à ne se conformer aux exigences du ministère, de plus en plus basses d’ailleurs, que pour ce qui fait leur affaire : pas question pour elles d’enseigner les sciences ni le cours d’éthique et culture religieuse. Plusieurs autres écoles religieuses très peu intégrées continuent d’être subventionnées, et ce, même si certaines font de la propagande intégriste ou multiplient les infractions sans jamais être sanctionnées. – Quant aux écoles juives illégales, elles sont subventionnées elles aussi ! La loi 144, adoptée en novembre 2017, n’autorise même pas le ministère à les fermer ! – En 2015, la Cour suprême a donné raison à l’école secondaire anglophone privée catholique Loyola : elle pourra « enseigner le catholicisme d’un point de vue catholique, et les autres religions de façon objective et avec respect ». Les parents d’une école publique de Drummondville ont été déboutés, eux, exactement sur la même question. On doit donc conclure ceci : à l’école publique financée par les fonds publics, pas de perspective confessionnelle, la Cour l’interdit. Mais à l’école privée financée par les fonds publics, oui à la perspective confessionnelle. C’est absurde. Une seule solution : arrêter de consentir des fonds publics aux écoles privées.
Intégrisme. Le recul de l’État ne s’arrête pas là. Le premier ministre Couillard n’a pas voulu légiférer sur l’intégrisme, il a dit qu’il s’agit d’« un choix personnel ». Il a choisi de se concentrer sur la lutte contre la « radicalisation », et même seulement contre la « radicalisation violente ». Il a réduit la question à une affaire de sécurité publique, alors qu’il s’agit, pour une très grande majorité de Québécois, de mieux encadrer les accommodements raisonnables et la place de la religion dans l’espace public.
Le gouvernement ne défend pas sa propre loi. Et finalement, en 2017, on a eu une loi. Non pas sur la laïcité, et pas non plus sur la neutralité religieuse de l’État malgré son nom, mais une simple loi sur le visage découvert lors de la réception et la prestation de services publics. Une loi insuffisante, imprécise, à laquelle la Ville de Montréal et la Ville de Québec ont d’emblée voulu être soustraites, et qui a été aussitôt contestée avec succès devant les tribunaux. Dans son jugement libellé en anglais, le juge Babak Barin a ordonné que soit suspendue l’obligation de donner et de recevoir des services publics « à visage découvert ». Au lieu d’utiliser la clause « nonobstant », la ministre Stéphanie Vallée a choisi (ou peut-être s’est-elle fait dire de choisir ?) d’aller plus loin que le jugement : elle a reporté l’application de tous les articles qui portent sur les demandes d’accommodement. Le gouvernement n’en a pas appelé (11 août 2018). Bref, quatre ans plus tard, nous sommes toujours sans loi.
Et désormais, une étudiante en techniques policières veut étudier avec son voile pour devenir une policière voilée (printemps 2018). Philippe Couillard voit en elle « une pionnière ». Quant au nouveau règlement de la DGEQ, il n’oblige plus les candidats à découvrir leur tête sur sa photo officielle (mars 2018). Tombant dans le piège tendu par les ultralibéraux, qui réduisent la question de la laïcité aux relations entre l’État et les individus, des militants laïcistes s’offusquent, et veulent voir dans ces deux nouvelles affaires une autre atteinte à la neutralité religieuse de l’État.
Voilà ce qu’a réussi le torpillage Couillard depuis quatre ans : exacerber les récriminations entre individus. Une vraie loi sur la laïcité aurait porté sur le cadre des relations entre les institutions, à savoir l’État d’un côté et les organisations religieuses de l’autre ; elle aurait mis fin au financement public des écoles religieuses ou en tout cas elle l’aurait balisé fermement ; elle aurait réaffirmé les exigences de l’État pour reconnaître la validité des contrats religieux entre individus ; elle aurait contribué à purifier l’atmosphère et à renforcer la cohésion du Québec comme nation, pour tous ses citoyens.
Le traitement privilégié des anglophones
Commissions scolaires. – Le plan Bolduc, en 2014, prévoyait supprimer 40 % des commissions scolaires francophones et 22 % des commissions scolaires anglophones. Devant la férocité des anglophones, dont l’article 93 amendé de l’AANB protège absolument les commissions scolaires et les écoles, les libéraux ont changé de stratégie. En 2015, le plan Blais prévoyait rien d’autre que l’instauration de deux modes de gestion scolaire : un pour les francophones, et l’autre pour les anglophones ! Finalement, ce plan d’apartheid non plus ne s’est pas concrétisé. Le nombre de commissions scolaires est resté inchangé. – Par contre, les compressions budgétaires qui leur ont été imposées ont été accompagnées de l’abolition de la péréquation. En compensation, les commissions scolaires ont obtenu l’autorisation de hausser les taxes scolaires. On est donc revenu pendant un temps à la situation d’autrefois quand les commissions scolaires angloprotestantes, situées généralement dans des villes riches, disposaient de ressources considérables pour scolariser somme toute assez peu d’enfants, alors que c’était l’inverse chez les catholiques, en majorité francophones. – Puis le gouvernement a décidé de fixer un taux de taxation scolaire par région, fondé sur la valeur foncière. Au printemps 2018 a été adoptée à toute vapeur la loi 166, qui uniformise la taxe scolaire au taux le plus bas de chaque région. C’est l’État qui assume désormais la différence entre ce qui était perçu auparavant par les commissions scolaires et le montant révisé à la baisse. Sauf en Outaouais, cela revient à faire payer par tous les Québécois une partie encore plus grande du coût du maintien des commissions scolaires anglophones (27 mars 2018).
Commission scolaire English-Montreal. Le gouvernement Couillard ne fait rien pour que cette commission scolaire, dont plusieurs bâtiments sont sous-utilisés, en cède quelques-uns à la CSDM, dont tant d’écoles sont surpeuplées : tout ce que EMSB propose, c’est d’y accueillir les élèves francophones, augmentant ainsi le risque de leur anglicisation.
Enseignement professionnel. Dans l’affaire des réfugiés syriens en 2015-2016, le maire Coderre et la ministre Kathleen Weill se sont montrés ouverts à la demande des commissions scolaires anglophones de scolariser les enfants en anglais ; la ministre a été contrainte de reculer sur ce point. Mais elle a accueilli favorablement l’offre des commissions scolaires anglophones d’offrir aux personnes de 16 ans et plus de la formation professionnelle. C’est le feu vert donné à l’incorporation de ces réfugiés à la communauté anglophone, ce qui va évidemment à l’encontre de l’esprit de la loi 101 et du désir légitime des Québécois. – À peine quelques mois plus tard, l’UPAC a dû être saisie à propos d’irrégularités concernant le cheminement scolaire, la diplomation et le financement associés à certains de ces programmes de formation professionnelle dispensés par les commissions scolaires Lester-B.-Pearson et English-Montréal.
Enseignement supérieur. – Le mode de financement des cégeps favorise ceux où les jeunes étudient surtout à temps complet, c’est-à-dire les cégeps anglophones. – La réforme du financement universitaire s’est faite à l’avantage des universités anglophones. La ministre Christine Saint-Pierre elle-même a reconnu que la décision de hausser de 25 % les frais de scolarité des étudiants étrangers a eu un double effet : favorable aux établissements anglophones, qui accueillent un plus grand nombre de ces étudiants, et nuisible aux universités francophones, dont les étudiants étrangers proviennent en général de pays plus pauvres et de milieux moins aisés. Cette réforme favorise encore autrement les universités anglophones, puisqu’elle encourage le financement autonome grâce à des brevets, des investissements privés et la philanthropie, toujours plus généreux pour McGill que pour les universités francophones. – Et pourtant, les universités anglophones sont déjà surfinancées par les fonds publics sans commune mesure avec le pourcentage d’anglophones dans la population québécoise. – Cet argent irrigue tous les postes budgétaires, y compris celui des infrastructures. C’est ainsi que le Fonds d’investissement stratégique du Canada finance cette année pour 37 millions $ de recherche à Concordia contre 33 millions pour l’ensemble de l’Université du Québec : la petite Bishop à elle seule a obtenu davantage que l’UQAM. Quant au Plan québécois des infrastructures, il a réservé 3 milliards pour les 4 universités à charte, dont McGill, contre 850 millions pour les dix établissements du réseau uquiste.
Santé et services sociaux. Comme l’a dit d’emblée le ministre Gaëtan Barrette au Quebec Community Groupe Network : « Vous ne pouvez avoir une meilleure écoute qu’aujourd’hui » (31 oct. 2014). – Malgré ce que prévoyait la loi 10, l’hôpital St. Mary’s et l’Hôpital général juif ne sont toujours pas fusionnés. Par contre, le dernier hôpital francophone de l’ouest de Montréal, celui de Lachine, a été fusionné de force au CUSM. – Les anglophones bénéficient d’un CSUM payé deux milliards, un scandale par le manque de proportion de cette somme avec leur poids dans la population du Québec. Le défunt docteur Arthur Porter a été soupçonné d’avoir accepté de SNC-Lavalin des millions de dollars en pots-de-vin. Depuis que le CUSM est ouvert, il fait face à une poursuite judiciaire liée à sa construction, sans compter les déficits qu’il accumule. – Québec va financer la rénovation et le réaménagement de l’ancien hôpital Royal Victoria par une subvention de 37 millions de $ à l’Université McGill (Journal de Montréal, 22 mai 2018). Grâce à cela, cette université disposera d’un plus grand nombre de locaux pour la recherche. – Le Centre de réadaptation Lucie-Bruneau, le seul dans l’est de la métropole, a été vidé d’une grande partie de ses services au profit de l’Institut de réadaptation Gingras-Lindsay-de-Montréal, situé dans l’ouest de la ville.
Stratégie maritime. Dans un article percutant, Réal Pelletier a fait remarquer que les seuls développements commerciaux réellement profitables prévus dans la Stratégie maritime libérale se feront vers Vaudreuil-Soulanges, dans une partie du Québec fortement anglophone et libérale (6 juillet 2015).
Transports collectifs. – Les projets de développement de transport urbain concernant la ligne bleue dans l’est de Montréal ont dû attendre jusqu’en mars 2018 pour faire l’objet de promesses libérales. Par contre d’autres projets n’attendent pas. – Le REM, par exemple, destiné à desservir en priorité les municipalités défusionnées du West Island. Comme l’a dit candidement l’ancien ministre libéral Clifford Lincoln au Devoir en visite dans la circonscription de Jacques-Cartier : « On a un des taux des taux d’utilisation de l’automobile les plus forts dans la province. Plus de trois automobiles par famille, c’est beaucoup trop ! » (4 août 2018). Ces riches dédaignent le train de banlieue existant, mais s’ils ont un REM, qui sait ? peut-être utiliseront-ils davantage les transports collectifs.
Culture. L’ancienne ministre libérale Monique Jérône-Forget a d’abord eu l’argent nécessaire à la préparation d’un plan fonctionnel et technique pour son projet de nouveau musée McCord-Stewart, dont un grand volet sera consacré à la mode. Et voilà maintenant que l’agrandissement de cet établissement est présenté par ses promoteurs et alliés comme « un projet de société » (7 juillet 2018). Pour ce qui arrive aux autres musées, voir plus haut.
Une nouvelle circonscription électorale pour la minorité anglo-juive ? Insatisfaits de la fusion des circonscriptions très parentes de Mont-Royal et d’Outremont dans la nouvelle carte électorale, ce groupe a aussitôt menacé de saisir les tribunaux. Du coup, le gouvernement Couillard considère raisonnable d’augmenter le nombre de sièges à l’Assemblée nationale pour défaire cette fusion.
Secrétariat aux anglophones. Le gouvernement Couillard a créé ce secrétariat et l’a doté d’un budget conséquent. À son congrès de novembre 2017, le PLQ a aussi adopté le projet du gouvernement, qui souhaite que tout nouveau projet de loi ou règlement soit analysé à la lumière de son impact sur les anglophones et contienne des dispositions spécifiques à leur égard.
Les attaques contre la société et la cohésion sociale
La contraction du filet social
La destruction de la culture de concertation. Des experts comme Christian Jetté, Yves Vaillancourt et Christian Maroy, entre autres, ont fourni au fil du temps dans Le Devoir des analyses des attaques contre la démocratie participative auxquelles s’est livré le gouvernement Couillard. Depuis une bonne cinquantaine d’années, l’État québécois a encouragé la participation de la société civile dans le développement social du Québec. Un très grand nombre de politiques publiques ont été adoptées grâce à l’engagement d’organismes issus des communautés et à la mise en place de dispositifs de participation citoyenne. Ce gouvernement a coupé dans tous les réseaux qui permettaient à la société civile d’influer sur l’État (CRÉ, CPE, CLD, CDEC, tables régionales de développement social, forums jeunesse régionaux). Il a centralisé tous les réseaux de services, il a réduit les organismes communautaires à être de simples sous-traitants. Bref, tout le modèle québécois de développement social a été mis à mal.
Justice. – L’accès au système de justice est de plus en plus difficile parce que les critères d’admissibilité à l’aide juridique sont trop élevés et que le financement de ce service est insuffisant. Il l’est encore davantage pour les Inuits et les Premières Nations, comme l’a déploré la Protectrice du citoyen. – La faiblesse du soutien offert aux victimes fait baisser le Québec dans le bilan annuel canadien (6 mars 2018). – Il a fallu la proximité des élections pour que la ministre Stéphanie Vallée promette une meilleure aide de l’État aux victimes de violence conjugale et d’actes criminels (21 juillet et 15 août 2018) – Les conditions de détention sont déplorables, surtout dans les prisons pour femmes. Ce problème, récurrent, laisse le gouvernement indifférent, déplore la Protectrice du citoyen (22 mars 2018)
Emploi et solidarité sociale. – Le ministre François Blais avait des grandes idées de revenu minimum garanti. L’instauration d’un tel programme est impossible sans entente avec Ottawa, qui distribue lui aussi des allocations directement aux individus et exigerait certainement un maximum de visibilité alors que c’est Québec qui contribue le plus à l’aide sociale. – À la place du RMG on a eu la loi 70, qui réforme l’aide sociale. Seuls 84 000 Québécois, inaptes au travail, et les plus démunis des démunis, bénéficieront d’une assistance inconditionnelle qui leur permettra finalement d’atteindre le seuil de pauvreté en 2023. Pour les aptes, l’aide sociale correspondra dans cinq ans à seulement 55 % de ce seuil. Quant aux primodemandeurs, pour obtenir une aide sociale bonifiée, ils devront s’inscrire au programme « Objectif Emploi ». Sinon, ils feront l’objet de mesures punitives malgré leur inefficacité reconnue.
Formation de la main-d’œuvre. Plutôt que d’investir massivement dans le système scolaire et le soutien aux familles, qui sont deux conditions pour éviter le décrochage scolaire, plutôt même que d’investir massivement dans la formation professionnelle pour rendre plus compétente la main-d’œuvre déjà sur place, le gouvernement préfère l’immigration. La Stratégie nationale sur la main d’œuvre, dévoilée aussi tardivement qu’en mai 2018, compte sur l’immigration pour pourvoir 20 % des emplois dans les dix prochaines années (Radio-Canada info, 22 mai 2018). Vu le manque de soutien à la francisation et le parti-pris multiculturaliste ultralibéral du gouvernement Couillard, une telle orientation contribue à miner la cohésion sociale. Plusieurs experts ont souligné d’ailleurs l’urgence d’une vraie politique globale d’intégration des immigrants.
Vue d’ensemble en santé. Dans Le Devoir, Jacques Benoît, coordonnateur de la Coalition accès santé (7 février 2018) et le travailleur social David Bergeron (5 juillet 2018) ont dressé le bilan du gouvernement : médicalisation accrue et vision hospitalo-centrée de la santé, concentration extrême des pouvoirs dans les mains du ministre lui-même et élimination des instances locales de décision, de gestion et de livraison des services, allongement des listes d’attente, disparition de nombreux services de proximité, conditions relevées pour l’accès à certains d’entre eux, dévaluation de la prévention ainsi que de toute la dimension sociale de la santé, épuisement du personnel y compris des cadres, et démotivation. C’est sans compter la hausse faramineuse des salaires des médecins ; et ce n’est pas fini : l’entente-cadre signée au printemps 2018 prévoit 4 milliards de plus pour la rémunération des seuls médecins spécialistes d’ici 2022-2023 (25 et 27 avril 2018).
Des résultats qui ne répondent pas aux promesses. Plusieurs promesses libérales ont été tenues plus ou moins partiellement. Le site de Radio-Canada info dresse un bilan (14 août 2018). Retenons entre autres que l’accès à un médecin de famille ne s’est pas amélioré partout, car certaines régions telles que l’Estrie, la Côte-Nord ou des secteurs de Montréal sont encore de véritables « déserts médicaux » (14 juillet 2018) ; l’attente aux urgences était de 15 heures en 2017 ; les personnes les plus vulnérables le sont encore davantage, notamment les ainés, les handicapés, les gens qui vivent avec une maladie mentale ; le soutien supplémentaire promis aux parents d’enfants handicapés s’est révélé un véritable miroir aux alouettes (14 juillet 2018) tant sont restrictives les conditions pour y avoir droit ; les soins à domicile sont très nettement insuffisants, la couverture de l’assurance-médicaments a diminué, les proches aidants (souvent des femmes) ne bénéficient pas de répit suffisant, etc.
Certains électeurs sont cependant épargnés. Dans la région du ministre Couillard, tout va plutôt bien du côté de la santé (14 juillet 2018). Du côté des anglophones aussi, une fois de plus. Un nouvel énorme hôpital bilingue sera construit en plein champ à Vaudreuil-Soulanges (5 juillet 2018). Nouvel agrandissement aussi pour l’Hôpital de Verdun dans le Sud-Ouest qui, selon le ministre Barrette, va être construit « surtout si vous réélisez un gouvernement libéral » (Radio-Canada info, 6 août 2018). Pendant ce temps, il faut la campagne électorale et l’espoir de renverser le député péquiste pour qu’enfin le gouvernement promette de rénover l’hôpital vétuste de Saint-Jérôme (Radio-Canada info, 10 août 2018).
Services sociaux. Le bilan y est encore pire qu’en santé si possible. – Des types d’établissements publics n’existent carrément plus, par exemple les centres de réadaptation en déficience intellectuelle et troubles du spectre de l’autisme. – La situation dans les CHSLD est telle par ailleurs que le Conseil pour la protection des malades veut poursuivre Québec pour « maltraitance » envers les ainés qui y vivent (10 et 12 juillet 2018). – Le financement des organismes communautaires qui dispensent des services sociaux a été sévèrement limité.
Les choix effectués sont lourds de conséquences.
Privatisation croissante. – Bien que peu nombreux encore, certains médecins se désengagent du régime public d’assurance-maladie. – Le démantèlement des CLSC laisse plus de place aux cliniques privées pour la médecine générale. – Dans les nouvelles super-cliniques, ce sont les soins spécialisés qui sont privatisés. Incidemment, ce fut le cas de la procréation assistée, on l’a vu. – Les compagnies d’assurances font des affaires d’or et les Québécois paient toujours plus cher pour être bien couverts. – La proportion de résidences privées augmente depuis 2014 dans l’ensemble de l’offre d’hébergement pour ainés. – Le logement social est presque le dernier souci du gouvernement Couillard : de nombreux projets ont été retardés ou annulés depuis quatre ans. Ce n’est qu’au printemps 2018 qu’un peu d’argent a été débloqué, mais seulement pour 3000 nouveaux logements sociaux dans l’ensemble du Québec y compris le nord autochtone (28 mars et 3 avril 2018).
Avancées du fédéral. Une autre conséquence de la tendance au retrait partiel de l’État québécois est d’augmenter l’emprise du gouvernement fédéral sur la gestion des soins de santé, une compétence provinciale exclusive. – Les transferts en santé diminuent, mais pas les conditions qui leur sont reliées. – Le fédéral veut se doter de « stratégies nationales » pour les proches aidants, pour l’assurance-médicaments (18 juillet 2018), pour les soins à domicile, pour le logement, etc. – Même, puisqu’il est si difficile d’obtenir des engagements du côté de Québec, la population en vient à souhaiter une plus grande implication d’Ottawa. Ainsi, des parents d’enfants autistes ont demandé au fédéral d’élaborer une « stratégie nationale » en autisme. – Les organismes communautaires sont heureux de pouvoir se tourner vers les programmes fédéraux mis sur pied en itinérance, déficience intellectuelle, en logement social, ou pour soutenir les femmes victimes de violence et tant d’autres personnes vulnérables. – C’est pareil en recherche. Le Fonds de recherche en santé du Québec n’a pas reçu un sou de plus entre 2006 et 2016, les vivres ont été coupées au centre de recherche du CHU Sainte-Justine et ce ne sont que quelques exemples. Les quelques investissements annoncés dans le budget 2018 ne permettront jamais de compenser les reculs face aux Instituts de recherche en santé du Canada. Nos chercheurs se tournent donc vers Ottawa.
Pourtant, ce qui s’est passé en itinérance devrait sonner l’alarme. Juste avant les élections de 2014, la ministre Véronique Hivon avait déposé une nouvelle politique qui avait su rallier l’unanimité. Si elle avait été adoptée, cette politique aurait engagé les gouvernements à venir. Elle était fondée sur une vision globale ; c’est dans ce cadre qu’y était inscrit le droit au logement, selon une variété de formules. Un seul intervenant s’opposait à cette politique, parmi ceux rencontrés par la presse, le professeur de droit de l’Université McGill, Eric Latimer. Lui, il était un fervent adepte du programme fédéral qui favorisait une seule mesure d’aide aux itinérants, l’hébergement, et selon une seule formule, le logement privé (Le Devoir, 18 février). À l’époque, Ottawa n’a pas accepté que son programme « Logement d’abord » soit jugé par tous les experts québécois nettement insuffisant et simpliste : il a retenu les sommes tant que « Logement d’abord » n’a pas été appliqué tel quel (14 juillet 2015). Trois ans plus tard, Ottawa reconnaît son erreur. Le gouvernement Trudeau s’apprête à financer de nouvelles mesures d’aide dans une optique plus globale. Il consolide ainsi sa présence dans un champ de compétence exclusive du Québec, non sans avoir réussi à semer la division parmi les organismes québécois. En effet, quelques-uns d’entre eux se sont même retirés du regroupement québécois, le RAPSIM, pour créer avec Old Brewery Misson un autre regroupement plus favorable au programme « Logement d’abord », très populaire au Canada anglais. Cette division affaiblit la force de frappe du milieu devant le gouvernement du Québec et devant le fédéral lui-même, où les organismes québécois sont nettement minoritaires (16 juillet 2018).
L’abandon des régions
On en a donné des exemples tout au long de cette chronique, depuis la destruction de la gouvernance régionale jusqu’à la contraction maximum des services publics, depuis le peu de soutien aux PME jusqu’au retrait de la promotion touristique et de l’entretien de la Route verte, depuis les compressions dans la culture jusqu’aux insuffisances de la politique bioalimentaire, depuis l’abandon croissant des agriculteurs jusqu’à l’incapacité chronique de ce gouvernement d’obtenir du fédéral des contrats pour le chantier naval Davie hors de petits bonbons lâchés avant les élections fédérales et provinciales (ce fut le cas en 2015 et en 2018). On aurait pu parler de la crise de l’eau potable survenue en 2017 aux Îles-de-la-Madeleine à cause du refus persistant du gouvernement d’investir dans les infrastructures.
Entre 2014 et 2018, le gouvernement Couillard n’a considéré les régions que sous l’aspect de pourvoyeuses de ressources naturelles pour les grandes entreprises multinationales et c’est pour cette mission seulement qu’il a consenti de bon gré à délier les cordons de la bourse. Tout le reste ne lui est pas apparu comme des investissements, mais seulement comme des dépenses inutiles à réduire le plus possible. Au lieu de travailler à revitaliser les régions, ce gouvernement a contribué à les anémier davantage.
Au point qu’en janvier 2015 a vu le jour la coalition Touche pas à ma région au moment où le président du Conseil du patronat, Yves-Thomas Dorval, proposait de faire déménager les citoyens vivant dans des régions dévitalisées sans que s’indignent le premier ministre Couillard ni d’autres députés libéraux des régions. Pas d’indignation gouvernementale non plus quand le ministre Jacques Daoust, encore en 2015, a traité les entrepreneurs régionaux de « rois de villages ».
Mais limitons-nous ici à un aspect qui n’a pas encore été touché en profondeur, le transport.
Infrastructures de transports. – Le gouvernement a d’abord mis fin au programme d’infrastructure pour les aéroports régionaux. Ce n’est qu’en février 2018 que le ministre Carlo Léitao a annoncé la remise en route de ce programme et la création d’un autre pour aider de nouvelles compagnies aériennes à s’intéresser à la desserte régionale. – Le gouvernement délaisse par ailleurs tous les chemins de fer qui lui appartiennent : il a annoncé en 2017 la réfection du rail gaspésien, mais essentiellement pour les besoins de Ciment McInnis (Radio-Canada Gaspésie, 5 mai 2017). – Dans la programmation des chantiers routiers pour 2014-2016, les libéraux avaient coupé 44 % des investissements sur la Côte-Nord, 33 % au Bas-Saint-Laurent, 28 % en Gaspésie. Dans celle pour 2015-2017, 53 % de l’enveloppe était réservée à la région métropolitaine. Pour 2018-2020, le plan annoncé en année électorale, se souvient des régions (65 % des investissements totaux), mais fait encore la part belle à la région métropolitaine avec 35 % des investissements (voir le site Investissements routiers 2018-2020 du ministère des Transports).
Dans tous les projets d’infrastructure, quel que soit le mode de transport, le premier ministre Couillard a invité le fédéral à investir (Radio-Canada info, 2 février 2018). Ce à quoi évidemment, Ottawa s’empresse de répondre. Par exemple, le premier ministre Trudeau a dit que si la nouvelle Banque de l’infrastructure du Canada accepte de financer le projet du REM, le 1,2 milliard $ de subvention accordée par Ottawa à ce projet retournera dans les fonds d’infrastructures affectés au Québec. Un tel scénario doublera la part d’Ottawa et des organismes fédéraux qui choisiront les projets d’infrastructures en vue des intérêts du Canada, et ce dans un champ de compétence exclusive du Québec (La Presse, 15 juin 2017).
Transports collectifs. – Les régions voient aussi dépérir leurs services de transport par autocar (Radio-Canada info, 12 juillet 2018). D’ailleurs, des 845 millions $ prévus par Québec sur les cinq prochaines années pour le transport collectif routier, seulement 39 millions $ seront dédiés aux régions (28 mars 2018). – Le projet de tramway à Québec ne peut pas penser se financer sans une importante contribution d’Ottawa (18 mars 2018). – Depuis des années, VIA Rail tergiverse à propos de la nécessité de construire un train à grande fréquence dans le corridor Québec-Windsor. Cependant, très récemment, le gouvernement fédéral a commencé à étudier des modèles d’affaires de TGF, ainsi que le remplacement de la flotte par des wagons et locomotives plus modernes propulsées au diesel et à l’électricité. Mais cette solution est ancienne. En outre, elle ne correspond ni aux besoins de la plupart des régions du Québec ni aux capacités de l’industrie québécoise de concevoir et de fabriquer un monorail tout électrique qui pourrait relier rapidement les divers points de notre territoire et donner une vitrine à l’innovation québécoise (Robert Laplante, 6 décembre 2017). Dans cette affaire, le premier ministre Couillard a montré une fois de plus toute sa dépendance au Canada : a) il a commencé par annoncer un monorail en le limitant au trajet Québec-Montréal, sans tenir compte des régions ; b) puis il a dit que ce monorail ne verrait le jour que si Ottawa le finance en partie et s’il peut s’arrimer avec un lien en partance de l’Ontario ; c) Il a ensuite déclaré que si Ottawa préfère un TGF entre Montréal et Québec et accepte d’y investir, c’est cette solution qui sera retenue même si elle appartient « au siècle dernier » ; d) et que si le monorail doit quand même voir le jour, ce sera alors pour relier d’autres points du territoire québécois (2 et 14 décembre). Reconnaissons que la solution de deux types de trains rapides et de deux logiques de développement, celle d’Ottawa et celle de Québec, n’aurait rien pour faire du Québec un territoire intégré : au contraire, les villes de Montréal et Québec seraient alors plus que jamais dissociées des autres régions. Sans compter que le segment le plus rentable serait laissé à VIA Rail sans possibilité que les revenus tirés de son exploitation servent partiellement à financer le transport sur les lignes régionales du monorail. Ce faisant, le gouvernement Couillard renonce réellement à faire de l’État québécois le maître d’œuvre de l’organisation du territoire en fonction des intérêts nationaux du Québec.
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Ici s’achève la chronique du démantèlement de la nation. Ce qui doit être stoppé, et vite, c’est ce démantèlement lui-même. Agissons.
1 Il faut dire toutefois qu’en 20 ans, le contexte a bien changé et que la loi n’a plus du tout la même portée. En effet, pour les pays occidentaux et l’ONU, le droit des peuples à l’autodétermination ne pèse plus bien lourd devant le droit à l’intégrité des frontières des États souverains déjà existants ! C’est pourquoi le gouvernement fédéral n’a pas jugé utile d’en appeler de la décision de la Cour supérieure.
* Université du Québec à Trois-Rivières