Bourgault ou le romantisme en politique

Remarques introductives

Le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) est né par la volonté d’un groupe d’indépendantistes désireux d’organiser politiquement la lutte nationale. Parmi eux, on retrouve des pionniers, ceux qui ont successivement présidé aux destinées de ce mouvement : Marcel Chaput, l’homme du jeûne historique, André d’Allemagne, l’intellectuel organique du Rassemblement, Me Guy Pouliot, le discret et combien efficace avocat de Québec, Rodrigue Guité, architecte, émanant d’une famille gaspésienne légendaire et concepteur du bélier inversé, logo symbolisant le Québécois débarrassé de sa réputation moutonnière pour devenir un bélier fonçant vers l’avenir, Pierre Bourgault, le journaliste qui va naître politiquement grâce au RIN et redonner vie à ce jeune parti au milieu des années 1960. À ne pas oublier, en ce jour anniversaire, le rôle marquant d’une femme hors du commun, madame Andrée Ferretti, la Rosa Luxembourg du mouvement indépendantiste québécois.

Un rappel de certains faits aidera à comprendre que le mouvement indépendantiste n’est pas sorti de la cuisse de Jupiter. En 1966, alors que débute la Révolution tranquille et pour la première fois au Québec, deux partis indépendantistes participent de plein droit à la campagne électorale. Le Ralliement national (RN), parti de droite, disparaîtra à la suite de l’élection. Le RIN, par ailleurs, y fit bonne figure avec 4 % des suffrages nationaux et près de 8 % dans les circonscriptions où il présentait un candidat. Son chef, Pierre Bourgault, candidat dans Duplessis sur la Côte-Nord, est crédité de 4 392 voix, le libéral Coiteux, de 6 673 et l’unioniste Haince, de 2 709 sur les 13 969 électeurs ayant participé au scrutin. Pour une première tentative, les chiffres sont éloquents.

Contre toute attente, et à la faveur d’une carte électorale désuète, l’Union nationale est portée au pouvoir avec 40,9 % des suffrages (56 députés) et les libéraux défaits avec 47 % (50 députés). Une défaite libérale que d’aucuns ont attribuée, en partie, à la bonne performance des candidats du RIN dans certaines circonscriptions de la grande région de Montréal. La victoire étonnante du candidat de l’Union nationale dans la circonscription de Saint-Henri accrédite cette prétention. Dès lors, le RIN devient une nouvelle force politique et un acteur incontournable dans le développement du mouvement souverainiste québécois.

Pour succincts qu’ils soient, ces faits invitent à prendre conscience de la place que le RIN et Pierre Bourgault occuperont dans notre histoire nationale. Le sort du RIN et sa mémoire, de même que l’espace réservé à Bourgault dans les livres d’histoire, dépendent de nous. Nous sommes les fiduciaires de son œuvre ; nous avons le devoir de perpétuer sa mémoire. Réaliser l’indépendance est le geste que devront poser les Québécois pour garder vivant le souvenir de Bourgault et donner à ce personnage emblématique, la place qui lui revient dans l’histoire de notre nation.

Permettez moi de vous présenter Pierre Bourgault, l’homme magnifique que j’ai connu et admiré et avec qui j’ai rêvé de changer le monde.

Pierre Bourgault ou le romantisme en politique

Trois sources ont inspiré mon propos : d’abord, les nombreux discours de Pierre Bourgault alors que je militais à ses côtés. S’ajoutent les multiples entrevues qu’il a données pour la radio et la télévision et les émissions radiophoniques, qu’il a coanimées avec Marie-France Bazzo à Radio-Canada. Enfin, les écrits qu’il a laissés en héritage.

De toutes les étapes ayant marqué sa trop brève vie, soit celles de journaliste, d’ardent militant, de leader politique charismatique, de professeur émérite et de communicateur chevronné, se dégage une constance du parcours exceptionnel de cet homme hors du commun : une rage de liberté et un amour presque charnel du Québec.

Pierre Bourgault a quitté ce monde sans avoir réalisé son rêve. Un départ qui donne à penser que ce marchand de rêves, ce passeur de mémoire, n’a pas eu le temps d’habiter et de vieillir en son pays. Il incarnait les idéaux d’une jeunesse mordant dans la vie, la force mobilisatrice qui emballait les foules. Comme le grand sociologue Fernand Dumont, il avait la noble ambition d’élever l’homme au-dessus de lui-même. Bourgault aura marqué son époque.

Certes, on a toujours en mémoire le talent de l’orateur puissant, à la voix gutturale et sans pareille qui séduisait par son éloquence, convainquait par son verbe et, par sa superbe, ajoutait du panache à son discours. Son savoir éclectique et la polyvalence de son talent, il en a fait bénéficier des générations de Québécoises et de Québécois grâce à la télévision certes, mais aussi, et surtout, par la radio. Sans oublier son enseignement universitaire qui aura contribué à former des centaines de jeunes désireux de devenir journalistes ou d’œuvrer dans les communications.

Pierre Bourgault a plaidé avec un zèle incomparable, l’idéal qui nous rassemble encore aujourd’hui. Jamais avant lui les fédéralistes n’avaient été combattus avec autant de force et d’efficacité. Son discours était péremptoire, le jugement sans appel, la charge à l’emporte-pièce atteignait la cible et les réactions engendrées étaient très vives.

S’il est toujours vivant dans notre esprit, c’est que son message était profond, crédible et percutant. Tel un cri de l’âme : « On est capable » était plus qu’un slogan. C’était comme son leitmotiv implicite à l’endroit d’un peuple marqué par un syndrome d’échec. Ce n’est offenser personne d’affirmer que Bourgault a fait prendre son envol à la cause indépendantiste lors de l’élection générale de 1966.

Avec lui est apparu un nationalisme québécois moins timoré, plus affirmé, voire revendicateur ; un nationalisme d’avant-garde teinté d’un romantisme politique jamais vu auparavant. On peut comprendre ce romantisme pour la bonne raison que Bourgault était un lettré,  qu’il aimait la littérature, les romanciers, les poètes et la poésie. Il ne séparait jamais la lutte indépendantiste de son lien essentiel avec la langue et la culture françaises.

Répétons-le, Bourgault impressionnait par sa culture savante et son immense talent. Il l’a manifesté autant par l’écriture que par la prise de la parole. Au sens bergsonien du terme, il avait une intuition géniale. Il sentait venir les choses. Avec lui, le nationalisme québécois accouchait de son expression contemporaine, une certaine noblesse lui conférant une forme de romantisme porteur de changement.

S’agissant du romantisme, je ne fais pas référence exclusivement au mouvement littéraire et artistique qui prend naissance en France à la fin du Siècle des Lumières et qui se développe au XIXe siècle. Je veux surtout mettre en évidence que le romantisme de Bourgault s’inspirait principalement d’une mouvance révolutionnaire soucieuse de briser les formes et les pratiques conventionnelles du nationalisme québécois afin de mieux éclairer la marche vers la libération des esprits. Un romantisme de la révolte en somme, doublé d’un idéal humaniste. Ce que j’appelle le romantisme politique de Bourgault tient au fait qu’il était porteur d’une nouvelle idéologie sociale et politique annonçant « le début d’un temps nouveau », le virage vers la modernité, la conscience de la responsabilité à porter la lutte jusqu’à son achèvement. Une tâche colossale certes, aussi lourde qu’emballante, que seuls les chefs charismatiques, idéalistes, courageux et flamboyants peuvent accomplir.

A l’évidence, il avait lu Baudelaire, Victor Hugo, la Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau et gardait précieusement en mémoire le romantisme qu’incarnait notre historien national, François-Xavier Garneau. Et n’allons pas croire que les émules de Bourgault étaient des fantaisistes, tant s’en faut ; chacun ayant vécu le romantisme à son corps défendant. Tout comme Garneau, Bourgault va assumer le lot de sa nation avec une fougueuse sensibilité. D’aucuns y ont vu un épanchement romantique. Certes, il a souffert dans sa chair pour le Québec et son esprit s’est exalté à l’idée d’un meilleur destin pour son peuple. De là « l’imagination lyrico-épique » qui teintait son plaidoyer libérateur.

Sachant que le romantisme inclut presque toujours une part de lyrisme, j’affirmerai, avec la prudence qui s’impose, que Bourgault, à la manière d’un héros national, conscient de sa singularité et de son pouvoir magique sur les masses populaires, a plaidé avec une ardeur peu commune le rejet de l’ordre constitutionnel canadien pour qu’émerge l’identité québécoise, la nécessité d’affirmer son originalité et d’assurer sa pérennité par l’indépendance.

Au début des années 1960, Bourgault, homme de parole au discours riche et convaincant, a su parler avec respect à notre peuple, sachant que ce dernier avait peur des mots. Le leader indépendantiste nous a réappris que les mots ont été inventés pour nommer les choses. Il a relevé, avec brio, le défi de parler de liberté, d’égalité, de justice et de souveraineté avec un vocabulaire nouveau à un peuple fragile, sans sombrer dans la banalité. Bourgault, le polémiste, le communicateur, a inventé une rhétorique politique qui nous a permis de prendre conscience de notre NOUS collectif et d’intérioriser notre identité. Ce fut sa façon de nous inviter à le suivre sur la voie de l’émancipation et de la durée.

Comme c’est souvent le cas pour les êtres d’exception, il a subi les affres de certains de ses compagnons d’armes et les suspicions des théoriciens de l’indépendantisme. Il a vécu dans la tristesse l’exil au sein de sa famille politique. Hélas, on a sous-estimé et peut-être craint l’importance de son rayonnement populaire et la force persuasive de son discours lors des grands rendez-vous référendaires. Heureusement, son legs va lui survivre, car il transcende la politique consommée au jour le jour. Encore longtemps résonnera à nos oreilles – et dans notre mémoire collective – la voix chaude et puissante du grand orateur. Cette maxime de Georges Dor convient bien à Pierre Bourgault, « notre frère et notre ami » : « Le plus beau des monuments, c’est un homme debout ».

Je m’inspire des derniers mots du Chevalier De Lorimier (Jean-Mari-Thomas) avant sa pendaison, le 15 février 1839, pour dire avec émotion en ce jour anniversaire : Vive Bourgault ! Vive la liberté ! Vive l’indépendance !

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