Bref historique de l’étiolement du Collège des médecins du Québec…

Incorporé en 1847 sous le nom du Collège des médecins et chirurgiens du Bas-Canada, le Collège des médecins du Québec (CMQ) célèbre cette année ses 175 ans d’existence. L’un de ses rôles, et celui pour lequel il est sans doute le plus connu dans la société, consiste à protéger le public contre les pratiques médicales qui ne respectent pas les normes rigoureuses reconnues et contre le charlatanisme. À ce rôle s’en ajoutent d’autres, et notamment celui de veiller à la qualité des programmes de formation médicale des universités, à l’accréditation des programmes et des milieux de formation médicale postdoctorale et à la certification des médecins.

Il appert qu’au fil des ans, le CMQ a abdiqué une part non négligeable de ses responsabilités en transférant celles-ci notamment au Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (CRMCC), pour ce qui est de la formation dans les spécialités autres que la médecine familiale. Cela s’est fait pour diverses raisons. L’harmonisation canadienne de la pratique médicale en est une. Cette harmonisation de la pratique médicale s’est associée, par intérêts conjoncturels, au courant de la globalisation (mondialisation) du commerce, qui a marqué la fin du XXe siècle, concept économique libéral et néo-libéral, mais dont une certaine gauche a étrangement avalé goulûment l’hameçon, la canne et le pêcheur.

En 1994, dans le branle-bas de combat de la globalisation effrénée – dans laquelle il faut aplanir tous les obstacles au commerce, partout et coûte que coûte – le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux signent une entente favorisant la mobilité de la main-d’œuvre entre les provinces. C’est dans cet élan que l’uniformisation médicale s’accélère au Canada et surtout au Québec puisqu’une certaine harmonisation canadienne était sans doute déjà présente dans le reste du pays.

Essentiellement, avant cette uniformisation, les médecins québécois qui désiraient pratiquer ailleurs au Canada devaient réussir un processus de certification supplémentaire canadien à celui passé avec le CMQ et ceux venant du reste du Canada désirant exercer au Québec devaient réussir le processus de la certification du CMQ. Il est curieux de constater que la poussée à l’harmonisation ou l’uniformisation canadienne n’a pas affecté avec la même fougue plusieurs professions comme l’ingénierie, l’ergothérapie, la physiothérapie, le nutritionnisme, la pharmacie… Dans ces professions, le droit d’exercer relève des provinces et est généralement restreint à la province ayant émis le permis ou la certification avec parfois des droits limités et contrôlés d’exercer dans d’autres territoires.

On peut dire que c’est entre 1994 et le début du XXIe siècle que l’uniformisation canadienne de l’accréditation des facultés de médecine, de la formation médicale et de la certification des médecins se réalise. Le dernier élément permet alors aux médecins québécois de pratiquer n’importe où au Canada, et vice versa.

Pourtant, jusqu’en 2014, le Québec connaissait une grave pénurie de médecins. L’ouverture du Québec à une certification pancanadienne n’avait donc, dans ces circonstances, aucun sens. C’est néanmoins le chemin qu’ont choisi d’emprunter le CMQ et, par ricochet, le Québec. La probabilité qu’un contingent substantiel de médecins du reste du Canada vienne s’installer au Québec pour régler le problème d’accès à un médecin était nulle. En revanche, le risque de voir nos médecins résidents s’envoler vers d’autres cieux était élevé, étant donné la différence importante du revenu qu’ils pouvaient encaisser en pratiquant dans certaines provinces comme l’Ontario. Dans ces années-là et encore aujourd’hui, l’Université McGill ne pouvait qu’acquiescer à cette globalisation canadienne, car un imposant pourcentage de ses médecins résidents choisissent de pratiquer de toute façon ailleurs qu’au Québec (et au Canada) – plus ou moins 50 % d’entre eux dans les dernières années. Il nous apparaît légitime de soutenir que les impératifs de la globalisation ont passé, à ce époque, bien avant l’accès aux soins de santé au Québec.

En 2017 au Québec et au Canada, le CRMCC implante une orientation pédagogique particulière, la Compétence par conception (CPC), au niveau de la résidence de différentes spécialités médicales (excluant la médecine familiale). La CPC s’inscrit et complète l’harmonisation canadienne de la pratique médicale. Le rôle du CMQ dans ce dossier capital semble en être un de figurant : aucun document écrit significatif dans le domaine public n’a été produit par cette organisation sur le sujet en cinq ans.

La CPC du CRMCC amorce un changement profond du programme pédagogique de la formation des médecins résidents, sans que plusieurs entités québécoises du domaine de la santé et de l’éducation ne s’en mêlent ou semblent même s’y intéresser. Est-ce que le ministère de la Santé a donné son aval à ce changement ? Si oui, sur quelles bases ? Est-ce que le ministère de l’Éducation a été consulté ? Si oui, a-t-il appuyé ce nouveau programme de formation au niveau de la résidence ? À partir de quelles données ? Est-ce que les facultés de médecine ont été impliquées ? Et quel a été le rôle du CMQ ? Est-ce que la CMQ a vérifié les bases théoriques et empiriques de la CPC, avant d’engager le Québec dans cette avenue ? Quelles ont été les bases théoriques et empiriques du CMQ pour entériner la CPC ? En fait, on n’en sait strictement rien puisque ces organisations ont peu écrit et publié sur le sujet, comme si cela ne relevait pas de leur juridiction. Quand nous avons communiqué avec le CMQ pour échanger sur la CPC mise en place pour les médecins résidents, ils nous ont gentiment redirigés vers le CRMCC.

En septembre 2022, un rapport est publié sur la CPC (https://www.editionsdelapprentissage.com/ewExternalFiles/ParaResiM.290922.pdf). Ce rapport constate la faible rigueur générale de la CPC du CRMCC, incluant le processus d’élaboration, d’implantation et du suivi de ce programme de formation des médecins résidents au Québec. La conception même de la CPC du CRMCC n’est pas appuyée sur des données probantes de la recherche scientifique. La validation préalable de la CPC au Canada s’est limitée à quelques expérimentations pilotes aux méthodologies très faibles, sans groupes contrôles effectifs permettant de comparer les effets de la CPC à l’ancien programme de résidence, sans mesurer les compétences professionnelles des médecins résidents, sans évaluer la qualité des soins aux patients et sans mesurer le taux d’événements indésirables (événements non souhaitables affligeant les patients traités en milieu médical). Il est important de le mentionner : toutes ces variables non mesurées étaient au nombre des justifications avancées pour justifier la création de la CPC.

Malgré cinq années d’application de la CPC, le CRMCC et le CMQ n’ont toujours pas de données empiriques permettant de savoir si la CPC améliore les habiletés des médecins résidents, les soins aux patients et le taux d’événements indésirables. La médecine étant avec raison connue et louée pour son insistance sur la rigueur, pour l’objectivité et le sérieux avec lequel elle implante ses innovations, la surprise de voir le niveau d’amateurisme dans l’élaboration et l’application du CPC du CRMCC au Québec a été totale pour les auteurs dudit rapport.

Il est difficile de ne pas penser que l’absence de suivi réel de l’élaboration et de l’implantation de la CPC auprès des médecins résidents au Québec, qui aurait pu démasquer rapidement les faiblesses générales de l’approche, est au moins, en partie, le reflet direct d’un désengagement du CMQ en faveur du CRMCC.

Il va cependant de soi que cela n’exonère en rien ni le ministère de la Santé ni les facultés de médecine au Québec qui ne se sont pas intéressés sérieusement à ce dossier comme elles auraient pourtant dû le faire.

Après avoir examiné la CPC du CRMCC appliquée à la résidence des médecins résidents pendant un an, il nous apparaît évident que l’harmonisation canadienne n’aurait jamais dû se faire au détriment de la rigueur et du légitime contrôle que l’État québécois exerce dans les domaines de la santé et de l’éducation. Le Québec n’est plus le maître d’œuvre de la formation de ses médecins résidents (santé et éducation) ; il a délégué cette responsabilité à un organisme pancanadien dont le siège social est à Toronto, qui n’a pas de compte à rendre à l’État québécois et sur lequel l’État québécois n’a aucun contrôle. En fait, dans le train de la formation de nos médecins résidents, l’État québécois est devenu, par choix, un passager assis à la dernière rangée du dernier wagon, dans une indolence et une indifférence totales.

L’harmonisation canadienne au Québec semble avoir agi comme un puissant soporifique, engourdissant la responsabilité de veille et du sens critique minimal des organisations québécoises, médicales et éducatives.

Faut-il attendre que les gens de Toronto et du reste du Canada sortent éventuellement de leur torpeur pour que le Québec s’autorise à rectifier le tir ?