Automne 2010 - De la lecture et des équipements stratégiques

2010automne250Chaque année, un peu partout au Québec, se tient une Semaine des bibliothèques pour permettre à ces institutions essentielles de se mieux faire connaître. Le but de ces exercices, on le sait, est toujours un mélange de célébration et de promotion, une occasion de rappeler les idéaux, de se donner une vue d’ensemble et un peu de recul.

Cette année, la semaine était dédiée aux jeunes de 12 à 25 ans, vaste public, segmenté, on le devine bien, en fonction d’un découpage de plus en plus fin tout au long de ce continuum qui pousse les jeunes hors de l’enfance jusqu’aux premiers paliers de l’âge adulte. C’est le romancier Patrick Sénécal qui agissait comme porte-parole. Un choix justifié tout aussi bien par la popularité de ses ouvrages que par les aptitudes de l’auteur à communiquer sa passion pour la littérature, pour la culture en générale et pour la lecture en particulier. « S’abonner c’est un risque à prendre » disait le slogan de la promotion, comme pour traduire délicatement la volonté de vaincre les réticences.

Le succès de la Grande Bibliothèque a permis de créer un contexte plus favorable à la promotion de la lecture – et de défaire quelques stéréotypes – et c’est tant mieux. Les usagers ont vraiment contribué à élargir et enrichir sa pertinence comme institution. Ils l’ont fait ailleurs également dans de nombreuses villes où la bibliothèque est un véritable foyer d’attraction pour des publics variés. C’est un fait, l’offre de services de bibliothèque charpente la demande, pour le dire comme les économistes. Pour peu que l’occasion leur en soit donnée avec des moyens et dans des conditions convenables, les citoyens deviennent des usagers enthousiastes. C’est tant mieux et il faut s’en réjouir. Mais cela n’est pas suffisant.

On comprend que les efforts de la Semaine des bibliothèques publiques aient été placés dans le registre de la séduction, il n’y a aucun mal à insister sur les plaisirs de la lecture et sur la vocation de ces équipements comme centre de divertissement intelligent. Mais il faut aussi s’élever au-dessus de l’hédonisme qui traîne dans l’air du temps, insister sur les autres aspects de la lecture et sur les vocations plus complexes, plus « fondamentales » de ces institutions. Les bibliothèques ne sont pas que des équipements de loisir.

La lecture n’occupe pas la place qu’elle devrait avoir dans notre vie culturelle, dans le monde scolaire et dans l’actualité en général, telle qu’elle est façonnée et rapportée par le complexe médiatique. Il faut que les bibliothèques soient aussi des centres de rayonnement. Elles doivent contribuer à porter la lecture dans les lieux et les milieux où elle devrait être plus présente. C’est l’affaire du Plan lecture que devraient avoir toutes les institutions. Hélas, le conditionnel s’applique ici, puisqu’en ces matières les moyens restent indigents à peu près partout. Mais tout n’est pas qu’affaire de moyens. C’est beaucoup aussi une question d’attitude et de débrouillardise, de posture culturelle. Et une question de valeur.

Dans les écoles, encore trop nombreuses à n’avoir point de bibliothèques dignes de ce nom, rien n’empêcherait que des clubs de lecture soit formés. Rien n’empêcherait que l’objectif d’avoir un club par niveau académique mobilise les directions et tout le personnel enseignant – quitte à ce que les ouvrages soient empruntés à la bibliothèque municipale, par exemple. Pour que l’apprentissage soit autre chose qu’une préoccupation instrumentale, il faut que la lecture y tienne, pour elle-même, une place centrale. Elle est le relais indispensable pour la curiosité, la passion et le désir de perfectionnement.

Dans les journaux et revues de groupes syndicaux et professionnels, rien n’empêcherait que se généralise la pratique de tenir une chronique livres pour inciter à la lecture et outiller les lecteurs. La même chose pourrait se faire dans les bulletins de liaison. Ce pourrait aussi être le cas dans les journaux d’entreprises, là où ils existent. Ils sont encore trop nombreux les professionnels, techniciens et diplômés de toutes formations à ne plus ouvrir un livre dès la fin des études.

Cela n’est pas dit assez souvent et avec assez d’insistance, les livres sont indispensables à la qualité de la vie démocratique. La lecture et la fréquentation des ouvrages sont des gages de la rigueur et de la fécondité de la délibération publique. Il faudrait qu’ils soient plus présents dans le travail et les interventions des députés, dans les activités de formation des partis, là où il s’en fait. Des citoyens informés, rompus à la pratique de la critique des sources sont mieux à même de décoder les manœuvres de propagande et les subterfuges idéologiques. Les livres peuvent constituer non seulement des références pour le débat mais aussi fournir, dans l’espace discursif qui leur donne vie, un cadre utile à la réflexion, au partage de problématiques essentielles à la définition commune des situations.

Cela semble un lieu commun, mais il faut le répéter avec un entêtement d’autant plus tenace que le complexe médiatique – si omniprésent et source première d’information et de culture pour la grande majorité des gens – fait la part congrue au livre et à tout ce qui entoure la lecture. Qu’on ne s’y trompe guère, les débats sur le support matériel (tablettes électroniques, papier, etc.) ne font qu’effleurer la question de fond : la lecture n’est pas qu’une technique d’acquisition et de traitement de l’information, elle conditionne la démarche du savoir, contribue de façon déterminante au façonnement d’une « tête bien faite », comme l’a si brillamment illustré Montaigne.

À l’heure où les milieux d’affaires ne cessent de s’inquiéter de la productivité, il ne serait pas mauvais que se fassent les simples rappels sur le rôle clé de la culture générale dans la formation comme dans les styles de vie. Quitte à sacrifier aux dieux de l’utilitarisme, il ne serait pas superflu qu’en tous les milieux on finisse par redécouvrir cette vérité élémentaire des Lumières : la culture émancipe, elle donne à la cité comme aux individus des outils essentiels. Au lieu de se répandre en lamentations sur le décrochage scolaire à grand renfort de messages publicitaires, les gouvernements et décideurs de tous poils seraient mieux avisés de plaider pour une culture du livre et de la lecture, de considérer les bibliothèques comme des équipements stratégiques et d’y consacrer les ressources nécessaires. Les crédits dépensés en publicité seraient mieux utilisés pour soutenir des activités d’animation, pour acquérir et faire circuler les ouvrages, pour soutenir le développement des forums de toutes sortes qui aideraient à faire du plus grand nombre de citoyens possibles des liseurs boulimiques. Se trouvent là l’une des clés de la prospérité, le gage d’une vie bonne et d’une société meilleure.

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