Automne 2016 - À propos de bibliothèque et de reconnaissance culturelle

2016automne250La Semaine des bibliothèques publiques a connu cette année un temps fort avec la publication de la Déclaration des bibliothèques québécoises. L’événement annuel qui, une fois n’est pas coutume, attire les projecteurs médiatiques sur ces institutions essentielles, aura fourni l’occasion aux associations professionnelles et regroupements institutionnels de mieux faire entendre leurs voix sur la place publique. Dans les milieux du livre et de la lecture, les enjeux liés au développement des bibliothèques et à la promotion de la lecture restent trop souvent exprimés dans les registres de la revendication sectorielle – augmentation des budgets, accroissement du nombre de professionnels, etc. L’effort réalisé cette année pour inscrire ces enjeux dans les perspectives plus larges du développement culturel et social mérite d’être salué. Il mérite aussi, cependant, d’être lu et reçu dans le questionnement même qui devrait donner son sens à l’initiative.

La Déclaration des bibliothèques québécoises, élaborée par la Table permanente de concertation des bibliothèques, déposée à l’Assemblée nationale par le ministre de la Culture, se veut en effet un geste fort d’affirmation. Il est difficile de ne pas y souscrire. C’est une bonne synthèse argumentative. La lecture du texte ne laisse cependant aucun doute sur son processus de rédaction. On est loin du manifeste. C’est un travail de comité, un habile montage d’assertions couvrant tous les angles de justification : de l’argument culturel à la rhétorique économiciste, en passant par la promotion du statut professionnel tout en sacrifiant aux vertus du service à la clientèle pour un lieu qui doit être « ludique et inclusif », tout y est. Le texte est sobre, il répond aux canons du jargon administratif. On y sent une volonté de ne rien échapper, de couvrir toutes les cases de ce qui fait dans les bureaucraties la grille d’évaluation de toute politique publique.  

On imagine sans mal que le ministre qui l’a déposée à l’Assemblée nationale y souscrit d’emblée. Son adhésion fera sans doute chaud au cœur des gens de la profession, aux gestionnaires des institutions et, fort probablement, à un grand nombre de gens sensibles aux manifestations de bonne volonté. Le texte de la Déclaration évite les épanchements de boutiquiers, c’est à son mérite en cette période d’austérité. Il renvoie néanmoins à une énigme qu’il n’ose désigner. Point d’orgue de cette semaine de promotion des bibliothèques, le surgissement de ce texte pose en effet une lancinante question. Que nous dit donc cette quête de reconnaissance sur l’état de la culture et du développement culturel ?

Malgré le sérieux du geste, on ne peut que rester pantois devant la nécessité que le milieu des bibliothèques ressent de refaire, pour la millième fois, ce type de plaidoyer. Dans quelle indigence intellectuelle baignons-nous collectivement pour qu’il apparaisse encore nécessaire de mettre en scène une telle quête de reconnaissance ? Comment se fait-il qu’il faille encore faire de tels rappels d’évidences après le succès de la Grande Bibliothèque, en dépit de la beauté des bibliothèques Montarville-Boucher-De La Bruère ou Marc-Favreau et de nombreuses autres ? À quoi peut bien renvoyer une telle quête au milieu des réflexions sur la persévérance scolaire, aux débats sur la place de la lecture dans les apprentissages, à son rôle dans le développement de la culture générale, dans celui des compétences civiques, etc. ?

Par-delà les revendications aux accents plus ou moins corporatistes des associations professionnelles, par-delà les désolants constats statistiques, la chose essentielle à retenir ne devrait-elle pas plutôt être inscrite dans le registre de la culture et pas ailleurs ? La vie des bibliothèques, la vie des livres, les multiples avantages qu’ils procurent et les besoins qu’ils comblent, ne sont-ils pas d’abord à comprendre et promouvoir dans l’ambition culturelle elle-même ? S’il faut encore en justifier l’existence, en appeler à de plus respectueuses formes de soutien, ce n’est pas à la raison gestionnaire qu’il faut s’en remettre, mais bien à l’aspiration culturelle, à celle qui place au cœur de la mission l’élévation des personnes par le contact avec les plus hautes manifestations de l’esprit. Par la valorisation de la curiosité et de la connaissance.

La Semaine des bibliothèques publiques ne devrait pas d’abord sacrifier aux dieux de l’utilitarisme. Elle ne devrait pas d’abord diriger les regards vers les moyens qui lui manquent, elle devrait ouvrir sur les moyens qu’elles donnent aux personnes comme aux milieux qu’elles enrichissent. Le Québec connait de nombreuses réussites inspirantes et c’est à leur renforcement que devrait servir un exercice de promotion du genre de la Semaine des bibliothèques publiques. La reconnaissance culturelle ne se décrète pas, elle se construit. Par le retour réflexif, par la célébration de ses bienfaits, par l’enrichissement des échanges qu’elle stimule ou par les complémentarités institutionnelles qu’elle entretient la bibliothèque prouvera sa valeur en même temps que celle-ci lui sera accordée en retour. C’est son insertion et sa présence dans la vie culturelle qui lui vaudront l’attention et le soin qu’elle mérite. Cela se fait déjà dans nombre de nos milieux et c’est cette force-là qui devrait être mise en évidence lors de la Semaine des bibliothèques publiques. Ce n’est pas seulement une affaire de perspective, c’est une question de posture à l’égard du développement culturel. 

Le dynamisme créatif est le plus puissant instrument qui permettra de convaincre et démontrer que les collectivités comme les personnes trouvent à grandir en accordant à la vie de l’esprit les moyens de se matérialiser dans des équipements qui devraient faire honneur à l’architecture comme à l’engagement humain et professionnel.

Robert Laplante
Directeur des Cahiers de lecture

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