Charles Castonguay. Le français langue commune

Charles Castonguay
Le français langue commune, Éditions du Renouveau québécois, 2014, 154 pages

Il est rare qu’un essayiste réussisse à allier la vigueur du polémiste à la rigueur du scientifique. C’est pourtant ce que réussit avec brio Charles Castonguay dans son ouvrage Le français langue commune, recueil des chroniques qu’il a signées dans L’Aut’Journal entre 2011 et 2013. Le professeur retraité de mathématiques à l’université d’Ottawa s’est livré à une analyse approfondie de la situation linguistique au Québec et sa conclusion est limpide : le français dégringole, tandis que l’anglais fait preuve d’une grande vitalité.

L’assimilation réalisée au Québec

Castonguay remet en question les études réalisées par Statistique Canada qui démontraient que, parmi les allophones qui avaient immigré au Québec entre 2001 et 2006 et qui déclaraient parler une nouvelle langue à la maison, 75 % disaient avoir choisi le français : la ministre libérale Christine Saint-Pierre en avait aussitôt conclu que la loi 101 faisait son travail ! Or, rien n’est plus faux, car une grande partie de la francisation des immigrants qui s’est prétendument réalisée au Québec s’est en vérité réalisée avant que les immigrants ne s’établissent au Québec. Lorsqu’on analyse la population allophone née au Québec, on constate que la part du français dans l’assimilation est seulement de 34 %. L’indice de vitalité des langues – l’expression en pourcentage de l’effectif de la langue d’usage divisé par l’effectif de la langue maternelle – est aussi extrêmement inquiétant : on apprend en effet que le français fait du surplace. En 2006, en ce qui concerne les jeunes adultes âgés de 25 à 44 ans nés au Canada, le français obtient un indice de vitalité de 100,3 pour l’ensemble du Québec, tandis que l’anglais obtient un indice de vitalité de 130,8. Dans la région de Montréal, la situation est encore plus catastrophique : l’indice de l’anglais est de 145,5, tandis que celui du français est de 99. En conclusion, le jeu de l’assimilation au Québec se fait clairement en faveur de l’anglais, et ce, malgré la loi 101.

Le français langue commune

L’objectif de la Charte de la langue française était de faire du français la langue commune des Québécois, ce qui signifie entre autres que le français est la seule langue autorisée pour l’affichage et la seule langue parlée au travail. Castonguay estime que le PQ a longtemps fait la promotion de cet objectif, mais qu’il l’a laissé tomber lors de son congrès de 2011 en faisant la promotion de la « nette prédominance du français ». Le PQ en a rajouté dernièrement : en effet, le projet de loi 60 sur la laïcité souhaite modifier la Charte des droits et libertés de la personne pour y inscrire la primauté du français. Or, il y a une différence majeure entre la volonté de faire du français la langue commune du Québec et celle de le faire « prédominer ». On le constate, le concept de nette prédominance est confus : « Quand le français commence-t-il à prédominer nettement ? À 55 % ? 70 % ? 80 % ? » demande Castonguay non sans ironie. La « nette prédominance » invite de surcroît à tous les compromis : rappelons-nous Robert Bourassa et sa loi 22 qui reconnaissait deux langues nationales, le français et l’anglais, et qui permettait l’usage d’une langue autre que le français dans l’affichage.

Castonguay dénonce bien entendu le gouvernement Charest pour son travail de sape contre le français – qu’on pense à la légalisation des écoles passerelles, aux coupes dans les budgets de francisation et aux nominations partisanes à l’Office québécois de la langue française et au Conseil de la langue française. Il n’en reste pas moins que les flèches les plus senties de son ouvrage ne sont pas dirigées contre le PLQ, mais bien contre le PQ. L’auteur vilipende la décision du PQ d’autoriser l’immersion en anglais pendant les cinq derniers mois de la sixième année du primaire et il cible particulièrement Jean-François Lisée pour ses propos qui critiquaient l’absence de bilinguisme des employés de la STM, son désormais célèbre « STM, are you hearing ? ».

Lisée est pour lui davantage le ministre du bilinguisme que de la francophonie ! La volonté à l’origine de la loi 101 était de faire du français la langue d’usage de tous les citoyens québécois, mais Lisée n’est pas de cet avis. Lorsque l’animateur Tommy Schnurmacher de CJAD lui demande ce qui déterminerait la langue d’usage dont se serviraient un anglophone et un francophone dans la sphère publique, Lisée répond la « simple civility ». Autrement dit, Lisée a abandonné la volonté de rendre le français connu de tous les Québécois. Il pourrait donc exister au Québec des citoyens unilingues anglais qui pourraient ne faire aucun effort pour apprendre le français, car la « simple civility » commanderait aux francophones de les accommoder en leur parlant anglais ! Le chercheur Castonguay souhaite que le PQ revienne à son objectif de faire « société en français » et pour atteindre cet objectif, il cible deux moyens qu’il juge incontournables : franciser le monde du travail et étendre les dispositions de la loi 101 au cégep ; l’auteur consacre d’ailleurs un chapitre entier de son ouvrage à la question des cégeps.

Le cégep anglais anglicise

Castonguay a analysé les statistiques annuelles du MELS sur la langue maternelle des nouveaux inscrits au cégep ; il divise le nombre total de nouveaux inscrits dans les cégeps francophones par le total d’étudiants francophones inscrits au cégep, cela lui permet d’en arriver à un faible indice d’attraction de 1,01 (44 582 nouveaux inscrits en regard d’un total de 43 983 étudiants francophones). À l’opposé, l’indice d’attraction des cégeps anglais est de 2,03 (9855 nouveaux inscrits par rapport à 4864 étudiants anglophones). Comment expliquer ces chiffres ? En deux mots, très peu d’étudiants anglophones choisissent le cégep français, tandis que nombreux sont les francophones qui s’inscrivent au cégep anglais. Les allophones, quant à eux, s’inscrivent tout juste un peu plus au cégep français qu’au cégep anglais, mais cela est insuffisant pour compenser le nombre considérable de francophones qui choisissent le cégep anglais. Conclusion de l’analyse de Castonguay : entre 1980 et 2007, l’indice d’attraction des cégeps francophones stagne, tandis que celui des cégeps anglophones a bondi considérablement.

D’aucuns pourraient affirmer que le cégep anglais permet aux francophones et allophones de mieux maîtriser une langue seconde, mais qu’il n’a aucune incidence sur leurs comportements linguistiques dans la vie de tous les jours. Or, rien n’est plus faux. Reprenant les chiffres de l’Institut de recherche sur le français, Castonguay montre qu’il existe un rapport étroit entre la langue des études collégiales et la langue de travail : 95 % des répondants diplômés d’un cégep français travaillaient principalement en français, tandis que seulement 50 % des employés diplômés d’un cégep anglais avaient le français comme langue de travail. « La fréquentation des cégeps anglais est associée à des comportements nettement anglicisés quant à la langue utilisée dans les commerces, au travail, dans la consommation des créations culturelles, avec les amis et à la maison », estime l’auteur. Castonguay en vient à la conclusion que le Parti québécois avait raison de proposer dans son programme l’extension de la loi 101 au cégep dès la fin des années 80. C’est en effet ce que désire la base militante du parti, mais les chefs successifs du PQ – les Parizeau, Bouchard, Landry et maintenant Pauline Marois, qui a prétexté un gouvernement minoritaire pour atténuer la force de son projet de loi 14, ont par contre toujours été ambivalents, voire opposés à cette mesure.

Ambivalent et confus, Castonguay ne l’est pas ; ses idées sont claires : le français décline et il a besoin d’un sérieux redressement. Son ouvrage essentiel a le grand mérite de nous donner l’heure juste et de nous inciter à achever le projet amorcé par la Charte de la langue française, celui de faire du français la langue commune des Québécois.

Nicolas Bourdon
Professeur de littérature, collège Bois-de-Boulogne