Charte – Pour une laïcité cohérente et cohésive

Le débat entourant la charte des valeurs québécoises me laisse dubitatif. Il y a d’abord les raisons de ce débat maintenant. Les motivations électoralistes et populistes du gouvernement Marois sont évidentes. Ensuite, je suis loin d’être convaincu que ce projet de charte deviendra loi puisque même si tel était le cas, il mourra au feuilleton avec le déclenchement des élections. Il s’agit d’un ballon d’essai pour mobiliser l’électorat selon des arguments identitaires. Comme il est téméraire de vouloir créer des attentes en matière d’engagements économiques, en situation de presque récession, et comme le projet d’indépendance est remisé aux calendes grecques, le PQ se cherche un enjeu qui déstabilise ses adversaires et puisse rallier les nationalistes éparpillés.

Mais au-delà de ces considérations électoralistes, somme toute, inévitables, ce débat a son utilité parce qu’il contribue à baliser le sens du vivre ensemble et qu’il met en cause la suprématie des valeurs canadiennes. Il tente de soustraire le Québec de la chape de plomb du multiculturalisme. Affirmer des valeurs québécoises ne signifie pas que ces valeurs sont spécifiques au Québec, ce qui serait absurde pour caractériser l’égalité homme-femme ou encore la neutralité de l’État, cela veut dire que le Québec se démarque des valeurs que nous impose le Canada. Guy Rocher avait bien raison de comparer ce projet de charte à la charte de la langue française qui tentait de réaliser la quadrature du cercle en instituant l’unilinguisme français dans une province canadienne engluée dans le bilinguisme institutionnel. Il est donc facile de prévoir que cette éventuelle charte sera à terme désavouée les juges en vertu de la Charte canadienne des droits. Il y aura alors beaucoup d’encre qui aura coulé sur les rotatives et cette charte n’aura probablement aucun résultat concret.

Mais quoiqu’il arrive, ce débat aura eu le mérite de nous éclairer sur le sens des mots et sur les diverses conceptions du vivre ensemble. En écoutant les arguments des uns et des autres dans cette conversation publique, on en vient à préciser ses propres idées. Pour un enfant de la révolution tranquille qui a connu à la fois les affres du cléricalisme et les libertés apportées par la déconfessionnalisation, la laïcité apparaît comme un bienfait collectif. La laïcité obéit à un vieux principe : « Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu » qui implique que la sphère publique doit être séparée de la sphère privée pour garantir la liberté de religion et permettre à tous de vivre selon leurs convictions. Cette logique prend tout son sens dans des sociétés pluralistes où plusieurs religions coexistent. La neutralité de l’État est alors la condition de la liberté de tous.

Curieusement, cette valeur semble faire consensus puisque rares sont les intervenants qui réclament le retour de la confusion entre l’Église et l’État. La discussion porte plutôt sur les conséquences pratiques de l’application de ce principe en particulier en ce qui concerne le port de signes religieux ostentatoires dans la fonction publique. Si le gouvernement retirait de ses intentions législatives cette mesure, il pourrait se vanter d’avoir réussi à faire consensus. Comme il y a rarement équivalence entre ce qui est annoncé dans un projet de loi et ce qui est voté, le gouvernement se garde sans doute la possibilité de reculer sur cette question comme il l’a fait sur d’autres.

Mais l’ambigüité ressurgit dès qu’il s’agit de faire primer l’intérêt collectif sur l’intérêt individuel. Certains intervenants soutiennent, au nom de la protection de l’identité que chaque individu aurait un droit inaliénable à transporter son identité religieuse de la sphère privée dans la sphère publique et donc à afficher ses croyances dans le cadre du service public. On fait alors fi d’une grande tradition démocratique établie après des siècles de lutte pour mettre l’État au-dessus des factions, des partis et des groupes particuliers. Cela s’appelle le devoir de réserve qui interdit à quiconque d’afficher ses convictions dans le cadre de la fonction publique pour respecter la liberté des autres et ne pas entacher l’État du soupçon de partialité. Pourquoi alors l’identité religieuse des uns devrait-elle l’emporter sur le devoir de réserves des autres qui laissent leurs convictions à la maison lorsqu’ils servent le public ? Les citoyens doivent être égaux et pour cette raison tous doivent faire des compromis pour vivre avec les autres.

Les symboles religieux divisent, font étalage de la différence, du fossé qui sépare des autres. Ils témoignent d’une appartenance, ils disent essentiellement : je ne suis pas comme toi, je n’appartiens pas au même monde. A ce propos, il y a une incohérence insupportable dans le projet du gouvernement Marois qui conserve le symbole du catholicisme au dessus de la tête de ceux qui votent les lois d’un État supposément neutre.

Mais le débat sur le port des symboles religieux passe sous silence un autre aspect de la question. Les symboles religieux ne sont pas seulement une dimension de l’identité des croyants, ils ont aussi une fonction stratégique et politique. Tout symbole a une connotation propagandiste et vise à influencer les autres pour les amener sur le chemin de la vérité. Le sens et le but de toute religion est de missionner et de convertir, voilà pourquoi je pense que l’État doit interdire le port des symboles religieux pour incarner la séparation entre le public et le privé. C’est la condition du respect mutuel que se doivent les membres d’une collectivité.