Christian Saint-Germain
Naître colonisé en Amérique, Montréal, Liber, 2017, 204 pages
Comment décrire le dernier livre de Christian Saint-Germain en quelques mots ? Destructeur et redondant. Effectivement, depuis le temps que nous l’apprivoisons, la doctrine Saint-Germaniste est devenue fort prévisible, mais jamais édulcorée. Naître colonisé en Amérique reprend en ce sens tous les ingrédients de la recette mitigée des précédents ouvrages de l’auteur. C’est d’ailleurs peut-être pourquoi ce nouvel opus de la même idée peine à trouver son identité. Il apparaitra, à tout lecteur averti, comme quelques chapitres à rajouter au Mal du Québec dont l’ancre des pages n’a même pas encore eu le temps de sécher. On le sait maintenant, le nihilisme méthodologique anti-péquiste de Saint-Germain consiste essentiellement à faire couler le sang et rouler les têtes, par ailleurs toujours les mêmes, celles de l’univers du Parti québécois. La chimère souverainiste, mi-felquiste, mi-vampire, des confins nébuleux de l’UQAM récidive donc de nouveau. Seulement cette fois l’effet de surprise n’est plus au rendez-vous. On retrouvera encore la créature tirer son même plaisir sadique, alors qu’elle s’adonne à ses frappes chirurgicales habituelles à la carotide péquiste. Dans la suite logique de la trilogie, le Parti québécois qui représenterait d’abord un bluff de farceur, puis un mal existentiel, est maintenant une forme de démon à exorciser tel que l’annonce la page couverture.
Il faut l’avouer, ce dernier titre pouvait sembler plus prometteur que les autres puisque le thème à l’étude, le colonialisme, aurait pu finalement mettre tout le talent du bourreau nationaliste à l’œuvre de quelque chose d’utile. Malheureusement, il faudra se contenter de peu. Parvenant mal à livrer la marchandise, Saint-Germain continue, ici, à se peindre dans le coin comme l’hurluberlu nostradamesque de service du mouvement national. Telle une version moins photogénique d’un Socrate buvant la ciguë, l’auteur croit s’enrober de vertu, s’élevant grâce à sa pureté idéologique riniste par-delà les corrompus, les sales et les mécréants du Parti québécois. Ouvrant la marche messianique d’un pèlerinage indépendantiste, Saint-Germain s’enorgueillit de signer la potentielle lettre de démission de Lisée, avant d’entamer la traversée du désert. Cependant, aucun danger que notre prophète de l’indépendance ne daigne lui-même descendre de sa tour d’ivoire pour se salir les mains afin de proposer des solutions ou pour faire le dixième des efforts des militants organisant la survie de la cause. En effet, alors que celui qui prétend récupérer implicitement le travail des Bourgault, D’Allemagne, Vallières et cie est incapable de formuler un contre-modèle autre que l’incitation au meurtre prémédité du PQ, on réalise que, contrairement aux grandes œuvres québécoises critiques du colonialisme, la pensée de Saint-Germain n’est que purement esthétique.
Au fur et à mesure que la lecture avance, une question se pose dans nos esprits. S’agit-il vraiment d’une étude du colonialisme ou ne serions-nous pas plutôt face à un Lucas Rocco Magnota de la souveraineté ? Le dépeceur de L’UQAM que l’on reconnaît à ses deux doctorats en boucherie, deux maîtrises en charcuterie et ses deux baccalauréats de saucissier artisanal n’est pas en reste de se consacrer à son fétichisme favori du découpage de jarrets péquistes exécuté si gratuitement que certains auront déjà commencé à retweeter des #balancetonporc pour dénoncer l’agresseur qui s’excite à les laisser culs-de-jatte. Malheureusement, tous les vingt-trois chapitres du livre sont construits sur cette dynamique lapidaire. Il devient difficile de savoir s’il s’agit de confronter courageusement un establishment stérilisé, ou de la lâcheté du déserteur qui ira se faire sauter sur la place publique pour être divinement récompensé dans un autre monde fabulé, en l’occurrence post-PQ, qui ferait renaître l’indépendance.
La droite caviar, aristocratique et déconnectée des bases du style Marie-Antoinette, que représente Saint-Germain doit être consommée avec un grain de sel. Naître colonisé en Amérique se veut, d’abord et avant tout, un divertissement littéraire de fin de soirée. On basculera rapidement, comme le dit l’auteur, aux théâtres des variétés, dès les premières lignes de chaque chapitre qui s’entonneront normalement avec un gag des Marx Brothers, la plupart du temps hors sujet, échappant aussi possiblement à l’humour du lecteur. Sur le fond, pour en retirer quelque chose, il faudra gratter généreusement les racoins de l’analyse anorexique du colonialisme de Saint-Germain qui fait tellement pitié qu’elle recevra probablement la visite des joueurs du Canadiens de Montréal lors de la tournée annuelle des enfants malades. Si on croyait nous révéler une condition coloniale profonde en analysant de façon épileptique, en quelques tournures de phrases rigolotes, les « Shows de chaise » de Denis Lévesque et une histoire comparée Haïti-Québec étalée sur environ neuf pages de type format de poche, c’est qu’il faut avoir les mœurs légères en matière de rigueur analytique. Ces gauloiseries et critiques périphériques servent, encore une fois, à dresser le subterfuge du livre qui, peu importe l’angle sous lequel vous voudrez l’analyser, n’a aucune vocation autre que de mutiler le Parti québécois. Feuilletez vous-mêmes les pages et vous verrez à l’œil que 70 ou 80 % d’entre elles sont dédiées à cet exercice sado masochiste.
Un dernier élément de la mécanique Saint-Germaine ne doit pas nous échapper. Naître colonisé en Amérique, à l’image du Mal du Québec et du Bluff québécois, n’est qu’un vaste commentaire de l’actualité politique des derniers mois pour faire probablement compétition au Club de Ex de Radio-Cadenas avec un peu plus de sens de la formule. Une sorte de bye-bye en reprise du 2 janvier dont on connait déjà d’avance tous les sketchs. On passera d’un livre à l’autre de cette trilogie avec la même vague impression d’arnaque et de malaise que l’on peut ressentir face aux bandits de la surconsommation tentant de nous refiler un nouveau iphone tous les six mois. En ce sens, il faudra chercher dans tous les arguments de vente possibles pour parvenir à nous convaincre d’apprécier la fausse nouveauté littéraire d’un produit dont l’obsolescence était programmée pour la fin du premier livre.
Étrangement, cette soi-disant analyse du colonialisme ne s’intéresse ni véritablement à l’histoire du Québec de façon cohérente, ni au Parti libéral ou encore au régime néocolonial canadien. Toutefois, on comprendra que l’aide médicale à mourir, déjà traité dans le mal du Québec, est un enjeu pour lequel il faudrait se pâmer collectivement, bien que le lien avec l’aliénation coloniale est tout sauf évident. Ce genre de répétitions que l’on retrouve dans le livre accompagné d’un certain coq à l’âne des sujets abordés est une méthodologie un peu surprenante venant d’un professeur deux fois docteur, maître et bachelier. Voilà à peu près l’entièreté du contenu du livre, bonifier, ici et là, par quelques clins d’œil à Anne-Marie Dussault et Philippe Couillard, des victimes collatérales sûrement choisies au hasard.
Au fond, si la seule proposition que l’auteur avait à nous offrir est un retour aux sources du souverainisme, la période des essais gratuits pour les thérapies de groupe, qui portait le nom d’Option nationale, est déjà terminée. C’est pourquoi Naître colonisé en Amérique est un paradoxe en soi. C’est-à-dire qu’elle est une œuvre à deux faces qui présente une maîtrise de la langue, de la culture et une créativité qui est celle des grands maîtres, mais qui est aussi d’une candeur et d’une simplicité peu enviable sur le fond. Il ne faut donc pas lire ce livre dans l’optique de développer sa propre connaissance de la condition politique des Québécois, mais plutôt avec un 10 mg de mélatonine pour s’endormir le soir.
Dans le meilleur des cas, Naître colonisé en Amérique serait une invitation à une révolution intestine au mouvement qui devrait d’abord être éviscérée de son enfant politique qui lui pourrirait les entrailles. Ainsi, Saint-Germain, qui semble hésiter entre les prédictions astrologiques des voyantes de lignes ouvertes de Vtélé la nuit à 9,99 $/minute et la recherche ou l’analyse empirique, n’a certes pas opté pour la démonstration de ses idées. On pourra peut-être commencer à le prendre au sérieux le jour où il révisera un peu sa méthode. Pour l’instant, Saint-Germain ne peut que retourner bredouille manger le sable de son île déserte qu’il traverse seul au monde, probablement perdu quelque part entre les congélateurs des cuisines de l’UQAM et les limbes du Pacifique. Bonne route Christian.
Nicolas Proulx
Candidat à la maîtrise en droit, Université de Sherbrooke