Collectif Faut qu’on se parle. Ne renonçons à rien

Jean-Martin Aussant, Claire Bolduc, Véronique Coté, Maïtée Labrecque-Saganash, Aurélie Lanctôt, Karel Mayrand, Gabriel Nadeau-Dubois, Will Prosper et Alain Vadeboncoeur
Ne renonçons à rien, Lux, 2017, 219 pages

Même si la tournée « Faut qu’on se parle » a eu beaucoup plus d’échos que le livre qui en est ressorti, Ne renonçons à rien, il vaut la peine de s’attarder à ce dernier en raison de l’attention accordée à cette tournée.

Le concept est simple : des personnalités plus ou moins connues, essentiellement issues de la gauche montréalaise, ont fait le tour des régions du Québec pour ensuite nous présenter des idées qu’elles auraient entendues au cours de cette tournée et qui, étrangement, ressemblent souvent aux idées qu’elles avaient avant d’entreprendre cette démarche. Cela donne un concentré d’idées fort intéressantes actuellement en vogue au sein de cette gauche, mais cette fois appuyées par des témoignages de simples citoyens. Cela va de l’importance de l’économie sociale et de l’achat local à la réforme du mode de scrutin en passant par l’élargissement de la couverture de l’assurance maladie aux problèmes de santé mentale, la priorité à l’éducation, la critique de la montréalisation de l’information (à laquelle le livre contribue pourtant), la défense des CPE, la dénonciation des discriminations à l’encontre des immigrants, l’opposition aux oléoducs, la promotion des transports en commun, etc. 

Une autre partie du livre est composée d’une série de brèves nouvelles, au sens littéraire, où il est question d’une journée dans la vie d’un citoyen vivant dans le pays écolo-progressiste imaginé par les auteurs du livre. En gros, il s’agit de citoyens se déplaçant en transport durable dans le but d’aller bénéficier d’interventions de l’État et de services publics ou encore d’en offrir. Certains cas sont plus originaux, comme celui de cette femme dont le chum « enseigne le yoga dans l’ancien presbytère » et « vend du linge entièrement fait au Québec dans du tissu fait à 80 % de bouteilles recyclées ». S’en suit une partie intitulée « Huit priorités » qui reprend sous forme programmatique des idées contenues dans la première partie. Enfin, l’ouvrage se conclut par un carnet de tournée comprenant un court texte plus personnel de chaque auteur.

Qu’en est-il de la démarche « Faut qu’on se parle » et du livre Ne renonçons à rien pour ce qui est des questions intéressant particulièrement les lecteurs de L’Action nationale ? Sur le projet souverainiste, on ne peut que déplorer l’approche consistant à caricaturer pour mieux rejeter son volet identitaire et à tout miser sur son volet progressiste. Comme si le mouvement souverainiste était dans une position de force telle qu’il pouvait se permettre de trier entre les bons souverainistes inclusifs, qu’il conviendrait de mobiliser, et les mauvais souverainistes nationalistes, qui mériteraient d’être stigmatisés. Eu égard à la question nationale plus largement, les auteurs hésitent entre anti-nationalisme modéré et nationalisme très modéré. Si la langue est mentionnée à quelques reprises, ce n’est pas pour proposer des mesures structurantes ou en faire une priorité. Et à aucun moment il ne vient à l’idée des auteurs que les discriminations touchant les immigrants en général et les Magrébins en particulier, qui, elles, constituent une priorité, sont très souvent causées par les exigences excessives d’employeurs en matière de connaissance de l’anglais. Un tel angle leur aurait permis de tenir un discours anti-discriminatoire pouvant unir plutôt que de diviser en pointant du doigt implicitement toujours le même groupe, la majorité francophone (quand ce n’est pas explicitement, puisqu’ils parlent des discriminations subies par les Traoré et les Bensaïd au profit des Tremblay et des Bélanger… pas de danger qu’un des deux patronymes de non-immigrants cités soit anglophone). Même chose au sujet de l’histoire. Les auteurs se prononcent pour une meilleure compréhension de l’histoire nationale par les enfants, avant de confondre histoire nationale et histoire sociale en précisant que l’histoire nationale inclut « celle des groupes dont on a moins raconté l’histoire, justement : les Autochtones d’abord, mais aussi les femmes, les immigrants, les anglophones ». Par chance, les auteurs précisent que l’histoire nationale inclut aussi « l’histoire du Québec ». Nous voilà rassurés !

Si les auteurs n’ont pas pu échapper complètement à ce piège qui attend souvent la gauche, celui d’un certain anti-nationalisme, en revanche ils ne tombent pas dans celui de proposer des investissements publics massifs sans jamais dire d’où pourrait provenir l’argent. Ils tombent plutôt dans le piège inverse : celui de proposer un alourdissement de diverses taxes qui affecteraient au moins indirectement la classe moyenne. À un moment donné, au moins quatre taxes sont proposées en à peine cinq pages, ce qui fait une moyenne de près d’une taxe par page. Un propos général sur l’importance d’une plus grande justice fiscale, et donc sur une contribution venant des classes aisées plutôt que des classes moyennes, aurait été préférable. Il n’est pas clair si les auteurs ont compris à quel point les succès de la gauche politique dépend d’une alliance entre les électeurs des classes populaires et ceux des classes moyennes, puisque, seuls, les premiers ne forment pas une majorité. C’est comme s’il leur manquait une dose supplémentaire de pragmatisme. Et pourtant, ils n’ont pas l’excuse d’avoir voulu faire rêver avec ce livre. Tout au plus s’agit-il pour eux de conserver le modèle québécois que nous avons et de l’améliorer sans le révolutionner, comme l’illustrent le titre de l’ouvrage et leur façon de traiter divers sujets tels les CPE et la protection du territoire agricole.

Ces derniers exemples sont particulièrement pertinents puisque, étant des réalisations du PQ, ils illustrent que plusieurs des auteurs, et à plus forte raison les gens qu’ils ont consultés, semblent se positionner à peine plus à gauche que le PQ sur les questions sociales, économiques ou environnementales. Leurs différences se situent donc davantage sur la question nationale et dans une moindre mesure sur celle des régions, le thème de la décentralisation ressortant bizarrement peu considérant son omniprésence dans les discours citoyens des régions éloignées de Montréal sensées avoir été entendues (Gabriel Nadeau-Dubois croyant même que c’est l’État qui ramasse les poubelles, alors que ce sont bien évidemment les municipalités, et refusant de croire les nombreux citoyens qui lui ont dit que leurs régions vivent des problèmes particuliers).

Reste à voir si une mouvance politique reprenant les idées des auteurs de ce livre pourrait se constituer, par exemple autour de QS et d’ON, et ensuite aspirer à prendre le pouvoir. Malheureusement pour eux, l’histoire du Québec, de Mercier à Lévesque en passant par Lesage, nous apprend que, seuls, les progressistes montréalais ne peuvent prendre le pouvoir. Ils ont besoin de gens de la capitale nationale, pratiquement absents de tout le livre, de gens des régions et, surtout, des nationalistes de tout le Québec.

Guillaume Rousseau
Professeur de droit, Université de Sherbrooke