Comment apprécier le Sénat ?

Quel peut être l’intérêt du Québec dans le débat en cours sur la réforme du Sénat ? Il y a bien sûr la question constitutionnelle, trop vaste pour être abordée dans ce court billet, mais qui devra bien l’être un jour où l’autre. La chose sera peut-être tentée en 2017. En perspective de n’importe quelle discussion constitutionnelle, il faut veiller à dégager les intérêts supérieurs du Québec. Même lorsqu’on croit que ceux-ci seraient mieux servis par l’indépendance, il demeure pertinent de se demander quelles réformes éventuelles de la fédération canadienne sont plus ou moins avantageuses pour le Québec. Il en est plusieurs en cours auxquelles le Québec entend s’opposer, comme la création d’une autorité unique des marchés financiers, et avec raison.

 

Alors qu’en est-il du Sénat qui fait l’objet de critiques renouvelées ces derniers mois ? Le Sénat devait supposément, en 1867, servir à représenter les anciens États coloniaux au sein du nouveau Parlement fédéral. Chaque région de la fédération – Haut-Canada, Bas-Canada, provinces maritimes moins peuplées – recevait un nombre équivalent de Sénateurs. Le Sénat devait donc aider à les représenter et leur garantir un minimum de poids au Parlement, indépendamment des fluctuations de la représentation à la Chambre des Communes en fonction de la population.

Mais par un curieux retournement dont le fin renard Macdonald était passé maître, cette prétendue représentativité régionale était tuée dans l’œuf et nulle dans les faits, malgré les beaux discours. L’institution allait en fin de compte renforcer encore le gouvernement central. Contrairement au Conseil législatif des Canadas-Unis, dont on avait obtenu de le rendre électif, réforme longtemps demandée, le Sénat serait en effet nommé. On voulait bien sûr renforcer, par certains aspects, le caractère britannique des institutions du nouveau Dominion et le Sénat devait ressembler en cela quelque peu à la Chambre des Lords. Cependant, la nomination des Sénateurs relève depuis 1867 du premier ministre du Canada et non de ceux des provinces.

Son rôle de représentativité régionale est donc une farce, un peu dispendieuse il est vrai. On se rappellera que dans les 5 réformes de Meech étaient prévues des modifications à cet égard pour le Québec, mais sur une base assez faiblarde. Elles auraient fait en sorte que le gouvernement du Canada aurait nommé les Sénateurs du Québec (et les trois juges québécois de la Cour suprême) sur la base des recommandations du Québec. Avec le temps, peut-être que le gouvernement fédéral aurait accepté les recommandations de tous les gouvernements, y compris souverainistes, pour respecter l’esprit de l’accord.

Dans l’état actuel des choses, deux propositions surtout sont discutées : l’abolition du Sénat ou son électivité. Transformer réellement le Sénat en chambre élue, sans en changer l’équilibre des sièges, pourrait être plus intéressant pour le Québec que la situation actuelle, à condition que ce soit une véritable élection et non une élection de pacotille où la prérogative du premier ministre de nommer les Sénateurs serait maintenue. Les Sénateurs québécois répondraient au peuple plutôt que d’être les créatures du patronage du premier ministre, ils pourraient appartenir à n’importe quel parti choisi par les Québécois.

Dans son état actuel, le Sénat n’est pas seulement une farce quant à la représentation des régions, il l’est en tant que chambre parlementaire. C’est avant tout un coûteux club des amis du financement politique des partis du pouvoir à Ottawa. Disons-le franchement, une sinécure du lobbyisme et du patronage, un musée des fossiles vivants. C’est pourquoi, d’un point de vue québécois, son abolition ne serait pas une mauvaise chose, bien au contraire.