Hiver 2007 – Construire la référence québécoise

Éditorial inaugural des Cahiers de lecture

La lecture n’est pas un exercice solitaire. Si elle est d’abord un dialogue entre un auteur et le lecteur qu’il sollicite au moins autant que ce dernier l’interpelle, la lecture est aussi une construction. Construction du sens à travers ce dialogue certes, mais aussi, à travers tout ce qui se déploie dans cet espace intangible où la culture bat. Lire n’est pas seulement œuvrer dans l’espace intime où chacun fait son miel de ce que le livre a à offrir, matériau, occasion, questionnement, c’est également bâtir une intangible et néanmoins prégnante communauté des interprétants.

L’œuvre, en effet, est une inscription : toujours elle s’inscrit dans une communauté première, donnée. Et la lecture est le moyen par lequel cette inscription se fait projet et héritage. Or, il se trouve que des œuvres, il s’en publie beaucoup ici et il se trouve également qu’un trop grand nombre restent mal ou trop peu commentées. Le pays, du coup, se prive de ce qui peut l’aider à mieux se bâtir, à se projeter plus loin dans ce qu’il hérite de ses propres réalisations. C’est ce à quoi veulent contribuer les Cahiers de lecture de L’Action nationale.

Les Cahiers de lecture vont ratisser large. On peut le constater dès ce premier numéro, aucun domaine n’est exclu a priori : sociologique, politique, psychologique, artistique, littéraire, culturel, philosophique, religieux… Et les essais qui intéresseront Les Cahiers de lecture appartiennent à différents types : monographies, ouvrages de référence, biographies, manifestes, « beaux livres », journaux intimes, critiques littéraires ou autres. Des entrevues avec des auteurs, des tables-rondes et des inédits viendront, au fil des numéros, compléter le menu. Où en est la pensée québécoise telle qu’on la publie ? En vous abonnant aux Cahiers de lecture de L’Action nationale, vous serez toujours à jour sur cette question.

Le projet de créer les Cahiers de lecture de L’Action nationale est né dans le prolongement des séminaires de lecture tenus sous les auspices de la revue depuis bientôt cinq ans et dont les travaux alimentent la rubrique Lire de la revue. En se donnant un nouveau véhicule en cette année de 90e anniversaire, la revue tient à témoigner non seulement de sa confiance en l’avenir mais encore et surtout de sa conviction que le travail sur la pensée renvoie à une dimension essentielle de la vie de la nation. En choisissant d’augmenter ses moyens pour mieux suivre l’actualité éditoriale québécoise, L’Action nationale fait un choix de croissance témoignant de la vitalité de son projet intellectuel et du dynamisme de ses collaborateurs qui, des quatre coins du pays, en font un forum utile et stimulant. Mais elle fait surtout un choix critique de première importance, celui de contribuer à raffermir la référence québécoise, celui de mettre le travail de la pensée dans les paramètres de sa réalité collective, nationale, et de contrer, ce faisant, l’effet déréalisant, siphonnant et aliénant de la référence canadienne imposée de l’extérieur dans nos institutions de savoir, nos maisons d’édition, nos lieux de création, nos esprits.

Interpréter les œuvres, les questionner en plaçant le Québec au centre de son propre monde, c’est donner une plus grande densité culturelle au travail éditorial et refuser en même temps de le traiter sur le mode anecdotique, sectoriel ou « folklorique » où veut le refouler sans cesse la domination politique et culturelle qui s’exerce sur lui. De chaires de recherche du Canada en campagnes de propagande « commanditées », de prix récupérateurs en subventions intrusives, le travail de minorisation de notre peuple opère une excentration constante de son questionnement public, une désincarnation de sa vie intellectuelle ; il réduit sa culture savante à celle d’un sous-ensemble subsidiaire et inoffensif, s’efforce d’en instrumentaliser les porteurs, tend à y installer l’éparpillement et le désordre.

Il existe pourtant une production québécoise riche et dynamique dont la cohérence et l’originalité peuvent s’éprouver en dehors de ce commentaire dénationalisant. Il importe de lui donner pleinement sa force instituante et sa charge symbolique. Savoir se mettre à distance de soi-même, proprement réfléchir, cela est aussi nécessaire et salutaire à l’individu qu’à la collectivité. Mais entre exercer ainsi son propre regard et le remplacer par celui de l’autre, il y a toute la différence du monde : celle qui sépare la libre maîtrise et la dépossession, qui distingue l’autonomie et l’aliénation. Les Cahiers souhaitent ainsi contribuer à l’édification d’un espace public québécois débarrassé du tropisme canadian et fournir par des articles et commentaires des moyens de rayonnement en prise sur la production nationale et capable de la servir sans la dénaturer.

Les Cahiers de lecture paraîtront deux fois l’an. C’est un commencement. Nous espérons que l’accueil et les moyens dont nous disposerons vont permettre de faire plus et mieux dès la deuxième année. Tant mieux si nous réussissons à mobiliser rapidement lecteurs, analystes et commentateurs autour d’une publication de qualité qui fera honneur aux auteurs des livres que nous traiterons. L’édition québécoise le mérite, le public aussi. Le projet qu’inaugure la présente livraison ne trouvera sa pleine expression qu’avec le concours d’un lectorat fidèle et exigeant. Telle est, en effet, la condition de réussite d’une telle entreprise. Que Les Cahiers créent autour d’eux la même solidarité, l’attachement et la loyauté qui ont donné ses repères à L’Action nationale ; qu’ils rejoignent, de par leur nature, un lectorat encore plus large, inspiré par cette stimulante contribution au commentaire soutenu des oeuvres et à l’enrichissement consécutif de l’espace public ! Tel est notre espoir.

Richard Gervais
Secrétaire de rédaction

Robert Laplante
Directeur