Corriger les erreurs de la loi 101

La loi 101 fut indéniablement bonne en son temps, le Québec partait de si loin. Elle a cependant jeté les bases du recul actuel. Voici pourquoi.

Cinq erreurs majeures de la loi 101

Dans sa conception même, la Charte de la langue française repose sur cinq erreurs majeures. La loi 101 aurait dû :

  1. définir les ayants droit (aux services publics en anglais) ; hormis l’école, elle ne l’a pas fait ;
  2. prévoir l’adaptation des services publics anglais à la possibilité d’une décroissance démographique de la minorité ; elle ne l’a pas fait ;
  3. éviter de hiérarchiser les droits en soumettant le droit de travailler en français au droit d’être servi en anglais ; elle ne l’a pas fait ;
  4. trouver le moyen de rendre le « français-langue de travail » réellement justiciable ; l’échec est cuisant ;
  5. protéger l’intégralité du territoire québécois contre les migrations interprovinciales ; le territoire québécois s’offre toujours à qui en a les moyens.

En conséquence, on sert en anglais le client qui le demande, même s’il vient d’arriver hier ou s’il provient de la planète Mars. Le libre-choix de la langue compris dans la loi 101 a créé une dynamique demande/offre entraînant le développement fulgurant de la « communauté anglophone » d’une part, basé sur une forte compétition pour la main-d’œuvre et la clientèle connaissant au moins l’anglais ou acceptant d’être servie en anglais ou en franglais.

Avec 1 103 475 anglophones de « Première langue officielle parlée » (PLOP), la « communauté » excède de 845 000 anglophones la « minorité » et ses 258 605 « citoyens canadiens de langue maternelle anglaise, nés au Québec de parents nés au Canada » (Statistique Canada, Recensements de 2016 et de 2006, commandes spéciales ; calculs n’engageant que l’auteur), dont seulement 140 000 avaient un ou deux parents anglophones, les 118 000 autres ayant des parents francophones ou allophones1.

À 1,8 % de la population, la toute puissante et sur-influente minorité anglo-britannique qu’évoque la minorité anglo-québécoise, jadis aux commandes du Québec, est à ranger parmi les faits d’Histoire et autres souvenirs divers. Quant à la « communauté anglophone », toujours en croissance, elle n’a aucune assise historique. Elle est le prolongement en territoire québécois du Canada anglais majoritaire et multiculturel.

Sept ruisseaux différents, une même rivière. Les nouveaux anglophones

Dans leur ensemble, les 1 103 475 membres de la « communauté anglophone » définie par la PLOP ont augmenté de +10,9 % de 2006 à 2016 (+108 752 personnes).

Cette augmentation recouvre une faible hausse de +3,0 % (+7 447 p.) pour les 258 605 membres de la minorité anglo-québécoise contre une croissance imposante de +13,6 % (+101 305 p.) pour les 844 870 autres recensés de PLOP anglaise. Nous sommes loin de 1971, alors qu’on trouvait 93 anglophones de langue maternelle pour chaque 100 Britanniques d’origine ethnique. En 2016, les Anglo-Québécois comptaient pour 23 % des effectifs de PLOP anglaise (13 % pour les 140 000 dont au moins un parent était anglophone). La dissolution de la minorité dans le grand tout de la communauté, tel était le prix de la pérennité des institutions de langue anglaise et du maintien de l’ordre économique qui leur était favorable.

Tant le provincial que le fédéral reposent sur le libre choix entre l’anglais et le français pour la langue des services publics. Ce faisant, ils ajoutent pêle-mêle sept groupes à la minorité anglo-québécoise.

D’abord trois groupes, tous composés de citoyens canadiens de langue maternelle anglaise unique :

  • 145 940 nés au Québec de parents immigrants (+3,5 % de 2016 à 2006) ;
  • 106 755 nés dans le Canada hors Québec (+3,1 % en 10 ans) ;
  • 60 545 immigrants (+5,3 % en 10 ans).

Et quatre autres groupes :

  • 48 477 citoyens canadiens ayant au moins l’anglais comme langue maternelle (+63,7 % en 10 ans) ;
  • 36 756 non-citoyens de langue maternelle anglaise (+50,6 % en 10 ans) ;
  • 209 771 « anglicisés », c.-à-d. anglophones de langue parlée, mais francophones ou allophones de langue maternelle (+16,1 % en 10 ans) ;
  • 236 626 « anglotropes », c.-à-d. dont la PLOP est l’anglais, mais de langue parlée à la maison française ou autre (+14,4 % en 10 ans).

À ces 1 103 475 anglophones de PLOP s’ajoutent au gré des intérêts et des besoins 2 855 380 personnes connaissant au moins l’anglais (unilingues ou bilingues anglais/français), pour un total frisant les quatre millions. En outre, les personnes de PLOP française bilingues, c.-à-d. « connaissant le français et l’anglais », ont augmenté de 21 % en 10 ans, soit +495 453 personnes, contre 73 223 pour les personnes de PLOP anglaise « bilingues » (+11 % en 10 ans).

Ce portrait est incomplet sans les soldes migratoires interprovinciaux (les entrées moins les sorties entre les provinces). La somme des dix soldes quinquennaux de 1966 à 2016, soit 50 ans, montre des pertes de 518 000 personnes, dont la caractéristique commune est d’avoir l’anglais pour PLOP. Avec autant de sorties excédant les entrées, le Québec se trouve à avoir scolarisé à ses frais 518 000 jeunes prêts à produire, qui n’enrichiront pas le Québec, mais plutôt l’élite de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, où 98 % se dirigeront.

Ces départs ont-ils été comblés par les nouveaux anglophones ? Ni pour 327 000 d’entre eux (845 000-518 000) ni pour les 518 000 autres. Sans chipoter sur les chiffres, le régime linguistique actuel a produit un système migratoire saignant à blanc le Québec, mais bénéficiant structurellement à ses voisins. La stabilité des PLOP anglais (jusqu’en 2016) masquait la disparition des Anglo-Québécois et la production effrénée d’anglophones. Et était la cause du maintien tout à fait relatif du français.

La clé de voûte : les institutions anglophones

Disparue, la « minorité » n’a pas pu causer l’anglicisation galopante actuelle que l’on constate depuis plusieurs années. En réalité, le Québec « a anglicisé et continue de le faire sans Anglo-Québécois ». Il le fait d’ailleurs mieux qu’il ne francise, même si le français a l’avantage de pouvoir s’appuyer sur toute la population québécoise.

Par contre, la minorité dispose d’institutions devenues énormes, aujourd’hui au service de 1,1 million d’anglophones et toujours en croissance. Or il est hautement improbable qu’un renforcement du « français-langue de travail » puisse surpasser le puissant vacuum main-d’œuvre/clientèle des CUSM, McGill, Concordia, Dawson, etc. La minorité des 258 000 Anglo-Québécois ne peut fournir tous les travailleurs demandés par ces institutions. Aussi l’embauche extracommunautaire y est-elle massive. De fait, les institutions anglophones forment la ligne de résistance au français et sont le moteur de l’anglicisation pour les populations qui y ont été enrôlées.

Quant aux institutions francophones, elles ont elles aussi fait leur part dans l’anglicisation. Elles ont dû s’adapter aux débordements de la demande anglophone et se mettre à la recherche d’une main-d’œuvre connaissant l’anglais, ce qui s’est avéré particulièrement vrai dans les zones de population de PLOP anglaise.

La solution du « renforcement du français-langue de travail » : la proie pour l’ombre ?

Puisque les deux réseaux actuels continuent à se battre pour du personnel connaissant l’anglais, le renforcement du « français-langue de travail » ne serait-il qu’un coup d’épée dans l’eau ?

Solution 1 : Fabriquer de nouveaux francophones augmenterait sans doute la rareté de la main-d’œuvre parlant anglais et même franglais. En contrepartie, la pénurie de main-d’œuvre parlant anglais pourrait avoir l’implication de faire augmenter les salaires du côté anglais de manière à débaucher quelques francophones, allophones et autres immigrants. La mesure n’aurait-elle pas pour autre implication imprévue l’augmentation de la soif d’anglais, qui deviendrait plus que jamais la langue de la mobilité et de la réussite sociales ? De toute évidence, le problème reste encore une fois le vacuum de main-d’œuvre puis de clientèle qui existent dans le réseau anglais.

Solution 2 : renforcer le « français-langue de travail » de même que l’enseignement du français ET de l’anglais. Ces mesures ralentiraient le vacuum du côté anglais prédit sous la solution ١. Mais elles ne l’élimineraient en rien. D’ailleurs, le renforcement de l’enseignement de l’anglais dans les écoles primaires et secondaires de langue française a bien eu lieu au cours des années 2000. Or le résultat n’a pas empêché la croissance du réseau anglais, bien au contraire.

Bien d’autres solutions seraient sans doute envisageables. Aucune plus efficace que le financement par non-ayants droit/ayants droit.

Propositions pour un nouveau régime linguistique

Comment protéger le français et en faire la langue commune tout en protégeant les droits de la « minorité anglo-québécoise » ? Éviter que l’État ne finance à ses frais des services encourageant l’anglicisation ? Éviter que chaque individu ait à s’identifier pour faire connaître ses droits ? Assurer l’égalité entre le droit de travailler en français et celui de demander et d’obtenir des services en anglais ? Et protéger tout le territoire ?

L’État a la pleine possibilité constitutionnelle de créer, diriger et financer un réseau gouvernemental français d’une part, et un réseau gouvernemental anglais d’autre part (dans ses principaux éléments). Deux réseaux à base territoriale et progressivement financés en fonction du poids relatif des non-ayants droit/ayants droit.

Le réseau gouvernemental français travaillerait uniquement dans sa langue, protégeant ainsi le « français-langue de travail » ; la traduction y serait entièrement à la charge des demandeurs. Par définition, ce réseau desservirait tous les non-ayants droit. Le « français-langue de travail » serait justiciable. Il en découlerait un effet d’entraînement qui imprégnerait en profondeur la Culture politique individuelle des Québécois, de même que l’action de l’État face au secteur privé, dans ses relations extérieures et ses rapports avec les Premières Nations.

En parallèle se trouverait un réseau gouvernemental de langue anglaise, dont le financement serait lié aux effectifs des Anglo-Québécois. Le financement alloué à chaque réseau devrait intégrer toutes les sources de financement privé, sous peine de déséquilibre entre les deux réseaux.

Nul besoin d’identifier les ayants droit par un quelconque moyen. Il est parfaitement possible de garder ouvert à tous l’accès aux services dans le réseau et la langue désirés. Selon cette configuration des services publics, toute personne pourrait se diriger dans le réseau de son choix, y assumant la traduction et les files d’attente découlant du rapport demande/offre.

Ce nouveau régime linguistique, banal pour toute nation forte, préserve les services offerts aux Anglo-Québécois comme les Québécois le font déjà de manière exemplaire. Il replace parmi les non-ayants droit les Canadiens anglais des autres provinces. Ce faisant, il comble une lacune vitale en permettant au législateur de protéger l’intégralité du territoire contre les migrations provinciales, particulièrement l’Outaouais, Montréal et plusieurs autres sous-régions limitrophes. L’anglicisation de parties du territoire est le socle de la partition.

Bilan de 40 ans de loi 101

Après 50 ans de migrations interprovinciales entraînant un déficit de 518 000 anglophones (et la disparition de la minorité anglo-britannique), le recensement de 2016 a montré la prépondérance écrasante des personnes de PLOP anglaise parmi la « communauté anglophone », noyant complètement la « minorité anglo-québécoise ».

Après 50 ans de lois linguistiques, dont 40 ans de loi 101, il est par ailleurs carrément impossible d’affirmer que la pérennité du français est garantie par les lois actuelles. Au contraire, le Québec a, durant tout ce temps, patiemment créé sa propre « communauté anglophone » et financé son expansion, forçant sa propre fonction publique à servir en anglais le moindre individu débarquant du bout du monde commençant à baragouiner l’« anglais-langue seconde ».

De fait, le dynamisme économique et assimilateur de la communauté anglophone s’appuie sur des institutions trop grandes pour la minorité anglo-québécoise et l’appel de main-d’œuvre et de clientèle qui s’ensuit. Profitant au surplus des politiques de bilinguisme pratiquées par l’État provincial et par l’État fédéral. Ce dynamisme s’appuie aussi sur une formation québécoise de qualité obtenue pour une bouchée de pain et de solides services sociaux, sur le bras de la population. Le Québec sert de marchepied pour quiconque vise à faire partie de l’élite canadienne-anglaise.

L’indépendance n’y changerait rien.

Un régime linguistique pour une nation forte

La présente proposition est digne d’un Québec fort et sûr de lui-même. Elle a la capacité de protéger le français et de réconcilier cette intention avec la protection exemplaire de sa minorité.

La nouvelle dynamique créée augmenterait les besoins de main-d’œuvre parlant français et augmenterait la clientèle francophone, renversant la dynamique actuelle du développement accéléré de la main-d’œuvre et de la clientèle anglophones. La nouvelle dynamique donnerait à la minorité anglo-québécoise une place conforme à sa réalité.

 


1 Chez les enfants de langue maternelle anglaise, seuls 38 % avaient deux parents anglophones (lang. mat.), 32 % n’en avaient qu’un seul et 30 % n’en avaient aucun (et 21 %, deux parents allophones). Les effectifs de la Minorité partageant ce profil, près de la moitié d’entre eux (30 % + 32 %/2 = 46 %) auraient des parents francophones ou allophones. Les effectifs de la Minorité ayant un ou deux parents anglophones représenteraient donc 54 % des effectifs, près de 140 000 personnes. Statistique Canada, Recensement de 2016, fichier 98-400-X2016079.

 

La loi 101 fut indéniablement bonne en son temps, le Québec partait de si loin. Elle a cependant jeté les bases du recul actuel. Voici pourquoi.

Cinq erreurs majeures de la loi 101

Dans sa conception même, la Charte de la langue française repose sur cinq erreurs majeures. La loi 101 aurait dû :

  1. définir les ayants droit (aux services publics en anglais) ; hormis l’école, elle ne l’a pas fait ;
  2. prévoir l’adaptation des services publics anglais à la possibilité d’une décroissance démographique de la minorité ; elle ne l’a pas fait ;
  3. éviter de hiérarchiser les droits en soumettant le droit de travailler en français au droit d’être servi en anglais ; elle ne l’a pas fait ;
  4. trouver le moyen de rendre le « français-langue de travail » réellement justiciable ; l’échec est cuisant ;
  5. protéger l’intégralité du territoire québécois contre les migrations interprovinciales ; le territoire québécois s’offre toujours à qui en a les moyens.

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