David Preston. Braddock’s Defeat

David Preston
Braddock’s Defeat. The Battle of the Monongahela and the Road to Revolution, Oxford University Press, 2015, 460 pages

Braddock’s Defeat nous transporte dans un lieu et une période où les intérêts de la Nouvelle-France s’imbriquent avec ceux des Amérindiens du nord-est du continent. Et il ne s’agit pas de n’importe quelle période : il s’agit des débuts de la guerre de Conquête, nommée guerre franco-indienne (French and Indian War) par les Américains et guerre de Sept Ans par les Européens.

Tout d’abord, un mot sur le général Braddock. Commandant en chef des forces militaires britanniques en 1755, Edward Braddock organisera une expédition à travers les Appalaches afin de détruire le fort Duquesne (l’actuelle Pittsburgh), construit par la Nouvelle-France. Son armée comprendra plus de 2 000 individus, soldats anglais et miliciens des colonies américaines. Sept Amérindiens sont dans les rangs (p. 201).

George Washington, qui a alors 23 ans, accompagne Braddock à titre d’aide de camp. Il sait à qui il a affaire : selon ses termes, à des « Français Canadiens » rompus à la guerre. Bien qu’ayant à peine trente ans, certains des officiers « Français Canadiens » ont déjà participé, aux côtés d’Amérindiens, à des dizaines de combats en Acadie, en Nouvelle-Angleterre, à New York et en Pennsylvanie.

Toutefois, une chose importante échappe alors à l’attention de Washington et des dirigeants britanniques : l’existence d’une formidable coalition amérindienne prête à se jeter dans la bataille. De 600 à 700 Amérindiens combattront contre les troupes de Braddock. Ils proviennent de plus de vingt communautés et peuples autochtones. « C’est la plus grande coalition amérindienne jamais rassemblée jusqu’alors en Amérique du Nord », affirme l’auteur, un professeur d’histoire du collège militaire The Citadel de la Caroline du Sud. Une coalition, constate-t-il, qui ne s’est pas construite du jour au lendemain. « Les Français et les Amérindiens ont dû l’assembler et l’unifier » (p. 132).

L’auteur explique la dimension extraordinaire de cette participation amérindienne par l’avancée territoriale continue des anglo-américains, notamment par l’entremise de traités frauduleux comme le « Walking Purchase » de Pennsylvanie. Il mentionne aussi les faiblesses de la diplomatie britannique et coloniale (p. 116-117).

Du côté « français », l’auteur met en évidence la qualité de la vision politique des dirigeants de la Nouvelle-France qui ont bâti une chaîne de forts dans la vallée de l’Ohio tout en développant activement les alliances avec les Amérindiens de la région (p. 131). Ces forts sont des lieux d’approvisionnement pour les Amérindiens et les soldats. Ils facilitent la venue des Amérindiens de la vallée du Saint-Laurent et de fort Michilimakinac. Enfin, ces forts symbolisent la capacité de soutien militaire et logistique de la Nouvelle-France à l’égard de ses alliés.

Par ailleurs, comme le feraient des diplomates de carrière, les responsables militaires de ces forts œuvrent intensément à entretenir et développer les alliances amérindiennes. En raison de ses succès, l’auteur estime que le capitaine du fort Niagara, Liénard de Beaujeu, qui lancera l’attaque contre Braddock fut « l’un des officiers les plus remarquables de l’histoire de l’Amérique coloniale » (p. 131).

La bataille de la Monongahela a lieu le 9 juillet 1755 à moins de 30 kilomètres de Pittsburgh. Elle oppose les 2 000 combattants de Braddock aux forces coalisées des 600 à 700 Amérindiens, 108 soldats de la Marine et 146 miliciens de la Nouvelle-France (p. 222). Cette journée-là, en l’espace de trois heures, l’armée de Braddock sera battue et passera à deux doigts de la destruction totale. La bataille de la Monongahela et le nom de Braddock symboliseront la plus importante défaite militaire anglaise du XVIIIe siècle.

L’auteur estime que les forces amérindiennes ont alors bataillé comme une force d’infanterie légère (p. 234) et les soldats et miliciens canadiens, comme forces auxiliaires (p. 237). Sans l’appui amérindien, les forces armées de la Nouvelle-France n’auraient pu vaincre celles de Braddock (p. 149).

Tout au long de l’histoire de la Nouvelle-France, rappelle l’auteur, les Troupes de la Marine ont fourni les « cadres militaires » de la milice canadienne et des alliés amérindiens. La pratique courante consistait à intégrer des officiers ou des cadets aux partis de guerre amérindiens qui frappaient le long de la frontière des colonies britanniques (p. 159). Des qualités de persuasion et la capacité à diriger par l’exemple et la bravoure étaient capitales étant donné l’indépendance d’esprit des guerriers autochtones (p. 235). Tout au long de l’histoire des rapports militaires entre la Nouvelle-France et les colonies britanniques, les meilleures compagnies de la Marine ont, dit-il, constamment surclassé leurs vis-à-vis britanniques (p. 151).

Maintenant, quelles furent les conséquences de la défaite de Braddock ?

Des « dizaines de milliers » de colons de la frontière de la Virginie et de la Pennsylvanie ont fui vers l’intérieur. Une peur énorme s’est déployée dans les élites et la population blanche : celle de l’insurrection et du soulèvement des esclaves noirs, particulièrement nombreux en Virginie (p. 278-279). Un certain esprit défaitiste s’est également développé ; des colons anglo-américains attribuant cette défaite au poids de leurs « péchés » (p. 283).

L’auteur qualifie la bataille de la Monongahela comme la « plus importante victoire militaire des Français Canadiens » (p. 328). Mais « étrangement », dit-il, elle n’a pas validé la stratégie suivie par le gouverneur Vaudreuil, à savoir la guerre sur les frontières menée conjointement par les forces amérindiennes, canadiennes et françaises (p. 293).

Au contraire, l’arrivée des troupes de terre françaises et de leurs chefs à partir de 1755 signale le début de l’imposition graduelle d’un autre modèle militaire, celui de la guerre conventionnelle sans appui des forces amérindiennes. Et comme le montre l’échec de Dieskau au lac George en septembre 1755, la guerre ne pouvait pas être gagnée de cette façon (p. 295).

La grande historienne Louise Dechêne1 a déjà présenté le gouverneur Vaudreuil comme un homme « vieillissant, amer et méfiant » face à Montcalm (p. 371). Elle a aussi avancé que la politique de raids armés contre les colonies américaines venait de Versailles (p. 185).

Mais comme l’esquisse ce livre du professeur d’histoire du collège militaire américain The Citadel, c’était aller un peu trop vite en affaires.

Un livre de Matthew C. Ward nous aidera à aller un peu plus loin2. L’auteur, qui est chargé de cours (lecturer) au département d’histoire à l’université de Dundee en Écosse, esquisse ce qu’on pourrait appeler une doctrine Vaudreuil. La seule façon de gagner le conflit armé contre les Anglais, soutient Pierre de Rigaud de Vaudreuil, est d’amener la guerre dans les colonies anglaises et d’envoyer des groupes amérindiens armés dans leurs territoires. « Rien ne pourrait davantage susciter, chez leurs citoyens, la volonté de conclure la paix », affirme Vaudreuil (p. 46).

Et ça marche. Au début de la French and Indian War, les raids armés dépeuplent de grandes zones de territoire en Virginie et en Pennsylvanie. Les colons fuient. Les raids frappent jusqu’à 65 kilomètres de Philadelphie (p. 71) ! Selon Ward, une division du travail s’opère entre Amérindiens et Canadiens : les premiers attaquant surtout les fermes et les communautés isolées afin de faire fuir les colons, alors que les seconds s’en prennent à des cibles militaires. Accompagnés de guerriers amérindiens, les militaires et les miliciens canadiens concentrent leur puissance de feu sur le comté de Cumberland dans l’état actuel du Maryland. À l’été 1756, neuf forts anglais ont été attaqués et cinq sont détruits (p. 68).

En Pennsylvanie, les Quakers et les Mennonites, pacifistes par conviction, refusent de prendre les armes. Au printemps 1756, Georges Washington note que plusieurs colons de Virginie envisagent la capitulation et la paix « avec les Indiens et les Français » (p. 69). Un phénomène similaire se produit en Pennsylvanie (p. 71). Ce n’est qu’à l’automne 1756 que se crée une milice en Pennsylvanie. Dans certaines unités de l’armée britannique, les désertions atteignent jusqu’à 30 % des effectifs (p. 108). Pour les contenir, Washington ordonne des pendaisons publiques (p. 113). À la fin de 1757, dit Washington, rien n’est décidé et tout peut pencher d’un bord comme de l’autre (p. 156).

Parallèlement, les autorités de la Nouvelle-France agissent afin de renforcer l’alliance avec les Amérindiens3.

Cependant, la prise du fort Duquesne à la fin de 1758 change la donne et signale, selon Ward, le début de la fin de la Nouvelle-France. La colonie reculera jusqu’à la défaite quasi-finale des Plaines d’Abraham où l’on trouvera, tout de même, 1 200 Autochtones alliés à la Nouvelle-France… très mal employés par Montcalm4.

Nous vous avions promis une randonnée dans le monde de la pensée et de la connaissance. C’est moins drôle qu’un scénario de bande dessinée conçu par des spécialistes en didactique de l’histoire (l’avenir de nos enfants est entre bonnes mains), mais c’est autrement plus satisfaisant car plus vrai.

La Nouvelle-France a joué un rôle clé dans le combat mené par les Amérindiens contre leur dépossession territoriale. Les dirigeants de la colonie – Vaudreuil au premier chef dont il faudra bien un jour écrire une biographie complète –, ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour maintenir l’alliance amérindienne, faire reculer les colons anglo-américains, et susciter par un rapport de force militaire, la conclusion de traités de paix avec les colonies du sud. Les élites des colonies anglaises ont eu une peur atroce que la French and Indian War ne débouche sur le soulèvement de centaines de milliers d’esclaves noirs5. En éliminant leur allié canadien, la Conquête n’a rien eu de providentiel ni pour ces esclaves, ni pour les Amérindiens du nord-ouest américain. À cet égard, et c’était l’objectif de cette note de lecture, la Nouvelle-France a joué un rôle éminemment positif qu’on doit reconnaître et apprécier à sa juste et pleine valeur. 

 


1 Louise Dechêne, Le Peuple, l’État et la guerre au Canada sous le Régime français, édition préparée par Sylvie Dépatie, Catherine Desbarats, Hélène Paré et Thomas Wien, Montréal, Éditions du Boréal, 2008, 664 pages

2 Matthew C. Ward, Breaking the Backcountry : The Seven Years’ War in Virginia and Pennsylvania, 1754-1765, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2003, 360 pages

3 Par exemple, à l’été 1756, Vaudreuil invite les Cherokees (situés en Caroline du Sud) à Détroit afin de les intégrer à l’alliance de façon à envelopper les colonies américaines du sud (p. 142-145). De la base militaire du fort Toulouse près de Montgomery, la capitale actuelle de l’Alabama, des raids sont lancés contre les Cherokees afin de les dissuader de rejoindre l’armée britannique (p. 165). À l’automne 1756, Vaudreuil invite les Delawares à déménager et à s’établir dans les environs du Fort de la Presqu’Île (p. 151).

4 Voir Peter MacLeod, La vérité sur la bataille des plaines d’Abraham. Les huit minutes de tirs d’artillerie qui ont façonné un continent, Montréal, Éditions de l’Homme, 2008, p. 108.

5 Voir Robert M. Owens, Red Dreams, White Nightmares : Pan-Indian Alliances in the Anglo-American Mind, 1763–1815, Norman (Oklahoma), University of Oklahoma Press, 2015.