David Goudreault (dir.)
Ta langue !
Éditions Robert, Collection Le Robert Québec, 2024, 208 pages
Ta langue ! est un ouvrage collectif dirigé par David Goudreault. Auteur, poète et bien plus, sa sixième publication regroupe douze auteurs qui rendent hommage à la langue française, mais pas que. En effet, dans ce livre de 202 pages, les contributeurs témoignent de leur rapport à la langue française sous diverses formes : essai, témoignage, poèmes et plus. Le lecteur peut s’attendre à explorer une variété de perspectives riches en réflexions et anecdotes personnelles sur la manière par laquelle la langue française peut être appropriée individuellement comme une matière malléable. Les textes sont entrecoupés de citations inspirantes par des personnalités qui ont marqué l’histoire de la langue française et du Québec, ajoutant au plaisir de la lecture.
L’ouvrage collectif commence par un mot de David Goudreault qui donne le ton que prendra le reste de la lecture. Pourquoi s’intéresser à la langue française et se l’approprier est la question qui sous-tend son texte, mais aussi l’ouvrage. Il répond en partageant des observations et des réflexions liées au rapport que lui et la société ont avec la langue française à travers le temps, de son enfance à aujourd’hui. S’il admet que l’anglais s’impose naturellement de par la position du Québec en Amérique du Nord et par conséquent contamine la langue française, il met en lumière quelques réalités qui méritent d’être soulignées, réalités qui nourrissent sa passion pour son art. Selon David Goudreault, le français est une langue à laquelle on prend goût, prendre la langue, comme il dit. Pour se faire, les mots d’ordre de l’État devraient être « franciser et intégrer ». Car comme il dit « refuser de se taire, c’est dire l’essentiel » que le français est une langue vive et vivace.
Les deux premiers textes concernent la situation linguistique du français au Québec.
Frédéric Lacroix est chercheur indépendant et essayiste. Dans son texte, Frédérique dresse un portrait historique rapide des efforts pour affirmer la langue française au Québec. Il rappelle quelques gestes importants et leurs effets parfois positifs, parfois négatifs, sur la situation linguistique du français. Il en arrive à la conclusion qu’il faut soit désespérer ou agir. Pour sa part, il décide d’agir.
Cela ne semble pas être le cas pour Marie-France Bazzo, productrice et animatrice, qui semble désespérer. Comme elle dit : « On a cette déplaisante impression de quêter un privilège, alors que c’est un droit. » Elle se désole de la façon dont les gens font usage du français, avec les fautes, les anglicismes, les conjugaisons aléatoires et plus. Elle craint ce seuil lorsque le pourcentage des francophones sera trop bas pour renverser le mouvement de l’anglicisation. Toutefois, à voir l’histoire des francophones, elle croit que « nous ne sommes pas tuables ». Pour renverser la tendance, il faut être aux aguets et immensément généraux : déployer l’arsenal législatif et le renforcer, oser le cégep en français obligatoire, investir massivement en francisation des immigrants et en alphabétisation, revaloriser la culture québécoise. Et bien plus. Au final, le lecteur en viendra à sa propre conclusion que Marie-France Bazzo a en fait choisi l’action.
Les sept textes suivants traitent de la relation culturelle que les auteurs ont avec le français, décrivent comment ils en font son usage et font découvrir au lecteur que la langue française est autre chose que juste un moyen de communication.
Francis Ouellette, écrivain et distributeurs de films, décrit ses réactions et conteste les particularités linguistiques du français en fonction des époques et des cultures : devrait-il n’y avoir qu’un français ? Que faire des « autres » français ? Il explore celui de sa grand-mère et celui de la Louisiane. Il fait des comparaisons avec la langue innue. Avec toutes les critiques qui se font sur l’usage du français et ses mutations, l’auteur n’y voit qu’une chose : que le français est encore là, envers et contre tous. Si certains ont l’impression qu’il disparaît, Francis Ouellette rappelle que la mutation des langues est inévitable et invite le lecteur à prendre le temps de s’y adapter.
Parlant de différentes manières de s’exprimer, le texte qui suit est celui de Michel Tremblay, dramaturge et romancier. L’auteur nous offre un texte plutôt amusant, sur le bon usage des sacres et autres considérations sur la langue écrite.
Le cinquième contributeur, Jean-François Létourneau, enseignant et écrivain, pose la question « Pourquoi chantons-nous ? ». L’envie de chanter lui vient de son amour pour les gens du voyage : ces nomades, migrants et vagabonds, avec leurs gestuelles, leurs accents et leurs langues. Il nous parle de ces écrivains, conteurs et chanteurs ainsi que les résistants, les rêveurs et les utopistes. C’est la rencontre de tous ces mondes qui lui donne le goût de chanter et de le faire en français, car pour lui, c’est cette langue qui permet d’appréhender le monde, de le nommer et le saisir. Sauf que pour le faire, il a besoin des autres langues, celle des gens du voyage et de leurs chansons à travers lesquelles il découvre d’autres manières d’appréhender le monde. Découvertes qui lui permettront à son tour de mieux appréhender son monde, en français.
Arrive donc au bon moment de la lecture un texte de Maya Cousineau Mollen, conseillère et écrivaine innue. Celle-ci nous décrit la complexité de son identité, ses allégeances politiques et son rapport avec la langue française. Vue comme une arme pacifique pour défendre les droits des autochtones, la langue française est à la fois une langue coloniale, mais aussi une langue de poésie pour s’exprimer.
Mélissa François, journaliste en milieu anglophone, est d’origine caribéenne. Elle s’intéresse aux langues, car si le français a longtemps été sa langue de travail et le créole une langue d’intérêt, l’anglais est devenu sa langue de travail. Elle raconte son expérience unique qui exige à la fois une maîtrise des langues et leur sens politique. Alors qu’elle parle en anglais au travail, ses collègues américains y voient une opportunité pour pratiquer leur français avec elle. Et même si elle n’a visité qu’une seule fois la terre natale de ses parents haïtiens, elle s’intéresse à la question linguistique de ce pays : devrait-on faire du créole la langue d’enseignement et des affaires internationales, considérant qu’il y a 11 millions de locuteurs ?
Édith Butler, auteure-compositrice-interprète acadienne, nous raconte son rapport à la langue française de la perspective du peuple acadien qui fût il y a des siècles un peuple bon vivant, puis arraché de ses terres et aujourd’hui en quête d’autodétermination politique, culturelle et linguistique. Que faire lorsque le retour de son peuple et sa langue se butent à un français contemporain européen ? Lorsqu’un peuple se fait dire qu’il parle mal sa propre langue ? L’auteure plaide que sa langue soit celle qu’il faut célébrer, car elle seule peut encore exprimer certaines réalités sensibles.
Rachida Azdouz, psychologue, autrice et analyste dans les médias, nous décrit sa relation parfois complexée et décomplexée avec le français de France, sa langue maternelle le darija du Marco et le français du Québec. Se considérant d’abord francophone, elle explique que les différentes formes d’usage du français et du darija comme des moyens pour exprimer différentes facettes de sa personnalité et de son monde.
Les trois derniers textes changent de registre. Toujours au niveau personnel, les auteurs décrivent leur rapport à la langue d’un point de vue de la philosophie, du bien-être et de la politique.
Normand Baillargeon, philosophe et essayiste, retrace son rapport à la langue depuis son enfance en Afrique à ses cours universitaires et ses expériences avec le français. Si au départ le français n’est qu’une langue avec plusieurs particularités en fonction du territoire, le français et les langues deviennent parties prenantes d’une question existante : sont-elles le remède aux maux ? Pour répondre à cette question, l’auteur explore plusieurs thèmes, comme les mathématiques, l’endoctrinement et le savoir.
Mélanie Béliveau, médecin et poétesse, raconte comment les mots peuvent soigner ou même blesser. Elle raconte son expérience avec une jeune patiente que la poésie a aidée à travers ses traitements. Elle explique comment écrire lui a permis de digérer des situations stressantes dans sa vie, mais aussi comment, si nous ne sommes pas prudents avec nos mots, lorsque nous parlons trop, nous pouvons également blesser.
Enfin, Stéphan Bureau, journaliste, animateur et producteur, nous offre un texte davantage politique. En faisant référence à « Speak White », l’auteur décrit la situation linguistique du Québec et son incapacité de trouver les bons mots pour décrire son indignation. À cela se mêle poétiquement une espèce de manifeste pour la langue française, pour un mouvement pour sa protection et sa valorisation.
Si tous ces textes enrichissent l’esprit du lecteur, l’ouvrage aurait bénéficié d’un texte de plus : celui de la perspective d’un anglophone s’étant approprié la langue française et la culture québécoise, que ce soit un Anglo-Québécois, un anglophone du ROC ou même un Américain.
Au final, David Goudreault et ses collaborateurs réussissent à transporter le lecteur à travers les multiples mondes de la langue française et démontrent, ou rappellent, que le français peut être, ou est déjà, le bien commun du Québec que chacun peut s’approprier individuellement, qu’elle peut être « Ta langue ! ».
Jean-François Plante-Tan
Fondateur de Pour l’amour du français