Depuis plusieurs mois, les média font état d’histoires d’horreur dans plusieurs résidences pour aînés : décès par ébouillantement, morts suspectes, manque d’hygiène, négligence dans les soins, nourriture de piètre qualité, personnel unilingue anglophone dans des résidences privées sous contrat avec le gouvernement, etc. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Pour bien comprendre les enjeux de l’hébergement des aînés, il faut d’abord faire un portrait global et un historique de l’hébergement des personnes âgées en perte d’autonomie. Distinguons quatre grands secteurs :
- les CHSLD (Centres d’hébergement et de soins de longue durée) publics et privés conventionnés ;
- les ressources intermédiaires, les RI, que l’on pourrait qualifier de « secteur public privatisé » ;
- le secteur privé ;
- le secteur communautaire et coopératif.
Dans un premier temps, nous ferons un portrait de ces quatre secteurs. Puis nous traiterons de quelques enjeux du soutien à domicile, enjeux qui sont directement reliés à l’hébergement. Nous terminerons par huit pistes d’action.
1. Les CHSLD publics et « privés conventionnés »
Ce secteur réunissait 39 400 lits en 2010. En 1992, il y avait 46 100 lits de CHSLD dans tout le Québec[1]. Donc on constate une diminution de plus de 6 000 lits en 18 ans. Uniquement à Montréal, 1700 lits de CHSLD ont été fermés depuis 2006, soit une baisse de 12 %[2].
On observe une contradiction importante : le gouvernement ferme des lits de CHSLD alors que la liste d’attente est impressionnante. Au Québec, 7209 personnes attendent une place en CHSLD. A Montréal, 2470 personnes sont en attente mais il faut bien analyser cette liste :
1420 personnes attendent à domicile avec des services insuffisants, tandis que 450 personnes attendent dans un hôpital de courte durée et 600 personnes veulent changer de CHSLD.
La situation la plus difficile est celle vécue par les personnes et les familles qui attendent à domicile qu’une place en CHSLD se libère.
Une place en CHSLD coûte en moyenne, annuellement, 60 000 $. Nous verrons plus loin la différence de coûts avec les ressources intermédiaires. Dans les CHSLD et les RI, les usagers contribuent en fonction de leurs revenus, ce qui est une formule équitable. Les usagers des CHSLD paient entre 1017 $ et 1637 $ par mois. Ceux des RI versent entre 1017 $ et 1150 $ par mois.
En plus des CHSLD publics, il existe ce qu’on appelle un petit nombre de CHSLD « privés conventionnés ». Les bâtiments sont la propriété d’une compagnie privée mais le gouvernement lui donne des subventions per capita telles que les employés y sont aussi décemment rémunérés que dans les CHSLD publics. Ainsi, les préposés aux bénéficiaires y reçoivent entre 18 $ et 20 $ de l’heure, ce qui permet d’y avoir un taux de rotation qui ne soit pas anormalement élevé, comme nous le verrons plus loin dans le cas des ressources intermédiaires où le personnel est sous-rémunéré. Par contre, il n’est pas assuré que l’on trouve, dans ces CHSLD « privés conventionnés », un ratio de personnel aussi élevé qu’en CHSLD public et que le personnel y ait une qualification aussi élevée.
Pour complexifier le portrait, le gouvernement a lancé récemment la formule des CHSLD en PPP, pour économiser, dit-il, alors que des études montrent que cela coûte plus cher. Une étude récente de la firme MCE Conseils[3] a démontré que le CHSLD St-Lambert-sur-le-Golf, construit en PPP, va coûter 60 millions $ de plus au Trésor public que si ce CHSLD avait été construit en mode public, comme auparavant. L’étude conclut aussi que le budget de 203 millions sur 25 ans consenti au CHSLD Saint-Lambert-sur-le-Golf ne tient pas la route et devra nécessairement être revu à la hausse, soit à 287 millions. Parce que la clientèle va s’alourdir avec le temps, ce qui forcera une bonification des 3,44 heures de soins par jour par patient négocié avec le propriétaire.
L’étude commandée par la CSN fait aussi valoir que les bas salaires devront être rehaussés pour assurer la continuité des soins en cette période de pénurie de personnel qualifié.. Depuis l’ouverture, on évalue le taux de roulement du personnel à 44 %. C’est plus du double de ce qu’on retrouve normalement. Une émission Enquête, diffusée à Radio-Canada, a illustré l’impact négatif de tout ceci sur la quantité et la qualité des services offerts aux usagers.
Le gouvernement Charest planifie de construire encore quatre nouveaux CHSLD en PPP, trois en Montérégie, un à Laval. Ne serait-il pas préférable que le gouvernement, s’il ne veut pas construire des CHSLD publics à cause du coût de l’investissement initial, crée alors de nouveaux CHSLD « privés conventionnés », ce qui serait un moindre mal ?
Lors de l’émission Enquête de Radio-Canada, sur le PPP au CHSLD St-Lambert-sur-le-Golf, Yvan Gendron, le pdg de l’Agence régionale de la Montérégie, dans une scène surréaliste, a déclaré qu’il n’y avait pas de problème. Il avait envoyé au CHSLD un employé qui a examiné les colonnes de chiffres. Ce dernier lui a dit que « les chiffres balançaient » et que c’était conforme au contrat. Ils n’ont pas enquêté ni auprès des usages, ni auprès de leurs familles, ni auprès du personnel. La Nouvelle Gestion Publique, la NGP, ça consiste à ne pas aller sur le terrain, à regarder les colonnes de chiffres et à dire que tout va bien. Surréaliste, n’est-ce pas ?
Une dizaine de familles de personnes hébergées au CHSLD St-Lambert-sur-le-Golf ont publié une lettre courageuse dans La Presse, dénonçant la situation[4]. Réaction du ministère : on va déplacer vos parents dans un autre CHSLD, si vous le voulez. Donc, au lieu de reconnaître le problème, le ministère tente d’isoler les familles contestataires. Il voudrait montrer que le problème n’est pas collectif mais causé par un petit nombre de récalcitrants. N’est-il pas odieux de manipuler ainsi les familles qui sont conscientes des problèmes structurels causés par les PPP ? Si les usagers soutenus par ces familles déménagent, les problèmes demeureront évidemment présents pour tous les usagers qui n’auront pas changé de CHSLD.
Un rapport d’une conseillère clinique, Reine Martin[5], confirme les lacunes constatées par les familles. L’Agence régionale et le CHSLD mettront-ils en place les correctifs demandés ?
Notons enfin ce que la journaliste Kathleen Lévesque a écrit dans Le Devoir du 27 septembre 2010 : « Les quatre administrateurs qui dirigent le premier établissement de santé au Québec construit en partenariat public-privé (PPP) sont de généreux contributeurs du Parti libéral du Québec. Leurs dons, qui totalisent 58 600 $, ont pris de l’ampleur au fur et à mesure que se concrétisait le choix du gouvernement pour les PPP[6]. »
2. Les ressources intermédiaires, que l’on pourrait qualifier de « secteur public privatisé »
Les ressources intermédiaires ne sont pas une création récente, elles existent depuis des années. Elles sont regroupées en deux catégories, les 9 places et moins (gérées par une personne physique) et les 10 places et plus (gérées par une personne morale). Les RI font partie de ce que le gouvernement appelle dans son jargon les « ressources non-institutionnelles » (RNI) qui regroupent aussi ce qu’on désignait autrefois comme les « familles d’accueil ». Dans un accès de technocratie, le gouvernement a décidé d’appeler dorénavant ces dernières des « ressources de type familial » (RTF). On n’arrête pas le progrès ! En fait, le gouvernement a décrété que, dans les cas des jeunes, c’est adéquat de les appeler « familles d’accueil », mais que pour les aînés, il fallait parler de « résidences d’accueil ». En 2006, au Québec, il y avait environ 2400 personnes âgées hébergées dans des résidences d’accueil. Il existe aussi des familles d’accueil et des ressources intermédiaires de petite taille pour diverses autres clientèles : jeunes, personnes ayant un handicap, etc.
Les RI de 10 places et plus existent depuis un bon moment mais le gouvernement a décidé, sans consultation véritable, de forcer leur multiplication, tout simplement en décrétant que les CHSLD limiteraient leur clientèle à des personnes nécessitant trois heures de soins par jour, alors qu’auparavant les CHSLD admettaient des personnes ayant besoin de deux heures, puis ensuite de deux heures et demi de soins par jour. Les RI héritent donc des personnes ayant besoin entre deux heures trente et trois heures de soins, tandis que les CLSC doivent aider à garder à domicile les personnes nécessitant « moins de deux heures et demi de soins par jour sans surveillance ».
L’Agence de Montréal avait décidé de limiter les RI à des établissements entre 25 et 40 lits chacun mais l’entreprise privée entendait plutôt offrir des bâtiments allant jusqu’à 90 lits : l’Agence a aussitôt accepté. Qui décide de l’organisation publique des soins au Québec ? Est-ce l’entreprise privée[7] ?
Le gouvernement favorise les RI parce qu’une place y coûte en moyenne 35 000 $ par an, comparativement à 60 000 $ pour une place en CHSLD. Cela est rendu possible par le fait que les employées des RI sont mal payées : elles gagnent entre 10,50 $ et 13 $ l’heure (en moyenne autour de 12 $), soit à peine plus que le salaire minimum. Plusieurs vivent sous le seuil de la pauvreté. Malgré leur dévouement, elles sont débordées parce qu’elles sont en moins grand nombre que dans les CHSLD. De plus, elles sont souvent moins bien formées. Leur taux de rotation est élevé. 82 % du personnel des ressources privées est féminin : concrètement, la privatisation, c’est l’appauvrissement garanti des femmes. Les préposées ont une moyenne d’âge de 44 ans et une moyenne d’ancienneté de 4 ans.
Il a été constaté dans certaines RI que du personnel unilingue anglophone est affecté au service de bénéficiaires francophones.
A noter qu’il faut aussi considérer un coût supplémentaire à ajouter aux 35 000 $ : en effet, ce sont les CSSS qui doivent fournir aux RI le personnel infirmier externe et le personnel de réadaptation externe (physiothérapie, etc.).
La politique néo-libérale du gouvernement Charest est claire : il encourage l’accroissement des écarts de revenus entre les riches et les moins nantis en favorisant la création d’emplois sous-payés. Tout cela sur un fond de discours catastrophiste : « Nous sommes en déficit, il y a de plus en plus de vieux, on n’a pas les moyens », alors que de nombreuses études, dont celles de l’Institut de recherche et d’information socio-économiques (IRIS)[8], entre autres, montrent qu’une taxation appropriée générerait des fonds suffisants pour offrir des services publics de qualité à toutes et à tous.
Une recherche récente, menée par Margaret McGregor et Lisa Ronald de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), démontre qu’il y a davantage de chances d’avoir des services de moins bonne qualité dans les établissements privés de soins aux aînés, que dans les établissements publics[9]. Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) a fait réaliser des études qui vont dans le même sens.
Au 31 mars 2010, il y avait 5 850 personnes âgées en RI au Québec mais le gouvernement veut en augmenter considérablement le nombre au cours des prochaines années. Le gouvernement veut faire en sorte qu’il y ait un ratio de 0,8 lits en RI par 100 personnes de plus de 65 ans, ce qui donnerait 10 032 places en RI.
Les RI constitueraient une formule appropriée pour les personnes en moyenne perte d’autonomie si deux conditions étaient remplies : premièrement, si elles gardaient une taille humaine et raisonnable (un maximum de 40 lits, tel que prévu au départ) et deuxièmement, si elles étaient des établissements publics, et non pas des PPP (partenariats public-privé). Ne sommes-nous pas capables, comme société, de relever ce défi ?
Les entreprises privées plaident qu’il leur faut une masse critique de lits pour être rentables. Est-ce que les contraintes de l’entreprise privée ont plus de poids que les besoins des personnes âgées ? Pourquoi ne pas recourir à la formule des établissements de petite taille, au « small is beautiful » que plusieurs économistes considèrent rentable, efficace, performante et plus acceptable au plan humain ?
3. Le secteur privé
Le secteur privé est, de loin, celui qui offre le plus de places. En 2009, il y avait 2181 résidences privées avec services, desservant plus de 100 000 personnes. Dans les résidences privées, tous les coûts sont à la charge de l’usager. Plusieurs familles, épuisées d’attendre une place dans le secteur public, sont contraintes d’aller dans le secteur privé et d’y laisser leur chemise.
Le processus de certification des résidences privées devrait être terminé en juin 2009. En février 2011, 30 % des résidences de Montréal ne sont toujours pas certifiées. À noter que 17,6 % de la population âgée de 75 ans et plus, au Québec, plus du double de la moyenne canadienne, habite en résidence privée.
Avec la nouvelle loi 16, le gouvernement va accroître, à juste titre, ses exigences pour qu’une résidence soit certifiée et qu’elle offre une meilleure garantie de services de qualité. Les services offerts seront mieux précisés et les résidences devront répondre à des critères pour être certifiées. Il y aura deux catégories :
– les résidences privées pour aînés autonomes,
– les résidences privées pour aînés semi-autonomes.
La meilleure façon de s’assurer que les services offerts dans votre résidence soient adéquats, c’est un créer un comité de résidents, aussi appelé Comité de milieu de vie (CMV). La loi 16 prévoit que la création d’un CMV sera obligatoire, dès que la réglementation à cet effet sera adoptée. L’Association québécoise pour la défense des droits des retraités (AQDR)[10] fait la promotion de la création de CMV dans chacune des résidences pour aînés au Québec.
4. Le secteur communautaire et coopératif
Il existe au Québec des obnl (organismes à but non lucratif) et des coopératives d’hébergement pour les personnes âgées. Mais ces organismes, sauf exceptions, offrent seulement l’hébergement et non des services variés aux personnes en perte d’autonomie. Et il y a une raison à cela : les organismes devraient facturer à leurs membres les coûts directs des services, ce qui n’est pas avantageux. Quelques Offices municipaux d’habitation (OMH), comme celui de Montréal, offrent un certain nombre de logements avec des services, mais ce n’est évidemment pas la gamme complète des services de soutien à domicile.
Environ 20 % des RI sont des obnl ou des coops, qui existent depuis plusieurs années. Incidemment, il faut noter que les obnl et les coopératives seraient admissibles, tout comme les compagnies privées, à devenir des nouvelles RI. Pourquoi ne le font-elles pas maintenant ? Deux raisons. Il y a d’abord les coûts d’immobilisation qui sont énormes. Depuis 1990, le gouvernement fédéral s’est pratiquement retiré du financement des immobilisations dans le secteur du logement communautaire. Deuxièmement, avec une somme de 35 000 $ par bénéficiaire, les obnl et coops ne seraient pas en mesure de verser des salaires décents aux employées. Qui serait motivé, dans le contexte actuel, à devenir bénévolement membre du c.a. d’un obnl ou d’une coop qui sous-rémunère son personnel ? C’est une contradiction par rapport aux valeurs du monde communautaire et coopératif.
Tout cela nous donne le portrait général suivant : où résident les 65 ans et plus ?
- 87,6 % en domiciles conventionnels
- 8,7 % en résidences privées avec services
- 0,7 % en ressources intermédiaires et ressources de type familial
- 3 % en CHSLD.
Le soutien à domicile
Un mot sur le soutien à domicile, parce qu’il y a une interrelation entre l’hébergement et le soutien à domicile. Car pourquoi les familles veulent-elles parfois prématurément de l’hébergement ? Parce qu’il n’y a pas suffisamment de soutien à domicile ! Il leur faut alors chercher de l’hébergement dans un contexte de crise.
L’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) a rendu publique, le 22 mars 2007, une étude de 40 pages sur le financement public des services à domicile au Canada. On y constate que le Québec occupe l’avant-dernière place des provinces, avant l’Ile-du-Prince-Edouard, concernant le financement public qu’il accorde aux services à domicile. Il consacre seulement 91,66 $ par habitant, comparativement à une moyenne canadienne de 105,29 $.
Mais, rassurez-vous, nos problèmes tirent à leur fin. En effet, le gouvernement Charest a annoncé des mesures incroyablement généreuses dans le dernier budget Bachand. Jugez-en par vous-mêmes. Le gouvernement du Québec a annoncé, le 3 mars 2011, l’ajout de 150 millions pour l’ensemble des services aux aînés en 2011-2012. En 2012-2013, il y aura un autre ajout de 50 millions $ pour un nouveau total récurrent de 200 millions $ de plus par an. Apparemment, c’est une bonne nouvelle. Mais voilà le genre d’annonce gouvernementale qu’il faut analyser finement pour voir ce qui en est réellement.
Le gouvernement a rendu publique la répartition du total des 200 millions $ de la deuxième année. En voici les plus gros postes :
- 200 places pour les unités de convalescence ;
- 2500 nouvelles places en ressources intermédiaires ;
- 800 nouvelles places en CHLSD ;
- 45 millions $ en maintien à domicile.
Ces sommes seront surtout investies dans les régions de Laval, Laurentides, Lanaudière et Montérégie.
Il y aura donc un développement de 45 millions $ pour le maintien à domicile. Or, divers experts (entre autres Yves Vaillancourt et Réjean Hébert[11]) estiment que c’est entre 300 et 500 millions $ qu’il faudrait ajouter aux budgets actuels des services à domicile pour répondre aux besoins constatés. Donc, le besoin : une moyenne de 400 millions $ de plus. La réponse : 45 millions $ de plus seulement.
Quelques chiffres très récents : le Regroupement montréalais des établissements de santé demande 13 millions $ au ministère de la Santé pour les services à domicile dans la métropole[12]. Le directeur de la branche montréalaise de l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS), Alexandre Bourdeau, estime qu’il s’agit d’un montant minimum pour désengorger la liste d’attente en services à domicile, qui s’établissait à plus de 8000 personnes au 31 mars 2011.
Le soutien à domicile ne reçoit que 18 % du budget total des services aux personnes âgées en perte d’autonomie. C’est une proportion insuffisante. Si on mettait davantage d’argent dans le soutien à domicile, on aurait besoin de moins de ressources dans l’hébergement lourd. Et c’est le premier choix des personnes et des familles, de rester à la maison.
Chiffres controversés
Petite controverse concernant les chiffres des services à domicile pour les aînés. Dans Le Devoir du 16 décembre 2011[13], le Dr Réjean Hébert, de l’Université de Sherbrooke, plaide pour un financement accru des services à domicile destinés aux aînés.
La ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, réplique au Dr Hébert dans Le Devoir du 22 décembre[14], car elle n’est pas d’accord avec son analyse des sommes réellement investies dans les services à domicile. Le Dr Hébert dit que le MSSS y investit un peu plus de 400 millions $ annuellement, alors que Mme Blais allègue que c’est la somme de 587 millions $ qui y est consacrée.
Or le chiffre plus élevé de Mme Blais inclut peut-être erronément certains montants. Si on analyse les données précises du budget 2011-2012, c’est plutôt une somme de l’ordre de 463 millions $ qui irait aux aînés au titre des services à domicile.
Comment expliquer cette différence ? Peut-être parce que Mme Blais inclut dans son total des montants qui ne devraient normalement pas y être, comme le montant investi dans le PEFSAD (Programme d’exonération financière pour les services d’aide domestique). Ce montant était de 58 millions $ en 2009-2010. Il faut noter que seulement 67 % du PEFSAD va aux 65 ans et plus (au 31 mars 2009).
Qu’est-ce qui peut faire croire que Mme Blais a inclus le PEFSAD dans son total ? Elle mentionne « 50 millions $ » comme somme nouvelle ajoutée aux services à domicile en mars 2011. Or ces 50 millions incluent justement 5 millions $ de plus pour les entreprises d’économie sociale en aide domestique, les EESAD. Elle aurait donc récemment pris l’habitude d’ajouter systématiquement le PEFSAD aux grands totaux, contrairement aux calculs faits par l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) quand ce dernier compare les provinces canadiennes.
La ministre insiste aussi lourdement sur le crédit d’impôt remboursable pour les services à domicile. Or ce crédit d’impôt ne bénéficie pas aux plus démunis, mais à la classe moyenne (le crédit diminue lorsque le revenu familial dépasse 52 080 $), celle qui a les moyens de payer 70 % des coûts, le crédit d’impôt étant de 30 %.
Il existe aussi une autre source possible de confusion : les services à domicile des aînés ne sont qu’une composante de l’ensemble des services à domicile. Ces derniers, plus larges, comprennent aussi, par exemple, les services des infirmières à domicile pour les soins postopératoires et post-hospitalisation (dont les moins de 65 ans), le soutien à domicile des personnes handicapées, etc. Le grand total des services à domicile était de 982 millions en 2008-2009. Il y a peut-être parfois confusion dans l’affectation précise de certaines sommes.
Autre élément qui rend difficile l’analyse des données : à compter de 2008, le gouvernement Charest avait annoncé 80 millions $ de plus par année pendant cinq ans pour les services à domicile, mais on n’a pas vu le versement concret de cette somme après 2009. De plus, on ne trouve pas dans les données accessibles au public sur Internet les sommes « réellement nouvelles » qui ont été affectées aux services à domicile des aînés pour les années 2009 à 2011.
Que de travail pour comprendre les données réelles ! Et on garde le désagréable sentiment d’être parfois un peu manipulé…
La nouvelle gestion publique (NGP)
Les média rapportent aussi, avec raison, qu’il y a des problèmes dans la qualité des services dispensés dans les CHSLD publics. Quelles en sont les causes principales ? Le secteur public de la santé a adopté depuis une vingtaine d’années une nouvelle philosophie de gestion qu’on appelle la nouvelle gestion publique, la NGP. Ce type de gestion s’inspire de l’entreprise privée : augmenter la performance, revoir les processus d’organisation des services, etc. En théorie, c’est beau. En pratique, on ne gère pas des lits de CHSLD comme une usine de petits pois. Sur le terrain, les intervenantes, infirmières, travailleuses sociales, ont l’impression d’être pressées comme des citrons. Elles passent beaucoup de temps à remplir des statistiques au détriment des services à la clientèle. Le nombre de cadres augmente, le personnel soignant diminue.
En théorie, la NGP prévoit que le personnel est consulté et que ses suggestions sont prises en compte. Sur le terrain, ce n’est pas ce qu’on constate : le personnel a l’impression d’être consulté pour la frime. Les professeurs Claude Larivière de l’Université de Montréal[15] et Angelo Soares de l’UQAM[16] ont bien montré, chacun de leur côté, le fossé entre le discours de la NGP et les résultats observés sur le terrain. Le secteur public doit améliorer ses méthodes de gestion, bien sûr, mais en se basant sur l’éthique publique et non sur les logiques commerciales. Le gouvernement doit adopter une approche scientifique et non idéologique dans ce dossier.
Les solutions apportées par les ministres Blais et Vien (plus d’inspecteurs, plus de contrôles, etc.) ne s’attaquent pas au coeur du problème. Les problèmes sont structurels et viennent de la place plus grande faite au secteur privé, ainsi que de l’importation servile des méthodes de gestion du privé dans le secteur public.
Il n’est pas acceptable que l’on permette au secteur privé de faire de l’argent de façon abusive avec la maladie et la perte d’autonomie des gens.
Des contradictions
On n’en finit plus d’aligner les contradictions du gouvernement dans ce dossier.
La fermeture de lits de longue durée situés dans les hôpitaux de courte durée a créé de nombreux problèmes. L’Agence héberge les personnes concernées d’abord en lits d’évaluation, puis en lits de transition et enfin dans des lits définitifs. Trois déménagements. C’est inacceptable au plan humain. On peut vraiment parler de déshumanisation. En théorie, tout le monde est d’accord avec le fait de fermer les lits de longue durée qui sont situés dans les hôpitaux de courte durée. En pratique, ces lits n’étaient-ils pas souvent des lits d’évaluation, puis des lits de transition, évitant ainsi aux personnes d’être déplacées deux fois avant d’aboutir dans le lit approprié de CHSLD ? En voulant faire du « mur à mur », l’Agence de Montréal nous prive souvent de solutions concrètes, pratiques et plus humaines.
Concernant le soutien à domicile, les EESAD (entreprises d’économie sociale en aide domestique) s’inscrivent dans la même logique que les RI ; le gouvernement de départit de certaines de ses fonctions pour les faire assumer par des organismes qui embauchent de la main d’oeuvre sous-payée. C’est le cas de certaines EESAD qui ne se limitent pas à l’entretien ménager mais qui glissent sur le terrain des services d’hygiène, comme les bains, qui sont de la responsabilité des CLSC.
Les « petits extras »
La privatisation a posé un certain nombre de problèmes récemment au Québec. Dans le cas du CHSLD en PPP à St-Lambert, le propriétaire, qui était le plus bas soumissionnaire, s’est publiquement demandé si le gouvernement ne devrait pas lui donner davantage d’argent que stipulé au contrat parce que la clientèle est, selon lui, plus lourde que prévu. Cela vous rappelle-t-il quelque chose ? Dans le secteur de la construction des routes, on a constaté récemment que le plus bas soumissionnaire s’empressait de demander des « petits extras » pour arrondir sa bourse. C’est la logique de l’entreprise privée qui ne jure que par les profits. Qui a dit que les « petits amis » du gouvernement ne seraient pas, eux aussi, privilégiés dans l’attribution des contrats ? Devrions-nous fermer les yeux ?
Quand un viaduc s’écroule, c’est toujours difficile et long de savoir qui en est responsable. Quand une personne âgée meurt ébouillantée, c’est également long et difficile de savoir quelle en est la cause. Souvent on constate qu’il y a eu négligence dans un contexte où la priorité est de faire davantage et rapidement des profits.
Quelles actions pouvons-nous mener comme citoyens et citoyennes ?
Huit pistes d’action sous forme de questions :
Ne devrions-nous pas nous informer davantage pour mieux comprendre comment nous en sommes arrivés là ? Ensuite, ne devrions-nous pas faire pression, individuellement et collectivement, pour que la situation ne se détériore pas davantage ? N’est-il pas temps de mettre fermement fin à la privatisation des services publics ?
Ne devrions-nous pas nous opposer aux déménagements multiples des bénéficiaires : d’abord en lits d’observation, ensuite en lits de transition et enfin en lits définitifs ? Ces déménagements successifs ont de nombreux impacts négatifs sur des personnes fragiles.
Comment assurer le respect des contrats bel et bien signés par les promoteurs ?
Comme s’assurer que les Agences régionales et les CSSS (Centres de santé et de services sociaux) exercent effectivement leur rôle de surveillance ? (par exemple, le cas pénible de la Résidence Marquette à Montréal[17]) ?
Comment les Agences et les CSSS vont-ils assurer la qualité des services dans les RI s’ils n’arrivent pas à le faire dans le premier CHSLD en PPP ?
Comment pouvons–nous voir au suivi concret des plaintes que nous faisons via les mécanismes de plaintes ? Quelle est la nature du lien réel entre le commissaire aux plaintes local du CSSS et l’exploitant d’une RI (un sous-contractant) ?
Comment pouvons-nous être actifs dans les sous-comités d’usagers, qui sont une composante du grand comité des usagers du CSSS de qui relève la RI ? En fait, les usagers et leurs représentants doivent être pro-actifs et exiger la mise sur pied d’un sous-comité en ce qui concerne leur RI, ou du moins avoir un délégué des usagers de la RI dans le grand comité des usagers du CSSS. Ils doivent être prêts à y être présents et à y consacrer du temps.
Pourquoi ne pas nous impliquer dans les Comités de milieu de vie (CMV) dans les résidences privées ?
[1] Mélanie Malenfant, « Les mutations qui touchent l’hébergement des personnes âgées au Québec : impacts sur la clientèle et la main-d’œuvre », Revue Vie économique, sept. 2011, http ://www.eve.coop/ ?a=110 .
[2] Tommy Chouinard, « Plus de 1700 lits en CHSLD fermés à Montréal depuis 2006 », La Presse, 17 janvier 2011.
[3] Synthèse de l’étude de MCE Conseils. http ://www.ledevoir.com/documents/pdf/CHSLDsynthese210411.pdf
[4] « Vaut-il mieux avoir quatre pattes ? », La Presse, 17 mai 2011.
[5] Communiqué de l’AQDR sur CNW Telbec, 20 septembre 2011.
[6] Kathleen Lévesque, « PPP en santé : de généreux dons au PLQ », Le Devoir, 27 septembre 2010.
[7] Ariane Lacoursière, « Ressources intermédiaires : un propriétaire omniprésent », La Presse, 16 février 2011.
[8] Eve-Lyne Couturier, Simon Tremblay-Pepin et Philippe Hurteau, IRIS, Budget 2010 : Comment financer les services publics ?
[9] Résumé de l’étude de l’IRPP http ://www.irpp.org/fr/summary.php ?id=359
[11]La Presse, « Conditions de vie des aînés, priorité aux soins à domicile », 6 mars 2008.
[12] Radio-Canada, 6 octobre 2011.
[13] Réjean Hébert, « Soins à domicile : passons de la parole aux actes ».
[14] Marguerite Blais, « Soins à domicile : le Québec fait des efforts colossaux ».
[15] Claude Larivière, « Les risques de la nouvelle gestion publique pour l’intervention sociale ». Texte présenté lors du premier congrès international francophone du service social, Caen, juillet 2005.
[16] Angelo Soares, La santé malade de la gestion, UQAM, mars 2010, 33 p.
[17] Tommy Chouinard, « Des aînés dans un état lamentable », La Presse, 2 février 2011 ; « Un rapport accablant pour le CSSS Jeanne-Mance », La Presse, 28 mai 2011.