Entendons-nous. Pauline Marois est une grande politicienne qui a fait beaucoup pour le Québec. Elle a déconfessionnalisé les commissions scolaires, elle a créé les centres de la petite enfance, mieux connus sous le nom de garderies à 5$, et, lors de son court mandat à titre de première ministre, elle a fait adopter le projet de loi 2 qui a contribué à assainir le financement des partis politiques. Sur plusieurs enjeux importants, Pauline Marois a contribué à faire avancer le Québec. Par contre, en ce qui a trait à la souveraineté, elle est apparue beaucoup moins déterminée, contrairement à ce que pouvait laisser entendre le slogan de sa campagne. Il faut donner le mérite aux autres partis politiques d’avoir pris des positions claires, à tout le moins sur des enjeux qui définissent leur identité profonde. Les électeurs de Québec solidaire ont voté pour un parti de gauche, ceux du PLQ ont voté pour un parti d’abord et avant tout fédéraliste et anti-charte, ceux de la CAQ ont voté pour une réduction de la taille de l’État et ceux du PQ ? Il faudrait logiquement répondre « pour la souveraineté », mais cela est impossible tant le PQ a été ambigu sur cette question.
La gouvernance souverainiste, initiée par Pauline Marois, avait un nom trompeur qui laissait croire aux Québécois que le PQ posait des gestes concrets pour la souveraineté, mais il n’en était rien. Le PQ voulait, tout au plus, que les compétences conférées aux provinces par la Constitution canadienne soient respectées, notamment en santé où le PQ souhaitait recevoir les sommes dépensées au Québec par le fédéral. On le constate : la gouvernance du PQ était plus autonomiste que souverainiste. Durant le règne de Pauline Marois, soit de 2007 à 2014, le PQ n’a pas renouvelé son argumentaire pour la souveraineté et n’a pas fait la promotion de cette option, qui est pourtant la raison même de la fondation de ce parti. Et pourtant, Pauline Marois n’a pas toujours été aussi timorée quant à la promotion de l’idée d’indépendance. En décembre 1981, lors du VIIIe congrès du PQ, qui eut lieu immédiatement après le triste épisode de la nuit des longs couteaux, elle vota, comme une majorité de délégués, pour une élection référendaire qui permettrait à une majorité d’élus du PQ de déclarer l’indépendance sans tenir de référendum, ce qui lui valut les remontrances de René Lévesque. Et en 1987, alors que Pierre Marc Johnson était à la tête du PQ et qu’il mettait de l’avant sa « démarche d’affirmation nationale », c’est-à-dire au moment où le PQ abandonnait carrément l’idée de souveraineté, elle décida de « prendre ses distances » du parti dans lequel elle militait depuis déjà dix ans. Elle y revint quelques mois plus tard, alors que Jacques Parizeau prenait la tête du parti et qu’il déclarait : « Le Parti québécois doit être souverainiste, avant, pendant et après les élections. »
La démission de Pauline Marois marque la fin d’un cycle : elle est sans doute le dernier politicien à avoir travaillé de près avec René Lévesque à diriger le Parti québécois. Depuis sa fondation, ce parti est plus ou moins souverainiste, tout dépend des sondages et des circonstances… Le PQ a même parfois abandonné la promotion de son idée maîtresse au profit du fédéralisme renouvelé, le beau risque dans lequel s’est empêtré René Lévesque, et de l’attentisme : les fameuses conditions gagnantes de Lucien Bouchard.
Il faut que le PQ se rende à l’évidence : il s’affaiblit à chaque fois qu’il met en veilleuse son option fondamentale. Pauline Marois semble même en avoir conscience, elle qui souligne dans son autobiographie Québécoise ! que le beau risque de René Lévesque s’est soldé par la démission de sept ministres parmi lesquels on retrouvait Jacques Parizeau et Camille Laurin. Elle écrit aussi que « de trois cent mille membres qu’il comptait en 1981, le parti vit fondre ses effectifs de moitié. »
Le passé devrait être un enseignement pour l’avenir, mais Pauline Marois a délaissé la souveraineté et a surtout voulu répondre aux besoins immédiats des Québécois. Lors de son passage à la tête du PQ, cette politicienne, pour qui l’écoute et le compromis sont des vertus cardinales, a constamment cherché à plaire à l’électorat en transformant son parti afin qu’il soit le reflet des besoins des Québécois plutôt que de tenter de les convaincre d’aspirer à un idéal élevé qui trouverait son aboutissement dans l’indépendance du Québec. En deux mots, le PQ de Pauline Marois devait s’adapter à la population plutôt que d’être fidèle à des principes et de tenter de convaincre la population d’y adhérer.
Les citoyens de Québec voulaient un amphithéâtre pour y voir jouer une équipe qui n’existe même pas ? Il fallait le leur donner, même si cela représente une dépense de 400 millions pour l’État – gageons qu’on dépassera ce montant – et qu’il fallut pour cela adopter le projet de loi 204 qui met à l’abri de toute contestation juridique l’entente intervenue entre la Ville de Québec et Québecor. En 2011, lorsque ce projet de loi a été proposé à l’Assemblée nationale, la CAQ, qui ne s’était pas encore constituée en parti politique faisait rêver les Québécois et le PQ cherchait sa place sur l’échiquier politique, particulièrement dans la capitale nationale où il était – et il l’est encore aujourd’hui – pratiquement rayé de la carte.
Dans la foulée de ce projet de loi censé le rapprocher des gens de Québec, quatre députés, et non les moindres, ont quitté le navire. Le PQ a alors connu la pire crise interne depuis le beau risque de René Lévesque. Pire, un autre parti, Option nationale, est né dans le sillage de cette crise. Désormais, des souverainistes, parmi lesquels on retrouve l’éloquent Jean-Martin Aussant, vont combattre des souverainistes. Ce fait est atterrant. Pauline Marois aurait dû alors revenir à l’essence du Parti québécois, l’indépendance, mais elle a plutôt tenté de présenter l’image d’un bon gouvernement, un gouvernement centriste et modéré, soufflant le chaud et le froid et donnant un peu à tout le monde : aux progressistes modérées, en annulant, en 2012, la hausse draconienne décrétée par le gouvernement Charest et en indexant plutôt les droits de scolarité, aux électeurs caquistes et aux « lucides » comme Lucien Bouchard, en ouvrant la porte à l’exploration pétrolière, particulièrement sur l’île d’Anticosti où le gouvernement a engagé 115 millions dans un projet risqué sur le plan environnemental et dont les retombées économiques sont incertaines.
On a senti aux dernières élections que le cabinet de la première ministre et ses conseillers étaient obsédés par les sondages : il a suffi que deux ou trois coups de sonde prédisent un PQ majoritaire pour que le gouvernement se lance en élections, même si ses appuis étaient peu solides et que les Québécois étaient peu enclins à la tenue d’un autre référendum. Lorsqu’on omet de faire la promotion de l’option souverainiste, comme ce fut le cas pendant les années Marois, il ne faut pas s’étonner que la population se rebiffe devant la soudaine profession de foi souverainiste d’un Pierre-Karl Péladeau. Lorsque le RIN, partisan d’une rupture nette d’avec le Canada, avait fusionné avec le PQ, les militants du parti de Bourgault avaient décidé de calmer leurs ardeurs et d’accepter les louvoiements et les hésitations de René Lévesque, un chef charismatique qui allait faire de grandes choses pour le Québec, mais dont l’action bénéfique se limita finalement à un cadre provincialiste. Et ce fut ainsi plus ou moins pendant toute l’histoire de cet étonnant parti – excepté pendant l’ère Parizeau –, qui a accouché d’une idée formidable pour le Québec, mais qui refuse d’en parler.
Il est grand temps que le PQ laisse parler les souverainistes convaincus, qui forment, il faut le rappeler, sa base militante; ce sont eux qui peuvent convaincre et qui peuvent rallier les Québécois à l’idée d’indépendance. q