Deux rééditions des fantastiques Mémoires de guerre du général de Gaulle viennent de paraître. Un authentique chef-d’œuvre. L’un des livres marquants du XXe siècle. Si vous ne lisez qu’un livre cette année, que ce soit celui-là ! Le premier tome aurait dû obtenir le prix Nobel de littérature en 1954, si Churchill ne l’avait eu l’année d’avant.
Charles de Gaulle admirait Chateaubriand. C’était sa référence, avant Péguy, avant son ami Malraux, avant Bernanos, avant Mauriac. Cet homme né à la fin du XIXe siècle s’est taillé un destin voué à la grandeur de la France. Jean-Louis Crémieux-Brilhac, grand résistant, dira de lui : « la plus atypique personnalité française d’homme d’État depuis Bonaparte ». Déjà l’incipit de ses Mémoires dit tout : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison ».
Enfant, Charles de Gaulle buvait les paroles de son grand-père, historien du Moyen-Âge, et de son père, lui aussi historien et professeur de littérature au collège Sainte-Geneviève à Paris, une référence. Henri de Gaulle avait combattu contre l’armée allemande aux portes de Paris, en 1871, après de la défaite de Napoléon III à Sedan, qui se solde par la cession de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne. C’est un sujet dont Henri de Gaulle entretient son deuxième fils, ce qui explique la vocation militaire de Charles, malgré son attrait pour l’histoire de France, pour la littérature, pour la philosophie.
Charles de Gaulle est pétri de l’histoire de France, de ses mille ans de combat. Le jeune Charles voit que la troisième République se dirige vers une nouvelle guerre. Il termine ses études à l’école de guerre. Lieutenant à 23 ans quand la guerre est déclarée, le voilà déjà au front en août 1914, à Dinant, la frontière belge. De Gaulle voit les Allemands tirer à la mitraillette sur ses hommes, du haut de la citadelle. Debout, en avant, le lieutenant mène ses soldats au combat ; au quinzième jour de la guerre, il est foudroyé d’une balle au péroné. Il tombe, quasi paralysé, et doit se traîner à l’abri dans une maison voisine.
Après une opération et une brève convalescence, le revoici au combat dans les tranchées, à Châlons-sur-Marne. Bientôt remarqué, il est nommé adjoint du colonel. Encore blessé en mars 1915, à la main gauche, évacué dans le premier hôpital, il rejoint néanmoins son régiment, dès le 13 juin 1915. De Gaulle se révèle un fin analyste militaire, on le constate déjà à ses Lettres, notes et carnets de jeunesse.
En février 1916, il est envoyé sur les collines de Douaumont, alors que la grande offensive allemande est déclenchée sur Verdun. Il monte un coteau avec ses hommes, quand il est encerclé par les Allemands et blessé d’un coup de baïonnette ; il tombe sans connaissance, le 2 mars 1916, et est fait prisonnier. Il sera soigné de l’autre côté du Rhin, puis interné au camp d’Osnabrück, dont il tentera de s’évader cinq fois.
Tenu pour mort
Porté disparu en France, il est tenu pour mort et cité à l’ordre de l’armée. De Gaulle aura donc été blessé trois fois à la guerre de 14, comme Maurice Genevois, l’écrivain des six premiers mois de la Grande Guerre, qui écrivit le formidable récit, Ceux de 14.
Prisonnier, de Gaulle se définit un nouveau combat. Il tient des conférences à ses camarades, opinant sur la façon dont la guerre aurait dû être menée du côté français. Il réécrit les événements, avec une nouvelle stratégie militaire. Déjà, cet homme choisit son destin, trace la voie pour les officiers et les soldats, leur donnant espoir, même en prison. Au cours d’octobre 1917, avec ses compagnons évadés, il est repris, après dix jours de marche, et sanctionné par plusieurs semaines d’arrêts de rigueur.
Libéré à l’armistice, il voudra retourner sur une scène de combat. On l’envoie en Pologne, dès janvier 1919, à titre d’instructeur militaire dans l’armée polonaise aux prises avec l’Armée rouge. Dans l’état-major opérationnel, il encadre des unités de combat, conseille un colonel du front. À son retour en France, en mai 1920, de Gaulle est affecté au cabinet du ministre de la Guerre et devient professeur à l’École militaire.
Bientôt, il publie un livre et conteste l’enseignement officiel à Saint-Cyr. L’homme a trente ans et il contredit les vieux généraux de la guerre de 14. Vite, il aura la hiérarchie militaire contre lui. Chef de bataillon, en septembre 1927, il est nommé chef du 2e bureau à Beyrouth, puis au Secrétariat général de la Défense nationale à Paris.
Pétain lui demandera d’écrire un livre pour lui, ce que fera de Gaulle, mais à la fin il refusera que ses idées soient édulcorées par Pétain ; car de Gaulle est pour la guerre de mouvement, pas pour une défense statique, celle des vieux généraux, comme dans les tranchées de 14, pas pour une simple ligne Maginot. L’officier forge son destin et il a du génie.
En 1934, il publie Vers l’armée de métier qui déclenche l’opposition de Pétain et du général Weygand, celui-là même qui demandera à ses hommes de déposer les armes en juin 1940, en tant que général en chef. Le lieutenant-colonel de Gaulle prend aussi contact en 1934 avec le député radical Paul Reynaud, qu’il rallie à ses thèses ; c’est lui qui le fera nommer en mai 1940 général à titre temporaire, puis sous-secrétaire d’État à la Guerre, quand la ligne de front s’effondrera, quand tout sera décidé par les vieux généraux défaitistes. Alors, Reynaud et Mandel chargeront de Gaulle de nouer à Londres une alliance avec Churchill.
Convaincre Léon Blum
En 1936, de Gaulle tente de convaincre le nouveau président du conseil, Léon Blum, de changer la politique de défense nationale et de créer d’urgence une armée blindée française. Le chef du Front populaire est séduit par la proposition de Gaulle, mais il ne donne pas suite, en raison de l’opposition des pacifistes. De Gaulle est affecté, en 1937, à titre du commandant du régiment de chars basé à Metz ; on l’appelle « le Colonel Motors ».
Il veut que la France se prépare à la guerre mobile et n’attende pas d’être attaquée par les Allemands.
Voilà l’homme qui écrira de 1948 à 1954 en trois volumes ses Mémoires de guerre, le récit de cette lutte inouïe, de mai 1940 à janvier 1946, moment de sa démission comme chef du gouvernement provisoire de la République. Au grand étonnement des chefs de parti.
Charles de Gaulle évoque ces six années de fer et de feu, d’entraves aussi par les alliés, sans jamais abandonner ni s’apitoyer sur son sort, toujours focalisé sur le combat et la grandeur de la France. Il écrit dès le départ : « Notre pays… doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut pas être la France sans la grandeur ».
Dès janvier 1940, constatant l’impuissance de l’État et des généraux en poste, le colonel de Gaulle adresse une supplique au sommet de l’État. Il est évidemment habité par la stratégie militaire, il écrit : « le 26 janvier, toutefois, je tentai un dernier effort. Aux 80 principales personnalités du gouvernement, du commandement, de la politique, j’adressai un mémorandum destiné à les convaincre que l’ennemi prendrait l’offensive avec une force mécanique, terrestre et aérienne, très puissante… qu’il fallait décider tout de suite la création de l’instrument voulu ». Le malheur, c’est que son avis ne fut pas suivi.
Au premier chef, son combat se livre contre les hommes de la défaite, contre Pétain, contre Gamelin, contre Weygand, contre l’amiral Giraud, contre Darlan. Il y a aussi un combat lancinant contre Roosevelt qui préfère reconnaître Pétain et ses généraux de paille, compromis avec les nazis, plutôt que de Gaulle et ceux de la France libre, car Roosevelt ne va pas aider la France libre, il va même lui nuire, il ne l’arme pas, mal conseillé par Jean Monnet, par Saint-John Perse, par d’autres.
Roosevelt ne veut pas associer de Gaulle et les hommes de la France libre à la libération de l’Algérie, du Maroc, de la Tunisie, du Liban, de la Syrie. Il préfère les hommes de la défaite de la France pour discréditer de Gaulle qui cherche à rallier les troupes françaises au sein des colonies. Lui, Roosevelt, préfère la neutralité des troupes françaises de Pétain à leur engagement avec la France combattante, pour que l’Empire français n’existe plus à la libération. Mais, de Gaulle ne cède pas d’un pouce en Afrique et au Proche-Orient, il tente plutôt à chaque occasion de rallier les troupes françaises, malgré Pétain. Jusqu’à l’arrivée d’Eisenhower qui comprendra la réalité du terrain et entendra de Gaulle.
Les formidables recrues
À Londres, de Gaulle reçoit des recrues extraordinaires, son aide de camp Geoffroy de Courcel, l’officier d’Harcourt, le capitaine de frégate Thierry d’Argenlieu, le colonel Passy, le colonel Leclerc, le commandant Kiefer, le commandant Kœnig, le général Cochet, André Philip, Jacques Soustelle, Marchand, Palewski, Pleven, Schumann, Cassin, Jean Moulin, Pierre Brossolette, Étienne d’Orves, les chefs de la résistance sud, Pierre Fresnay, Emmanuel d’Astier de la Vigerie, Jean-Pierre Lévy, le général Delestrain, l’amiral Muselier ; en Afrique des généraux Catroux, Legentilhomme, Larminat, Juin, de Lattre de Tassigny ; Fernand Grenier pour le Parti communiste.
De Gaulle fait le point six semaines après son arrivée à Londres : « Fin juillet, le total de nos effectifs atteignait à peine 7000 hommes ».
Mais à compter de 1942, la résistance intérieure est appuyée par la France combattante dans les colonies françaises, grâce justement à la persévérance de De Gaulle. Pourtant, cela avait mal commencé en juillet 1940, avec la destruction par la flotte britannique de la marine française au mouillage à Mers El-Kébir. De Gaulle aurait voulu rallier ces marins français. Mis devant le fait accompli, non informé à l’avance, déchiré, de Gaulle demande néanmoins aux Français, la gorge serrée, à la radio de la BBC, d’appuyer les Britanniques et de rallier la France libre.
Alors, le 3 août 1940, le tribunal militaire de Pétain condamne de Gaulle à la peine de mort et ordonne la confiscation de ses biens pour trahison. Aussitôt, de Gaulle retourne à l’ambassadeur de France à Londres son avis de condamnation et sa convocation au tribunal.
Après 75 jours à Londres, dès le 31 août, de Gaulle s’embarque sur un destroyer avec l’amiral Cunningham, à destination de Dakar, où il y aura un combat contre des Français en raison du refus du commandant en poste de rallier la France libre. « Quelque sinistre que fût cette canonnade, écrit de Gaulle, il me sembla qu’elle avait quelque chose d’hésitant ». Aussi il donna l’ordre à des émissaires d’entrer dans le port pour négocier. Mais ils sont mal reçus. « Ce que voyant les envoyés regagnèrent les vedettes. Tandis qu’elles s’éloignaient, des mitrailleuses firent feu sur elles ».
Secoué par cette division des Français, de Gaulle confie son angoisse au prêtre combattant blessé, Thierry d’Argenlieu, qui le convainc de continuer le combat malgré son déchirement. Alors, de Gaulle demande à Cunningham de le déposer à Douala, au Cameroun, où il reçoit un accueil triomphal, un baume à la blessure. Il prend un avion et échappe de peu à un accident, parvenant à Fort Lamy, au Tchad. Là, le gouverneur Félix Eboué se rallie à de Gaulle, premier chef d’État africain à le faire. Le général Catroux, l’aîné de de Gaulle, fait de même.
En octobre 1940, à Brazzaville, de Gaulle crée le Conseil de défense de l’Empire, visant à « diriger l’effort français dans la guerre ». À Libreville, au Gabon, à l’instar de Napoléon, il institue l’ordre de la Libération, qui reconnaîtra peu à peu 1000 fidèles d’entre les fidèles.
De Gaulle regagne Londres après 75 jours en Afrique. Il a signifié que le combat des colonies françaises commence pour la France libre, pas seulement sur le territoire de France. Le 1er mars 1941, la colonne du général Leclerc, partie du Tchad, s’empare, malgré un armement désuet, de l’oasis de Koufra, en Lybie, lors d’un combat contre les soldats de Rommel.
De Gaulle repart pour Khartoum, au Soudan ; il passera 160 jours en Afrique et au Proche-Orient, pour obtenir des ralliements. Il oriente le combat au Caire, à Damas, à Beyrouth. L’affrontement entre les troupes de Vichy et celles de la France libre est vif déjà en Syrie, au Liban. À la demande de Roosevelt, les autorités britanniques reconnaissent les autorités vichystes en Syrie. Alors, le général Catroux proclame l’indépendance de la Syrie, sous la recommandation de De Gaulle.
Interdit de BBC
À son retour à Londres, le 1er septembre 1941, de Gaulle est interdit de BBC. Churchill suspend ses contacts avec lui 15 jours.
Le 25 octobre, de Gaulle a son premier entretien avec Jean Moulin, l’ancien préfet, qui se met à sa disposition. Plus tard surviendra le combat des hommes de Kœnig, à Bir Hakeim, 3500 soldats français contre les troupes de Rommel, dix fois plus nombreuses ; ils ont tenu le point de défense assigné par les Britanniques qui se réorganisaient plus loin et coupaient les approvisionnements en pétrole. À la nouvelle de leur résistance victorieuse, le 10 juin 1942, de Gaulle en a des sanglots. Il y fait allusion dans le premier jet de ses mémoires, un passage qu’il biffera avant la publication du livre. Il est comme ça de Gaulle. Mais il télégraphie son bonheur au commandant : « Général Kœnig, sachez et dites à vos troupes que toute la France vous regarde et que vous êtes son orgueil ».
C’est la première grande victoire de la France combattante. Aussitôt, le 14 juillet 1942, de Gaulle proclame en effet que la France libre devient la France combattante. Et le 5 août, de Gaulle part pour Le Caire ; le ministre britannique Casey veut qu’il déclenche des élections en Syrie et au Liban et qu’il proclame l’indépendance. De Gaulle refuse que les Britanniques décident de la marche politique des affaires intérieures des colonies françaises. Il se rend à Beyrouth où il est acclamé par la foule, il fixe sa mission à Leclerc et revient à Londres le 25 septembre 1942.
Peu après, il reçoit Jean Moulin et les principaux chefs de la résistance intérieure de France, auxquels il impose Jean Moulin comme chef du comité des mouvements de résistance de la zone non occupée. Et le 8 novembre, c’est le débarquement anglo-américain au Maroc et en Algérie. Tenu à l’écart de la préparation, de Gaulle s’insurge auprès de Churchill. Néanmoins, à la BBC, il adjurera les forces françaises d’Afrique du Nord de ne pas s’opposer au débarquement allié. Pourtant, les Anglo-Saxons nomment l’amiral Darlan, un homme de Pétain, qui a serré la main d’Hitler, haut-commissaire pour l’Afrique du Nord. Mais, Darlan sera assassiné à Alger le 24 décembre, par un Français révolté de sa nomination.
En janvier 1943, Fernand Grenier, député communiste, vient annoncer à de Gaulle que le PCF se rallie à la France combattante. Les Américains, eux, jettent leur choix sur le général Giraud qu’abhorrent les résistants. Néanmoins, de Gaulle se rend à Casablanca pour la conférence convoquée par Roosevelt, Churchill et Giraud. Mais il rejette la proposition d’un triumvirat avec des généraux de Vichy. Quand il rentre à Londres, il rencontre Jean Moulin et le général Delestraint, en février 1943. Ils réussiront à unir les factions de la résistance en France, avant de mourir.
Le départ de Londres pour un an en Afrique du Nord
Le 31 mai, de Gaulle part pour Alger. Pendant un an, il rayonnera sur l’Afrique et le Proche-Orient. Il crée le Comité français de libération nationale, l’embryon du gouvernement provisoire français. Il rencontrera Eisenhower qui lui confiera, le 30 décembre 1943, avant son départ pour Washington :
« J’avais, dit-il, été prévenu à votre égard dans un sens défavorable. Aujourd’hui, je reconnais que ce jugement était erroné. Pour la future bataille, j’aurai besoin, non seulement du concours de vos forces, mais encore de l’aide de vos fonctionnaires et du soutien moral de la population française. Il me faut donc votre appui et je viens vous le demander. À la bonne heure ! lui dis-je. Vous êtes un homme ! Car vous savez dire : j’ai eu tort. »
Après tant de difficultés, Eisenhower assurera de Gaulle de sa loyauté pour l’avenir des combats : « Je ne connaîtrai pratiquement en France d’autre pouvoir français que le vôtre », lui assure-t-il. De Gaulle d’ajouter : « Je lui indiquai, alors, que nous aurions probablement l’occasion de manifester notre entente à propos de la façon dont serait libéré Paris. Il faudra, lui dis-je, que ce soient des troupes françaises qui s’emparent de la capitale. En vue de cette opération, il s’agit qu’une division française soit transportée à temps en Angleterre, comme nous, Français, l’avons demandé. Eisenhower acquiesça. »
Peu après, en janvier 1944, se tient la conférence de Brazzaville où il vante la mission civilisatrice de la France ; il y déclare que le devoir national consiste à aider les peuples de l’Empire « à s’élever peu à peu jusqu’au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires ». C’est la doctrine de la décolonisation qui prend forme.
Le 1er février 1944 sont créées les Forces françaises de l’intérieur (FFI).
De Gaulle ne quittera Alger pour Londres que le 3 juin 1944, convoqué par Churchill, juste avant le débarquement en France. Il se rendra à Courseulles, sur La Combattante, le 14 juin ; il reçoit un accueil triomphal à Bayeux. Il rencontre le général en chef Eisenhower à son quartier général de Normandie et l’informe de la reprise en main des communes libérées de France par des Français issus du gouvernement provisoire.
Le 16 juin, de Gaulle retourne à Alger pour réorganiser son état-major. À l’invitation pressante de Roosevelt, il se rend à Washington et New York, où il reçoit un accueil triomphal, avant de faire un saut à Québec, le 11 juillet 1944, à Ottawa et à Montréal.
Le débarquement de la 1re armée française en Provence
De retour à Alger, il s’adressera à l’Assemblée provisoire et soulignera l’importance des combats des forces françaises en Méditerranée et de la résistance sur le sol national. Le 15 août 1944, c’est le débarquement de la 1re armée française en Provence. Le général de Gaulle quitte Alger pour la France et, le 20 août 1944, il rencontre Eisenhower aux confins de la Normandie. Il lui demande alors de ne pas éviter Paris, que les Américains ont pour instruction de contourner.
Le 22 août, Eisenhower consent à donner ordre à la 2e division blindée du général Leclerc, qu’il a fournie en chars, de marcher sur la capitale. De Gaulle rejoint Leclerc et Rol Tanguy à la gare Montparnasse, le 25 août, où ils viennent d’accepter la reddition du général allemand. De Gaulle se rend au ministère de la Guerre, à la Préfecture de police et à l’Hôtel de Ville de Paris pour le fameux discours. Bientôt, de Gaulle fera une nouvelle demande à Eisenhower : l’autorisation de libérer l’Alsace et la Lorraine, puis de participer aux combats en Allemagne. En même temps, il ordonne aux FFI de déposer leurs armes, pour éviter la guerre civile, et d’intégrer l’armée française. Il armera 15 divisions françaises.
Le 11 novembre 1944, de Gaulle reçoit Churchill et Eden à Paris et il leur fait un triomphe. Et il amène Churchill sur le front de Lorraine. Puis, la 2e division blindée de Leclerc libère Strasbourg, le 22 novembre 1944, après une opération éclair à partir d’un terrain difficile dans les Vosges. Leclerc, c’est l’alter ego de de Gaulle, sa fierté. Il est lui aussi pour la guerre de mouvement.
En mars 1945, de Gaulle ordonne au général de Lattre de Tassigny de franchir le Rhin et de s’emparer des villes allemandes de Karlsruhe et de Stuttgart. Puis, le 8 mai 1945, quand les forces allemandes capitulent à Reims, il y a un général français et de même le 9 mai à Berlin.
De Gaulle a imposé la présence du général de Lattre à cette capitulation de Berlin, ce qui sidère les Allemands. Cela expliquera que la France soit l’une des quatre puissances occupantes à Berlin et qu’elle siègera au Conseil de sécurité des Nations unies. De Gaulle rendra visite à la 2e division de Leclerc dans la plaine d’Augsbourg et il écrira à ce propos : « Je songeais… qu’il n’eût tenu qu’à nous-mêmes de disposer, six ans plus tôt, de 7 divisions semblables et d’un commandement capable de s’en servir ».
La reconstruction de la France au pas de charge
Dès octobre, de Gaulle signe l’ordonnance de l’assurance sociale pour tous les salariés, celle du droit de vote des femmes, les ordonnances de reconstruction des ponts, des chemins de fer, de la nationalisation des grandes banques, des transports aériens, des mines de houille, des aciéries, de l’industrie automobile.
De Gaulle écrit à la vue de la France martyrisée : « Je me fais l’effet de Macbeth devant la marmite des sorcières ». Tout est à reconstruire : « Dans les villes, point de chauffage ! Car le peu de charbon qui sort des mines est réservé aux armées, aux chemins de fer, aux centrales, aux industries de base, aux hôpitaux ».
Au pas de charge, de Gaulle veut la reconstruction de la France, routes, ponts, logements, centrales électriques, chemins de fer et, le 26 janvier 1946, à la surprise générale, devant la renaissance des factions au sein des partis politiques, le général de Gaulle remet sa démission à titre de président du gouvernement.
Tel est le corpus brûlant de ces 600 pages de Mémoires de guerre, le récit de six ans de combats divers et variés, un long parcours pour redonner à la France sa force et sa fierté. Pourtant, on termine avec regret ce livre à nul autre pareil, écrit par un génie. C’est le chef-d’œuvre du général de Gaulle. Lisez-le, vous ne le regretterez pas !
Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, nouvelle édition en 616 pages, suivie de Mémoires d’Espoir, interrompus par la mort, et de ses Discours et messages, Plon, 1584 pages en tout, 2020.
Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, Mémoires d’Espoir et Appendices, Nouvelle édition de la Pléiade (Introduction de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, le bras droit de Charles de Gaulle à Londres), Bibliothèque de la Pléiade, n° 465, 1648 pages, 2020.
Julian Jackson, De Gaulle : une certaine idée de la France, Seuil, 790 pages, 2019.