Djemila Benhabib. Islamophobie, mon œil !

Djemila Benhabib
Islamophobie, mon œil !
KENNES EDITIONS, 2021, 207 pages

Tout le monde connaît Djemila Benhabib pour son combat acharné contre l’islam politique et pour la défense de la laïcité de l’État. L’auteure de Ma vie à contre-Coran est habituée de susciter des réactions fortes dans l’espace public au sujet d’enjeux majeurs pour l’époque. C’est que nous n’avons pas affaire ici à une écrivaine comme une autre qui prendrait les mille-et-une précautions pour avancer un propos en défiance du politiquement correct. Djemila Benhabib affirme ses opinions sans détour, allant droit au but. N’est-ce pas la vertu propre aux grands auteurs qui ne craignent pas de secouer les vices de leur époque ?

Dans son dernier livre, Islamophobie, mon œil !, on aura compris que le ton est donné dès la lecture du titre. Ce terme, islamophobie, tellement galvaudé par plusieurs grands médias ainsi que par des universitaires, sert d’habitude à disqualifier moralement un intervenant. Si un maladroit ose apporter une critique de l’islam politique, il aura droit à cette épithète. Est-il en plus un partisan de la laïcité de l’État, entendue comme une forme réelle de neutralité de l’espace civique, en dehors des facilités des tenants de la laïcité dite « ouverte » ? Il devient alors clair que cet individu est un réel islamophobe. Ose-t-il critiquer publiquement le voile islamique et le silence de néo-féministes sur la cause des femmes dans le monde islamique ? Le dossier est maintenant clos : toutes les preuves ont été amassées.

Pourtant, Djemila Benhabib provient de l’Algérie, en plein cœur du Maghreb, et n’a pas à cœur l’expression « islamophobe » pour parler de quelqu’un. Bien au contraire, c’est plutôt elle qui est régulièrement visée par ce terme, dans lequel elle ne voit aucune légitimité. Certes, la haine contre les musulmans existe et n’a pas lieu d’être justifiée. Mais est-ce là une raison pour considérer que toute parole moindrement critique à l’égard de l’islamisme ou de l’islam relève nécessairement d’une phobie, donc d’une peur irrationnelle à réprimer ?

Malgré la réticence des éditeurs québécois à publier son livre, voire de certaines librairies à le vendre (!), Djemila Benhabib ne recule devant rien et réussit à trouver une maison d’édition belge pour sa nouvelle parution. Comment expliquer une telle obstination à refuser de publier cette auteure qui a pourtant marqué le Québec de la plus belle des manières, en montrant aux Québécois qu’eux aussi, ils avaient le droit de mettre leur pied à terre pour défendre leurs valeurs nationales ? L’époque qui n’en a plus que pour la diversité et l’inclusion semble une fois de plus nous rappeler que celle-ci est souhaitable dans la mesure où elle se plie à un diktat qui n’a rien de pluriel ou de tolérant dans son idéologie. On entend déjà d’ici un pseudochercheur en sociologie nous expliquer que Djemila Benhabib ne serait que le paravent de la suprématie blanche, qui avance masquée pour mieux opprimer les minorités.

Mais qu’en est-il concrètement du propos de l’auteure dans son dernier ouvrage ? Qu’a-t-elle à dire sur les mutations que prend l’islam politique ces dernières années ? Pour commencer, l’auteure évoque le tragique meurtre de Samuel Paty, ce professeur d’histoire-géographie dans une école de Conflans-Sainte-Honorine, en banlieue de Paris, qui a perdu la vie suite à un enseignement prônant la liberté de critiquer. L’islamisme avait une fois de plus frappé en terre de France, suscitant l’indignation d’un pays profondément troublé par ce mal qui ne va qu’en empirant depuis une trentaine d’années. Djemila Benhabib ne fait pas partie de ces personnes éternellement engluées dans les raccourcis intellectuels concernant la prétendue « marginalisation » des musulmans de France qui serait à l’origine de ce type d’acte horrible. Elle sait que quelque chose ne tourne pas rond en Europe, les explications misérabilistes sont trompeuses et jettent le voile sur la réalité. À ceux qui cherchent l’origine de telles tragédies, l’auteure affirme :

Pendant longtemps, nous avons refusé de nommer les choses, nous avons emprunté les mêmes raccourcis et suivi les mêmes chemins d’égarement, encore et encore. Nous avons tourné en rond. Nous avons tout fait pour ignorer la nature totalitaire de l’islam politique, imaginant sans doute qu’en regardant ailleurs il disparaîtrait de lui-même (p. 8).

L’auteure n’est pas dupe : elle sait fort bien que le terme « islamophobie » est utilisé dans la stratégie des regroupements islamistes pour faire taire toute critique à l’égard de l’islam. Il ne s’agit évidemment pas de dire que toute personne utilisant ce terme serait un islamiste, mais de comprendre que le qualificatif sert bien les intérêts de radicaux qui ont pour mission l’arrêt de mort de l’Occident et de la liberté individuelle. Benhabib revient sur des enquêtes et des informations que nous avons à portée de main sur les groupes islamistes en activité en Occident. Elle décortique leurs stratégies et leur propagande pour semer la terreur sur nos continents et faire avancer leurs pions. Le portrait a de quoi susciter l’inquiétude au lecteur, car nous voyons bien avec l’auteure que l’islamisme fait des avancées notables qui ne réussissent pas à être contrecarrées. Que font donc nos compatriotes pour repousser cet extrémisme religieux ? Djemila Benhabib dit que « la force des djihadistes ne se trouve pas dans leur nombre, elle est à chercher ailleurs. À mi-chemin entre la lâcheté ambiante et le déni contagieux » (p. 21). L’idéologie dominante qui nie superbement le problème islamiste dans ses fondements viendrait bloquer les marges de manœuvre.

Pour nous faire saisir l’importance du danger islamiste, l’auteure remonte des souvenirs de sa jeunesse en Algérie, où elle a dû affronter le rigorisme religieux qui cherchait à restreindre sa liberté. Souhaitons-nous vraiment en arriver là ? Si nous continuons de fermer les yeux et de crier à l’« islamophobie » chaque fois que l’un de nous cherche à analyser sérieusement l’islamisme, nous nous réveillerons un jour sous un climat aussi asphyxiant. Djemila Benhabib nous rappelle qu’elle a elle-même fait face à de nombreuses reprises à ces accusations d’islamophobie lorsqu’elle vivait au Québec. Chaque fois, l’insulte a comme but d’empêcher toute réflexion qui sortirait de la rectitude politique et des éternels sermons sur l’inclusion. L’auteure dénonce également l’instrumentalisation de certains drames pour amalgamer toute critique de l’islamisme avec des événements tragiques comme l’attentat terroriste de Québec en 2017. Les mêmes qui ne cessent de répéter le « padamalgam » à chaque attentat de nature islamiste ne se gênent pas pour faire des amalgames sans bon sens entre la moindre critique islamiste et la violence antimusulmane. Cette mauvaise foi est dénoncée vertement par Djemila Benhabib, qui y voit une incapacité à penser sérieusement les phénomènes d’actualité.

Pour résister à cette montée en force de l’islamisme et d’un climat de censure, l’auteure salue la défense de la laïcité par plusieurs membres de la classe politique et des regroupements de la société civile. Plus encore, l’adoption d’une loi sur la laïcité de l’État au Québec la rend heureuse : elle y voit un bon début dans la lutte contre l’extrémisme religieux. Djemila Benhabib est heureuse que le Québec se démarque du reste du Canada en adoptant son propre modèle d’intégration, bien différent du multiculturalisme canadien qui ferme totalement les yeux sur les pratiques inacceptables de certains croyants. Toujours au Québec, elle dénonce les cas de censure qui font éclat dans l’actualité, comme les fameuses affaires SLAV et Kanata, ainsi que les controverses reliées au mot « nègre ». Même si ces pièces de théâtre n’avaient pas directement rapport avec l’islamisme, les militants lyncheurs en question font partie des mêmes regroupements qui cherchent à annuler pour faire taire.

L’auteure a elle aussi connu de telles formes d’annulation similaires dans le cadre de ses activités d’écrivaine. Cela ne l’empêche pas de se tenir face aux nouveaux censeurs de notre époque. L’apparition d’un antiracisme devenu racialiste, voire raciste envers les Blancs et les « blanchisés » (soit les non-Blancs qui agiraient comme des Blancs, dans le vocabulaire woke), la répugne. Lucide, elle voit bien que les personnes de diverses origines qui ne soutiennent pas le racialisme et la bien-pensance sont vite condamnées comme des alliés de l’ennemi blanc. La tolérance envers la « diversité » a donc des limites très restreintes dès lors que l’on s’aventure un peu en dehors de la doxa prescrite. Face à ces folies, Benhabib défend l’universalisme des Lumières qui proclame l’égalité de chaque citoyen indépendamment de sa couleur de peau. À la fin de son livre, elle en appelle à la résistance par la liberté de parole, qui ne devrait jamais reculer devant l’intimidation.

En somme, le dernier ouvrage de Djemila Benhabib est fidèle à l’écrivaine, car il est courageux, intègre, et montre la droiture des principes. Il faut lire l’auteure pour mieux connaître les grandes menaces qui pèsent sur notre temps en lien avec l’islamisme et le wokisme. Benhabib n’a pas froid aux yeux et ne compte pas se taire de sitôt. Le Québec peut se féliciter de savoir que l’auteure tient encore en estime notre terre d’accueil, où elle a su, plus tôt que bien d’autres, dénoncer des dangers qui approchaient et qui nous éclatent maintenant au grand jour.

Philippe Lorange
Étudiant à la maîtrise en sociologie – UQAM