Éditorial – Dure dure la politique provinciale

2022fevrier250Version PDF

La vie politique est très dure. La vie politique provinciale ne l’est pas moins, mais elle est surtout spectacle permanent de déliquescence des idéaux, des personnes et des ambitions. Qu’il est affligeant de voir ce qui arrive à Simon Jolin-Barette ! Le leader du gouvernement n’en finit plus de consentir à ne devenir qu’un fossoyeur de plus du statut de notre langue ! Il ne se passe pas un mois sans qu’il ne tente de convaincre on ne sait qui de la portée de son projet de loi 96. Il ne se passe pas un mois sans qu’il ne soit contraint à de disgracieuses contorsions pour tenter de temporiser les ardeurs démissionnaires de son chef, de ses collègues, de son gouvernement. Rien n’y fait. Il devra boire jusqu’à la lie le calice provincial ou trouver le courage et l’audace de rompre.

Les statistiques les plus accablantes, les graphiques les plus éloquents, les arrogantes nominations néo-rhodésiennes, les démonstrations les plus fines ou les plus brutales ne suffisent guère. Le gouvernement Legault n’a ni idéal ni courage. Son autonomisme est bas de plafond. C’est un alibi, un discours creux pour justifier la démission mesurable au nombre de fois où le premier ministre prononce le mot fierté pour mieux s’agenouiller d’abord, avant de ramper devant Ottawa. Il veut refonder la santé ? En quémandant ce qu’il pourra grappiller, non pas en posant ce que notre intérêt et le bien commun rendent pourtant nécessaire. Refonder en s’enfonçant toujours et plus dans le marécage canadian ?

La crise sanitaire ne donnera pas lieu à un grand ressaisissement. Ni pour la santé, ni pour la langue, ni pour le reste. Elle s’annonce d’ores et déjà comme une occasion de plus pour s’enfoncer dans la résignation politique. Les calculs concernant le nombre de lits vont prendre le pas sur l’élévation des ambitions : on l’entend déjà le valeureux ministre de la Santé se décarcasser pour bidouiller des ratios, revoir les règles d’imputation, multiplier les appels pour recruter et promettre des miracles avec des gadgets pour prendre rendez-vous. Mais on n’entend ni son chef ni son leader gouvernemental et encore moins son caucus poser le débat sur les contraintes du régime qui oblige le Québec à se penser dans les statistiques canadian, dans la rhétorique de la concorde avec Ottawa. Mon pays ce n’est pas un pays, c’est un hôpital ! vont-ils nous chanter en chœur pendant qu’ils feront campagne sur les efforts à mettre pour rejoindre l’Ontario.

Il n’y aura pas d’appels à voir plus haut, à se projeter pour qu’un élan véritable soit donné. La plomberie tiendra lieu de grand discours économique. Le ton débonnaire du premier ministre servira de soporifique pour éteindre aussi bien la colère que les appels au dépassement. Le Canada est son horizon, le grand gestionnaire ne s’agite qu’avec les moyens qu’Ottawa lui laisse. Les privilèges des corporations qui tiennent le système de santé en otage, les privilèges de l’anglosphère qui saigne le système de la recherche et de l’enseignement supérieur en plus d’enterrer notre langue au cœur même de la métropole, l’indigence intellectuelle et financière susceptible de balayer cinquante ans de construction d’institutions culturelles, la liste est interminable. Jusqu’où, jusqu’à quand la minimisation des pertes, la rhétorique des lamentations, la démission comptable vont-ils pourrir l’horizon ? Les grandes manœuvres promises ne seront que bluettes annoncées tambour battant. Le superlatif incantatoire est inséparable du consentement à l’impuissance.

Par-delà le spleen collectif qu’a imposé la pandémie, c’est bien celui de la vie résignée, de l’enfoncement dans la grisaille du renoncement que la crise sanitaire a révélé autant qu’elle l’a précipité. Ce qui mine la cohésion, ce n’est pas tant le ras-le-bol des confinés que le désarroi sourd et la rage rentrée qui font la « musique de fin du monde » dans les milieux de la culture, dans les inquiétudes des parents devant le délabrement des écoles, dans le scepticisme des inquiets pour la santé de l’environnement. Ce qui mine la cohésion, c’est la politique provinciale et le refus d’en sortir de la part des partis d’opposition tout aussi incapables de s’assumer devant l’évidence : le Québec ne peut que se dissoudre à se penser comme une province.

Ce n’est pas tant la morosité qui prévaut que la crise du sens dès lors qu’il est question de se poser devant le destin commun, de s’interroger sur la volonté de s’assumer dans ce qui reste de ce qui nous a conduits jusqu’ici. Le décrochage civique, la perte de confiance dans les institutions et le cynisme frisant le mépris de soi se répandent comme une bruine toxique. Le Québec se perd de vue, il ne « s’entend plus venir au monde » comme l’a si justement dit le regretté Michel Garneau. Le contexte actuel ne révèle-t-il pas l’incapacité des diverses composantes de la société à soutenir des voix fortes, des idées fortes, des ambitions mobilisatrices ? Ne révèle-t-il pas l’hiver de force ? Le refoulement dans l’opiniâtre survivance ? Tout porte à le croire.

Tout incite pourtant à refuser de s’y complaire. On peut faire quelque chose dans ce qui reste de ce qui se meurt. Ce régime ne sera pas éternel. L’intransigeance finira bien par reprendre ses droits. Elle n’a jamais été la vertu principale des propositions politiques même si elle seule a pu expliquer la ténacité de ceux et celles qui ont porté le Québec à bout de bras. Ils sont là, rageant dans les quartiers, s’acharnant dans les villages, piochant dans les marges des institutions, sourds à la rhétorique des éteignoirs et aux manœuvres des planqués qui veulent monnayer la démission pour mieux rejoindre la Floride ou la Toscane. Ils sont là à bricoler les voies d’un autre avenir. Ce qui ne les empêche pas d’être sensibles à la tristesse du spectacle de la politique provinciale où s’abîment des personnages de valeur.

Qui ne rêve d’un Québec français fort ne rêve pas. Qui refoule la nécessaire aspiration à l’indépendance ratatine, il ne refonde rien, il nous enfonce dans la médiocrité. Qui refuse de voir ce que le Canada fait de nous ne poursuit que des mirages. Qui ne fait pas le choix d’affronter et démanteler les murs de privilèges n’agit pas. Il déconstruit. Il faut le redire à toute la classe politique. Et avoir un peu de compassion pour les drames personnels que la résignation collective impose aux êtres de conviction.

 

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