Éditorial – Il faut mettre Dawson en tutelle

2020fevrier250

Il y a des limites à prendre les citoyens pour des valises. Cela fait des mois et des mois que ça dure. Les responsables du plus gros cégep du Québec disent n’importe quoi. Les contradictions ne se comptent plus. Les déclarations à la limite du mensonge officiel s’étalent à pleines pages et dégoulinent de bons sentiments pour mieux brouiller les repères factuels dès lors qu’il s’agit de s’adresser à un public francophone. En anglais, la rhétorique rhodésienne garde ses droits et ne s’en prive guère. Le double langage est une véritable vertu civique dans certains des cercles de l’establishment qui, depuis que le Canada est le Canada, traitent au Québec comme dans les bourgades de demeurés. Heureusement que le bassin des indigènes de service est inépuisable, cela permet de penser que la province regorge de « token » pour l’aider à ressembler à un pros Parti libéral du Canada.

Ça suffit !

Déjà que l’ancien directeur, aujourd’hui bénéficiaire d’une retraite bien méritée, nous avait fait la grâce d’une volte-face d’une élégance à donner l’envie de prendre des cours de ballet au YMCA. En juin l’année dernière le valeureux serviteur public jurait la main sur le cœur que Dawson ne visait pas l’expansion1. Il ne pouvait s’agir, au mieux, que d’une mauvaise compréhension des subtilités d’une formule de financement trop complexe pour les esprits simples et, au pire, d’un procès d’intention mené par des zélotes frileux qui refusent de voir que le réseau collégial montréalais se porte bien. Les sous-entendus servent toujours bien dans le genre de manœuvre auxquelles se livrent les professionnels de la condescendance.

Dawson ne veut pas grandir, il veut mieux servir le Québec. C’est simple et facile à comprendre, non ? Il faut bien aménager des aires de répit pour les enfants de la loi 101 qui peuvent enfin rejoindre l’anglosphère. Ce sont ces « victimes » et les jeunes francophones qui rêvent de reprendre les échelons de la mobilité sociale pour colonisés qui ont besoin d’une antichambre confortable pour se gagner une place à McGill. Après tout, ils forment la majorité de la clientèle. La minorité anglaise a besoin d’un paravent rhétorique, elle n’a plus la démographie pour soutenir ses institutions, il faut bien que la province finance le déni et que les idéologues se gaussent des discours de l’ouverture et de la mondialisation. La promotion du français comme langue commune passe par la novlangue. Il faudra apprendre à lire Orwell dans le texte. Et suivre les mouvements de carrière de la piétaille.

Il aura fallu, en effet, qu’une nouvelle recrue monte au créneau pour que la chose crève l’évidence. La nouvelle directrice a bien fait paraître Radio-Canada2 dont le reportage (28 janvier) nous a permis d’apprendre que le projet d’agrandissement ne se situerait pas dans les cinquante millions comme on avait tenté de nous le faire croire dans la rhétorique suave de l’ancien directeur. Ce n’est plus le jupon qui dépasse, c’est le tutu qui vire au rose ! Le projet coûtera plus de cent millions de dollars. Des lunettes roses avec ça ?

Cent millions pour améliorer le confort des étudiants sans hausser le nombre des inscriptions ? L’arithmétique de la fumisterie est bien complexe. Les reportages et, surtout, les travaux de Frédéric Lacroix, nous ont cependant appris que Dawson étouffe en ses murs parce qu’il dépasse depuis longtemps déjà les devis de financement qui « l’autorisent » à accueillir au moins 800 étudiants de plus que la norme que quelque qu’un quelque part à Québec refuse d’appliquer.

Dawson dépasse son devis de plus de 10 % depuis 2011 (12 % en 2011, 13 % en 2012, etc.). Or la règle du MEES spécifie que le dépassement peut-être de « 10 % sous certaines conditions ». Dawson enfreint donc cette règle du MEES depuis une décennie. Sans semble-t-il que le MEES n’intervienne. À la noblesse, ses privilèges3 ?.

Il est franchement trop gentil le Frédéric. D’aucuns parleraient plutôt de manœuvres de bas étage. Qui donc a déjà dit que la tolérance, il y a des maisons pour ça ?

Il faut mettre Dawson en tutelle pour faire la lumière. Il faut établir sans faux-fuyant quelles sont les intentions véritables de ce business du privilège de l’anglosphère. Les pirouettes de la direction ne sont pas des incartades bénignes, des subterfuges de relations publiques hypocrites. Le conseil d’administration de la vénérable institution ne laisse faire que parce que ses valeureux cadres « respectent » leur mandat. Ces administrateurs (un compact ?) façonnent le projet véritable. Ils louvoient avec des fonds publics et ne donnent du projet que des versions trompeuses. Ils devraient être tenus d’en expliquer le sens et la portée sur la place publique. Ces serviteurs de l’intérêt public laissent la désinformation brouiller l’usage des impôts des citoyens. L’encouragent-ils ? Et si oui avec la collaboration de qui chez les élus ? Dans la haute fonction publique ? Dans les instances de représentation et de lobbying ?

Il faut aller au fond des choses et mettre les projecteurs sur les officines du ministère. À l’évidence la complaisance coupable y fait des ravages. Qui diable peut bien justifier de tels écarts alors que le réseau, particulièrement en région, se démène dans une situation budgétaire qui frôle l’indigence ? Quel tacite justificatif s’impose-t-il ? Est-ce que la restriction mentale et l’euphémisme sont devenus des normes du code de conduite du manuel des pratiques de respect de la Loi de l’administration publique ? Comment peut-on tolérer que la ministre McCann elle-même sente le besoin de calmer les ardeurs de la fringante nouvelle directrice aussitôt sa trop franche sortie publique réalisée ? Que veut-elle laisser comprendre du processus décisionnel dans son propre gouvernement ? Quelqu’un va-t-il exiger que la documentation afférente soit rendue publique, déposée et discutée ? Quelqu’un réalise-t-il ce que représentent 100 millions de dollars dans les mains de metteurs en scène de « show de boucane » ?

The Gazette, pour sa part, sait bien ce que son lectorat attend de ce pactole et de la manne que le gouvernement Legault fera tomber sur McGill en lui donnant le Royal Victoria. Un cadeau de plus d’un milliard ! Y a-t-il une ministre à Québec ? Y a-t-il quelqu’un qui a versé de la potion magique pour le thé de quatre heures au cabinet du premier ministre ?

Il faut mettre Dawson en tutelle pour comprendre les raisons du silence assourdissant des « décideux » des cégeps de Montréal qui se laissent dépouiller et cautionnent par faiblesse ou démission l’anglicisation du réseau. Que signifie de nos jours « se laisser manger la laine sur le dos » ? L’élite gestionnaire du réseau de l’enseignement supérieur rivalise de couardise. Les Jean-Baptiste branchés ont-ils peur de voir leurs voyages en Toscane retardés pour cause de perturbations de relations publiques ou de commission parlementaire ? Il y a des limites. La coupe est pleine. La culture de parvenus et le confort des lâchetés bureaucratiques, ça suffit.

Il faut mettre Dawson en tutelle avant que la colère ne devienne le seul registre. C’est obscène de financer l’assimilation et la folklorisation à même les fonds publics. Les bonnes âmes qui cherchent les distorsions systémiques partout feraient bien de regarder du côté de la culture d’apartheid qui laisse prospérer dans la province le développement séparé. Province, pays des vaincus, nous dit l’étymologie.

Il n’y a pas de pires supplices que ceux-là qu’on s’inflige. Monsieur Legault ferait mieux de se soucier de ce qu’il entend laisser comme héritage. Une métropole cédée pour quelques deniers de complaisance ? Un monument à la bêtise au pied du Mont-Royal ? Un simple mémo de ratification de l’ordre des choses, une note de résignation ? Une médaille de l’Ordre du Canada à son effigie ?

 


 

1 Daphnée Dion-Viens, « Projet d’agrandissement: le Collège Dawson rectifie le tir », Journal de Montréal, 12 juin 2020

2 Hugo Lavallée et Alex Boissonneault, « 7800 étudiants et 100 M$ pour le Collège Dawson agrandi », Radio-Canada, 28 janvier 2021.

3 Entrevue de Frédéric Lacroix avec Mathieu Bock-Côté, Journal de Montréal, 30 janvier 2021