C’était franchement amusant. Le retour de la question de l’indépendance à l’avant-scène de l’actualité politique a donné lieu à un hilarant concert où le ridicule l’a disputé au crissement des fausses notes. De quoi se donner des raisons de s’abonner à La Presse et d’écouter Radio-Canada au moins autant que d’avoir envie de renoncer à l’abonnement au Devoir. Et jusqu’à Nadeau-Dubois qui donnait de la voix pour ne pas laisser la chambre d’écho au seul Parti libéral. La grande rigolade, quoi !
Le discours de Paul Saint-Pierre Plamondon devant le Conseil national du PQ a eu la vertu quasi magique de faire ressurgir toutes les rhétoriques zombies des deux référendums. Il n’y manquait que les sanglots sur les Rocheuses, mais ne désespérons pas trop vite. Ça viendra bientôt dans les bons sentiments des militants du sans-frontières qui ne rateront pas les occasions de combattre notre projet d’en construire sans jamais s’affairer à saper celles du Canada.
Ceux et celles qui ont vécu les événements de 1980 et de 1995 ne peuvent se défaire d’un sentiment de déjà vu, déjà entendu en fréquentant les médias. Les autres trouveront aux archives les mêmes impressions. Il a beau sanctifier la diversité, le régime canadian produit du même. La piétaille change, mais les litanies demeurent. Comme l’histoire ne se répète qu’en mode caricatural, il faut s’attendre à voir de formidables grimaces. Celles que les pages éditoriales et les bonimenteurs de La Presse nous ont servies au lendemain du fatidique discours laissent entrevoir un formidable regain du design d’épouvantails. Au pays de l’humour, pourtant, on devrait savoir qu’un gag répété perd de son effet. Mais qu’à cela ne tienne, quand on n’est plus capable d’imaginer une place pour le Québec ailleurs que sous la carpette canadian, il vaut mieux reprocher au chef indépendantiste de ne pas avoir livrer le même jour les plans détaillés du pays à faire.
Ils ont été nombreux les bonimenteurs à lire les oracles, à décortiquer les sondages pour y lire les confirmations du consentement à l’impuissance qu’ils pratiquent. Ils ont peur que la peur prenne trop de place. Toute la place, pourquoi pas ! Peur des immigrants, peur de la crise climatique, peur du repli identitaire, peur d’une défaite, peur d’avoir peur. Les courtiers en mises en garde ne manquent pas de répertoire. La seule chose qui ne leur fait pas peur, c’est le Canada dont les exactions sont toujours réduites à l’anecdote. La cohorte de pratiquants de l’éternelle minimisation des pertes est fort nombreuse chez « les observateurs de la scène politique », aussi nombreuse qu’à la CAQ et chez les inconditionnels du Canada.
Le rappel historique n’est pas bien vu de la bien-pensance. Du moins le rappel historique de la condition minoritaire dans le beau Canada où toutes les minorités ont droit, au nom de leur histoire, à la compassion des redresseurs de torts. L’État canadian est repentant. Mais son ordre repose sur le refus du consentement à l’histoire de la présence française, au rejet et à la déformation de tout ce que les Acadiens et les Canadiens français ont enduré. Le seul statut qu’il considère, c’est celui que la désincarnation bureaucratique autorise à ses ingénieurs sociaux, là où le nombre le justifie.
C’était pitié de voir ergoter les pseudo-analystes sur les conséquences éventuelles d’une autre défaite référendaire. C’était franchement affligeant d’indigence intellectuelle de les voir faire des pirouettes pour ne pas voir que ces conséquences n’ont été et ne seraient néfastes que parce que le régime est toxique. Les reculs qu’ils disent craindre et vouloir éviter, ils ne les voient pas pour ce qu’ils sont dans ce régime qui nous empêche d’avancer. La chose dont ils ont le plus peur, c’est de vivre. « Mon Canada ce n’est pas mon pays, c’est la somme de toutes mes peurs, de tous mes renoncements. » Tel est leur chant de ralliement.
L’Histoire a façonné le sentiment d’appartenance. Elle en est le socle, pas la prison. Sans l’appartenance il n’y a aucun sens à donner au projet d’indépendance. Et cette appartenance se développe et s’acquiert dans le partage d’expériences communes, dans une référence partagée pour mieux comprendre ce qui nous a conduits jusqu’ici et, surtout, pour mieux imaginer où cela peut nous conduire. Nous, oui : nous. Avec tout le flou et l’ouverture que le terme peut comporter. Nous, parce que l’avenir reste ouvert alors qu’il est scellé au Canada.
Les temps qui viennent vont de nouveau rendre la politique intéressante. La politique, pas l’agitation politicienne. Celle-là il faudra la laisser aux chroniqueurs du statu quo qui se tiennent, paraît-il, au-dessus de la mêlée. La politique, le leader péquiste a commencé à en faire. Il faut lui en savoir gré. Il doit garder le cap sur le procès du régime. Il doit centrer l’action sur l’amélioration des compétences civiques et faire voir à ceux et celles à qui il s’adresse en quoi et par quoi les catégories conceptuelles et institutionnelles du régime brouillent la lecture de nos intérêts nationaux. Il devra éviter les passes d’armes sur les anecdotes politiciennes et les diversions que ses adversaires ne cesseront d’inventer pour faire dévier l’attention.
Les évidences des récits médiatiques ne tiennent que dans le décor canadian. La vérité de l’action politique se trouve sur le terrain, dans tous les lieux où les intérêts se construisent, où les projets s’élaborent et mobilisent. Le combat pour l’indépendance est un combat. Il faut répéter cette lapalissade. Qui dit combat dit adversaires et coups portés. Qui dit combat dit prendre le risque d’en prendre. Qui dit combat, mise sur ses forces pour affronter le risque, pas pour se soumettre à ce qu’il pourrait entraîner.
Les forces du Québec sont grandes mais éparpillées. La qualité de l’action politique se mesurera à la capacité de les canaliser. Et pour ce faire il faut appeler un chat un chat, certes. Mais ce dont le Québec a surtout besoin ce sont des projets qui feront la démonstration qu’en les amorçant nous ferons un pas de plus vers notre émancipation. Il faut des propositions qui, dès leur énoncé, font apparaître les limites du régime mais qui, du même coup, donne le goût de les dépasser. Il faut cesser de s’entêter à vouloir faire rêver et plutôt agir pour donner de l’appétit. L’indépendance pour mordre dans la vie, le Canada pour les résignés à mener une existence famélique !
Les zombies ne mangent pas. Ils errent dans les cauchemars.
Avril-Mai 2024
Hommage à Yves Michaud Grand bretteur et patriote