Élections provinciales de 2014 : le temps des grands changements

Quelques heures après le Big Bang, une avalanche de commentaires. Le triomphe du Parti libéral du Québec (PLQ), le désastre inattendu du Parti québécois (PQ) après les espoirs de l’hiver, l’impact dévastateur de la Charte de la laïcité. La remontée imprévue de la Coalition avenir Québec (CAQ), le troisième siège de Québec solidaire (QS), la […]

Quelques heures après le Big Bang, une avalanche de commentaires. Le triomphe du Parti libéral du Québec (PLQ), le désastre inattendu du Parti québécois (PQ) après les espoirs de l’hiver, l’impact dévastateur de la Charte de la laïcité. La remontée imprévue de la Coalition avenir Québec (CAQ), le troisième siège de Québec solidaire (QS), la mobilisation des non-francophones de nouveau reliée à la Charte. Le silence autour de la légitimité du nouveau gouvernement. Rien sur le système de partis qui s’est mis en place et sur l’impact du mode de scrutin. Et surtout rien sur les rapports entre francophones et non-francophones.

Chacun s’autorisant de sa compréhension des résultats, commentateurs et observateurs n’ont pas manqué de conclure pour mieux deviser sur l’avenir collectif, chose étrangère chez l’élite économique et financière. Chez celle-ci, on ne devise pas, on exerce le pouvoir, ou on le recherche.

Cette analyse bien préliminaire des résultats du 7 avril se propose de revenir sur quelques affirmations un peu rapides sur les résultats électoraux. Elle fera plutôt ressortir quelques traits majeurs de ces derniers néanmoins passés sous silence. De là, quelques réflexions sur la nouvelle donne de 2014.

La « victoire historique » du PLQ : une piètre victoire

Par rapport aux élections de 2012, le Parti libéral du Québec (PLQ) a effectivement augmenté son résultat d’environ 400 000 voix. Ce résultat représente 41,5 % des votes valides. Or, depuis les seize élections tenues depuis 1960, le PLQ n’a été plus faible qu’en trois occasions, soit lors de la terrible défaite libérale de 1976 (34 % des votes valides), lors de la demi-victoire de 2007 (33 %, gouvernement minoritaire de Jean Charest) et de la défaite libérale de 2012 (31 %). Il faut remonter à 1985 pour trouver un PLQ obtenant plus de 50 % des votes valides. Il s’agit du treizième pire résultat en seize élections du PLQ depuis la Révolution tranquille.

En proportion des électeurs inscrits, le résultat libéral de 2014 (29 %) est le plus élevé depuis 2003, mais le plus faible des douze élections tenues de 1960 jusqu’en 2003. Aucun gouvernement formé depuis 1960, qu’il ait été libéral, unioniste ou péquiste, n’a obtenu un aussi piètre résultat, à l’exception des gouvernements élus depuis 2007 jusqu’à 2012.

Dans les circonscriptions massivement francophones (dont la proportion de francophones se situait au-dessus des seuils linguistiques que nous expliquerons plus avant tout à l’heure), les résultats ont été de 30 % en proportion des votes valides et de 21 % en proportion des inscrits. C’est cette faiblesse du PLQ chez les francophones qui a permis au parti d’augmenter son nombre de sièges à 70, soit 20 de plus qu’en 2012. Chose notable, 36 des 70 sièges libéraux de 2014 l’ont été par une majorité des voix, dont 32 sous l’un ou l’autre seuil linguistique de l’Île, de la Couronne ou du Québec hors Montréal.

La défaite du PQ : une défaite effectivement « historique »

Bien sûr, par rapport à 2012, le PQ a connu un sévère recul en 2014 : près de 320 000 voix en moins, un recul de 7 % des votes valides, de 6 % par rapport aux électeurs inscrits. Avec 25 % du vote valide, la performance globale du PQ est supérieure à celle de 1970, mais inférieure à celle de 1973, même inférieure de 50 000 voix au résultat du PQ mené par André Boisclair, et cela malgré l’ajout de 275 000 électeurs inscrits. Mais en proportion des électeurs inscrits, le résultat de 2014, 18 % des inscrits, a été le plus faible de toute l’histoire du PQ.

Avec ses 30 sièges, le PQ fut chanceux de s’en tirer avec quatre à cinq fois plus de sièges qu’en 1970 (7 sièges) ou 1973 (6 sièges). La diminution du nombre de sièges par rapport à 2012 (54 élus à l’époque) fut très importante : le PQ reculait de 24 sièges répartis à peu près également entre toutes les régions. À cet égard, c’est la Montérégie qui a enregistré le plus grand nombre de sièges perdus, avec 5. Huit autres régions ont perdu deux sièges tandis que trois en ont perdu un. Six n’en ont perdu aucun, dont quatre qui n’avaient aucun élu du PQ en 20 121.

Au total, les reculs « sièges/% des inscrits » les plus sévères ont frappé les régions de Périphérie2 (-6 sièges sur les 16 de 2012, -7 % des inscrits), la Couronne de Montréal (-7 sièges sur les 14 de 2012, -7 % des inscrits), l’Hinterland montréalais (-4 sièges sur les 12 de 2012, -6 % des inscrits), l’Hinterland (-5 sièges sur 5 en 2012, -5 % des inscrits). Sans avoir perdu un siège en 2014 en Outaouais, simplement parce qu’il n’y avait aucun député péquiste en 2012, le PQ y reculait de 6 % par rapport aux inscrits. Les pertes de sièges ont touché autant les circonscriptions sous les trois seuils linguistiques (-9 sièges) qu’au-dessus des seuils (-9 sièges), sans oublier au passage les sièges mitoyens du Québec hors Montréal (-6 sièges).

La CAQ, QS, l’abstention

Côté CAQ, malgré une progression de trois sièges par rapport à 2012 (de 19 à 22 sièges), la performance générale du parti reculait de plus de 200 000 voix, ou -4 % par rapport aux inscrits des votes ou autant en % des votes valides. Les reculs les plus sévères ont touché plusieurs régions traditionnellement favorables à la CAQ ou à l’Action démocratique du Québec (ADQ) de Mario Dumont : l’Hinterland-montréalais (-5 % des inscrits), l’Outaouais, la Couronne de Montréal, la Périphérie, l’Est de l’Île de Montréal (chacune avec -4 %). Comme pour le PQ, la CAQ fut des plus chanceuse de s’en tirer avec autant de sièges malgré son recul aux voix.

Il y a peu à dire sur QS. Le parti a connu une légère progression (60 000 voix ou 1,6 % par rapport aux électeurs inscrits), et un siège de plus (3 au total). Régionalement, la performance s’est avérée à peu près égale dans toutes les régions, à l’exception de l’Île de Montréal, où l’on enregistrait une progression quasi nulle (0,1 %), répartie en un recul dans l’Ouest (-0,7 %) et une progression dans l’Est (1,4 %). Onze régions ont présenté des performances de QS supérieures à celle de l’Est de Montréal.

L’abstentionnisme a progressé de 3 % en 2014 par rapport à 2012, une augmentation de 215 000 abstentions pour se fixer à 28,6 %3. Contresens parfait, l’abstentionnisme a progressé de 4 % dans les 81 circonscriptions les plus chaudement disputées, c’est-à-dire celles remportées par une minorité des voix, tandis qu’il faisait du surplace dans les 44 circonscriptions remportées par une majorité des voix. Mobilisation des électeurs libéraux contre désistement des électeurs de toutes les autres formations politiques ? L’explication se trouve dans la répartition géographique des groupes linguistiques.

Remarquons tout d’abord que la plus forte augmentation de l’abstention a eu lieu dans Lanaudière (+7,4 %), puis dans le Bas-Saint-Laurent (6,8 %), l’Estrie et les Laurentides (+6 %), le Centre-du-Québec, la Côte-Nord, la Montérégie, la Mauricie, le Saguenay-Lac-Saint-Jean et l’Abitibi-Témiscamingue (+5 %). Une seule région a connu une diminution de son abstention, la moins francophone, l’Ouest-de-l’Île de Montréal, avec -4 %. En redécoupant le territoire en sept régions, on constate que ce sont toutes les régions favorables à la CAQ et au PQ qui ont connu les plus fortes hausses de leur abstention : l’Hinterland montréalais, avec une hausse de 7 %, la Périphérie, avec 4,6 %, l’Hinterland, avec 4,5 %, la Couronne de Montréal, avec 4,0 %, la région métropolitaine de recensement (RMR) de Québec, avec 3 %, ce qui laissait l’Outaouais faire du surplace (0 %) et l’Île de Montréal, Ouest et Est réunis, diminuer d’un pour cent. En examinant les résultats après répartition des sièges en fonction des seuils linguistiques, les sièges au-dessus de l’un ou l’autre seuil, les plus disputés, ont vu leur abstention augmenter de 5 %, soit une proportion quasi similaire aux circonscriptions mitoyennes, et totalement différente du groupe des circonscriptions sous les seuils, où l’abstention de 2014 a été exactement identique à 2012 (0,0 %)4.

Le sens du vote

« Le verdict de la population a été clair », a-t-on dit, en particulier chez les nouveaux titulaires envoyés à l’Assemblée nationale. « Les Québécois ont parlé », ils ont rejeté l’ancien gouvernement et opté avec confiance pour un nouveau gouvernement. Or, 1) on ignore toujours en 2014 ce sur quoi les électeurs votent : sur le bilan général ou sur une politique particulière satisfaisante ou insatisfaisante, sur un programme ou sur la comparaison des programmes, sur une promesse ou sur un ensemble de promesses, nul ne le sait. 2) Il est vrai que les électeurs optent pour un gouvernement qui a promis de s’engager à faire x, y ou z, mais quoi qu’il en soit, il s’agit toujours, en 2014 comme avant, d’un chèque en blanc, car le nouveau gouvernement décidera de tout une fois en face de problèmes imprévus qui n’avaient parfois pas d’existence avant le verdict des électeurs. Où donc chercher le sens du vote ?

Relier le vote aux facteurs les plus importants

À défaut de pouvoir sonder les esprits, on peut au moins relier les comportements à l’identité des électeurs. Mais puisque les électeurs ont des identités multiples – on peut être attaché au Québec, à la Pologne, être femme, écrivaine, etc. –, le problème reste entier : pourquoi privilégier telle identité – lire telle qualité – plus que telle autre ? Considérant que certaines qualités sont plus déterminantes dans l’explication du vote, on peut dès lors hiérarchiser qualités et identités au niveau collectif, puis en déduire les acteurs prévalant et les enjeux significatifs.

Dans les faits, les élections de 2014, comme toutes les élections tenues depuis l’arrivée du PQ sur la scène politique en 1968, ont montré l’importance de la langue dans l’explication des résultats électoraux et le partage des sièges. Il s’agit plus précisément de la langue parlée le plus souvent à la maison et non de la langue maternelle. La première réfère à l’appartenance active à un univers linguistique et, partant, idéologique, tandis que la deuxième réfère à l’héritage donné par les parents, héritage qui a pu être complètement liquidé dans la petite enfance de nombre d’individus.

Le principe actif du partage des circonscriptions : les seuils linguistiques

Francophones et non-francophones ont fait preuve de comportements électoraux nettement différenciés. Comme toute majorité sur son propre territoire5, les francophones se sont divisés entre plusieurs partis, tandis que les non-francophones ont une fois de plus voté en bloc derrière le PLQ6.

Depuis 1970 tout au moins, l’opposition de ces comportements dans le contexte du mode de scrutin majoritaire a produit des seuils linguistiques qui ont opposé les sièges remportés par les libéraux et les sièges remportés par les autres partis. Ces seuils correspondent aux proportions de francophones nécessaires à l’élection d’un candidat libéral dans des ensembles géographiques donnés, qui ont ici été définis comme étant l’Île de Montréal, la Couronne de Montréal et le Québec hors Montréal. Il va de soi que le nombre de circonscriptions qui se situent en dessous ou au-dessus des seuils7 devient la variable suivante permettant d’expliquer l’accès au pouvoir. Les seuils linguistiques figurent au tableau 1.


 

Tableau 1 : Répartition des sièges selon les seuils linguistiques*, Île de Montréal, Couronne de Montréal, Québec hors Montréal, élections du 7 avril 2014

Proportions de francophones dans les circonscriptions

PLQ

PQ

CAQ

QS

Île de Montréal (28 circonscriptions)

Moins de 80 % francophones (n=23)

21

0

0

2

80 % et plus de francophones (n=5)

0

4

0

1

Couronne de Montréal (29 circonscriptions)

Moins de 78 % francophones (n=11)

11

0

0

0

84 % et plus de francophones (n=18)

1

7

10

0

Québec hors Montréal (68 circonscriptions)

Moins de 92,8 % francophones (n=17)

15

2

0

0

De 92,8 % à 99% de francophones (n=36)

12

13

11

0

99 % et plus de francophones (n=15)

10

4

1

0

TOTAL QUÉBEC

Sous les seuils (n=51)

47

2

0

2

De 92,8 % à 99% de francophones (n=36)

12

13

11

0

Au-dessus des seuils (n=38)

11

15

11

1

Note : * Selon les données du recensement de 2011, seuils basés sur la langue parlée le plus souvent à la maison après répartition des réponses multiples au prorata des réponses mentionnées.


 

Chacune de ces trois régions a son propre seuil linguistique :

  • sur l’Île de Montréal, le fait d’avoir plus ou moins de 80 % de francophones dans une circonscription constitue le facteur clé dans la répartition des sièges entre les partis : 21 libéraux sur 23 sièges en deçà des 80 %, aucun des cinq sièges au-delà ;
  • en Couronne de Montréal, la proportion de francophones grimpe à quelque part entre 78 % et 84 % de francophones (pour une moyenne de 81,2 %8). En deçà des 78 % de francophones, les libéraux ont raflé 11 sièges sur 11. Au-delà des 84 %, ils n’y ont remporté qu’un seul siège sur les 18 (La Prairie, 87,5 % de francophones), contre sept pour le PQ et dix pour la CAQ ;
  • hors de la RMR de Montréal, trois situations. La domination libérale fut nette là où les francophones comptaient pour moins que 92,8 % de la population, avec 15 victoires sur 17 sièges. Dès que la proportion de francophones franchissait les 92,8 % tout en restant inférieure à 99 %, le partage des sièges y était presque parfaitement égal. Sur 36 sièges, on comptait 12 victoires libérales, 13 victoires péquistes et 11 victoires caquistes. Par contre, dans les circonscriptions « presque exclusivement francophones », c’est-à-dire à 99 % francophones ou plus, les libéraux prédominaient à nouveau avec 10 victoires sur 15 sièges, contre quatre pour le PQ et une pour la CAQ. Un coup d’œil rapide au profil de ces 15 circonscriptions montre que celles-ci étaient plus défavorisées que celles de tous les autres groupes du tableau 19.
Le classement des sièges libéraux selon le type d’influence des non-francophones

Les circonscriptions classées sous les seuils linguistiques sont-elles toutes de même nature, c’est-à-dire qu’elles ont vu leur minorité non francophone renverser le vote francophone ? On peut globalement classer les sièges libéraux en trois catégories :

  • le type « A », qui rassemble les sièges où la proportion de non-francophones compte pour au moins 5 % de la population et est supérieure à la majorité libérale, où on considère que les non-francophones ont renversé le vote francophone ;
  • le type « B », qui comprend les sièges où la proportion de non-francophones est d’au moins 5 %, où ces derniers n’ont pas renversé le vote francophone, mais étaient néanmoins suffisamment nombreux pour influer sur l’élu libéral ;
  • le type « C », qui réunit les circonscriptions comptant moins de 5 % de non-francophones et où les francophones ont majoritairement voté pour le PLQ.

Le tableau 2 classe les circonscriptions de 2012 et de 2014 selon ces trois types d’influence des non-francophones.


Tableau 2 : Classification des circonscriptions selon le type d’influence des non-francophones, Québec, élections de 2012 et de 2014

Types de sièges (A B C)

Île de Montréal

Couronne de Montréal

Québec hors Montréal

Total

Élections de 2012

A – NF renversent*

20

9

10

39

B – NF influence notable*

0

0

2

2

C – NF sans influence*

0

0

9

9

Total 2012

20

9

21

50

Élections de 2014

A – NF renversent*

21

12

10

43

B – NF influence notable*

0

0

8

8

C – NF sans influence*

0

0

19

19

Total 2014

21

12

37

70

Note : * NF = non-francophones. Dans le type A, la proportion de non-francophones, qui est d’au moins 5 % de la population, est supérieure à la majorité libérale, ce qui signifie que les non-francophones renversent le vote francophone ; dans le type B, la proportion de non-francophones, d’au moins 5 %, est inférieure à la majorité libérale, ce qui signifie que les non-francophones ne renversent pas le vote francophone, mais conservent néanmoins une influence incontournable sur l’élu libéral ; dans le type C, les non-francophones ne représentent pas 5 % de la population et leur influence est considérée comme plus modeste ou nulle.


Dans ces calculs basés sur le type d’influence des non-francophones sur les élus libéraux, on comptait, en 2014, 51 élus libéraux de type A ou B, soit 43 élus de type A où le vote non francophone a renversé le vote francophone, et 8 élus de type B, tous provenant du Québec hors Montréal, où les francophones ont voté majoritairement libéral, mais où ils comptaient néanmoins pour au moins 5 % de la population. Trois de ces huit élus se trouvaient dans l’Outaouais (Papineau, Chapleau, Gatineau), deux autres dans Laviolette (8,6 % de non francophones) et Jean-Talon (7,5 %), et trois autres comptaient tout juste un peu plus de 5 % (les Îles-de-la-Madeleine, avec 5,5 %, Mégantic, avec 5,4 %, et Richmond, avec 5,2 %).

Dans les calculs basés sur les seuils linguistiques, le même total de 51 sièges était composé de 47 candidats libéraux élus sous l’un ou l’autre seuil, plus 1 élu au-dessus du seuil enregistré dans la Couronne de Montréal, et 3 élus dans les circonscriptions mitoyennes du Québec hors Montréal qui comptaient plus de 5 % de francophones.

Par rapport à 2012, on retrouvait à peu près le même nombre de sièges de type A, soit 39 en 2012 au lieu de 43 en 2014, mais moins de type B (2 au lieu de 8 en 2014, tous situés dans le Québec hors Montréal) et moins encore de type C, soit 9 au lieu de 19 en 2014. En 2012, les élus des types A et B représentaient 78 % des élus libéraux ; en 2014, les mêmes élus représentaient 73 % du total des élus. L’ajout de 4 élus de type A et de 6 de type B a contrebalancé l’ajout de 10 élus de type C, ce qui fait que la proportion des A et B en 2012 est demeurée à peu près la même en 2014.

« Les Québécois ont parlé » : deux groupes nationaux, une histoire à deux

Si les « Québécois ont parlé », la nation québécoise n’est pourtant pas unifiée. Deux communautés d’allégeance nationale distincte se partagent le territoire et ont des comportements électoraux conséquents. Et l’histoire électorale du Québec ne cesse de témoigner de la prévalence de la variable linguistique sur toutes les autres variables (âge, statut socio-économique, professions, industries, revenus, instruction, région) dans l’explication des résultats électoraux et de la formation des gouvernements. L’histoire du Québec, c’est d’abord l’histoire des relations entre deux communautés distinctes, l’une d’allégeance québécoise – essentiellement francophone et divisée –, l’autre d’allégeance canadienne – anglophone et allophone, votant la plupart du temps en bloc.

Si la langue parlée le plus souvent à la maison paraît impuissante à prédire l’issue du scrutin dans les 51 circonscriptions du Québec hors Montréal les plus francophones (celles qui comptaient au moins 92,8 % de francophones), elle prédisait par contre de manière quasi parfaite les résultats électoraux dans toutes les autres situations :

  • partout au Québec, quand la proportion de francophones se situait sous l’un ou l’autre des seuils linguistiques, les résultats étaient massivement favorables au PLQ (et défavorables au PQ et à la CAQ) : on y comptait 47 circonscriptions libérales sur 5110 ;
  • à Montréal, sur l’Île comme dans la Couronne, quand la proportion de francophones était supérieure aux seuils linguistiques, les libéraux n’arrivaient presque jamais à se faire élire (un seul candidat libéral élu sur 23 sièges) ;
  • de même, à Montréal, quand la proportion de francophones était inférieure aux seuils linguistiques, les libéraux réussissaient presque invariablement à faire élire leurs candidats ; avec 31 élus sur 33 sièges, le PLQ n’a laissé que deux sièges à QS.

La répartition des sièges observée dans la région montréalaise indique que le vote s’explique par la langue autant dans l’Île que dans la Couronne, s’accordant partout avec la proportion de francophones. Hors Montréal, l’existence de seuils indique également que francophones et non-francophones ont présenté des comportements électoraux distincts et la plupart du temps opposés :

  • les francophones étaient donc fortement divisés, favorisant les partis nationalistes et non le PLQ. Dans les circonscriptions mitoyennes du Québec hors Montréal et dans celles dont la proportion de francophones était supérieure à l’un ou l’autre seuil, cette division a laissé trois blocs de valeur électorale à peu près égale : 23 libéraux, 28 péquistes, 22 caquistes, 1 solidaire. Les libéraux étaient loin de la majorité des voix chez les francophones. Ils n’y ont pas terminé les premiers et seule une coalition de partis aurait permis de rassembler une majorité des voix ;
  • de leur côté, les non-francophones ont montré un comportement électoral bloc sur tout le territoire, accompagné d’une participation à la hausse dans les circonscriptions de l’Ouest-de-l’Île de Montréal (+4 %), stable dans les circonscriptions sous les seuils linguistiques, alors même que la participation reculait de 3 % à l’échelle du Québec – de 5 % dans les circonscriptions au-dessus des seuils. Nul doute que ce sont ces circonscriptions qui ont décidé des résultats des élections.

La compréhension des résultats devrait indubitablement se faire à la lumière des intérêts des groupes linguistiques puisque ce sont eux qui ont façonné la campagne, tandis que le mode de scrutin majoritaire préparait une répartition artificielle des sièges. Quand on dit que « le peuple du Québec a décidé » il faut surtout comprendre que les groupes linguistiques se sont opposés et que les distorsions du mode de scrutin majoritaire ont maximisé l’influence des non-francophones et porté au pouvoir un PLQ on ne peut plus faible puisque ni majoritaire chez les francophones, ni leur premier choix.

La valeur d’un vote

Localement, dans chaque circonscription de l’Île comme de la Couronne de Montréal, il fallait grosso modo quatre fois plus de francophones pour espérer battre le vote non francophone (80 % francophones/20 % non francophones = 4). Dans le Québec hors Montréal, il fallait au moins 13 fois plus de francophones pour battre le vote non francophone (92,8 % francophones/7,2 % non-francophones = 13). Enfin, pour l’ensemble du Québec, il fallait au moins 9 fois plus de francophones pour surmonter le vote bloc des non-francophones. En deçà de ces ratios régionaux, il était pratiquement impossible de faire élire des candidats représentant un parti suspecté de nationalisme.

Cette minorisation locale des francophones trouve son écho dans la pratique de la politique au Québec, plus précisément dans la dynamique électorale. Dans cette élection, partout où étaient « concentrés » les effectifs non francophones – hors Montréal, 7,2 %, à Montréal, 20 % – les circonscriptions se transformaient en bastions libéraux imprenables où les francophones étaient incapables de faire élire des candidats issus de partis affichant un nationalisme même minimal. Pour leur salut, les francophones du reste du Québec étaient appelés en renfort, mais ceux-ci, en toute ignorance de l’« English Rule », n’ont pas et n’ont jamais eu les sensibilités nécessaires pour se battre et rendre justice à leurs concitoyens francophones et au français en général. Au contraire, la dynamique politique issue des circonscriptions avec influence non francophone valorise exclusivement l’hégémonie de la langue anglaise et le ravalement du nationalisme francophone à l’enseigne des dangers moraux de l’humanité. Ainsi, là où les francophones ont le plus besoin de protection, c’est au contraire l’anglais que les élus s’acharnent à protéger. Pour ces élus, la chasse au nationalisme francophone est rouverte.

Une influence qui s’accroît depuis les simples élus jusqu’aux super ministres

Au recensement de 2011, la population non francophone représentait 19 % de la population québécoise, mais plus vraisemblablement 15 % des électeurs inscrits et votants (du fait de leur proportion moindre de citoyens). Déjà, les 51 sièges de type A ou B marqués par l’influence non francophone représentaient 41 % du total des sièges du Québec, et 73 % des sièges libéraux (51 sur 70).

Peut-on croire que leur poids augmente au conseil des ministres ? Pour certains, les titulaires des « châteaux forts » libéraux ne doivent rien au vote non francophone. Ce sont les « valeurs libérales » des électorats locaux qui créent les châteaux forts du PLQ, des valeurs considérées « par nature » immuables et inébranlables. Or celles-ci ne sont évidemment rien d’autre que les valeurs des non-francophones, le socle à partir duquel s’érigera leur vote bloc, lequel fera élire ad nauseam à peu près tous les candidats libéraux des circonscriptions situées clairement sous les seuils linguistiques.

Conséquemment, cela procurera des avantages aux candidats libéraux provenant des circonscriptions avec influence non francophone. Ces avantages sont tels qu’ils augmenteront leur influence d’abord au conseil des ministres, puis parmi les postes les plus importants. Tout commence par leur capacité permanente de remporter leur élection indépendamment de la bonne ou de la mauvaise fortune du PLQ chez les francophones. S’ils ne sont pas au pouvoir, ils sont presque tous dans l’opposition. C’est là qu’ils ont l’occasion de s’affirmer dans le réseau de pouvoir libéral et qu’ils assoient leur ascendant sur les autres députés. C’est à partir de l’opposition qu’ils ont l’occasion de se positionner avantageusement pour la prochaine prise du pouvoir du parti, prêts à décrocher un poste ministériel. Cet ascendant s’exprime donc en termes de prestige, de notoriété et d’expérience, ou, à défaut, en candidats néophytes parachutés par la direction du parti en vue d’une élection sûre :

  • les candidats des circonscriptions avec influence non francophone sont rarement défaits, et leur prestige n’en est que plus grand. Les « châteaux forts » dont ils bénéficient n’ont rien de magique ni de naturel : les perspectives d’élection varient selon la situation par rapport aux seuils linguistiques. S’agissant des 51 sièges sous les seuils, 47 candidats libéraux ont été élus (92 %), pour une expérience moyenne de 2,2 mandats par élu. Chez les candidats au-dessus des seuils ou dans les circonscriptions mitoyennes (au Québec hors Montréal), on comptait 23 libéraux élus sur 74 candidats de tous les partis, avec en moyenne 1,5 mandat par élu ;
  • forts de leurs succès, les élus sous les seuils sont plus connus que les autres députés. Avec 103 mandats, en comptant de 2 à 4 ans par mandat, leur visibilité médiatique potentielle déclasse celle des élus au-dessus des seuils, qui n’ont cumulé que 18 mandats, et celle des élus des circonscriptions mitoyennes, qui ont cumulé 17 mandats. La notoriété des 47 élus sous les seuils est certaine ; elle apporte un plus au gouvernement ;
  • par voie de conséquence, les élus sous les seuils sont nécessairement plus au fait des règles parlementaires que les autres élus. Ils sont moins à risque de gaffer et d’être un fardeau, et plus susceptibles de marquer des points pour le gouvernement ;
  • les sièges sous les seuils sont très attrayants quand il s’agit de parachuter des candidats néophytes, de prestige, mais sans expérience en politique provinciale. Parmi les 51 sièges concernés, 19 candidats libéraux néophytes se sont présentés et 16 ont été élus (84 %). À l’opposé, parmi les 74 sièges au-dessus des seuils ou mitoyens, 57 candidats libéraux étaient néophytes. Seulement six ont été élus (11 %).

La règle veut donc que les élus des sièges sous les seuils accroissent leur poids en grimpant dans la hiérarchie du pouvoir11. Or il arrive que cette règle se soit bel et bien transposée dans le nouveau conseil des ministres. Sur les 29 membres de ce dernier, 22 provenaient des circonscriptions sous les seuils, soit 76 %. Une proportion identique provenait des circonscriptions de type A ou B (tableau 3).


Tableau 3 : Ministres les plus importants, leur circonscription et le type d’influence des non-francophones, Conseil des ministres du 26 avril 2014

Premier ministre et ministres

Circonscription

Type de siège*

Fonctions

Philippe Couillard

Roberval

C

Premier ministre (responsable du Saguenay-Lac-Saint-Jean)

Carlos Leitao

Robert-Baldwin

A

Ministre des Finances

Martin Coiteux

Nelligan

A

Ministre du Conseil du Trésor et Ministre de l’Administration gouvernementale et de la « Révision permanente des programmes »

Jacques Daoust

Verdun

A

Ministre de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations

Gaétan Barrette

La Pinière

A

Ministre de la Santé

Yves Bolduc

Jean-Talon

B

Ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (responsable de la Côte-Nord)

François Blais

Charlesbourg

C

Ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale

Stéphanie Vallée

Gatineau

B

Ministre de la Justice et de la Condition féminine (responsable de l’Outaouais)

Lise Thériault

Anjou-Louis-Riel

A

Ministre de la Sécurité publique et vice-première ministre

Jean-Marc Fournier

Saint-Laurent

A

Ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, de la Francophonie canadienne et Ministre responsable de l’Accès à l’information et des Réformes des institutions démocratiques

Note : * Type A : vote francophone renversé par le vote non francophone (où la majorité est inférieure à la taille de la minorité non francophone, minimalement 5 % de la population) ; type B, sans renversement du vote francophone mais avec présence non francophone suffisante (au moins 5 % de la population) pour exercer une influence sur l’élu libéral ; type C, où les non-francophones ont peu d’influence (et font moins de 5 % de la population).


En vertu des mêmes principes, l’influence du vote non francophone devrait encore augmenter chez les dix ministères les plus importants, en incluant le poste de premier ministre. En effet, huit des dix super ministres étaient issus des sièges sous les seuils linguistiques, et autant des circonscriptions de type A ou B, soit 80 % du total. Quant aux candidats libéraux néophytes, ils ont été très nombreux à se tailler parmi les postes de super ministres, 50 %, c’est-à-dire 5 sur 10. Cette proportion surpasse celle de tous les autres groupes de députés : 16% chez les autres ministres (3 sur 19), 42 % chez les adjoints parlementaires (8 sur 19), 27 % chez les simples députés (6 sur 22), 98 % chez les candidats libéraux battus (1 sur 55).

En somme, si les non-francophones représentaient de 15 % à 19 % de l’électorat inscrit et votant, si le PLQ représentait 41 % de tous les sièges de l’Assemblée nationale, les élus libéraux des circonscriptions de type A et B représentaient 73 % de tous les élus libéraux (51 sur 70). La proportion grimpait à 80 % chez les 10 supers-ministres, à 74 % chez les 19 autres ministres, à 79 % chez les 19 adjoints parlementaires et à 64 % chez les 22 simples députés12. Enfin, la direction du PLQ semble bien au courant de ces caractéristiques du système de partis québécois puisqu’elle envoie délibérément sa poignée de recrues néophytes de prestige dans les circonscriptions « sûres ».

Les anglophones, quantité négligeable, en particulier hors Montréal

Il est des lieux communs qui prétendent que « les francophones déterminent toujours le résultat des élections », que l’impact des non-francophones correspond grosso modo à leur poids démographique13 » et qu’en dehors de Montréal, les non-francophones, essentiellement des anglophones, n’exercent qu’une influence marginale sur la politique québécoise.

Toutes ces affirmations sont évidemment fausses. Basées sur les sondages, elles ne tiennent pas compte des effets médiateurs et déformants du mode de scrutin. En réalité, hors Montréal, l’influence politique des non-francophones s’est exprimée de manière directe sur 19 sièges, soit davantage qu’en Couronne de Montréal (11), et presque autant que sur l’Île de Montréal (21). En outre, même restreintes, ces petites communautés anglophones hors Montréal ont tantôt renversé le vote francophone (11 cas), tantôt représenté une clientèle univoque que les candidats libéraux ne pouvaient se permettre d’ignorer (8 cas). Il n’est pas inutile de mentionner ces circonscriptions à plus ou moins forte influence non francophone : Ungava, Pontiac, Hull, Soulanges, Huntingdon, Gatineau, Brome-Missisquoi, Orford, Rouyn-Noranda-Témiscamingue, Argenteuil, Chapleau, Saint-François, Sherbrooke, Laviolette, Papineau, Jean-Talon, et les trois dernières, comptant plus de 5 % de non-francophones, Mégantic, Richmond et Îles-de-la-Madeleine.

D’autres circonscriptions contiennent également une communauté anglophone notable sans avoir été remportées par le PLQ. Un coup de vent libéral légèrement plus prononcé aurait pu faire basculer dans le camp libéral neuf autres circonscriptions14 ayant déjà été sous le seuil linguistique dans d’autres élections (des seuils aussi faibles que 96,3 % de francophones ont déjà été observés dans les années 2000). Au total, l’influence des non-francophones aurait pu augmenter de douze autres circonscriptions, portant les sièges libéraux à 31 hors Montréal, et le total des circonscriptions à plus ou moins forte influence non francophone à 63 circonscriptions – la majorité des sièges ! Pas mal pour une communauté qui ne représente que 15 % des électeurs inscrits et votants : 3,5 fois plus d’influence que son poids démographique – 3,5 % à l’échelle du Québec15 !

La Charte qui a causé la défaite du PQ

Cette affirmation de la politologue Claire Durand répond plus à des motifs politiques qu’à une analyse des résultats électoraux. 1) Les motivations des électeurs sont difficiles à saisir, ainsi que nous l’avons déjà mentionné. Les électeurs non francophones en particulier ont pu voter contre la Charte, ou contre la tenue d’un référendum, ou contre l’indépendance, sans compter tous les autres motifs qui ont pu motiver l’électorat francophone. Bien malin qui sait. Ce qui est sûr, les francophones hors Montréal appuyaient très majoritairement la Charte, mais n’ont pas appuyé pour autant le PQ. 2) Les seuils linguistiques observés en 2014 étaient à peu près au plus bas qu’ils pouvaient l’être dans l’Île et dans la Couronne de Montréal, signifiant que les immigrés et enfants d’immigrés francophones partisans du PQ en 2012 n’ont pas spécialement déserté le PQ en 2014. Car 3) s’il est vrai que les non-francophones ont voté davantage qu’en 2012 tout en rejetant le PQ encore plus massivement, il reste erroné de restreindre le groupe des premiers concernés par la Charte aux non-francophones, ainsi que le proposait Claire Durand16. En outre, la percée du PQ chez les « néo-francophones » ne date pas d’hier17. En vertu d’une francisation qui s’est poursuivie depuis, le vote en faveur du PQ en 2014 ne devrait pas avoir été plus faible, sauf si le poids des nouveaux venus avait submergé les effectifs en place.

Or, depuis 1996 jusqu’en 2013, 4) les volumes d’immigrés ont effectivement été extrêmement élevés, constituant une force démographique et politique énorme. Près de 750 000 immigrés ont été admis au Québec, dont 85 % ont déclaré à l’admission être allophones, et 6 %, anglophones18. De ces admissions, la part représentée par les musulmans peut être estimée à plus de 260 00019. À ces effectifs nettement plus religieux que les natifs et les autres immigrés arrivés avant 1996 s’ajoutent les enfants d’immigrés et de nombreux autres groupes religieux aux pratiques tout aussi ostentatoires que celles des musulmans. Le recensement de 2011 confirme que les minorités religieuses affichent des effectifs encore plus imposants : en 2011, Statistique Canada recensait 425 000 musulmans, juifs, bouddhistes, hindous et sikhs, et moins d’un million de personnes sans religion – soit moins de 12 % de la population québécoise. S’il avait fallu que les 88 % religieux de la population se soient braqués contre le PQ, ce dernier n’aurait évidemment remporté aucun siège.

Cela étant dit, 5) le gouvernement du Québec a effectivement sélectionné les candidats disponibles les plus francophones, francisés, francotropes20 disponibles. Il a aussi et peut-être surtout sélectionné des oiseaux des grandes villes, les modérés et les dissidents politiques qui ont notamment fui un régime autoritaire ou religieux, et donc les hommes et les femmes, les gays et lesbiennes, et tous les autres ressortissants qui ont refusé le joug religieux et lutté contre ce dernier. Ces admissions, nettement moins portées sur la religion que leurs coreligionnaires, incluent les immigrés les plus jeunes, les plus instruits, les plus cosmopolites, ceux qui ont déjà étudié ou travaillé ici, ceux qui ont donc vécu le moins l’obscurantisme et le poids des traditions et des valeurs des aînés. Jusqu’à preuve du contraire, ces 750 000 immigrés n’étaient pas unanimes en matière de Charte et de religion.

Jusqu’à ce qu’une étude complète basée non pas seulement sur des non-francophones, mais incluant aussi des immigrés allophones et francophones et leurs descendants de première génération, qui pondère les résultats en tenant compte des critères d’admission, de la religion et de la pratique religieuse, de la langue parlée à la maison, une étude qui isole le facteur de la Charte des valeurs, il demeure impossible d’attribuer la déroute du PQ au refus de la Charte chez les immigrés et leurs enfants nés au Québec.

« Une démocratie modèle » : le pouvoir à une minorité

La légitimité du nouveau gouvernement dirigé par Philippe Couillard ne repose que sur 41,5 % des votes valides, une nette minorité des voix. Il s’agit d’un des plus faibles gouvernements majoritaires depuis 1970 ; un seul gouvernement majoritaire, celui de René Lévesque en 1976, avait réuni plus faible proportion des votes valides, soit 41,4 %. Deux gouvernements minoritaires ont obtenu une plus faible part des votes : le gouvernement libéral de Jean Charest de 2007, avec 33,1 % des votes valides, et le gouvernement péquiste de Pauline Marois de 2012, avec 31,9 %. À l’autre extrême, il est rare que les nouveaux gouvernements élus aient dépassé les 50 % des votes valides. Depuis 1970, seulement deux gouvernements l’ont réussi, tous deux dirigés par Robert Bourassa, l’un, en 1973, et l’autre, en 1985.

Quant aux élus eux-mêmes, les deux tiers des élus de 2014 l’ont été par une minorité des voix. La situation s’est légèrement améliorée par rapport aux élections générales de 2012, quand 28 élus avaient obtenu une majorité des votes valides. Ils étaient 44 en 2014 à l’avoir fait, dont six au-dessus des seuils (seulement deux avec plus de 55 % des votes), et 32 sous les seuils. Parmi les six premières, les sièges libéraux comptaient pour la moitié, tandis que les secondes étaient toutes libérales21.

Outre les non-francophones, qui sont les groupes qui ont appuyé le PLQ ? Les élections de 2014 ont répété les paramètres classiques : le PLQ a été élu grâce au vote bloc des non-francophones, qui lui a fourni 73 % de ses sièges, et grâce au vote d’une minorité de francophones, menée par l’élite économique et financière, appuyée par les aînés, les groupes les moins instruits (souvent les mêmes que ces derniers), les moins syndiqués et les plus défavorisés, les régions les plus francophones, l’Outaouais. Un PLQ appuyé par le monde des affaires, le gouvernement fédéral, les médias.

Le nouveau gouvernement Couillard n’est pas simplement un gouvernement mené par un trio de médecins (Couillard, Barrette, Bolduc) et un trio d’économistes (Leitao, Coiteux et Daoust22), mais bien un gouvernement dont les membres partagent des caractéristiques communes. Outre l’influence très répandue des non-francophones, chacun des candidats libéraux a été choisi par le même mode de sélection, les assemblées d’investitures. Ces 125 concours ont partout mis aux prises le même genre de forces, et le résultat, la sélection des candidats, a finalement peu varié d’une circonscription à l’autre, avec politiques gouvernementales à l’avenant. Un rapide coup d’œil à la biographie des 29 membres du conseil des ministres montre un gouvernement libéral qui incarne tout ce que peut être l’élite économique et financière, où les trios de médecins et d’économistes ne font que s’ajouter à une dizaine de ministres également issus des milieux d’affaires, propriétaires de leur entreprise ou travailleurs autonomes23, appuyés par six avocats (Paradis, Weil, Fournier, Lessard, Heurtel et Vallée), encadrés par deux anciens d’Alliance Québec (Weil et Kelley) et cinq ministres ayant prêté serment dans les deux langues, dont deux francophones (Vallée et Barrette), un immigrant (Leitao) et seulement deux anglo-montréalais (Weil et Kelley).

Ce gouvernement de l’élite est aussi le gouvernement de l’Ouest-de-l’Île de Montréal. Cette sous-région de 14 députés compte néanmoins 10 des 29 membres du conseil des ministres (dont quatre super ministres), en plus d’un adjoint parlementaire (au premier ministre) et de trois simples députés. Ont été nommés ministres tous les titulaires des circonscriptions de l’extrême ouest, et de toutes celles situées au nord de Westmount et du canal Lachine à l’exception de D’Arcy-McGee (dont le titulaire fut néanmoins adjoint parlementaire du premier ministre) et de Verdun. Il n’est pas inutile de les rappeler : Acadie, Jacques-Cartier, Marquette, Mont-Royal, Nelligan, Notre-Dame-de-Grâce, Outremont, Robert-Baldwin, Saint-Laurent et Verdun.

Aucune région ne dispose donc d’une pareille présence au conseil des ministres. Le reste de la RMR de Montréal (qui totalise 57 sièges) ajoute six autres ministres, tandis que la région montréalaise élargie (72 sièges), en incluant les parties de la Montérégie, des Laurentides et de Lanaudière non incluses dans la RMR, ajoute trois autres ministres, portant le total à 19. En ajoutant trois autres ministres de type A et B, l’influence non francophone représente alors 22 ministres sur 29. Cinq régions se sont partagé les sept ministres restants tandis que cinq autres régions étaient laissées sans ministre. Au total, super ministres (six sur dix) et ministres (13 sur 19) sont très majoritairement issus de la région montréalaise élargie, tandis qu’une petite majorité d’adjoints parlementaires (neuf sur 19) et une nette minorité des simples députés (huit sur 22) l’étaient24.

Le nouveau pluralisme : un multipartisme à parti dominant, le PLQ

Un système bipolaire a marqué l’époque 1970-1995. Les deux référendums sur l’indépendance, tenus en 1980 et en 1995, ont entraîné la réduction des partis aux seuls PLQ et PQ qui incarnaient ces options. Par contre, une nouvelle donne s’est mise en place après le référendum de 1995 et les élections de 1998. Ce nouveau système de partis a été marqué par l’éclatement de la polarisation précédente et par l’influence de plus en plus marquée des tiers partis. Loin d’être un feu de paille, la situation a évolué pour éventuellement aboutir, en 2007, à la conquête du titre d’Opposition officielle par l’ADQ, titre que monopolisaient tantôt le PLQ, tantôt le PQ depuis 1970. Depuis 2003, trois partis se sont taillé la part du lion : PLQ, PQ, ADQ-CAQ. Un quatrième acteur est parvenu à s’ajouter et à s’introduire de manière durable à l’Assemblée nationale, Québec solidaire. Les élections de 2014 s’inscrivent donc dans un contexte de dépolarisation du vote.

Rien n’indique que ce multipartisme soit appelé à disparaître au bénéfice d’un retour à une polarisation entre deux partis et deux options. Bien au contraire. Cela étant dit, autant le système bipolaire de 1970 à 1998 que le système multipolaire de 1998 à aujourd’hui ont été marqués par la domination d’un parti en particulier, le PLQ. Cette domination du PLQ s’est clairement accentuée avec l’éclatement du vote francophone entre plusieurs partis, au moment où le vote non francophone se montrait toujours capable de se maintenir unifié face aux menaces nationalistes des francophones. Ce vote axé sur l’individualisme et valorisant le rôle social et protecteur d’Ottawa s’est montré largement indifférent à la corruption, au devenir général, aux problèmes de langue, de classes, des régions, au financement de l’État québécois, etc.

L’évolution récente du Québec, ce que les élections de 2014 ont confirmé, poursuit la mise en place d’un système multipartiste à parti dominant, le PLQ. Ce dernier apparaît de plus en plus être ce qu’on appelle le parti habituel de gouvernement, à l’image du PC de l’Alberta, au pouvoir durant 40 ans. Plus les francophones se diviseront entre plusieurs partis, chose normale dans une société démocratique, plus l’influence des non-francophones sera grande. Dans cette dynamique, les seuils linguistiques devraient diminuer, confirmant l’influence des non-francophones avec des proportions de plus en plus faibles nécessaires pour battre des majorités nationalistes de plus en plus petites. Il est d’ailleurs de moins en moins évident qu’un PQ puisse former un gouvernement majoritaire dans les années à venir, tout comme il est probable que l’alternative aux libéraux se trouve déjà ailleurs, auprès d’un parti inoffensif abhorrant le nationalisme québécois.

Dire que cette domination permanente du PLQ au sein d’un système multipartiste était exactement ce qu’on craignait de la représentation proportionnelle ! Le mode de scrutin majoritaire l’a construit lui-même

L’avenir. Le retour de Bonheur d’occasion : la marginalisation des francophones

Le multipartisme est là pour rester. Il sera dominé par le PLQ, presque seul à régner, pour aussi loin que l’on puisse voir venir. Ce système de partis, du reste, répond à une situation nouvelle et ne peut être comparé avec les systèmes de partis antérieurs. Depuis le référendum de 1995, il n’y a plus de place pour une polarisation fondée sur une nouvelle aventure référendaire, dont un chef péquiste oserait prendre la responsabilité historique25. Pas de place donc, pour un nouveau référendum qui arriverait à surmonter un mur non francophone ayant plus que doublé par rapport à ce qu’il était à l’époque… et pour un référendum qui devrait parvenir à se montrer plus pertinent qu’il ne l’était en 1995. Un miracle quand on sait que les dirigeants péquistes s’acharnent à ne pas parler de la relation de domination existant entre le EUX et le NOUS… alors que cette relation est au cœur de tous les conflits entre majorité et minorité… Proposer un rêve a des limites, tandis que politiser une population en parlant des myriades de conflits qui la touchent s’ancre dans le réel de tout un chacun.

Après le travail exemplaire du PQ, les libéraux vont continuer à approfondir la transformation de la société québécoise en une copie conforme de la société canadienne. Moins que jamais, l’État québécois reconnaîtra des droits collectifs pour la majorité francophone. Moins que jamais, l’État québécois interviendra pour relever la situation des francophones, corriger des situations aberrantes qui transforment le Québec en vache à lait au bénéfice d’institutions d’ici et pour celui de nos voisins canadiens et étatsuniens – toujours enchantés de se ramener chez eux une main-d’œuvre formée au Québec et prête à produire –, au bénéfice de sociétés étrangères et de leurs intermédiaires bien d’ici. La communauté anglo-québécoise, 250 000 personnes au Québec dont 167 000 à Montréal (enfants et vieillards inclus), ne représente que 3,5 % de la population québécoise et 5,0 % de la population montréalaise, et ses membres ont théoriquement appris le français à l’école – le meilleur moyen de les amener à rester au Québec.

Alors toutes les fois que l’État du Québec traite et continuera à traiter la communauté anglo-québécoise sur un pied d’égalité avec la communauté francophone et immigrée (comme dans le cas des mégas-hôpitaux montréalais), il fera injustice à la majorité. En réalité, toutes les politiques gouvernementales qui réfèrent à la communauté anglophone sans la définir, et qui lui accordent l’inclusion de tous les ressortissants anglophones de la planète, dussent-ils provenir de Mars, sont à questionner. Autrement, l’État québécois ne fait qu’encourager les institutions de langue anglaise à se lancer dans une course au développement autonome, récusant au passage l’autorité et le pouvoir redistributif de l’État. Sans clientèle ni travailleurs anglo-québécois, ces institutions utilisent l’État pour établir leur droit d’angliciser autant les francophones que les immigrés, tout en dénationalisant autant que possible les politiques gouvernementales pour y substituer un multiculturalisme. Et pourtant, ces politiques pleuvent, utilisant chacune une définition particulière des effectifs anglophones :

  • la langue maternelle anglaise (fondant la définition du statut bilingue d’une municipalité et d’institutions diverses) ;
  • la langue anglaise au travail (650 000 personnes au Québec, 500 000 à Montréal26, avec des concentrations dans certaines industries qui justifieraient une vaste utilisation de l’anglais comme les banques et les compagnies de finance, l’aviation, l’armée, etc.) ;
  • la première langue officielle anglaise (qui sert de base aux services en langue minoritaire, ainsi que le font l’État fédéral ou les municipalités) ;
  • ou simplement la connaissance de l’anglais (comme l’octroi à l’université McGill par le gouvernement du Québec d’un des Réseaux universitaires intégrés de santé majeurs, qui couvre environ le quart de la population québécoise et certaines régions entières).

L’État québécois empêche donc les institutions anglaises de décroître pour suivre la courbe démographique de la communauté anglo-québécoise. Pour ce faire, il permet à celle-ci d’appeler en renforts des francophones, des allophones, des étrangers, des Canadiens d’autres provinces en vue d’y pourvoir les postes disponibles. L’État québécois se fait alors assimilationniste contre sa majorité francophone, au détriment de celle-ci et des immigrés mensongèrement choisis pour venir vivre au Québec.

Il va de soi que la question du pouvoir est centrale. La réélection du PLQ survient 18 mois après sa défaite de 2012, malgré les innombrables accusations de malversation et de collusion qui ont marqué son règne de 2003 à 2012, malgré le début de déstructuration de l’État au profit d’un laisser-aller profitant aux groupes les plus puissants. Depuis, l’élection du PLQ en 2014 confirme la poursuite de ces projets asphyxiant l’État et, ce faisant, l’éjection des francophones du pouvoir d’une part, le manque de prise du PQ sur la réalité d’autre part. Elles montrent aussi combien les francophones, de nouveau écartés du pouvoir, sont appelés à voir leur situation se détériorer. Cette détérioration se poursuivra tant qu’un parti d’importance ne se fera pas le véhicule d’un virage majeur visant expressément la réforme du pouvoir.

Aucun projet politique ne peut être plus rassembleur que la réforme des institutions démocratiques. Pour être efficace, cette réforme doit notamment briser tout ascendant accordé artificiellement par le mode de scrutin actuel aux non-francophones et à la minorité affairiste qui procède au pillage du Québec. L’adoption d’un scrutin proportionnel du type « modèle nordique » entraînera l’implantation d’un nouveau système de partis et de nouvelles pratiques de gouvernance, lesquelles permettront à l’Assemblée nationale de mettre de l’avant, pour la première fois de son histoire, les intérêts de la majorité francophone dans l’élaboration de politiques internes au Québec. Cette nouvelle dynamique politique changera du tout au tout non seulement la politique intérieure au Québec, mais également les relations avec le Canada anglais. Cette révolution démocratique ne manquera pas de mettre en évidence les rapports de domination qui existent entre le Québec et le Canada anglais. C’est la voie de l’indépendance.


 

 

 

 

Notes

1 Le compte fait 18 régions, après division de l’Île de Montréal en Ouest et Est, chacune avec 14 sièges.

2 Le Québec peut être découpé en sept grandes régions : les 28 circonscriptions de l’Île de Montréal (avec 14 dans l’Est de Montréal et autant dans l’Ouest), les 28 de la Couronne de Montréal, les 11 de la RMR de Québec (dont 9 au nord du Saint-Laurent, et 2 à Lévis, dans Chaudière-Appalaches), les 16 de la Périphérie (3 en Abitibi-Témiscamingue, 1 en Ungava, 5 au Saguenay-Lac-Saint-Jean, 2 sur la Côte-Nord, 3 en Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, 2 au Bas-Saint-Laurent jusqu’au nord de Rivière-du-Loup). Les 37 dernières circonscriptions se partagent selon leur appartenance aux régions montréalaises, c’est-à-dire les 16 sièges de l’Hinterland-montréalais (dont 10 de la Montérégie, 3 des Laurentides et 3 de Lanaudière), et les 21 sièges dans l’Hinterland, correspondant au reste du territoire (incluant 1 siège dans le Bas-Saint-Laurent, 3 dans le Centre-du-Québec, 5 dans Chaudière-Appalaches, 5 en Estrie, 5 en Mauricie, 2 dans la région de Québec.

3 Il s’agit d’un niveau de participation tout à fait comparable avec la participation des dernières élections. En effet, depuis l’instauration des listes électorales informatisées en 1998 et la demande de carte avec photo pour permettre le vote, en 2003, la participation moyenne des cinq élections tenues depuis cette date était de 69,0 %. Par contraste, dans la série chronologique 1970 à 1994, les sept élections concernées affichaient une participation moyenne de 80,6 %. La différence, 11,6 %, est largement attribuable à la tricherie en provenance de tous les partis.

4 Affirmer que la victoire libérale est attribuable à la mobilisation et à la participation supérieures des électeurs libéraux et non au simple écrasement du vote péquiste (voir Éric Montigny, Marc A. Rodet, Charles Tessier et François Gélineau, « La mobilisation du vote libéral est déterminante. Ce serait un facteur plus déterminant encore que le seul écrasement du vote péquiste », dans Le Devoir, 18 avril 2014), c’est proposer une analyse fondée sur les choix partisans des électeurs et non sur leurs caractéristiques démolinguistiques et socio-économiques. En outre, c’est le fait d’être non-francophone et de s’être mobilisé pour des raisons reliées à ce groupe d’une part, plus le fait d’être francophone fédéraliste et de s’être mobilisé pour d’autres raisons propres à leur appartenance au groupe francophone d’autre part (raisons liées au fait d’être membre de l’élite économique et financière, ou d’être des générations les plus âgées et les moins instruites, ou encore de vivre en Outaouais, dans la RMR de Québec ou les régions les plus francophones, etc.), qui expliqueraient la participation supérieure dont a bénéficié le PLQ. L’analyse gagne naturellement à revenir aux caractéristiques essentielles de l’électorat : côté francophone, historiquement de statut socio-économique inférieur à la communauté anglophone, souffrant donc d’un plus faible sentiment de pouvoir politique débouchant sur une participation électorale systématiquement inférieure, obtenir une mobilisation qui rejoint simplement celle des anglophones est porteur d’un accès au pouvoir. On sait d’ailleurs que lorsque les francophones se mobilisent suffisamment pour menacer de former le gouvernement ou de tenir un référendum sur l’indépendance, les non-francophones réagissent et sont encore plus nombreux à se ruer aux urnes et à voter.

5 Malgré leur situation de minorité sur le plan fédéral.

6 Une spécificité : les non-francophones de statut socio-économique inférieur s’abstiennent généralement davantage que ceux de statut socio-économique élevé.

7 Qui réfère à la dispersion géographique de chaque communauté, plus ou moins optimale avec surconcentration ou sous-concentration, gaspillage des effectifs ou au contraire dispersion pour effets optimaux sur la répartition des sièges entre les partis.

8 Seule une étude plus fine au niveau des quartiers permettrait de distinguer le seuil de manière plus exacte.

9 Dans ces 15 circonscriptions hors métropole, la population active moyenne est moins élevée qu’ailleurs, en particulier chez les femmes, la population en emploi y est aussi moins élevée, on y trouve de plus fortes proportions d’ouvriers, l’industrie manufacturière et le secteur primaire y sont plus importants qu’ailleurs, la moyenne des revenus y est plus faible qu’ailleurs (rejoignant les cinq circonscriptions de l’Île de Montréal au-dessus du seuil linguistique), les locataires y sont plus pauvres qu’ailleurs (y consacrant de très fortes proportions de leurs revenus au logement) et les revenus des adultes de 15 ans ou plus proviennent plus souvent de transferts gouvernementaux

10 Contre deux pour le PQ, Duplessis et Bonaventure, dont les populations anglophones participent peu, et deux pour QS, Sainte-Marie-Saint-Jacques et Mercier, qui comptent de fortes populations étudiantes. Il reste à voir si ce sont ces populations qui ont pu voter pour QS plutôt que le reste de la population des trois circonscriptions, ou si l’élection des trois candidats de QS est attribuable au vote des étudiants francophones plutôt qu’à celui des étudiants anglophones, qui ont alors dû ignorer leur dégoût de la souveraineté avant de voter pour QS.

11 Tel est le cas des sièges de type A et B par opposition aux sièges de type C : dans le premier type de sièges (A et B), 51 candidats libéraux élus sur 51 – 100 % –, pour une moyenne de 2,1 mandats par élu, contre 19 élus sur les 74 sièges restants (26 % sur les 19 élus libéraux de type C et les 55 remportés par l’opposition), pour 0,4 mandat par élu.

12 Si l’évolution de ces proportions n’est pas rectiligne, en revanche, la proportion des appuis du PLQ dans les sièges de type A et B l’est davantage : 66 % d’appuis chez les supers-ministres, 60 % chez les autres ministres, 58 % chez les adjoints parlementaires, 51 % chez les simples députés et 26 % chez les élus des partis d’opposition. Quant aux élus libéraux néophytes, ils représentaient 50 % de tous les supers-ministres (5 sur 10), proportion qui diminuait avec l’importance des postes : 16 % chez les autres ministres (3 sur 19), 42 % chez les adjoints parlementaires (8 sur 19), 27 % chez les autres simples députés libéraux (6 sur 22), 31 % dans l’ensemble des députés libéraux (22 sur 70) et 18 % sur l’ensemble des élus (22 sur 125).

13 Telles sont les prétentions de la spécialiste en sondages de l’Université Laval, Claire Durand. Voir « Le vote, la Charte, nous et les autres », dans La Presse, 19 avril 2014.

14 Bertrand, Gaspé, René-Lévesque, Taschereau, Berthier, Granby, Rousseau, Saint-Jean, Iberville.

15 La communauté anglo-québécoise, basée sur les effectifs nés au Québec de parents nés au Canada (5 % à Montréal), devient la « communauté anglophone » quand elle inclut les effectifs nés à l’étranger, ceux nés dans le reste du Canada, ceux nés au Québec de parents nés ailleurs qu’au Canada, ainsi que tous les cas de substitutions linguistiques bénéficiant à l’anglais en provenance des personnes de langue maternelle française ou tierce. Chacune de ces sources récompense l’assimilation linguistique en direction de l’anglais, et notamment l’action des parents immigrés qui ont élevé ou instruit leurs enfants en anglais, le néo-colonialisme issu des migrations interprovinciales.

16 Ses travaux étant basés sur les sondages, Mme Durand utilise erronément la langue maternelle et non la langue parlée le plus souvent à la maison. Voir C. Durand, article déjà cité.

17 Environ 25 % des effectifs correspondants recensés en 1996 ont opté pour le PQ aux élections de 1994 et de 1998 et pour l’indépendance au référendum de 1995. Ces votes se sont d’autre part avérés pratiquement identiques au vote des francophones natifs du Canada durant cette période.

18 Malgré les prétentions du MICC d’avoir plus de 50 % de « francophones » dans les admissions. Ces 50 % sont définis comme étant l’obtention d’au moins 7 points sur une échelle de 16, cette bête mécanique, calculée en prenant pour population les francophones nés au Québec, ferait sans doute de ceux-ci des anglophones dans une proportion similaire.

19 Données sur les admissions provenant du MRCI et du MICC 1996 jusqu’à 2013 ; pour la proportion de musulmans par pays, voir Pew Research Center, département Pew Forum on Religion & Public Life, en date du 27 janvier 2011, http://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_de_musulmans_par_pays.

20 Immigrés issus de pays tournés vers le français, où ce dernier était langue nationale, langue de colonisation ou d’administration : Europe francophone, Roumanie, Liban, Afrique subsaharienne, Maghreb, Indochine, etc.

21 Dans les circonscriptions au-dessus des seuils linguistiques, seulement six élus ont disposé d’une majorité des votes : un seul sur les 23 de la RMR de Montréal, élu sous la bannière de QS (la co-porte-parole, Françoise David dans Gouin) ; cinq sur quinze hors Montréal, dans des situations fluctuant davantage (trois élus libéraux, dans Roberval, Rivière-du-Loup-Témiscouata et Beauce-Sud, un péquiste, dans Matane-Matapédia et un caquiste, dans Beauce-Nord). Seulement deux de ces élus l’ont été par davantage que 51,7 % des votes valides, soit le chef libéral, avec 55 % dans Roberval, et le député péquiste Pascal Bérubé dans Matane-Matapédia, avec 61 %. Ces deux majorités sont les seules comparables avec les 27 majorités de plus de 55 % nettes et super-majorités (jusqu’à 92 % de majorité dans D’Arcy-McGee) obtenues par les 32 libéraux élus dans les circonscriptions situées sous l’un ou l’autre seuils. En somme, chez les francophones, un candidat qui parvient à obtenir une solide majorité des voix valides est un marginal qui réalise un véritable exploit. Par contre, du côté non francophone, le phénomène reste commun, traduisant un vote bloc hostile envers tous les partis politiques francophones.

22 Économistes ayant œuvré respectivement chez Valeurs mobilières de la Banque Laurentienne, Banque nationale, Investissements Québec.

23 Figurent Arcand, ex-propriétaire de médias ; Hamad, ex-président de la Chambre de commerce du Québec métropolitain et vice-président du Groupe Roche ; D’Amour, ex-directeur du Développement des affaires chez BPR ; Billette, homme d’affaires ; Ménard et Charlebois, femmes d’affaires ; Poëti, entrepreneur en communications de 2004 à 2012 ; F. Blais entrepreneur en bois ; Girard, ex-président de la Chambre de commerce du Centre-du-Québec ; Thériault, éditrice d’une feuille de chou destiné aux gens d’affaires de l’Est de Montréal.

24 Les circonscriptions des 29 nouveaux ministres montrent de fortes proportions de non-francophones, d’immigrés et de groupes religieux minoritaires ainsi que de fortes proportions de la population active travaillant en anglais. On y voit des niveaux de scolarité et de revenus plus élevés qu’ailleurs, des profils moins ouvriers, une base manufacturière et un secteur primaire moindres.

25 Rappelons que sans les échecs de Meech et de Charlottetown, sans la colère des libéraux du premier ministre Robert Bourassa et le « pseudo-flirt » de ce dernier avec l’indépendance (notamment via les travaux de la commission Bélanger-Campeau), le premier ministre Jacques Parizeau ne se serait sans doute engagé dans la deuxième aventure référendaire en 1995. Du reste, la plupart des membres de son conseil des ministres, dont Lucien Bouchard et Bernard Landry, et nombre d’intellectuels s’opposaient à la tenue d’un nouveau référendum. Tous pressentaient la défaite sur la base des sondages de l’époque, qui laissaient l’indépendance stagner aux alentours des 43 % de l’opinion publique.

26 Respectivement 15 % et 23 % de la population active.

 

Récemment publié