GOUVERNEMENT ÉCOSSAIS/Scottish National Party
Scotland’s Future : Your Guide to an Independent Scotland, Livre Blanc, Édimbourg, 2013, 650 pages
Quels que soient les résultats du référendum du 18 septembre prochain, on ne pourra certainement pas reprocher au gouvernement écossais du Scottish National Party (SNP) d’avoir manqué à ses devoirs. Le premier ministre et chef du SNP, Alexander Salmond, répète depuis des mois que la proportion des Écossais que les nationalistes pourront rallier à la cause de l’indépendance sera d’égale importance à celle des Écossais ayant été correctement informés des limites du cadre constitutionnel britannique et des opportunités offertes par la sécession. En d’autres termes, comme c’est souvent le cas en ce qui a trait aux grands choix politiques s’offrant aux citoyens des démocraties modernes, l’information – et à plus forte raison la désinformation – se révélera sans doute être le « nerf de la guerre ». Il s’agit d’une vérité incontournable, tant pour les promoteurs de l’indépendance que pour ses opposants. Le SNP semble l’avoir rapidement assimilée ; déjà en 2007, alors qu’à la surprise générale il arrivait à former un gouvernement minoritaire, une « Conversation nationale » – concept qui réveillera peut-être de mauvais souvenirs chez certains souverainistes bien de chez nous – avait été lancée et devait mener à la publication d’un premier livre blanc, Your Scotland, Your Voice, fin septembre 2009.
Très exactement quatre ans plus tard, en novembre dernier et cette fois à titre de gouvernement majoritaire, le SNP en publiait un second[1]. Véritable « brique » de 650 pages, Scotland’s future aborde avec force détails tous les aspects procéduraux de l’accession à la souveraineté, décrit de manière ordonnée les progrès que celle-ci rendrait possibles dans différents secteurs d’activité, puis dévoile même les priorités, advenant sa réélection lors des nationales de mai 2016, d’un gouvernement du SNP pour une Écosse devenue indépendante du Royaume-Uni (RU). Car c’est là l’une des révélations majeures de ce document : dans la mesure où les Écossais lui en donnent le mandat en septembre, le SNP s’engage à faire transiter l’Écosse vers le statut d’État internationalement reconnu d’ici 2016. Entre temps, d’importantes et nécessaires négociations sont évidemment à prévoir avec Westminster, notamment en ce qui concerne le partage de la dette et des actifs du RU. La date fatidique proposée pour l’entrée de la nouvelle joueuse sur la scène politique internationale ? Le 24 mars 2016, dix-huit mois après le référendum, mais surtout, symboliquement, 413 ans après l’Union des Couronnes anglaise et écossaise de mars 1603. Un « Yes » des Écossais représenterait donc le dénouement d’une longue évolution, mais aussi le début d’un long processus.
C’est d’ailleurs, pourrait-on dire, le fil rouge de ce livre blanc : l’indépendance n’est pas une fin en soi, mais plutôt, selon le SNP et ses collaborateurs de la campagne Yes Scotland, tels que les Verts, le passage obligé d’un peuple écossais désirant se doter des moyens de ses ambitions. L’objectif ultime de ce document, cela transparaît à la lecture et se révèle en phase avec le discours traditionnel du SNP, est de présenter la sécession comme un acte de démocratisation et la souveraineté politique comme une condition préalable à l’avènement d’une social-démocratie écossaise. Comme le faisait remarquer Alex Salmond lors d’une entrevue accordée à l’été 2013, l’une de ses meilleures et dont le lien apparaît en bas de page[2], les Écossais furent privés des gouvernements de leur choix pour la majeure partie des cinquante dernières années, le poids démographique de l’Angleterre détournant le vote écossais, la plupart du temps majoritairement travailliste et nationaliste, à l’avantage des conservateurs. Lors des élections générales de 1987 et 1992 par exemple, plus de 75 % des électeurs écossais ont rejeté les conservateurs pour les voir former par la suite des gouvernements majoritaires. La dévolution parlementaire de 1999, à cet égard, fut un pas dans la bonne direction, mais un pas seulement.
Voilà pourquoi le gouvernement du SNP place trois principes au cœur du projet indépendantiste : que les Écossais aient à l’avenir et pour toujours les gouvernements pour lesquels ils auront voté ; qu’ils puissent contrôler leurs propres ressources et prendre leurs propres décisions en matières économiques ; puis qu’ils déterminent eux-mêmes comment redistribuer la richesse collective au bénéfice du plus grand nombre. Il ne s’agit pas là de principes révolutionnaires, ni même de principes strictement nationalistes. Pour un peuple ayant une longue tradition travailliste puis ayant constamment lutté pour l’autodétermination politique depuis les années 1970 et sous quinze années de thatchérisme, il s’agit cependant certainement d’idéaux porteurs. Ce livre a donc assurément de nombreuses qualités. Comme tout document gouvernemental toutefois, il a les défauts de ses qualités. Sa longueur et sa précision, par exemple, témoignent autant du sérieux de ses rédacteurs qu’elles repousseront probablement le citoyen lambda. Intellectuels et analystes le liront certainement avec attention, mais peut-on en dire autant des Écossais en général ? Cela reste à voir. En attendant, et heureusement, le SNP et Yes Scotland utilisent également avec talent les médias non traditionnels. C’est à la fois à leur honneur et à leur avantage.
Reste que ce livre blanc renferme de précieuses informations pour qui s’intéresse aux enjeux écossais. En plus d’un chapitre introductif présentant les principaux arguments en faveur de l’indépendance, le document comprend neuf sections, chacune portant sur un champ d’action gouvernemental particulier et représentant, grosso modo, les ministères prévus pour le nouvel État : finances publiques, développement économique, santé et services sociaux, éducation et formation professionnelle, relations internationales et défense nationale, justice et sécurité publique, environnement et énergie, culture et communications, démocratie et constitutionnalisme. Le chapitre introductif propose effectivement une vision sociale-démocrate de l’indépendance, à l’exception notable et franchement curieuse du maintien annoncé de la monarchie constitutionnelle en tant que système gouvernemental. Le lien avec la Couronne britannique ne sera donc pas coupé advenant la sécession, bien que le SNP confère à l’avance au premier gouvernement d’une Écosse indépendante, élu à la proportionnelle mixte comme c’est actuellement le cas, la responsabilité de mettre sur pied une constituante en partie citoyenne et devant mener à la rédaction d’une Constitution écossaise écrite. Cette contradiction entre les prétentions républicaines du SNP, souhaitant fonder l’indépendance sur la « souveraineté » du peuple écossais, et les principes inhérents au monarchisme constitutionnel révèle l’intention évidente de réconcilier changement radical et continuité, logique pernicieuse que l’on ne connaît que trop bien ici.
Dans cette première section, le SNP reconnaît également la possibilité d’une défaite référendaire, mettant les Écossais en garde à ce sujet : advenant la victoire du « No », rien ne garantit la dévolution de nouveaux pouvoirs législatifs au gouvernement écossais, telle que la souhaite une écrasante majorité ; rien ne garantit que le RU demeurera membre de l’Union européenne (UE), un référendum sur cette question ayant été promis par les conservateurs de David Cameron ; mais surtout rien ne garantit l’adoption de nouveaux arrangements financiers et fiscaux entre l’Écosse et Westminster, une demande largement partagée par les autorités écossaises depuis la dévolution parlementaire et pourtant perpétuellement ignorée jusqu’à l’adoption d’une timide réforme en 2012[3]. C’est d’ailleurs en bonne partie le sujet de la seconde section du livre blanc, qui souligne d’entrée de jeu que l’Écosse, au cours des trois dernières décennies et en tenant compte des revenus pétroliers, a contribué davantage au Trésor britannique, en termes de taxes et impôts par personne, que la moyenne de la population du RU – 10 700 £ contre 9000 £ en 2011-2012.
En vertu des arrangements consentis depuis la dévolution de 1999, le gouvernement écossais actuel contrôle, et encore qu’en partie seulement, les taux et l’usage de 15 % des taxes et impôts prélevés sur son territoire. Cette incapacité fiscale engendre de nombreux problèmes, d’autant plus qu’Écossais et Anglais tendent en général à diverger d’opinion quant aux questions de fiscalité et de redistribution. Par exemple, et bien qu’ils la rejettent unanimement, les Écossais se sont vu imposer l’an dernier cette fameuse « Bedroom Tax » qui facture une pénalité de « sous-occupation » aux prestataires d’allocations de logement qu’on considère louer de trop grands appartements pour le nombre de personnes y résidant. Au sein d’une Écosse indépendante, de telles mesures régressives et aussi unanimement décriées auraient peu de chances d’être adoptées. Serait également chose du passé, advenant l’indépendance, la « formule Barnett » de transferts en bloc, qui permet au gouvernement britannique d’allouer les budgets nécessaires à l’administration des responsabilités dévolues à l’Écosse sur une base démographique proportionnelle plutôt que sur la base des besoins, intérêts et contributions des Écossais. Pour ces raisons et d’autres, le SNP soutient que même après le partage de la dette britannique sur une simple base démographique, les finances publiques initiales d’une Écosse indépendante seraient plus saines que celles de l’Écosse et du RU actuels.
La troisième partie du livre blanc n’est peut-être pas la plus intéressante, mais elle est de loin la plus importante en ce qu’elle porte sur ces questions économiques qui feront pencher la balance d’un côté ou de l’autre en septembre prochain et qui, comme un dossier publié récemment dans cette revue le souligne, sont au cœur même du renouvellement du nationalisme écossais depuis les années 1970[4]. S’il fallait résumer les stratégies économiques récentes du gouvernement SNP en quelques mots, il faudrait référer à ceux d’État stratège, de néocorporatisme et, autant que faire se peut, d’une adéquation entre compétitivité internationale et solidarité nationale. Si on en juge par la teneur de ce chapitre économique, l’objectif du gouvernement est de présenter l’indépendance comme devant doter l’Écosse d’outils supplémentaires pour continuer dans la même veine[5]. Rappelons que, de région pauvre et inégalement développée qu’elle fut jusqu’aux années 1970, voire 1980, l’Écosse est aujourd’hui une nation immensément riche bien qu’économiquement non autonome. Le PIB par personne de l’Écosse est aujourd’hui identique à celui du RU, de 20 % supérieur en ajoutant les revenus pétroliers à l’équation. L’indépendance, dans cette optique, permettrait aux Écossais de gérer leur propre prospérité.
Qu’ils ne puissent le faire actuellement se révèle lourd de conséquences : non seulement les Écossais n’ont-ils aucun contrôle sur l’utilisation des revenus tirés de l’exploitation d’un pétrole pourtant presque exclusivement extrait de leurs propres eaux, mais ils ont aussi dû subir plus de trente ans de politiques économiques conservatrices, ayant fait du RU l’un des pays les plus inégalitaires de l’OCDE. Quitter ce pays permettrait à l’Écosse de développer un modèle économique à son image. Plusieurs objectifs et priorités sont évoqués dans cette perspective : réduire les impôts corporatifs d’au plus 3 % et mettre sur pied un système fiscal progressif proprement écossais, consolider la diplomatie commerciale écossaise et les services aux exportateurs, élargir la présence féminine sur le marché du travail et les conseils d’administration privés, mettre l’accent sur les « avantages comparatifs » de l’Écosse tels que les énergies éoliennes et marémotrices, l’industrie agroalimentaire, les technologies créatives et le tourisme, mettre en place une « Commission du travail équitable » assurant une évolution maximale du salaire minimum, créer un fonds pétrolier calqué sur celui de la Norvège et ainsi de suite. Évidemment, les politiques économiques d’une Écosse indépendante, comme c’est le cas partout ailleurs, dépendront des choix démocratiques des Écossais. Conséquemment, les mesures annoncées sont à recevoir avec discernement.
Le choix de conserver la livre sterling plutôt que d’adopter l’euro ou de créer une monnaie écossaise de toutes pièces revient cependant en propre au SNP, tout comme la responsabilité de négocier les termes d’une telle union monétaire avec Westminster lui incombera. Bien que ce choix ait été entériné l’an dernier par la Commission fiscale écossaise et ses nombreux économistes de renom, il a bel et bien été fait par le SNP il y a plusieurs années déjà, en réaction notamment à la crise financière de 2007-2008 et à l’attractivité soudainement beaucoup moins puissante de l’euro. En raison des liens commerciaux étroits qui les unissent, il est de toute manière et à l’évidence avantageux, tant pour les bourgeoisies anglaise qu’écossaise, de s’en tenir au statuquo monétaire. D’ailleurs, cela simplifie certainement les choses pour le gouvernement écossais lui-même, qui ne saurait risquer une dévaluation monétaire importante et de ce fait la viabilité des généreux services sociaux faisant la spécificité de l’Écosse au sein du RU. Ces services, et parmi ceux-ci les politiques en matière de soins de santé et de logement, sont évidemment au cœur du projet social-démocrate proposé par le SNP. C’est pourquoi un chapitre entier de ce livre blanc est consacré aux opportunités qu’offrirait l’indépendance en ces domaines.
Le SNP y souligne d’abord que le modèle écossais de protection sociale – comprenant notamment les régimes publics de santé, de logement et de pension – se révèle étonnamment moins couteux que le modèle britannique actuel. Cela n’est étonnant qu’à première vue toutefois, puisque la démonstration a été faite à de multiples reprises et par bon nombre d’experts que les économies réalisées à court terme grâce à la privatisation et à la sous-traitance des services publics, tendances adoptées par le RU dans plusieurs domaines depuis les années 1980, se transforment en coûts sociaux additionnels à moyen et long termes. Qui plus est, le vieillissement de la population est moins marqué en Écosse qu’au RU en général. L’indépendance permettrait donc non seulement de préserver le modèle écossais, mais de l’améliorer : sont évoqués une réforme du régime public de pension assurant une croissance des rentes d’au moins 2.5 % annuellement, l’établissement d’un nouveau fonds d’épargne écossais dont l’usage sera offert à tous les employeurs ainsi qu’à tous les gagne-petit, l’abolition de la Bedroom Tax, l’arrimage à l’inflation des prestations sociales et crédits d’impôt aux familles pauvres, ainsi que la préservation du système de santé écossais entièrement public et universel, faisant la fierté des Écossais depuis la dévolution.
Les services à l’enfance, l’éducation et la formation professionnelle sont également et évidemment partie intégrante d’une social-démocratie mature. Dans la cinquième portion de ce livre blanc, le plaidoyer du SNP est d’ailleurs limpide à cet égard : l’indépendance, en permettant aux Écossais de gérer leurs revenus comme ils l’entendent, rendra possible le renforcement d’une vision écossaise de l’éducation qui, de l’âge préscolaire au marché du travail, se distingue déjà passablement du modèle anglais et conservateur. L’une des mesures phares annoncées par le SNP concerne la mise sur pied d’un système universel de garde et d’éducation préscolaires, offert à tous les enfants de trois et quatre ans pour un total de plus de 1000 heures par année, soit l’équivalent du temps passé à l’école par un enfant d’âge scolaire. Au-delà du fait que ce système permettra à des centaines de milliers de parents de concilier travail et famille plus efficacement et plus rapidement, des dizaines de milliers de nouveaux emplois seront créés afin de rendre ce service. L’accès aux études universitaires, par ailleurs, continuera d’être gratuit pour tous les étudiants écossais, politique tranchant avec l’inaccessibilité croissante et, disons-le, honteuse, des études supérieures anglaises. Enfin, il est carrément proposé que l’éducation, l’emploi et la formation professionnelle soient reconnus en tant que droits fondamentaux par une éventuelle Constitution écossaise.
Qu’elle devienne ou non pays à part entière toutefois, l’Écosse demeurera une puissance moyenne et n’évoluera jamais indépendamment de ses voisins ni des dynamiques inhérentes à l’économie mondiale ou aux relations internationales. Dans une sixième section, la question du statut et de la reconnaissance internationale d’une Écosse indépendante est abordée, peut-être un peu trop légèrement, comme si cette reconnaissance allait en quelque sorte de soi. Cela pourrait se révéler une erreur stratégique importante, bien qu’on ne puisse blâmer le SNP de ne vouloir ni alarmer les Écossais ni dévoiler publiquement ses intentions en ces matières. La position officielle du SNP s’est révélée stable depuis un bon moment : on s’attend à ce qu’une Écosse indépendante puisse demeurer membre de l’UE sans avoir à déposer une demande d’adhésion, en vertu de l’article 48 du Traité sur l’UE et du principe de « continuité des effets » en droit international. Reste qu’une telle reconnaissance demanderait l’unanimité des pays membres, ce qui ne doit pas manquer d’inquiéter officieusement le SNP considérant les oppositions annoncées de Westminster et, pour des raisons évidentes, de Madrid. Or, s’il est dans l’intérêt de Westminster d’apeurer les Écossais, il demeure néanmoins que le RU lui-même pourrait bientôt quitter l’UE et qu’en fait, personne ne peut prédire ce à quoi les jeux politiques européens aboutiraient.
Bien que le maintien de l’appartenance à l’UE soit souhaité, et c’est encore là cette volonté de continuité minimale qui s’exprime, il est prévu qu’une Écosse indépendante n’adhère pas à l’espace Schengen de libre circulation des personnes, mais demeure plutôt membre de la « zone commune de circulation » britannique. D’ailleurs, un passeport écossais distinct sera créé, mais tout Britannique résidant de façon « habituelle » en Écosse y aura droit de même qu’au titre de citoyen écossais. Il en ira de même des Écossais de naissance vivant actuellement au RU mais à l’extérieur de l’Écosse. Ces positions s’inscrivent à la fois dans une volonté d’ouverture et dans celle d’un contrôle minimalement serré des flux démographiques et migratoires. La septième section de ce livre blanc prévoit d’ailleurs une réforme complète des politiques en matière d’immigration et l’instauration d’un système de pointage, basé notamment sur les besoins économiques de l’Écosse, qui n’est pas sans rappeler le système québécois. Advenant la sécession, une agence de sécurité et de renseignement écossaise serait également mise sur pied et travaillerait de concert avec Police Scotland, le service policier actuel, de même qu’avec le fameux Scotland Yard dont, soit dit en passant, les bureaux se trouvent à Londres et non pas en Écosse.
Outre ces questions de sécurité et d’immigration dont une Écosse indépendante devra s’occuper, deux autres enjeux de taille, qui sont d’ailleurs au cœur de la question nationale écossaise depuis près de cinquante ans, attendront ses négociateurs : le pétrole de la mer du Nord et le contrôle des pêcheries en eaux écossaises. Le premier de ces enjeux opposera Holyrood à Westminster, alors que le second opposera l’Écosse, advenant son admission, aux autres pays membres de l’UE. La quasi-totalité des réserves pétrolières extracôtières exploitées par le RU depuis les années 1970 se trouve en territoire écossais : plus de 95 %, selon les estimations les plus conservatrices. Pourtant, l’Écosse n’a jamais contrôlé un seul penny des profits générés par leur exploitation. L’ambition des indépendantistes est de doter l’Écosse du plein contrôle de ces réserves et de créer un fonds pétrolier devant gérer l’épargne collective des Écossais et investir dans le développement tout à fait prometteur des industries éolienne et marémotrice. Westminster entretient actuellement un flou quant à sa position sur cette question. Cela peut être interprété de deux manières : soit le gouvernement britannique a l’intention de contester à une Écosse indépendante la propriété de ces ressources, mais ne l’avouera pas avant que les Écossais se prononcent, soit il s’est rendu à l’évidence qu’une telle contestation serait mission impossible, mais ne veut pas l’admettre publiquement.
La question des pêcheries est encore plus complexe, puisqu’elle concerne 21 des 28 pays membres de l’UE touchés par la « politique commune de la pêche ». Actuellement, cette politique établit des quotas négociés au niveau européen. Les nationalistes écossais, en misant sur l’influence renouvelée d’une Écosse indépendante et membre de l’UE, souhaitent la réforme de cette politique et la dévolution du contrôle des quotas au niveau national. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils surestiment probablement l’influence internationale qu’aurait le nouvel État, bien qu’il soit difficile de les en blâmer considérant l’importance culturelle, passée et présente, de l’industrie écossaise de la pêche. Comme pour tout mouvement nationaliste, la culture occupe d’ailleurs une place majeure dans les stratégies du SNP, bien qu’un milieu culturel aussi influent et sympathique à l’indépendance que le québécois ne soit pas vraiment présent en Écosse. En vertu des arrangements actuels par exemple, l’administration de la British Broadcasting Corporation (BBC) demeure une compétence exclusive de Westminster, engendrant des problèmes évidents : le contenu écossais présenté par la BBC demeure relativement limité, parfois même caricatural, et une proportion significative des Écossais exprime avec constance depuis des années les plus hauts niveaux d’insatisfaction du RU à l’égard de la BBC. Les nationalistes s’engagent à remédier à cette situation.
Advenant l’indépendance, ainsi, une nouvelle radio/télévision publique, la Scottish Broadcasting Corporation (SBS), offrirait un contenu majoritairement écossais et de plus nombreuses opportunités aux réalisateurs et producteurs d’Écosse tout en collaborant avec la BBC. L’une des fonctions de la nouvelle SBS, parallèlement aux organisations et aux politiques gouvernementales déjà en place dans cet objectif, serait de promouvoir l’apprentissage et l’utilisation du gaélique écossais, aujourd’hui maîtrisé par un peu plus de 1 % de la population seulement. Cette proportion est appelée à croître, toutefois, indépendamment du résultat référendaire. La promotion du gaélique dans l’espace public en général et son enseignement, du préscolaire à secondaire, sont déjà bien en marche. Enfin, l’indépendance est également présentée comme devant faciliter le contrôle et le développement des technologies de l’information et de la communication par un futur État écossais, l’une des priorités identifiées en ce domaine étant la maximisation de l’accès aux services Internet haute vitesse dans les régions éloignées et isolées d’Écosse, notamment via la construction de nouveaux réseaux de fibre optique dans ses Highlands et ses multiples îles. Car l’accès égal de tous les citoyens écossais à des contenus culturels nationaux de qualité ainsi qu’aux moyens de communication modernes est aussi, et peut-être surtout, un impératif démocratique.
Tout comme il s’ouvre sur ces questions, d’ailleurs, ce livre blanc consacre son dernier chapitre aux enjeux démocratiques de l’indépendance. Le SNP y rappelle non seulement que les choix électoraux des Écossais, au sein du RU, ont toujours été et demeureront subordonnés à ceux des Anglais, mais qui plus est que le poids politique des députés écossais présents à Westminster demeure en grande partie illusoire. 80 % d’entre eux ont voté contre la privatisation de la Royal Mail il y a trois ans. 90 % ont rejeté les coupes aux allocations familiales il y a deux ans. 91 % ont combattu la Bedroom Tax l’an dernier. À chacune de ces occasions, les mesures en question ont néanmoins été adoptées et imposées aux Écossais. L’indépendance mettrait fin à cette vaine représentation. Elle permettrait également l’adoption d’une constitution écossaise, rédigée par une coalition de représentants locaux, syndicaux, patronaux, politiques et civils. Cette constitution, selon ce qui est proposé par le SNP, contiendrait entre autres choses le bannissement des armes nucléaires en sol écossais, un ensemble de droits sociaux et économiques fondamentaux, mais aussi certains devoirs gouvernementaux tels que la protection environnementale et l’offre de services publics efficaces. Bref, une constitution moderne, dont l’application par une nouvelle Cour suprême écossaise est également prévue.
S’il faut poser un jugement définitif sur ce livre blanc, ce sera celui-ci : une œuvre sérieuse, ambitieuse, optimiste et détaillée, que liront très certainement trop peu d’Écossais. Ses rédacteurs, cela apparaît évident, étaient d’ailleurs conscients du caractère quelque peu aride de ce document à la veille de sa publication. C’est fort probablement pourquoi ce livre blanc se conclut sur une section de 650 questions et réponses courtes, destinée à éviter au citoyen le fardeau d’une lecture complète. Quant à certains enjeux parmi les plus fondamentaux, dont la reconnaissance d’une Écosse indépendante par l’UE et le partage des passifs et actifs britanniques, un lecteur minimalement critique se retrouve également, en fin de parcours, avec davantage de questions que de réponses. Il serait pourtant malhonnête de reprocher au SNP de prendre position et d’espérer le meilleur en ce qui concerne les négociations à prévoir à la suite d’un référendum gagnant. Bien qu’informatif, ce livre blanc n’a pas été et ne sera pas un « game changer ». Tout dépendra, d’ici septembre, de la proportion des Écossais qui acceptera d’octroyer une confiance partiellement aveugle au SNP et non de la justesse de ses prédictions, dont il faudra de toute manière un « Yes » pour découvrir le niveau.
[1] Disponible en ligne au format PDF : http ://82.113.138.107/00439021.pdf
[2] https ://www.youtube.com/watch ?v=GT64a410qX4&feature=player_embedded
[3]Consulter, à ce sujet, le Scotland Act 2012 (http ://www.legislation.gov.uk/ukpga/2012/11/pdfs/ukpga_20120011_en.pdf) ainsi que le récent rapport de la Commission fiscale écossaise, également publié en novembre dernier (http ://www.scotland.gov.uk/Resource/0043/00434977.pdf).
[4] « Écosse : de colonie interne à nation indépendante ? Les ressorts de l’indépendantisme. », L’Action nationale, vol. CIII, n. 7, septembre 2013, p. 78-108.
[5] Voir aussi le premier rapport de la Commission fiscale écossaise sur les aspects macroéconomiques de la sécession (http ://www.scotland.gov.uk/Resource/0041/00414291.pdf), de même que le plaidoyer gouvernemental en ces matières (http ://www.scotland.gov.uk/Resource/0042/00422987.pdf).