François Côté et Guillaume Rousseau. Restaurer le français langue officielle

François Côté et Guillaume Rousseau
Restaurer le français langue officielle. Fondements théoriques, politiques et juridiques pour une primauté du français langue du droit
Institut de Recherche sur le Québec, Montréal, 2019, 128 pages

Dans leur dernier livre, qui s’inscrit dans leur combat acharné pour la défense de la langue française au Québec, les avocats François Côté et Guillaume Rousseau réagissent à la contestation du Barreau du Québec et du Barreau de Montréal contre le gouvernement du Québec. Rappelons l’affaire : en avril 2018, ces deux organisations lançaient un recours judiciaire pour contester l’ensemble des lois québécoises, en récusant leur validité pour cause d’importantes inexactitudes de traduction présentes entre les versions françaises et anglaises de ces lois. Cette action reposait sur l’avis de l’ancien juge à la Cour suprême du Canada, Michel Bastarache, et d’une étude publiée par une étudiante à la maîtrise en droit. L’avis en question affirmait que le processus d’adoption des lois par l’Assemblée nationale était incorrect en vertu de la constitution canadienne, et, de son côté, l’étude montrait l’étendue des erreurs de traduction des lois québécoises françaises traduites en anglais. Dans cet essai, Côté et Rousseau prennent au sérieux ces déclarations et tentent d’offrir des pistes de solution pour dénouer les malentendus.

Divisé en deux parties, chacune comportant deux chapitres, l’ouvrage se veut accessible pour le commun des mortels. Parenthèse : l’auteur de ce compte-rendu, profane dans la discipline du droit, ne cachera pas avoir fait une deuxième lecture pour bien saisir le propos. Cela ne signifie pas que les auteurs ont échoué leur objectif de vulgarisation, mais plutôt que le lecteur peu informé à ce sujet ne doit pas s’attendre à une lecture facile pour autant. Fin de parenthèse : la première partie, comme l’affirment les auteurs, « se veut […] une critique sociale et intellectuelle de l’état actuel du droit linguistique au Québec » (p. V). Ils explorent ainsi les derniers évènements et débats qui ont eu lieu depuis les dernières décennies en la matière.

Dans le premier chapitre, les auteurs montrent les raisons théoriques d’appuyer une restauration du français langue officielle. D’abord, ils font la distinction entre les principes de territorialité et de personnalité dans le domaine du droit linguistique. Ils réussissent à démontrer comment le modèle de territorialité est mieux à même de protéger les langues en péril comme le français en Amérique du Nord, en poussant les nouveaux arrivants à s’intégrer à la langue officielle. Selon eux, l’intention originelle de la Charte de la langue française s’inscrivait dans cette perspective, en affirmant la seule officialité des lois françaises, accompagnées d’une traduction anglaise non officielle.

Les auteurs reviendront, tout au long de cet ouvrage, sur cette intention première de la loi 101. Aussi, le principe de territorialité serait la marque du Canada lui-même, qui, malgré son bilinguisme officiel au fédéral, a, chez ses provinces, « […] des régimes linguistiques marqués par une dose plus ou moins forte d’unilinguisme » (p. 12). Montrant la modération de leur propos, Côté et Rousseau rappelleront continuellement, avec justesse, que les droits des minorités sont pris en compte dans leur raisonnement et que ceux-ci s’aménagent sans trop de difficultés dans un modèle de territorialité. Par la suite, les auteurs mettent au clair la notion de langue officielle, qui réfère à celle de l’État et donc, dans ses lois, ses travaux parlementaires, ses tribunaux et son administration publique.

Après avoir établi ces considérations pour initier le lecteur à la compréhension du droit, les auteurs plongent dans le vif du sujet, évoquant l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, ce dernier affirmant l’obligation d’avoir des versions françaises et anglaises des lois au Canada. Au cœur d’un litige toujours irrésolu à ce jour, Côté et Rousseau prônent une interprétation plus restreinte de cet article que n’en a fait la fameuse affaire Blaikie en 1979. Rappelons que ce jugement prônait une interprétation large de l’article 133 permettant aux juges de la Cour suprême de supprimer les articles 7 à 13 de la Charte de la langue française. Par ce saccage en bonne et due forme, le jugement Blaikie a annulé le français comme seule langue officielle.

À la suite de cette mise en contexte, les auteurs démontrent, dans leur deuxième chapitre, les raisons politiques de prôner le français langue officielle au Québec. Ils rappellent d’abord l’importance des symboles pour les collectivités et comment le français se constitue comme symbole important pour la nation québécoise. Dans un deuxième temps, Côté et Rousseau montrent comment le bilinguisme officiel crée un déficit démocratique important pour le Québec. Alors que les débats en chambre et que la rédaction des lois se font en français, l’interprétation du bilinguisme officiel au Canada par Blaikie force l’officialité des deux versions des lois, françaises et anglaises. En cas d’erreurs de traduction, les deux versions ont ainsi égale valeur juridique, alors qu’une seule fut débattue par les législateurs élus.

Les auteurs y voient un problème pour la démocratie et ne croient pas que la co-rédaction des lois soit une solution. Selon eux, bien au contraire, l’auteur d’une loi est plus partial que le traducteur. Traduction ou co-rédaction : les auteurs montrent bien au lecteur qu’il y a une impasse à ce dilemme, et qu’il faut chercher ailleurs pour résoudre le problème. Ils reviennent ainsi au propos de leur livre : il faudrait faire en sorte que seule la version française soit officielle, assortie d’une version anglaise non officielle des lois. Les auteurs terminent cette partie en démontrant comment le français langue officielle s’inscrit en harmonie avec la tradition civiliste du droit commun québécois, symbole de la distinction québécoise dans un Canada de common law.

Dans la seconde partie de l’ouvrage, les auteurs abordent le côté plus pratique de la question, à savoir comment est-ce qu’il est possible, en théorie soulignent-ils, de réinstaurer le français langue officielle dans le cadre du droit canadien. Le troisième chapitre dresse ainsi la première solution proposée, à savoir l’adoption d’une modification constitutionnelle. Côté et Rousseau démontrent bien, par des actions législatives et des précédents judiciaires, comment le Québec peut procéder à une modification constitutionnelle de manière unilatérale ou bilatérale (Québec-Ottawa), donc sans nécessiter l’accord unanime de toutes les provinces. Dans un premier temps, ils démontent les arguments du jugement Blaikie (1979) en démontrant comment le rapatriement constitutionnel de 1982 rend caduques les références des juges de la Cour suprême de cette époque. Ils le font avec brio et aplomb, en évoquant de nombreux arrêts significatifs qui vont dans le sens de leur propos. Par une démonstration brillante, et qui mérite salutation, ils prouvent que l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 fut déjà modifié unilatéralement par le Québec en 1968, dans le cadre de l’abolition du Conseil législatif. Ils terminent ce chapitre en montrant que la voie bilatérale ne serait pas non plus quelque chose d’impossible, recensant sept précédents dans l’histoire canadienne à ce titre.

Le dernier chapitre met en évidence le fait que le Québec pourrait très bien réhabiliter le français langue officielle sans modification constitutionnelle. Selon Côté et Rousseau, cela pourrait se faire en revendiquant une interprétation moins large de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. Ils affirment que « l’idée directrice » derrière cet article « était de garantir la participation et l’accessibilité aux travaux parlementaires aux francophones et anglophones sans y importer nécessairement une obligation d’officialité » (p. 92). Ils finissent par achever les derniers propos de l’arrêt Blaikie en démontrant la faiblesse argumentative du jugement. En remontant aux derniers jugements cruciaux des trente dernières années, ils montrent comment le sujet est loin de faire l’unanimité chez les juges et les cours.

Pour soutenir leur idée de faire évoluer l’interprétation de Blaikie dans les intérêts du Québec, les auteurs proposent deux avenues, que sont l’autonomie du Québec et une interprétation moins large de l’article 133. Dans deux affaires toutes récentes, en 2015 et en 2018, qui portaient justement sur des erreurs de traduction entre les versions, ils évoquent ces jugements qui affirmaient que la version française prévalait en vertu de la Charte de la langue française. Ainsi, tout n’est pas noir, et les auteurs cherchent à bien nous le faire sentir. À la fin de leur ouvrage, ils montrent que la restauration du français langue officielle s’agence parfaitement avec les principes fondamentaux du constitutionnalisme canadien.

En conclusion, le pari de François Côté et Guillaume Rousseau est réussi. Avec concision, clarté et assurance, ils développent leur argumentaire de manière rigoureuse et dans un souci continuel de compréhension du lecteur. Peut-être aurait-il été intéressant, néanmoins, de citer des cas d’autres pays qui font face à des problèmes similaires aux Québécois. Cela dit, à la lumière des derniers évènements dans l’actualité qui touchent les liens de plusieurs juges canadiens au Parti libéral du Canada, et face au défi d’une immigration mal francisée, ainsi que du réseau de cégeps anglophones gargantuesques, l’essai de ces avocats fidèles au Québec est indispensable pour tout patriote soucieux de l’avenir national.

Philippe Lorange
Étudiant en Science politique et philosophie, Université de Montréal