G. Bouthillier et É. Cloutier. Trudeau et ses mesures de guerre vus du Canada anglais

Guy Bouthillier et Édouard Cloutier
Trudeau et ses mesures de guerre vus du Canada anglais. Québec, Septentrion, 2011, 321 pages

C’est pendant la campagne électorale du Québec en août dernier que j’ai lu ce livre passionnant. Ce qui me frappa, c’est la mollesse de la bataille politique chez nous quand je la compare à l’empressement, à l’ardeur que le fédéral mettait à intervenir dans les affaires du Québec lors de la Crise d’octobre en 1970. On dirait que nos femmes et nos hommes politiques n’ont guère conscience de la centralisation du pays dans lequel ils vivent, qu’ils n’ont pas conscience que les décisions importantes en ce qui concerne le Québec se prennent à Ottawa, que lorsqu’arrive un moment de crise, Ottawa prend les choses en main et les règle à sa façon. C’est probablement ce qui explique le caractère si terne de la dernière campagne électorale au Québec. Nos femmes et nos hommes politiques, sans en avoir conscience, réfléchissent et se comportent comme des provinciaux, sachant très bien que le vrai pouvoir n’est pas dans la province, mais à Ottawa. Je me dis que tous nos hommes et nos femmes politiques devraient lire ce livre qui permet de comprendre un peu plus notre pusillanimité, notre manque de confiance en nous-mêmes. Nous sommes une province d’un pays qui nous traite comme il l’entend, ce qui explique que nous ne vivons que dans la mesure où il nous le permet.

Ce livre nous fait connaître la réaction du Canada anglais à l’imposition des mesures de guerre du gouvernement Trudeau lors de la Crise d’octobre, en 1970. Bouthillier et Cloutier ont fait un choix de textes importants de Canadiens anglais, journalistes, hommes politiques, professeurs, etc., sur les événements de 1970, et nous en donnent la traduction.

L’imposition des mesures de guerre par le gouvernement Trudeau en cette occasion prend l’allure d’une véritable oppression. Trudeau, paraît-il, écrit Peter C. Newman, le rédacteur en chef du Toronto Star, croyait à une conspiration menée par Lévesque, Parizeau, Ryan pour renverser le gouvernement (p. 166). Bourassa et Drapeau avaient réclamé la présence des forces canadiennes (p. 173). Trudeau envoya à Montréal 7500 militaires (p. 173) pour contrer les séparatistes (p. 175). Le gouvernement fédéral ne visait pas seulement à rétablir l’ordre, mais il profitait de l’occasion pour réprimer les aspirations du Québec à l’autonomie.

Plusieurs des auteurs critiquent très sévèrement la loi des mesures de guerre, soit le traitement de la crise d’octobre que le gouvernement fédéral a imposé au Québec. Ramsay Cook , historien, reconnaît que le libéralisme du gouvernement fédéral est bien faible, que la loi des mesures de guerre était un pas vers le totalitarisme (p. 59). D’autres affirmaient que le pouvoir d’urgence du gouvernement s’exerçait au-delà de la guerre (p. 68), que le gouvernement s’était servi d’une loi de guerre en temps de paix (p. 69).

Pour comprendre les excès du gouvernement d’Ottawa à l’occasion de la crise d’octobre, il faut savoir que cette dernière lui donnait des raisons d’intervenir contre les « séparatistes ». C’est une véritable hystérie qui s’était développée à Ottawa à la suite de l’apparition du mouvement indépendantiste. En 1966, donc bien avant la crise d’octobre, la commission Mackenzie fut mise sur pied avec mission d’étudier les problèmes de sécurité. Elle remit son rapport au gouvernement en 1968. Elle soutenait que les communistes et les trotskystes s’intéressaient au mouvement séparatiste et y participaient. D’autres, au ministère des Affaires extérieures prétendaient que les tensions entre Ottawa et le Québec étaient l’effet d’un « complot de la France pour aider le Québec à devenir indépendant » (p. 85). Quand en 1969 Trudeau déclara qu’on ne laisserait pas diviser le pays ni de l’intérieur ni de l’extérieur, c’est à la France qu’il pensait !

Comment expliquer la conduite de Trudeau dans cette histoire ? Thomas Douglas, le chef du NPD, tout en reconnaissant le sérieux de la situation au moment des journées d’octobre, blâme le gouvernement Trudeau sur le fond. Selon lui, la conduite de Trudeau serait venue de ce qu’il avait compris qu’il y avait dans les événements du Québec « l’occasion de faire d’une pierre deux coups : écraser le mouvement séparatiste et démontrer au Canada anglais qu’il était l’homme fort capable de mâter le Québec » (p. 213-214). Robert Fulford écrit en décembre 1970 : « Lors de la grande crise d’octobre 1970, la démocratie canadienne a été mise à l’épreuve et jugée déficiente. Le gouvernement Trudeau s’est révélé être d’esprit totalitaire, le peuple hystérique et la presse, servile et délatrice » (p. 235).

Le livre de Bouthillier et Cloutier devrait provoquer une réflexion très sérieuse sur la nature de la « démesure » canadienne. Des auteurs anglophones n’hésitent pas à qualifier le comportement de Trudeau d’autoritaire, de totalitaire, de dictatorial, et même de fasciste. Le Canada n’est pas le pays libéral d’esprit démocratique que l’on pense. Le recours massif à l’armée, l’arrestation de plusieurs centaines de citoyens sans qu’ils aient droit de recourir à un avocat, n’est pas seulement une injustice et un scandale, mais une terrible perversion du pouvoir politique. Les critiques et les analystes sont d’avis que les prises d’otages des felquistes relevaient de la police, non de l’armée.

Plus on examine cette loi des mesures de guerre du gouvernement Trudeau et son application, plus on en perçoit le caractère tyrannique, totalitaire. Comment expliquer une telle politique, un tel déploiement d’abus d’autorité ? Nos auteurs écrivent : « que les mesures de guerre furent déclenchées principalement contre le mouvement indépendantiste piloté par le Parti québécois, auquel s’ajoutaient quelques autres groupes de dissidents politiques » (p. 283). La démocratie en prenait un coup. La liberté civile aussi.

Je ne saurais trop recommander la lecture de cet ouvrage important, éclairant, très documenté. Il aide à comprendre les événements de 1970 mais aussi toute l’histoire du Canada depuis 1970. Il nous permet de saisir un peu mieux la nature du combat pour l’indépendance du Québec. Il est douloureux de constater, en lisant cet ouvrage jusqu’à quel point la liberté, la démocratie, le libéralisme peuvent être bafoués, piétinés par des gens qui en font pourtant profession. Trudeau, qui se disait et se pensait un vrai démocrate avait des comportements de dictateur. Lui qui avait tellement critiqué Duplessis, qui le détestait, était tombé dans les mêmes aberrations que lui. Thomas R. Berger écrit : « Ce que Trudeau considérait comme monstrueux à l’époque de la grande noirceur sous Duplessis, devint nécessité d’État en 1970 lorsqu’Il était premier ministre » (p. 191). Trudeau semblable à Duplessis ? Pire que lui. Le plus grand contempteur des libertés civiles de notre histoire !