Guerre économique mondiale: un réveil canadien?

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La Chambre des communes, ce temple du pouvoir, vient d’adopter en deuxième lecture, le 17 avril 2023, le projet de loi C-34. Un texte qui propose de renforcer la Loi sur Investissement Canada, en y ajoutant des mécanismes de contrôle des investissements étrangers jugés potentiellement dangereux pour la sécurité nationale. S’agit-il d’un véritable changement de cap pour le Canada, pays autrefois béat devant l’idée d’une mondialisation où les frontières s’effaceraient et où tous les peuples se fondraient dans une harmonieuse fraternité ? Nous ne sommes certes plus dans ce doux rêve. Les réalités du monde moderne nous rappellent que les stratégies d’État, les puissances, les empires et les ambitions hégémoniques sont toujours bien présents.

Cet État postnational qu’est Ottawa, cancre dans tant de secteurs et d’industries qui revêtent une valeur stratégique indéniable, serait-il en train de rompre avec sa vision idyllique d’une mondialisation où le genre humain s’unifierait dans le bonheur par l’abolition des États et la naïveté doucereuse du laisser-faire ? Nous n’en sommes pas là. Il n’y a qu’à constater les coups de Jarnac d’Ottawa contre notre industrie aérospatiale, ou le haussement d’épaules d’Ottawa face à la vente de Produits forestiers Résolu pour modérer notre enthousiasme.

Soyons clairs : la mondialisation n’a aboli ni les stratégies d’État, ni les puissances, ni les empires, ni les hégémonismes. Croire le contraire, c’est exposer toute sa vulnérabilité à ceux qui en ont très bien compris la réalité. Cette réalité est celle de la guerre économique, corollaire d’un affrontement géopolitique entre de grandes puissances. L’arme centrale à cette guerre est celle du renseignement et de l’espionnage économique, de l’obtention d’informations par l’agressivité commerciale. Quand nous perdons un siège social, il n’y a pas que notre fierté de voir un fleuron nous quitter qui est en jeu : il s’agit d’une perte effective de pouvoir.

Le projet de loi C-34, s’il ne va pas assez loin, amène sept changements dignes d’intérêt : 1) nouvelle exigence de dépôt préalable à la réalisation des investissements dans des secteurs désignés ; 2) pouvoir ministériel permettant de prolonger l’examen relatif à la sécurité nationale des investissements ; 3) pénalités plus sévères pour les contraventions ; 4) pouvoir ministériel permettant d’imposer des conditions durant la période d’examen relatif à la sécurité nationale ; 5) pouvoir ministériel permettant d’accepter des engagements afin d’atténuer les risques d’atteinte à la sécurité nationale ; 6) amélioration de l’échange de renseignements avec les homologues internationaux ; 7) nouvelles règles de protection des renseignements durant un contrôle judiciaire.

Ce sont là des progrès qu’il faut saluer. Ces mesures s’inspirent du modèle américain. Washington est aux antipodes de la négligence en matière de surveillance. Et pour cause : Washington a parfaitement compris la nature de l’affrontement qui est en cours. En tant qu’empire, il va sans dire que les États-Unis ne souhaitent nullement laisser la Chine poursuivre son ascension mondiale. Le ton s’est considérablement durci sous l’administration Trump : en plus d’appliquer diverses taxes sur les panneaux solaires puis sur divers produits chinois, la Maison-Blanche a placé sur la liste noire plusieurs entreprises chinoises (comme Huawei ou ZTE) au nom de la sécurité nationale. Mais les États-Unis ont aussi mis en place un redoutable système de contrôle des investissements par la loi, afin de répondre à la stratégie chinoise de rachat d’entreprises technologiques en occident, dont le but est bien entendu l’obtention de la technologie en elle-même. Le Commitee on Foreign Investment, créé en 1975, surveille et contrôle les investissements étrangers en territoire américain. En plus du comité, le président lui-même peut décider de refuser une acquisition dans un secteur jugé névralgique. Alors que les travaux du Commitee on Foreign Investment sont, de façon générale, d’une grande discrétion, on a pu assister, ces dernières années, à des affaires hautement médiatiques où l’administration américaine a formellement rejeté des offres de rachat de grandes entreprises par des sociétés chinoises.

L’administration américaine est également allée encore plus loin, et certaines pistes pourraient nous inspirer. En 2018, le président Trump a étendu les pouvoirs du comité afin que les investissements étrangers dans les domaines de l’immobilier, de la technologie, des infrastructures et des données critiques soient également passés en revue. Le mandat du comité est ainsi devenu plus large que le seul cas des entreprises jugées stratégiques. En 2020, une loi comptable sur les sociétés cotées en bourse a été adoptée, obligeant celles qui sont contrôlées par un gouvernement étranger à se déclarer à l’autorité des marchés financiers et à se faire auditer par l’autorité américaine prévue à cet effet sur les trois dernières années. En cas de refus, une société peut être exclue des marchés américains.

Malgré ses fondements légitimes, l’articulation du protectionnisme américain ne vise pas toujours les bonnes cibles, et nuit parfois aux Américains eux-mêmes. On n’a qu’à penser à la guerre commerciale contre le bois d’œuvre, qui profite certes à l’industrie américaine du bois, mais qui a des conséquences majeures pour le prix des constructions à une époque où la crise du logement fait rage aux États-Unis. Cet affaiblissement de notre industrie forestière permet de surcroît à la Chine d’espérer plus aisément mettre la main sur Produits forestiers Résolu. On n’a qu’à penser aux différentes menaces d’imposer des tarifs contre notre aluminium primaire, qui nuirait essentiellement aux transformateurs américains. On peut aussi penser à l’Inflation Reduction Act, loi de 2022, qui contient un incitatif aux fabricants de batteries électriques n’offrant une réduction qu’aux batteries construites sur le territoire des États-Unis, risquant une immense perte d’activités pour le Québec et le Canada.

Pour tenir tête à l’ouragan chinois, la coopération nord-américaine est de mise, et l’exemption des produits, technologies et initiatives vertes du Canada et du Québec du protectionnisme américain profiterait à tous, représentant une excellente avenue sur le plan géopolitique. Plusieurs élus du côté sud de la frontière feignent malheureusement parfois de ne pas le comprendre. Avec C-34, Ottawa a à démontrer que le Canada n’est pas qu’une simple passoire à investissements stratégiques étrangers. Cela suffira-t-il à rassurer les Américains ? Cela reste à voir…

Le projet de loi C-34 est cependant nettement insuffisant. L’an dernier, selon les données du rapport annuel de la direction des investissements du ministère déposé au Parlement en octobre dernier, des étrangers ont déposé 1 255 projets d’investissements totalisant 87 milliards $. Sur ces 1 255 projets d’investissements, seulement 24 (2 pour cent) étaient considérés comme ayant un impact sur la sécurité nationale et auraient été couverts par les nouvelles règles contenues dans le projet de loi C-34. Les 1 221 autres investissements restent assujettis aux vieilles règles laxistes et ont presque tous été automatiquement approuvés sans examen. Seulement 8 (moins de 1 pour cent) ont fait l’objet d’un examen pour déterminer s’ils apportaient vraiment un avantage économique net.

Au fil des ans, la Loi a été affaiblie. Le seuil en deçà duquel le gouvernement n’examine même pas l’investissement ne cesse d’augmenter, la quasi-totalité des investissements passe comme une lettre à la poste sans que la Loi sur Investissement Canada ne donne à Ottawa le pouvoir d’évaluer s’il est avantageux.

La Loi sur Investissement Canada, telle que façonnée dans les années 1980, place la libéralisation des investissements non pas comme un levier, mais comme une religion, nonobstant la perte des leviers de décisions et des sièges sociaux qu’il entraîne, l’affaiblissement du pouvoir financier de Montréal, la dépendance de nos entreprises envers des fournisseurs étrangers, les risques d’accaparement des terres, ou la perte de contrôle sur nos ressources naturelles. Ce sont ces failles d’un culte absolu envers un libre-échange incontrôlé et illimité, jamais remis véritablement en question, dont a profité Pékin pour bâtir en moins de trente une puissante économie conquérante.

Avec C-34, nous n’assistons pas au grand réveil d’Ottawa. Tout au plus ouvre-t-il un œil.

* Ph. D., député de Saint-Hyacinthe–Bagot et porte-parole du Bloc québécois en commerce international

La Chambre des communes, ce temple du pouvoir, vient d’adopter en deuxième lecture, le 17 avril 2023, le projet de loi C-34. Un texte qui propose de renforcer la Loi sur Investissement Canada, en y ajoutant des mécanismes de contrôle des investissements étrangers jugés potentiellement dangereux pour la sécurité nationale. S’agit-il d’un véritable changement de cap pour le Canada, pays autrefois béat devant l’idée d’une mondialisation où les frontières s’effaceraient et où tous les peuples se fondraient dans une harmonieuse fraternité ? Nous ne sommes certes plus dans ce doux rêve. Les réalités du monde moderne nous rappellent que les stratégies d’État, les puissances, les empires et les ambitions hégémoniques sont toujours bien présents.

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