Guy Laperrière. Benoît Lacroix. Un dominicain dans le siècle

Guy Laperrière
Benoît Lacroix. Un dominicain dans le siècle
Médiaspaul, 2017, 310 pages

L’année dernière, l’historien Guy Laperrière nous a proposé une biographie du père Benoît Lacroix. En réalité, cette biographie a des allures d’autobiographie. C’est Laperrière qui l’a rédigée, mais c’est Lacroix qui semble lui avoir soufflé chaque mot. C’est que ce dernier a beaucoup parlé et a beaucoup écrit. Son biographe n’avait qu’à puiser à cette source quasi intarissable. Ce qu’il a fait avec dextérité et, à mon avis, avec un peu trop d’insistance.

Si ce n’était de quelques textes dans les médias, je ne connaissais guère le père Lacroix. Au-delà du personnage public, c’est donc son œuvre, vaste et variée, qui m’avait échappé. Si j’en crois l’objectif de l’auteur, je n’étais pas le seul : « nous visions, écrit l’auteur, un livre plutôt modeste, destiné au grand public – et qui retracerait les grandes étapes de son parcours sans oublier, bien sûr, sa spiritualité » (p. 5).

Guy Laperrière, spécialiste de l’histoire des congrégations religieuses, connaît bien son sujet. En le lisant, je me demandais combien nous avions eu, dans notre histoire, de religieux et de religieuses du type du père Lacroix, plus discrets, mais tout aussi dévoués, généreux, cultivés, amoureux de la vie, des hommes et du Christ ? Cette biographie est donc un rappel, que dis-je, un hommage rendu à tous ceux et celles qui, en choisissant le clergé séculier ou régulier, nous ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Elle a aussi des airs d’oraison funèbre prononcée à la gloire d’un monde disparu. Pour tout dire, seul un cœur de pierre peut être indifférent à la richesse de ce patrimoine religieux, intellectuel, moral et humain que nous avons oublié. Ne serait-ce que pour cette raison, cette biographie vaut la peine d’être lue.

Laperrière s’attarde longuement sur les influences de Benoît Lacroix, Joachim de son prénom. Alors qu’il refusait d’aller au collège ou de devenir cultivateur, son père lui dit : « Mon garçon, tu vas au pensionnat. Que ça te plaise ou non. Le pays a besoin de toi, moi pas » (p. 26). Ses parents étaient pieux et « avaient le souci du mot juste » (p. 33). Cela explique sans doute que « le goût de l’étude supplante chez Benoît Lacroix l’idéal missionnaire qui l’avait d’abord conduit chez les dominicains [sic] » (p. 54).

Après avoir été ordonné prêtre en 1941, Lacroix obtiendra son doctorat en études médiévales dix ans plus tard. À propos de ses professeurs, il dira « Si Gilson, en 1940, m’enseigne, si Maritain m’inspire, H.-I. Marrou, en 1960, me guide jusque dans le plus immédiat de ma vie littéraire et universitaire » (p. 76). Comme maîtres, on a déjà vu pire…

Benoît Lacroix n’était ni un contemplatif ni un solitaire. Laperrière révèle que, tout au long de sa longue carrière et de sa longue vie, Lacroix a travaillé sans relâche tout en tissant un vaste réseau de relations : « travail de médiéviste relations avec les artistes et les poètes, travaux d’édition de Saint-Denys Garneau, direction d’une collection littéraire, tout cela en sus d’engagements pastoraux et religieux » (p. 105). Selon le biographe, Lacroix s’intéressait aussi à tous les genres littéraires telle qu’« Une biographie édifiante, sous pseudonyme, en 1947, des comptes rendus et des billets d’actualité dans la Revue dominicaine, un essai littéraire sur la Vie des lettres en 1954, un gros livre de spiritualité pour les frères convers aux Éditions du Lévrier en 1961 » [p. 109-110]. Infatigable et téméraire, Lacroix n’a pas hésité à s’attaquer aux Œuvres complètes de Lionel Groulx à propos duquel il dit :

Groulx était le plus grand penseur de son temps. Et quel écrivain ! Il savait, il croyait qu’il avait une mission personnelle auprès de son « petit peuple ». Il agissait et écrivait en conséquence. Pour l’époque, dans le contexte de l’époque, c’était un géant. Un géant encore discuté. Tant mieux ! (p. 191).

Malgré ses mérites, plus je lisais cette biographie, plus j’étais troublé. Était-ce à cause du style de l’auteur, un style télégraphique, dénué d’émotions ou était-ce à cause du grand nombre de références et de citations ? Je ne connaissais pas la nature exacte de ce malaise jusqu’à ce que la lumière jaillisse : toutes les aspérités de la vie du père Lacroix et toutes les saillies de sa pensée ont été rabotées. D’où l’impression d’un huis-clos un peu étouffant, une atmosphère qui n’est pas sans rappeler celle d’un sous-marin. En un mot, il y a un décalage entre la vie captivante du père Lacroix et le récit quelque peu monotone qu’en fait Laperrière.

Voici par exemple ce qu’écrit Lacroix en 1964 dans un conte intitulé « Le p’tit train » : « Moi, je sais de science certaine que les hommes ont plus besoin d’amour que de confort » (p. 111). Par cette simple phrase, Lacroix n’a-t-il pas discerné le mal qui se cache derrière notre modernité ? Malheureusement, Laperrière n’a pas cru bon d’approfondir la question. Un peu plus loin, Lacroix a posé une question qui est devenue, depuis, un tabou : « N’y aurait-il pas une certaine coïncidence entre l’abandon des rites religieux domestiques et l’éclatement des familles ? » Encore ici, l’auteur n’insiste pas, sinon pour écrire cette phrase mystérieuse : « C’est un peu la manière Lacroix, plus intuitive que scientifique » (p. 171).

Laperrière affirme que notre prêtre-historien aurait été « amer » à cause du manque de reconnaissance de ses pairs. Lisons le père Lacroix à ce sujet :

L’intéressant dans cette aventure [ses initiatives sur la religion populaire], comme dans celle des Cahiers d’histoire du Québec au XXe siècle, plus tard, est qu’elle fut généralement boudée pour ne pas dire oubliée par nos « grands et nouveaux » historiens professionnels, qui en même temps rejetaient Groulx et tout ce qui était catholique. Le refus global ! (p. 195).

Encore ici, le biographe a choisi de ne pas creuser ce sujet.

Peut-être ai-je tort, mais j’ai l’impression qu’en voulant protéger son héros, par amitié ou par modestie, Guy Laperrière a abandonné les éléments de base qui font les bonnes biographies : les reliefs, les tensions et les contrastes qui n’ont pourtant pas manqué dans la vie du père Lacroix. Il n’a pas voulu toucher aux sujets controversés, et s’il l’a fait, c’est avec la précaution du dynamiteur.

Il reste que, grâce à cette biographie, on se rappellera que le père Benoît Lacroix a été un homme au destin exceptionnel et fier, à juste titre, « D’avoir été tour à tour paysan, savant à l’université et, finalement, au service de tout le monde » (p. 237). Au sujet de la durée phénoménale de sa vie, Lacroix a dit : « Et là, je suis en train de m’apercevoir que Dieu a voulu, a permis que je vive si longtemps pour me permettre de le connaître davantage. Peut-être aussi pour le faire connaître. Je ne veux pas apprendre pour apprendre. Je veux apprendre pour donner » (p. 257-258). Voilà, en quelques phrases, résumée la vie exaltante du père Benoît Lacroix.

Martin Lemay
Essayiste