Hommage au Père Claude Roberge (1928-2019), missionnaire et professeur au Japon

Ph.D, Chercheur indépendant en études québécoises

Pendant plus de soixante ans, le père Claude Roberge a consacré sa vie professionnelle à l’enseignement du français au Japon et à la recherche pour améliorer son apprentissage. Le 9 août 2019, le dernier missionnaire jésuite québécois au Japon est décédé à Tokyo.

Né le 10 septembre 1928 dans la municipalité de Saint-Ferdinand au Centre-du-Québec, il devient membre de la Compagnie de Jésus (Jésuites) en 1949, après des études au Séminaire Saint-Charles-Borromée de Sherbrooke. En 1956, il quitte définitivement le Québec pour s’établir au Japon, où le 18 mars 1962 il est ordonné prêtre. Avant d’amorcer sa vocation dans l’archipel nippon, il termine une licence en philosophie au Collège de l’Immaculée Conception à Montréal (1955). En 1962, il obtient un diplôme de maîtrise en théologie de l’université Sophia de Tokyo, une institution fondée en 1913 par les jésuites allemands. Par ailleurs, en 1971, il obtient une maîtrise en linguistique de l’Université de l’État à Mons en Belgique.

Venu dans son pays d’adoption pour convertir les Japonais au catholicisme, il réalise rapidement, comme plusieurs de ses collègues que l’appartenance à une religion étrangère est généralement un acte complexe pour ce peuple. L’après-guerre représente pour le Saint-Siège une période florissante de l’action missionnaire dans l’archipel. L’objectif est d’y établir solidement un culte qui a été jusqu’ici marginalisé (un pour cent des Japonais sont chrétiens). La démocratisation et la reconstruction du pays constituent des facteurs favorables à l’expansion de la religion catholique et de ses œuvres. De plus, l’Église se donne alors comme mission d’être un rempart face à la progression du communisme en Asie, une doctrine qui séduit plusieurs jeunes japonais à une époque difficile où la société nippone se cherche des références idéologiques après de nombreuses années de militarisme.

Afin de rejoindre les Japonais, le père Roberge s’investit dans l’enseignement qui constitue une des voies privilégiées par l’Église catholique pour diffuser le message de l’Évangile dans l’archipel. En parallèle, le missionnaire québécois s’intéresse à l’amélioration des méthodes d’apprentissage des langues destinées aux élèves japonais et aux malentendants.

En 1966, le père Roberge entreprend sa carrière d’enseignement du français, de la phonétique et de la linguistique à la prestigieuse université Sophia. Il prend sa retraite en 1996. Durant cette période, il dirige le département de français entre 1977 et 1981, le Centre de recherche sur les troubles auditifs et de la parole entre 1979 et 1996, la section linguistique du département des études supérieures en langues étrangères de 1989 à 1993, puis le département des études supérieures en langues étrangères de 1991 à 1993.

Le père Roberge ne reste pas inactif longtemps car, de 1998 à 2005, il dirige l’Institut verbotonal de Kanto Gakuen, localisé au nord-ouest de Tokyo à Tatebayashi dans la préfecture de Gunma. Le Québécois continue ses activités de recherche en tant que conseiller à l’Institut jusqu’en 2011. Le 1er avril 1998, il est nommé professeur émérite de l’université Sophia. C’est une reconnaissance de sa participation exceptionnelle au progrès de la recherche et de l’enseignement.

Pendant sa longue carrière, il rédige de nombreux articles scientifiques et des livres portant sur l’amélioration des méthodes d’apprentissage des langues étrangères, notamment du français. Disciple de la méthode d’enseignement verbotonal développé par le professeur croate Petar Guberina, officier de la Légion d’honneur, Claude Roberge a publié dans les dernières années de sa vie en anglais, en croate, en espagnol, en français et en japonais les principaux travaux de son mentor. Bien que la plupart de ses publications soient en langue japonaise, il est déplorable de constater qu’elles ne sont pas disponibles dans les bibliothèques universitaires du Québec et que son apport au développement des connaissances dans son domaine d’expertise n’a pas été reconnu chez nous.

Malgré le fait qu’il ait quitté le Québec en 1956, il garde un profond attachement au pays de ses ancêtres. Par son enseignement et ses recherches, il contribue à faire connaître la langue française et le Québec à des centaines d’étudiants japonais. Il s’est également intéressé aux études canadiennes en siégeant au conseil d’administration de l’Institut des études américaines et canadiennes de l’université Sophia, dont le volet canadien fut fondé par son collègue jésuite Conrad Fortin qui a enseigné plusieurs années à cet établissement d’enseignement supérieur et qui est décédé à Montréal en 2001.

Depuis plus de vingt ans, j’ai eu la chance de le rencontrer à plusieurs reprises au Japon et d’échanger avec lui sur ses recherches et sur l’évolution du Québec, qu’il a quitté sous le règne du premier ministre Maurice Duplessis. Le père Claude Roberge fut un observateur privilégié du Japon, ayant vécu les étapes de sa reconstruction, de son essor tous azimuts, et ce, jusqu’au rôle stratégique que ce pays occupe aujourd’hui au sein du concert des grandes nations industrialisées. Il a contribué à mieux faire connaître le Québec et la culture francophone aux Japonais, ainsi qu’à me faire mieux apprécier ce pays, qui constitue ma seconde patrie.