Jacques Fournier
S’engager : pourquoi, comment ? Matériaux de réflexion pour mes petits-enfants, Saint-Joseph-du-Lac, M éditeur, 2017, 160 pages
Jacques Fournier a été organisateur communautaire dans un CLSC de Longueuil pendant vingt-cinq ans tout en étant animateur de la revue Interaction communautaire. Loin de son bureau d’intervenant, il a aussi été un militant de tous les enjeux sociaux : partisan de la mouvance « Socialisme et indépendance », il s’est tenu loin des mouvements d’extrême gauche de l’époque de sa jeunesse dans les années 1970-1980.
Jacques Fournier a composé S’engager : pourquoi, comment ? pour fournir des matériaux de réflexion à ses cinq petits-enfants, d’où le style de toutes ses chroniques, empreint de simplicité et d’affection. Dans cet essai, il aborde sans trop d’organisation tous les thèmes qui ont nourri sa vie et sa carrière : militantisme et bénévolat, retraite active et citoyenne, simplicité volontaire, question nationale, enjeux sociaux, mais aussi la vie et la mort, la joie de vivre et la beauté. Plus qu’un livre, il s’agit d’un recueil et d’une mémoire.
L’âge aidant, le voici retraité impliqué, responsable bénévole des communications de l’AQDR (Association québécoise des droits des personnes retraitées et préretraitées), militant local pour la défense et la promotion des droits des aînés ; Jacques Fournier a laissé son bureau, non pour s’adonner aux loisirs de la retraite passive et consommatrice, mais pour simplement déplacer son action et ses fidélités. Il souligne :
Je plaide pour que les individus prennent leur retraite pendant qu’ils sont encore en santé et qu’ils s’activent autrement, en faisant du bénévolat, de la militance ou de l’engagement citoyen. C’est ce dont notre société a besoin et c’est moins stressant que de travailler pour un patron toujours désireux d’augmenter la productivité par tous les moyens. L’engagement social permet aux aînés de combler leur besoin de se sentir utiles et de redonner un peu de ce qu’ils ou elles ont reçu.
Et Jacques Fournier paie de sa personne, à la fois militant de base au-dehors et spécialiste en communications au-dedans. Il traverse avec la sérénité d’un marin expérimenté les tempêtes subies par l’organisme de défense des droits des aînés, j’en fus le témoin admiratif. Au dehors, il accompagne les premiers soubresauts du « pouvoir gris » québécois, pressentant avec d’autres la reconnaissance à venir d’un nouvel acteur et « travailleur » social inévitable et progressivement organisé, soit le « troisième âge » inclusif et porteur à venir d’un projet de société renouvelé. La plupart des textes ont déjà paru dans La Force de l’âge, le mensuel de l’AQDR, et ce choix n’est pas un hasard, dans la mesure où il nous révèle les priorités et les valeurs promues pas Jacques Fournier.
Mais il devient aussi philosophe, au sens technique du mot. Ayant suivi les cours de Michel Sénécal au Collège de Maisonneuve, dont il nous livre quelques notes de cours judicieusement choisies, il découvre Spinoza et se découvre panthéiste, adepte d’un « Dieu-force, pas très causant », loin du Dieu-être à l’image des hommes. Reprenant la citation de Paul Eluard, « Il y a un autre monde, mais il est dans celui-ci », Jacques Fournier témoigne de son « souci » du monde et de ses injustices. Héritier du christianisme et de son histoire, Fournier est un incroyant sans être un athée anticlérical agressif. L’abord de la culture philosophique en a fait plutôt un stoïcien sans aigreur ni raideur, qui découvre dans le dictionnaire Larousse cette phrase, comme un rai de lumière :
Entre liberté et fatalité, il n’y a aucune opposition. Toute action est fatale, qu’elle soit libre ou serve ; l’action libre n’est pas celle qui échappe au destin (c’est évidemment impossible), mais celle qui s’y soumet en connaissance de cause et qui y participe activement.
Obnubilé par le problème de la création et du mal qui ravage le corps et le cœur de ses habitants, il ne voit d’issue positive que dans l’action pour la justice et l’égalité des conditions. Notre apprenti-philosophe sort de la salle de cours régénéré et prêt à militer et à agir collectivement. Il se souvient qu’il a porté le beau nom d’organisateur communautaire. En bon disciple de Saul Alinsky, auquel il consacre un de ses textes, il porte peu d’intérêt à l’action individuelle et solitaire ; il y préfère la mobilisation et l’animation de petits collectifs artisans de projets communs et de changement plus globaux. Dans un monde géré et dominé par les néolibéraux, Jacques Fournier pourfend l’individualisme et défend activement l’engagement collectif.
C’est sans doute ici qu’il faut parler du souverainisme de Jacques Fournier : les textes qu’il nous livre nous démontrent à quel point il convenait pour lui d’en faire une exigence globale, autant au niveau du développement de la personne qu’à celui de l’indépendance du Québec :
Le concept de nation ne doit pas être vu comme un repli frileux sur soi, mais comme une volonté riche de diversité, de particularisme et d’altérité. La nation, il faut en prendre conscience, y réfléchir, en raffiner le concept pour en enlever les scories et en tirer tout le suc.
Le livre de Jacques Fournier est un modèle de transmission d’une génération à l’autre. Alors que nous subissons une rude crise dans ce domaine, Jacques Fournier, sautant une génération intercalée, correspond trait pour trait aux meilleures transmissions, celles qui choisissent les relais au lieu de les subir. À ce titre, il s’agit d’un testament, au sens latin de testimonium, témoignage et déposition qui défient la mort et le temps.
Les circonstances de la mort de Jacques Fournier sont parmi les plus pénibles et les plus déroutantes. Après un accident qui l’a longtemps laissé invalide et souffrant, sans doute au-delà du supportable, il a résolu de se donner la mort et de « quitter son monde ». La plupart de ses amis ne l’ont pas su immédiatement et en ont été d’autant plus troublés. Je recommande à nos lecteurs de lire, d’une part, les deux magnifiques textes de réflexion que notre ami Dominique Boisvert1 a rédigés à la suite du décès de Jacques Fournier, et, d’autre part l’article-hommage que lui a consacré Louis Cornellier dans Le Devoir (10 juin 2017) :
L’engagement, pour Jacques Fournier, n’était pas une corvée qu’on se tape à contrecœur ; c’était le devoir vivifiant d’un homme de bonne volonté, qui trouve sa liberté dans l’effort. C’est beau.
Chacun y recueillera matières à réflexion et à méditation, en particulier, au-delà de la vie de Jacques Fournier, sur la mort transmuée en liberté de désir et sur l’espérance qu’il a portée et qu’il nous lègue pour notre avenir en commun.
Jean Carette