Jean-Yves Duthel. Bernard Landry, l’héritage d’un patriote

Jean-Yves Duthel (Préface de Lucien Bouchard)
Bernard Landry, l’héritage d’un patriote
Montréal, Libre Expression, 2019, 383 pages

On ne peut demander à un ami intime d’écrire une biographie devant être marquée au coin d’un recul certain lui assurant une objectivité certaine.

Compagnon de route de Bernard Landry durant quarante ans, Jean-Yves Duthel, auteur d’un récent récit qui raconte la vie tellement remplie de l’ex-premier ministre du Québec, Bernard Landry, n’avait certainement pas cette prétention. Le produit final, qui porte en sous-titre L’héritage d’un patriote, est le témoignage affectueux et chaleureux d’un homme qui a voué une admiration sans bornes à un ami dont il décrit le long parcours politique.

Dès 1979, Duthel, arrivé au Québec en 1975, faisait son entrée au cabinet du ministre Landry, l’une des vedettes du premier gouvernement Lévesque. Il en fera plus tard le secrétaire général adjoint au Conseil exécutif du gouvernement québécois. On n’exagère pas en soulignant que l’auteur a une connaissance intime de son sujet.

De ce long récit de près de 400 pages se dégage le portrait d’un homme animé par une passion dévorante : la passion du Québec.

Dans une préface qu’il signe, Lucien Bouchard, dont la carte de membre remontait à 1985, conscient de sa faible connaissance du Parti québécois, eut l’intelligence politique de confier un grand rôle dans le cabinet qu’il forma après avoir été désigné sans opposition premier ministre. « Il ne m’échappait pas non plus, écrit-il, que l’ancienneté et l’autorité de ses lettres de créance me seraient d’un soutien considérable. […] Je n’hésitai donc pas à faire de Bernard Landry un ministre d’État à la française, lui attribuant les lourdes responsabilités de l’Économie et des Finances. »

Être président

Il est clair que l’intention de Duthel n’était pas de se livrer à une analyse psychologique en profondeur de son sujet. D’autres, qualifiés pour ce faire, s’en chargeront peut-être un jour.

Mais à travers les anecdotes dont ce livre est parsemé, se dessine le portrait d’un homme qui, très tôt, sait où il veut aller. Les années d’étude à Paris, où il côtoie entre autres Pierre Marois et Yves Duhaime, sont des plus révélatrices à cet égard. Ses collègues étudiants rappellent que partout où passait Landry, il voulait fonder une association dont il serait le président, se souvient Duhaime, qui occupera plusieurs ministères sous le gouvernement Lévesque. À l’occasion d’une soirée, il annonce comment serait bâti son conseil des ministres. L’épouse de Duhaime lui demande alors où il serait, lui. « Je serai premier ministre », avait répliqué Landry.

Une autre anecdote tirée de ce besoin de créer des associations est venue donner une leçon dont Marois et Landry se souviendront. Duthel raconte que Landry, voulant créer une Association des étudiants québécois en France (AEQEF), avait dû constater que la chose n’était pas des plus faciles. Il fallait pour cela passer à la préfecture et se présenter au chef de police. Interdiction de se présenter ensemble ! Ils comprirent pourquoi rapidement. Chacun leur tour, ils ont vu d’épais dossiers avec leur nom. Marois se rendit compte qu’il s’agissait là d’une invitation à la lecture. « Tout y était sur nous, dit Marois., de nos origines, aux rapports de la GRC, de la police de Montréal, de nos participations à des manifestations ou des discours, jusqu’à l’opinion de nos profs ! » Landry a confessé à l’auteur que depuis ce jour-là, il avait su qu’il aurait toujours un dossier qui irait en grossissant auprès de la GRC. Il ajoute : « Personne ne me fera croire que si Marois et moi étions fichés, les felquistes ne l’étaient pas ! »

L’arrivée de Lucien Bouchard

Le livre de Jean-Yves Duthel raconte par ailleurs dans le détail comment se prennent des décisions qui pèsent lourdement sur l’avenir d’un peuple.

Au lendemain du discours de Jacques Parizeau le soir du référendum et de sa démission du poste de premier ministre, Duthel et plusieurs des proches envisagent immédiatement sa candidature à la succession. Réunis chez Landry, ils constatent que ce dernier ne partage pas leur avis. « C’est Lucien que nous devons convaincre. Je l’ai déjà appelé. Il est hésitant. Nous devons le persuader. Avec lui, nous aurons une chance de reprendre la bataille et de la gagner », dit-il à ses amis.

Comme on le sait, Lucien Bouchard connut un couronnement. Cette décision de Landry devait lui rapporter une place prépondérante dans le nouveau gouvernement formé par Lucien Bouchard. Il se voit en effet confier les postes de vice-premier ministre, ministre d’État à l’Économie et aux Finances, ministre de l’Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie et ministre du Revenu.

Il avait cette fois entre ses mains tous les outils dont il avait depuis longtemps rêvé, écrit son biographe. Il a alors la main heureuse dans le choix de ses proches collaborateurs, mais Duthel rappelle que Maxime Bernier se révéla rapidement « une nuisance ». Durant cette période, Landry s’illustre dans une quinzaine de missions économiques, y compris des présences marquées à Davos. Il réorganise la Société générale de financement après avoir convaincu Claude Blanchet de quitter la présidence du Fonds de solidarité de la FTQ pour prendre la direction de cette nouvelle SGF. « Cette SGF, dont le rendement annuel moyen sur ses investissements s’est établi autour de 5,4 %, avait, avec ses partenaires du privé, investi plus de dix milliards de dollars entre 1998 et 2002, créé au-delà de cinq mille emplois et son actif se situait à près de trois milliards de dollars », précise Duthel. On sait que peu de temps après avoir pris le pouvoir, Jean Charest s’est empressé de supprimer la SGF, « comme s’il fallait effacer toute trace des succès enregistrés sous le PQ ».

Fort du travail effectué dans tous les ministères qui lui avaient été confiés, Landry se retrouve soudain dans une situation inattendue : Lucien Bouchard annonce sa démission… Lui qui avait mis de côté son ambition de devenir premier ministre se sent appelé. C’est un blitz qui réussit, François Legault se ralliant à lui, ce qui forçait Pauline Marois à ne pas présenter sa candidature. Mais les péripéties menant à cette nouvelle situation méritent d’être lues, le destin d’un homme politique tenant finalement à peu de choses.

Premier ministre

Bernard Landry devait occuper la fonction de premier ministre durant 23 mois. L’auteur, alors à la SGF où il avait suivi Claude Blanchet, obtient un congé sans solde pour joindre le secrétariat général du comité exécutif où il sera en charge des communications, désormais centralisées.

L’un des hauts faits d’armes de cette période est certainement la Paix des Braves signée par Landry et le grand chef de la nation crie, Ted Moses. Le nouveau premier ministre dira, à la fin de sa vie, qu’elle « est une réalisation peut-être la plus significative dont je reste extrêmement fier ». On apprend même que le grand chef s’était offert « pour aller convaincre les autres nations autochtones du Québec de les imiter. Québec était prêt, » se souvient Bernard Landry. Mais les libéraux ne donneront pas suite à cette offre après l’élection de 2003.

Une élection perdue. Qui a oublié le fameux débat télévisé Charest-Landry ? À son meilleur quand il parle sans notes, son équipe l’avait mal conseillé en lui suggérant fortement de lire un texte d’ouverture. « Lorsque nous avons vu un Bernard Landry engoncé commencer à ânonner péniblement ses notes d’introduction, c’était comme une hallucination », se remémore l’ami de toujours. Sans compter cet audi alteram partem servi à Charest après que ce dernier ait sorti une déclaration faite par Jacques Parizeau.

La démission

Il est encore une fois mal conseillé par son entourage, en particulier Sylvain Simard et Line-Sylvie Perron qui lui confirment qu’il peut compter sur un appui de 80 % lors du vote de confiance qui se tient lors du congrès de 2004. Il obtient 76,2 % des suffrages. Son entourage immédiat lui dit qu’il doit quitter son poste de chef du PQ, ce qu’il annonce immédiatement. L’auteur s’interroge. « Alors que tous les observateurs et tellement de péquistes sont d’accord pour dire, dans les semaines qui suivent, que la démission de Landry fut une grave erreur, pourquoi les plus proches acteurs du drame prétendent-ils encore aujourd’hui qu’il devait s’en aller ? »

Des années plus tard, Landry y voit un complot pour mousser la candidature d’André Boisclair, qui lui avait chaudement recommandé Line-Sylvie Perron comme chef de cabinet. Lors de la course à la chefferie qui suivit, plusieurs proches de Landry firent partie de l’équipe de Boisclair, dont Sylvain Simard et Jean Bissonnette, son secrétaire de comté.

Bernard Landry admet qu’il a été « bullshité ». Pour Duthel, qu’il a vu affronter bien des épreuves dans le passé « il n’est pas logique que celle-ci ait occulté son jugement. Peut-être son plus grand défaut aura-t-il été d’avoir mis toute sa confiance dans des personnes qui ne la méritaient tout simplement pas ».

Le Parti québécois entrait alors dans un long purgatoire. Mais les étudiants de l’UQAM gagnaient un fameux professeur.

Michel Rioux