John Parisella
La politique dans la peau, Les éditions La Presse, 2015, 389 pages
L’avant-propos de la biographie de John Parisella, l’homme qui ailleurs se fait passer pour un fédéraliste modéré ami des souverainistes, en donne le ton. En moins de cinq pages, l’auteur y mentionne à six reprises ses origines immigrantes. Il y confie même qu’au départ l’idée du livre était de raconter son histoire en tant que fils d’immigrant. Mais il a dû constater qu’il y avait d’autres caractéristiques à son parcours, comme, accessoirement, d’avoir travaillé de près avec trois premiers ministres et un chef de l’opposition.
Le chapitre 1, intitulé « Mes racines », aborde longuement cette histoire de fils d’immigrant et nous en dit beaucoup sur le regard que porte John Parisella sur le Québec français. On peut y lire : « Nos habitudes et nos discussions familiales avaient un aspect beaucoup plus multiculturel. Cette diversité me distinguait de la plupart de mes amis, des francophones de souche qui parlaient une seule langue à la maison. Nous, nous parlions minimalement deux langues ». Plus loin, l’auteur ajoute même « je suis allé à l’école anglaise […] cette décision a été déterminante dans ma jeunesse : elle m’a ouvert aux autres langues et cultures ».
Logiquement, Parisella s’intéresse d’abord à la politique américaine avant de s’intéresser à la politique québécoise et avoue « J’aurais tellement aimé être américain et participer à la croisade de Martin Luther King ! » Pour autant, il ne se pressera pas pour participer à la croisade du Martin Luther King québécois, René Lévesque, puisque « le nationalisme autour de la langue et de la culture me rendait mal à l’aise […] je ne me sentais pas inclus ». Le fait que le mouvement des droits civiques américain tournait autour d’une communauté caractérisée par une couleur de peau, un facteur autrement moins inclusif que la langue ou la culture, ne semble pourtant pas le déranger… Néanmoins, il est touché par la question linguistique au Québec, au point de faire de la crise de Saint-Léonard son sujet de mémoire de maîtrise.
Par la suite, il devient enseignant et vit de près ou de loin les événements politiques de son époque : crise d’octobre, conflit de travail et montée de René Lévesque, qu’il invite dans un de ses cours (et qui s’y fait traiter de nazi). Parisella avoue tout de même avoir voté PQ en 1976, malgré son nationalisme qu’il qualifie d’« ethnique », sans qu’on sache trop pourquoi. Il regrettera ce vote et suivra alors un homme qui sur ces enjeux a connu un parcours semblable : Claude Ryan.
Parisella décide alors de militer du PLQ. Il raconte :
Compte tenu de mes racines, j’aurais pu choisir de le faire auprès de la Commission des groupes ethniques, mais j’ai toutefois choisi une autre voie, plus conforme à mes valeurs et mes racines : je préférais travailler dans les circonscriptions […] En décembre 1979, Pierre Bibeau me demandait de devenir le permanent responsable de l’ouest de Montréal […] Mes racines et mon bilinguisme cadraient bien avec la clientèle de ces quartiers.
Armé de ses racines, Parisella part ensuite en campagne référendaire. Une campagne qu’il présente comme n’étant pas gagnée d’avance en raison du haut taux de satisfaction à l’égard du gouvernement et de ses talentueux communicateurs. Mais elle sera bel et bien gagnée par le camp du NON, entre autres grâce à l’épisode des Yvette qui pour l’auteur constitue un « véritable tournant ».
Ensuite, tous ses efforts sont consacrés à l’élection de 1981 et d’abord au recrutement de candidats… ou plutôt de représentants de communautés. En effet, il écrit :
Claude Ryan […] a ainsi réservé au moins trois circonscriptions de l’ouest de l’île de Montréal (Jacques-Cartier, Nelligan et Westmount) pour une représentation renouvelée de la communauté anglophone. Pour la communauté italienne, il a désigné celle de Viger (dans l’est de la municipalité de Saint-Léonard). Pour la communauté grecque, il a choisi la circonscription de Laurier-Dorion.
Comme cette règle de la répartition des comtés en fonction de critères ethniques s’ajoutait à une autre datant d’une autre époque, celle d’un choix libre des candidats par un vote des membres, cela ne se fit pas sans heurts.
Dans Laurier, le président de l’association libérale, Louis Marandola, d’origine italienne, s’est opposé à la désignation d’une circonscription réservée à une candidature d’origine grecque […] La tension était à ce point vive [lors de l’investiture] que les forces policières avaient été dépêchées sur place en cas d’émeute […] J’avoue que la présence de l’escouade anti-émeute m’a bouleversé.
On l’aurait été à moins… Et il y eut d’autres cas semblables, dont celui d’un francophone (bilingue, précise Parisella) refusé dans Nelligan. Toutes ces tensions, avec une absence de fil conducteur pendant la campagne et la clause Canada comme position linguistique, contribuent à faire perdre le PLQ.
Parisella quitte alors le parti pour fonder Alliance-Québec, dans le but de rapprocher les communautés anglophone, y compris juive, et francophone, et ce, à coup de contestations judiciaires de la loi 101 !?!?
Rapidement, cela lui vaut un emploi au commissariat aux langues officielles ; ce qui ne l’empêche pas de participer à la course à la chefferie du PLQ en appuyant Daniel Johnson. Ce dernier arrive troisième, mais comme Robert Bourassa a besoin d’appuis chez les anglophones, Parisella redevient un apparatchik du PLQ et même un candidat en 1985. Il veut alors se présenter alors dans un comté francophone, car, dit-il, « je rejetais l’idée de jouer sur mes racines anglo-italiennes pour remporter une circonscription dite “à clientèle” ».
Se pose alors la question de son changement de nom de John à Jean. Mais il refuse d’effectuer ce changement. Il pense ensuite se présenter dans Anjou, mais ne pourra, notamment en raison de son nom de famille, car le quota d’élus italiens avait été atteint dans ce coin de Montréal. Ce qui lui fait dire « Jamais, durant toutes ces années dans le quartier francophone de Rosemont, je n’avais ressenti que mon nom de famille puisse être un obstacle ». Comme quoi le Montréal francophone peut être plus ouvert que le Montréal multilingue… Finalement, il se présente dans Mercier, comté gagnable, car il y a 15 % de communautés culturelles, et perd aux mains de Gérald Godin, qui avait gagné des appuis dans ces communautés… notamment en payant de sa poche des amendes de l’Office de la langue française !
Comme le PLQ est tout de même élu, Parisella se fait offrir plusieurs postes, dont un de haut-fonctionnaire au ministère de l’Immigration. Il préfère toutefois la direction générale du PLQ et ensuite le cabinet du premier ministre, où il apprend à rédiger des notes de cinq lignes. Il y apprend aussi comment Bourassa compose un conseil des ministres libéral : « il choisissait des ministres souples et habiles pour les ministères “à clientèle” – culture, communautés culturelles, affaires municipales, environnement, agriculture et développement régional ». Tous les ministres n’étaient pas souples pour autant, puisque trois démissionnent lorsque Bourassa invoque la clause dérogatoire pour sauvegarder, en partie seulement, la règle de l’affichage commercial exclusif en français. Malgré les pressions d’Alliance-Québec, Parisella, lui, ne démissionne pas, il reste, mais pour mieux combattre la clause dérogatoire.
Après l’élection de 1989, Parisella se retrouve chef de cabinet. Cela lui permet de décrire les crises et tragédies de l’époque : Polytechnique, St-Basile, Oka et Meech (qui échoue en dépit du PM de l’Île-du-Prince-Édouard qui avait appuyé l’accord en invoquant ses « racines libanaises »). Les suites de cet échec sont racontées sans qu’on y apprenne beaucoup ; sauf peut-être au sujet d’une première version du rapport Allaire plus radicale que la version finale (elle proposait un référendum sur la souveraineté plutôt que sur cette option ou sur le fédéralisme renouvelé). Mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel c’est la clause dérogatoire que Parisella contribue à ne pas faire reconduire, en disant à Bourassa, alors cancéreux, que le père de la Charte québécoise ne peut reconduire cette clause (ce qui est un non-sens considérant que cette charte inclut une telle clause). Ce qui fera dire à Parisella : « Depuis le soir du référendum […] je n’avais jamais ressenti autant d’émotion et de fierté ». Selon lui, cela facilitera la victoire du PLQ dans les comtés anglophones de 1994… dans le cadre d’une élection globalement perdante pour lui cependant. La description du référendum de 1995 qui suit est peu originale, sauf quand l’auteur dit que le OUI l’aurait emporté si le vote avait eu lieu une semaine plus tôt.
Les années qui suivent sont l’occasion pour Parisella de militer au sein du parti démocrate américain… et de commenter la politique américaine au Québec ! Puis, il sera nommé délégué général du Québec à New York, après avoir été conseiller de Jean Charest, et il n’est pas clair qu’il ait cessé de militer chez les démocrates… alors qu’il était diplomate en pays étranger !
Les deux derniers chapitres échappent à la chronologie et portent, d’une part, sur le tandem Bourassa-Ryan et, d’autre part, sur l’avenir. C’est l’occasion pour l’auteur de revenir, encore et à plusieurs reprises, sur ses origines.
Au final, ce livre vaut la peine pour deux raisons. Il nous en apprend sur cette bête de pouvoir qu’est le PLQ. Surtout, il fait ressortir son obsession ethnique. Ce dernier point permet d’ailleurs de comprendre pourquoi les libéraux voient souvent de l’ethnique dans le nationalisme québécois : pour eux, tout, de la répartition des comtés à la composition du conseil des ministres, est soumis à une logique ethnique. Dès lors, ils ne peuvent s’imaginer un nationalisme indifférent aux origines ethniques. Autrement dit, l’ethnicisme n’est pas dans le nationalisme québécois, il est dans l’œil de ses adversaires.
Guillaume Rousseau
Professeur de droit, Université de Sherbrooke