Josée Boileau
Lettres à une jeune journaliste, Montréal, VLB éditeur, 2016, 142 pages
Depuis un an qu’elle a quitté Le Devoir, la plume alerte de Josée Boileau, son jugement sûr, ses engagements du côté de la justice, sa sensibilité généreuse, sa langue superbe nous manquent. Nous étions nombreux à avoir pris goût à la fréquenter. Depuis, on se plaît à espérer la lire encore pour avoir à nouveau l’occasion de se réjouir.
À défaut de la lire au quotidien, elle nous est revenue avec un essai dans lequel on la retrouve tout entière. Dans ces huit Lettres à une jeune journaliste, Josée Boileau fait étalage de toutes ces qualités qui en ont fait une étoile unique du journalisme québécois. Et face à toutes les difficultés auxquelles est confrontée la presse, la lucidité dont elle fait preuve n’altère aucunement son enthousiasme.
Chacune de ces courtes lettres porte un nom éloquent qui caractérise parfaitement son contenu. « L’élan » ; « L’entrée » ; « L’ici et l’ailleurs » ; « De faits ou d’opinions » ; « La rédac » ; « La morosité » ; « La disponibilité » ; « Le plaisir ».
C’est ainsi que dès sa première lettre, admettant que le métier est de plus en plus difficile, que les citoyens ressentent moins qu’auparavant le besoin d’être informés par des médias de qualité, elle avoue « qu’il y a amplement de quoi être découragée ». Or ce qui suit révèle la battante qu’elle est : « Mais si tu es là à me lire, journaliste débutante, ou pas encore installée dans la profession à ton goût, c’est que toutes ces réalités n’ont pas éteint ton enthousiasme » (p. 8). Elle ne cache pas que le parcours peut être celui d’un combattant. Et elle ne nie pas que la chance demeure l’un des ingrédients les plus importants dans la réussite. Rencontrer la bonne personne au bon moment ; poser sa candidature quand les circonstances sont favorables alors qu’elles ne l’étaient pas quelques semaines auparavant ; oser prendre des risques ; persévérer. Elle tire de sa propre expérience des exemples de ces occasions parfois provoquées, souvent fortuites, qui ont jalonné son parcours à La Presse, à la Presse canadienne, à l’Actualité, à Télé-Québec, au Trente, au Journal du Barreau et au Devoir, où elle fit valoir ses nombreux talents durant vingt ans. Son premier conseil consiste à ne pas se laisser rebuter par les refus et les difficultés traversées par la presse, écrite surtout. Et à rappeler que « le journalisme est d’abord un service public, ce qui ne garantit ni le confort, ni la richesse, ni une carrière bien linéaire » (p. 21).
Dans sa deuxième lettre, elle raconte comment, à 18 ans, une collaboration à l’hebdomadaire Le Lundi eut le don de lui « donner confiance ». Quatre ans plus tard, en dépit d’une ouverture qui s’offrait à La Presse après un stage d’été, elle décida néanmoins de poursuivre ses études à Paris, « tenaillée par la conviction que je venais de saborder ma carrière » (p. 29). Mais à la fin du stage, deux propositions lui tombaient dessus : à La Presse et à Télé-Québec, dans l’émission de Marc Laurendeau. « Cette fois, j’avais vraiment mis le pied à l’étrier. Les emplois dans la presse se succéderaient pendant trente ans, au fil de rencontres marquantes et de formidables hasards » (p. 31). Mais Josée Boileau tient à rappeler à son interlocutrice « la nécessité de saisir les occasions dès qu’elles se présentent » (p. 33). Et de ne reculer devant aucune proposition, même s’il s’agit de traduction de dépêches, de mise en ligne ou autre activité secondaire. « Quand on voit s’entrouvrir la porte d’une entreprise de presse, on y met le pied sans hésiter, même si c’est pour une tâche a priori éloignée de nos ambitions personnelles » (p. 38).
Dans la lettre « L’ici et l’ailleurs », l’ex-rédactrice-en-chef du Devoir déplore la piètre performance de l’information internationale, due, mais en partie seulement, aux contraintes budgétaires. Josée Boileau avance l’argument que le Québec n’étant pas un pays, « l’envergure de son rôle sur la scène internationale est dès lors très dépendante de l’intérêt et du sens de l’histoire de ses gouvernements » (p. 43). Elle ajoute que « la presbytie de nos politiques internationales nourrit la désaffection du public, donc de l’intérêt des médias pour le sujet » (p. 43).
La journaliste la met par la suite en garde contre l’idée qu’on peut, dès le départ, devenir chroniqueur, analyste ou blogueur. C’est un métier qui s’apprend, rappelle Josée Boileau. Un métier où il faut faire ses classes durant de longues années. La lettre « De faits et d’opinions » est d’ailleurs la plus longue. Elle y décrit divers évènements qui ont contribué à transformer radicalement la mouture d’un journal. Par exemple la place toujours plus grande occupée par la chronique et les blogues. Elle met par ailleurs le doigt sur une nouvelle menace à l’indépendance des médias : le marketing de contenu, procédé par lequel les annonceurs font des pressions pour que leurs messages se retrouvent à l’intérieur même des articles signés par des journalistes. L’auteur la prévient : « Chaque génération de journalistes a son monstre à combattre, voilà le tien » (p. 78).
De plus en plus se pose une question existentielle : les journalistes doivent-ils travailler dans la salle de rédaction ou encore se contenter de faire parvenir leurs textes par internet, une révolution qui a transformé plusieurs milieux de travail ? Dans la lettre « La rédac », Josée Boileau lance un cri du cœur : « Une salle de rédaction, c’est formidable. Le bruit, l’émulation, les blagues, les ronchonnements, les discussions, les soupirs, les commentaires… » (p. 81). Elle en profite pour faire l’éloge de journalistes qui travaillent dans l’ombre, mais qui n’en sont pas moins essentiels dans la livraison du résultat. Par exemple, les pupitreurs dans les quotidiens, ou encore les recherchistes à la radio et à la télévision, un métier où se retrouve une forte majorité de femmes.
Mais tout n’est pas qu’enthousiasmant dans ce merveilleux métier. Et « La morosité », titre de la sixième lettre, a tendance à s’imposer. C’est que le milieu broie du noir, se préoccupe de ce qui attend la profession et s’inquiète de la dégradation de l’information. « J’ai beau avoir un tempérament qui me porte naturellement à l’enthousiasme, je ne peux faire abstraction de ce marasme » (p. 91), avoue-t-elle. En revanche, s’il est vrai que la chute dramatique des revenus publicitaires provoque son lot de problèmes – fermetures de journaux, réduction des effectifs – l’auteur rappelle que la situation de la presse n’a jamais été aussi idyllique que certains peuvent le penser. Citant une publication de 1980, elle souligne que « neuf quotidiens québécois avaient disparu au cours des vingt années qui venaient de s’écouler » (p. 95). Il y a donc encore de l’espoir !
À sa jeune lectrice, Josée Boileau rappelle que le journalisme est un job à plein temps. « On est journaliste 24 heures sur 24 » (p. 109), clame-t-elle. Cette mère de quatre enfants se livre à un vibrant plaidoyer sur l’impérieuse disponibilité qui doit être celle du journaliste, faisant aussi la démonstration que cette disponibilité est doublement exigeante pour une mère de famille. Mais il y a le plaisir, qu’elle aborde dans sa dernière lettre, à écrire un texte. Comment s’y prendre ? Comment entamer le récit ? Quels mots choisir ? Et la conviction de pratiquer un métier « au cœur de la vitalité d’une société, une condition de la démocratie » (p. 137).
Pendant combien de temps encore serons-nous privés de lire cette journaliste d’exception ? Le Québec qui pense, le Québec qui avance, le Québec qui veut continuer sur le chemin du progrès et de la justice n’a pas les moyens de s’en passer.
Michel Rioux
Journaliste