Joseph Facal. Si tu vois mon pays

Joseph Facal
Si tu vois mon pays. Tome 1 : La tempête
Montréal, Éditions Hurtubise, 2023, 600 pages

Si tu vois mon pays, tome 1 La tempête, publié 1er novembre 2023 aux éditions Hurtubise, est le premier roman du politologue, chroniqueur et professeur Joseph Facal. Ce roman historique se rajoute aux nombreux ouvrages explorant une des périodes les plus tumultueuses de notre histoire, la rébellion des Patriotes. L’ouvrage sera apprécié par un public général, de l’élève du secondaire à l’adulte curieux du Québec d’antan. Y trouveront également leur comble les lecteurs avides de détails, qui tout au long de la lecture, côtoieront 58 personnages, sans compter les figures qui ne sont que mentionnées le temps d’une phrase. Le lecteur voyagera de Montréal à St-Eustache, à Paris et à New York et découvrira, en 32 chapitres et 600 pages, les mœurs et valeurs d’une époque pas si lointaine.

L’histoire se déroule à Montréal et commence avec l’arrivée de Baptiste Lefrançois qui rentre de France après des études en médecine. Il ouvre sa pratique privée au moment où les tensions sont vives entre les Canadiens français et les conquérants britanniques. Il rejoint son frère Alexis, un passionné aux aspirations littéraires, Antoine, son meilleur ami devenu avocat roublard et politiquement ambitieux, Jeanne, une femme d’affaires avant-gardiste et indépendante et le malin Thomas. À travers l’évolution de ces quatre personnages, l’auteur nous fait découvrir les conséquences des tensions politiques sur la vie des gens ordinaires. L’histoire explore de manière proportionnée plusieurs thèmes comme les amis et la famille, la politique, la justice et l’injustice, les affaires et l’opportunisme, la condition des femmes et le mariage, le crime organisé et le conflit armé, la vie dure et l’hiver, le voyage et le risque, la vie d’artiste et de fuyard, la maladie et la mortalité, et bien sûr le courage, l’espoir et l’amour.

Dans un langage simple et précis, Joseph Facal fait le choix de faire parler les gens ordinaires au lieu de donner une voix aux principaux acteurs de la rébellion. Comme il explique lors de son lancement : « naturellement, les principaux acteurs ont déjà eu leur mot à dire, je voulais donner la parole à des gens comme vous et moi ». Ainsi, il donne la voix à des personnages forts aux archétypes reconnaissables, ayant une parlure ressemblant davantage à la nôtre que celle du XVIIIe siècle. S’il donne la voix à des immigrants européens et quelques anglophones, leur rôle se limite au commentariat des petites affaires ou des anecdotes personnelles. L’histoire aurait peut-être gagné à impliquer un ou deux personnages du camp des Anglais. Ou non, puisqu’à l’époque, les Canadiens français étaient majoritaires. L’auteur se limite donc à les mentionner par le biais d’Antoine lorsque ce dernier décrit à Baptiste l’évolution des tensions.

La force de cet ouvrage se trouve dans ses personnages et leurs aventures. Grâce à Baptiste, le plus innocent des personnages, l’auteur nous fait découvrir la dureté des conditions de l’époque, les limites de la médecine, les conséquences de la naïveté et pire, celle de la tentation d’un amour interdit. Grâce à Alexis, le lecteur développe une passion pour la cause, mais plongera tout aussi rapidement dans la lâcheté et l’égoïsme. Grâce à Antoine, l’auteur nous raconte l’évolution politique de la rébellion et nous fait découvrir un personnage futé et bienveillant. C’est surtout grâce à l’ambition de Jeanne que le lecteur voyage et découvre le potentiel du Bas-Canada et les défis d’une jeune femme indépendante. Comment faire sa place en société alors qu’il est difficile d’obtenir un prêt ? Que faire lorsque l’arrivée du bateau à vapeur menace son entreprise de diligence ? Enfin, il y a Thomas, ambitieux et en quête de respect, qui grimpe les échelons du pouvoir grâce à des tactiques pour le moins douteuses.

De plus, les déroulements des péripéties des personnages rappellent rapidement aux lecteurs la lenteur du rythme de vie de l’époque, lenteur bien méritée à l’ère du numérique. En lisant, le lecteur aura l’impression à la fois d’être emporté sur un fleuve tranquille tout en ressentant un sentiment d’urgence engendré par les tournures frustrantes de la situation politique.

Facal offre un équilibre agréable entre l’histoire et la fiction. Ainsi, il fait comprendre la rébellion sans être explicite, et c’est une qualité, car cela évite une lourdeur non pertinente à l’avancement de l’histoire. En effet, le lecteur en apprendra juste assez sur la rébellion et son évolution à travers des dialogues courts et pertinents. Il découvrira également les mœurs de l’époque à travers des anecdotes réalistes et touchantes. Il peut donc savourer l’histoire et le roman, sans s’inonder dans des discours politiques interminables, des faits historiques trop précis ou l’évolution parfois trop cérébrale des personnages. En d’autres mots, si le langage employé est simple et précis, c’est grâce aux choix judicieux de l’auteur de laisser son lecteur baigner dans une histoire fictive, mais à saveur historique.

Ce livre devrait surtout satisfaire les cinéphiles qui pour principe lisent le livre avant de voir son adaptation à l’écran. En effet, les habitués du cinéma apprécieront la richesse des descriptions de ce roman. Le lecteur sentira le froid lors des déplacements en calèche, entendra le silement des balles lors de la bataille de Saint-Eustache, les papillons au ventre de l’amour naissant, la chaleur lors de balade sur le Champ-de-Mars, la douleur des patients, la tension dans la cour de justice, le chagrin envers les personnages mourants, la rage suite à la trahison, le désespoir en prison, le rêve de jours meilleurs, et encore plus.

Joseph Facal, et son livre Si tu vois mon pays, tome 1 La tempête, invitent le lecteur à vivre l’époque de la rébellion tel que la vivaient les gens ordinaires. Le tome 2 Le châtiment paraîtra bientôt et fera vivre au lecteur un autre monde peu exploré en littérature québécois, l’après rébellion.

Jean-Francois Plante-Tan
Fondateur – Pour l’amour du français