L’abbé Lionel Groulx : quel nationalisme, quelle indépendance ?

La vie et la pensée de l’abbé Lionel Groulx (13 janvier 1878-23 mai 1967) traversent la fin du XIXe et la première moitié du XXe siècle ; cet état de fait exige qu’on analyse sa pensée sur la longue durée pour en voir les variables, la persistance, la cohérence, l’évolution1.

Trois constantes de vie : religion, patrie, jeunesse

L’identification de trois convictions de Groulx permet de formuler les prérequis à la compréhension de sa pensée sur quelque sujet que ce soit. La religion d’abord. Il écrit en 1907 que « l’âme de la nationalité canadienne-française est faite avant tout de catholicisme2 ». Sans que l’on parle d’ultramontanisme à un moment où le courant s’est estompé, Groulx adhère à l’idée hiérarchique et structurante du catholique d’abord. Pourquoi ne pas affirmer d’entrée de jeu que pour cette seule raison, il n’allait pas pouvoir adhérer au credo du « Politique d’abord » de L’Action française de Paris ?

La patrie ensuite. Dix ans plutôt, au moment où il s’interroge sur sa vocation, il consigne dans son journal : « La Religion et la Patrie : tels seront les deux amours constants de ma vie. […] Ma vie n’est plus à moi ; elle est à celui qui me l’a donnée ; elle est ensuite à mon pays3 ».

La jeunesse enfin. Le jeune lecteur de Montalembert qui se donne comme ambition de « montalembertiser la jeunesse » sera l’un des plus convaincus animateurs et de l’action catholique et de l’action nationale, conjuguant du coup ses deux convictions fondamentales. C’est à la lumière de ces « constantes de vie » que j’entends répondre ici aux deux questions directrices suivantes : le nationalisme de Groulx s’est-il traduit en option pour le séparatisme, en promotion claire de l’indépendance du Québec, et pourquoi la ligne de sa pensée sur cette question est-elle discontinue, masquée, ambivalente ?

À l’enseigne de Tardivel : un État catholique et français indépendant

Groulx a trois ans lorsque Tardivel lance La Vérité en 1881 ; il en aura 27 à son décès en 1905. Il a 17 ans lorsque le journaliste ultramontain ultramonté publie Pour la patrie en 1895, roman de science-fiction dirait-on, où s’esquisse un Canada français théocratique et indépendant à la manière de l’Équateur de Gabriel Garcia Moreno. Tardivel persiste et signe. Au moment de la renaissance nationaliste du tournant du XXe siècle, il précise à Bourassa son nationalisme providentiel dans La Vérité du premier avril 1904 :

[…] le nationalisme de la Ligue [nationaliste] n’est pas notre nationalisme à nous. Notre nationalisme à nous est le nationalisme canadien-français. Nous travaillons, depuis 23 ans, au développement du sentiment national canadien-français ; ce que nous voulons voir fleurir, c’est le patriotisme canadien-français ; les nôtres, pour nous, sont les Canadiens français ; la Patrie pour nous, nous ne dirons pas que c’est précisément la province de Québec, mais c’est le Canada français ; la nation que nous voulons voir se fonder, à l’heure marquée par la divine Providence, c’est la nation canadienne-française.

Indépendance du Canada français et de minorités francophones hors Québec et marqueur providentialiste.

Deux jours plus tard, Bourassa réplique dans Le Nationaliste :

Notre nationalisme à nous est le nationalisme canadien, fondé sur la dualité des races et sur les traditions particulières que cette dualité comporte. Nous travaillons au développement du patriotisme canadien, qui est à nos yeux la meilleure garantie de l’existence des deux races et du respect mutuel qu’elles se doivent. Les nôtres, pour nous comme pour M. Tardivel, sont les Canadiens français ; mais les Anglo-Canadiens ne sont pas des étrangers, et nous regardons comme des alliés tous ceux d’entre eux qui nous respectent et qui veulent comme nous le maintien intégral de l’autonomie canadienne. La Patrie pour nous, c’est le Canada tout entier, c’est-à-dire une fédération de races distinctes et de provinces autonomes.

Un Canada à la dualité de races ou de nations et de provinces autonomes. Groulx a alors 26 ans.

L’année même de son décès en 1905, Tardivel revient à la charge, cette fois contre Israël Tarte qui avait qualifié de « rêve » l’idée d’un « État français indépendant ». L’irrédentiste journaliste catholique persiste à croire « que l’élément canadien-français a une mission spéciale sur ce continent, et qu’il ne pourra pleinement la réaliser que s’il forme une entité distincte, compacte ». Reprenant un mot de Bourassa selon lequel la Confédération est « une absurdité géographique » et estimant que « la rupture est fatale », Tardivel prédit que « dans cinquante ou soixante ans il y aura, dans le Nord-Est du continent, quelques millions d’hommes de race française4 ». Le lexique s’installe : mission continentale, rupture fatale de la Confédération.

L’année du décès de Tardivel, Groulx, professeur au Séminaire de Valleyfield, a inscrit dans le texte manuscrit de son « Manuel d’histoire » :

Des patriotes clairvoyants ont aussi vu dans cette conservation miraculeuse, le dessein de la Providence de nous faire constituer un jour un État français indépendant sur les bords du Saint-Laurent. Il faut convenir que ce pourrait bien être après tout la seule explication logique de notre histoire5.

Sa vision d’un « État français indépendant sur les bords du Saint-Laurent » a pris forme. Le jeune abbé décrit à Omer Héroux le « Veuillot canadien » comme « un des très rares hommes que l’on pouvait citer, à peu près sans réserve, en exemple à la jeunesse6 ».

On remarque un absent dans la filiation nationaliste de Groulx : Honoré Mercier. Tardivel n’avait pas pu lui transmettre l’héritage « autonomiste » de Mercier, car tout admiratif qu’il fût de l’homme qui avait pensé une politique nationale au moment de l’affaire Riel, Tardivel voyait trop en lui un libéral plus ou moins masqué pour lui faire confiance. Mercier en avait appelé depuis 1884 à une « autonomie des provinces » et avait même convoqué à Québec le 20 octobre 1887 une conférence interprovinciale que son collègue et appui ontarien Mowatt avait présidée. Mais il s’agissait toujours d’autonomie des provinces dans la Confédération et d’indépendance du Canada dans son fameux discours au parc Sohmer le 4 avril 1893. Henri Bourassa prendra le relais de Mercier7. Groulx n’a que six ans lorsque Mercier lance l’idée de l’autonomie des provinces. Ni dans son journal, ni dans sa correspondance, ni dans ses mémoires, Groulx ne parle de façon significative de Mercier.

En 1952, il retiendra comme Tardivel la politique nationale :

Pendant ces cinq années de gouvernement national, l’atmosphère de la province s’était singulièrement haussée. Le pays québécois avait repris confiance en son destin. À la voix de cet homme qui avait les pieds si solidement posés sur le sol et qui savait penser et sentir collectivement, la nation s’était sentie reliée aux meilleures constantes de son histoire, aux plus robustes de ses lignes de force8.

Une conception du fédéralisme canadien

Depuis le début du siècle, Groulx a pu engager ses convictions dans l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française (ACJC). Religion, patrie, jeunesse y sont conjuguées. Faisant en 1912 le bilan de cette action catholique et de cette action nationale dans ce qu’il nommera une « croisade » d’adolescents, il rappelle le projet d’une nation indépendante : « La fin ultime de l’œuvre, disaient les constitutions, c’est : 1° le progrès de la religion catholique ; 2° l’édification d’une nation française distincte et indépendante sur cette terre d’Amérique9 ». L’idée avait essaimé dans la jeunesse. Y avait aussi circulé l’idée de « l’extrême fragilité de l’édifice national saboté par les hommes de 1867 ». On avait « juxtaposé et sans ciment, des pierres de toute nature et de toute forme, et à cette construction bizarre, l’on a osé promettre l’immortalité ». Il profite de ce bilan pour décrire la nationalité et « l’ordre des choses » qui s’en suit :

Et alors, si dans ce vaste chaos de peuples, il se trouve un groupe dont le territoire possède l’unité géographique ; un groupe assez riche d’organes essentiels et de richesses matérielles pour s’organiser une vie propre ; un groupe homogène qui, par le sang, la foi, les mœurs, se trouve en opposition absolue avec les races qui l’entourent ; un groupe qui a pour lui toutes les forces du catholicisme, qui a plus d’attachement au sol et plus de traditions que tous ses rivaux, […] n’est-il pas dans l’ordre des choses nécessaires que ce groupe ethnique surnage à la débâcle générale, intègre, indéfectible, et plus que tous les autres, n’a-t-il pas le droit d’entretenir dans son âme, des rêves de liberté et d’indépendance10 ?

Il s’agissait bien d’action nationale, nationaliste dans la mesure où Groulx prend la peine de préciser ce qu’est un système fédératif pour lui. C’est plus qu’une définition, c’est le moment de nommer les complexités auxquelles Groulx et le Canada français font face :

Système fédératif veut dire status politique organisé par de petits peuples, trop fiers de leur sang pour consentir à la fusion, trop faibles pour courir les risques de l’indépendance et dont l’union artificielle a pour principal lien, leur protection à tous contre l’attaque du dehors, mais, pour première condition, l’autonomie de toutes les nationalités fédérées11.

Il précise deux ans plus tard que ce sont les compétences des provinces qui le convainquent de leur autonomie :

Surtout la nouvelle charte [1867] faisait de la Province de Québec un État pratiquement autonome. Les Canadiens français seraient maîtres chez eux : leur législature aurait la surveillance de tous les intérêts et comportait tous les éléments qui assurent la vie d’une race. En fait, depuis 1867, la lutte est finie pour la conquête de nos droits nationaux ; nous n’avons plus qu’à les défendre12.

Quelques années plus tard, il fera remonter à 1760 la manifestation des signes de cette nationalité, réitérant la primauté de la religion :

Le petit peuple de 1760 possédait tous les éléments d’une nationalité : il avait une patrie à lui, il avait l’unité ethnique, l’unité linguistique, il avait une histoire et des traditions, mais surtout il avait l’unité religieuse, l’unité de la vraie foi, et, avec elle, l’équilibre social et la promesse de l’avenir13.

L’enquête de 1922 : un État indépendant si…

Groulx est de l’aventure de la revue L’Action française de Montréal dès 1917 même s’il n’en prend la direction qu’en 1920. Les périodiques montréalais commencent à pratiquer le genre de l’enquête qui permet de fouiller une question. Lors de l’enquête de L’Action française de 1921 sur l’économie, Groulx trouve à nouveau dans le constitutionnel les garanties de ses positions : pour lui, l’Acte de Québec de 1774 rappelle la réalité d’un « État français qu’il faut reconnaître en théorie comme en fait14 ».

Le moment même du déclenchement de l’enquête de 1922 sur « Notre avenir politique » importe tout autant que son contenu. Un quart de siècle plus tôt, Edmond de Nevers avait publié une réflexion importante sur L’avenir du peuple canadien-français (1896), tout juste avant que s’opère au tournant du siècle la renaissance du nationalisme de Bourassa, d’Asselin, de Fournier avec leurs journaux, Le Nationaliste, L’Action, Le Devoir. Cette renaissance s’était opérée à la suite de crises successives du fédéralisme canadien : affaire Riel en 1885, crises scolaires et linguistiques au Manitoba (1890), en Saskatchewan (1905) et en Alberta (1905), en Ontario (1912), débat sur l’engagement du Canada dans les guerres de l’Empire britannique (1899), cinquantenaire de la Confédération (1917) accompagné d’une crise de conscription lors de la guerre et de la menace de séparation contenue dans la motion Francoeur au Parlement de Québec. Une escalade de rebuffades, de frustrations, de déceptions, de désillusions.

En 1917, au moment du cinquantenaire de la Confédération et au moment où le sénateur Landry, ex-président du Sénat et leader du combat franco-ontarien, se demande si 1867 fut un pacte d’honneur ou une infamie, Groulx affirme « l’avortement de l’œuvre politique de 1867 » : « Moins de cinquante ans ont suffi à miner leur illusion. Nous allons léguer à l’histoire l’exemple de l’une des plus lamentables banqueroutes qui peuvent atteindre les unions fédératives ». Alors que « toutes les minorités françaises au Canada se tiennent sur la défensive », Groulx avoue : « Aujourd’hui le mal est profond, incurable, et la situation nous paraît sans issue15 ».

Chez Groulx, des idées de fond ont fait leur chemin. Tardivel a mis en place le scénario d’une mission spéciale du Canada français, d’une action providentielle, d’un État français indépendant, d’une rupture « fatale » de la Confédération. De l’opposition de Bourassa à Tardivel, Groulx a retenu la notion de deux « races » ou nations au Canada et celle de l’autonomie des provinces. Depuis 1905, il a formulé pour lui-même cette « seule explication logique de notre histoire » : un État indépendant français, mais catholique d’abord, qui est dans le dessein de la Providence et dans une Confédération dont il lit la Constitution d’une certaine façon.

En janvier 1922, Groulx lance l’enquête sur « Notre avenir politique » dont les textes seront repris à la fin de l’année en un volume portant le même titre. Le directeur de la revue analyse la situation internationale, soulignant la fracture de l’Empire britannique en Irlande, aux Indes et en Égypte et la fin de la « vieille suprématie des îles britanniques » au profit d’une évolution « vers une sorte de consortium économique et moral et vers une solidarité continentale qui se dessine, qui demain peut opérer contre nous ». Groulx estime qu’il faut « indiquer ce qu’il importe de mettre à la place de ce qui va crouler », car il lui apparaît risqué de « continuer d’organiser notre avenir dans un cadre périmé ». Le cadre nouveau qu’il entrevoit est celui d’une destinée dans le schéma d’une « action providentielle », « un État catholique et français » – dans cette séquence identitaire – pour le « seul peuple catholique de l’Amérique au nord de la frontière mexicaine ». Il convient donc de « constituer, aussitôt que le voudra la Providence, un État français indépendant », réalisant du coup « les formes politiques où s’achemine toute nationalité qui veut être maîtresse absolue de sa vie ». Il faut donc « s’organiser en État » qui prendrait la forme d’un État français dans le Canada oriental.

Groulx alimente sa réflexion à l’ouvrage de René Johannet, Le principe des nationalités, tout en avouant paradoxalement ne pas fonder sa vision sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : « C’est de la constance du péril suspendu sur notre existence française qu’a vécu la constance de notre rêve d’indépendance politique ». C’est la survivance qui justifie le « rêve » d’indépendance et non pas le principe libéral des nationalités. De toute façon, les signes viendront de la Providence pour remplir la mission spéciale du « seul peuple catholique de l’Amérique au nord de la frontière mexicaine16 ».

Des philosophes (l’abbé Arthur Robert, le dominicain Ceslas Forest) établissent les fondements philosophiques du projet ; l’abbé Philippe Perrier et l’avocat Louis Durand décrivent les limites géographiques de cet État qui irait des provinces maritimes à un certain point à l’ouest du Québec ; d’autres collaborateurs explorent les rapports de ce futur État avec l’Amérique latine (Émile Bruchesi), avec les États-Unis (Anatole Vanier et Georges Pelletier) et avec les « étrangers » (Joseph Bruchard, possible pseudonyme). Enfin en juillet, le jeune oblat Rodrigue-Marie Villeneuve prend en compte « nos frères de la dispersion ». Il est celui qui explicite le plus clairement l’attitude passive de cet indépendantisme de 1922 : si « la Confédération n’a été en ce qui concerne nos intérêts nationaux qu’une banqueroute lamentable, qu’une déception humiliante et amère », répète-t-il, « nous ne courons au-devant d’aucune séparation ; nous n’accepterons que celles-là seules que nous imposeront la nécessité et les hasards de l’histoire, et contre lesquelles par conséquent ni les uns ni les autres ne pourrions quelque chose17 ».

C’est Groulx, le directeur de la revue, qui conclut l’enquête en décembre 1922. Celui-là même qui parle « de tous les malaises et de tous les malheurs des mariages mixtes » et qui, dans L’appel de la race, publié deux mois plus tôt, avait écrit : « Plusieurs n’avaient pu s’empêcher d’y voir, dans la lutte des races, en pleine guerre, quelque chose comme les premiers craquements de la Confédération ». Pour Groulx, 1867 fut une erreur et « la crise de la boussole a entraîné celle du gouvernail ». Le Québec devient « un État cosmopolite, ouvert à tout venant, comme les Plaines de l’Ouest ». Il prévient : « Mais la destruction est commencée par d’autres que par nous et nous refusons d’asseoir notre avenir à l’ombre d’une muraille en ruine ». Dans cette Action française dont la devise est celle du héros Dollard Des Ormeaux, « Jusqu’au bout », le directeur conclut : « l’idéal d’un État français va correspondre de plus en plus parmi nous à une sorte d’impulsion vitale18 ». Trois facteurs jouent donc sur ce « rêve » d’indépendance : l’action de la Providence, la poussée des crises constitutionnelles successives, l’échec possible sinon probable du système fédéral canadien.

Soixante ans (1927) de Confédération : des « germes de dissolution »

Le double numéro de L’Action française de mai et juin 1927, mis aussi en brochure comme l’enquête sur « Notre avenir politique » et portant sur les 60 ans de la Confédération, alimente toujours le dossier des « griefs et déceptions » des Canadiens français à l’égard de leur situation politique et constitutionnelle, mais n’aborde plus la question de l’État catholique et français indépendant. Le numéro spécial, qui se veut un inventaire de la contribution des Canadiens français « à l’œuvre commune », avait été néanmoins précédé d’une consigne dans le numéro d’avril à propos des fêtes du 1er juillet : « Un peuple qui a le sens de la dignité devrait savoir à quelle hauteur, le 1er juillet prochain, ne pas hisser ses drapeaux19 ».

La contribution de Groulx sur « Les Canadiens français et l’établissement de la Confédération » est un bel exemple des variations de la vision d’un phénomène chez un historien. L’homme qui avait écrit en 1914 que la Constitution de 1867 « faisait de la Province de Québec un État pratiquement autonome » où « les Canadiens français seraient maîtres chez eux », évalue en 1927 que « Le système fédératif, simple “faute de mieux”, ne représente nullement pour les peuples l’état politique parfait : la libre disposition de soi-même dans la pleine indépendance ». Le directeur de la revue maintient néanmoins son évaluation d’un risque de dissolution du régime constitutionnel canadien : « L’on convient qu’après plus d’un demi-siècle d’existence, la Confédération canadienne reste encore un géant anémique, porteur de maints germes de dissolution20 ».

La poussée des années 1930

1905 : un « État français indépendant » inscrit dans le « Manuel d’histoire » de Groulx. 1912 : une « croisade d’adolescents », une association catholique et nationale de la jeunesse promouvant « l’édification d’une nation française distincte et indépendante sur cette terre d’Amérique ». 1917 : « l’avortement politique de l’œuvre politique de 1867 ». 1922 : « l’impulsion vitale » de « l’idéal d’un État français ». 1927 : 1867 : des « germes de dissolution ». À suivre d’au plus près les positionnements de Groulx, le fil d’Ariane du « rêve » de l’indépendantisme est continu et visible. L’idée connaît une poussée remarquable durant la Crise des années 1930 en même temps que son apogée chez Groulx. À nouveau, l’impulsion vient des mouvements de jeunesse (Jeune-Canada, Vivre, La Nation, Jeunesses patriotes) et de circonstances (élection de Maurice Duplessis, Deuxième Congrès de la langue française).

En décembre 1932, le jeune André Laurendeau, qui a connu Groulx au Semeur de l’ACJC, travaille à la mise au point de la « doctrine » des Jeune-Canada ; il lit l’enquête de L’Action française de 1922 sur « Notre avenir politique » et écrit à l’abbé Groulx :

Cela m’a ouvert toutes sortes de perspectives. Cette idée [l’indépendance politique] m’était déjà chère. Je me demande si sa vitalisation ne pourrait pas être notre œuvre. Au moment où vous étudiez cette question, vous vous contentiez de voir venir les évènements. C’était juste, alors. Votre position était inattaquable. Ne vaudrait-il pas mieux, maintenant, aider les évènements ?

Laurendeau met toutefois un bémol :

Nous ne sommes pas encore prêts à lancer un tel mouvement. Nous n’avons ni l’expérience ni les compétences qu’exigerait une pareille action. Il nous suffirait, à l’heure actuelle, d’étudier les problèmes nationaux à ce point de vue précis, et d’aller de l’avant, sans divulguer tout de suite nos ambitions. […]. C’est le dernier moment de l’adolescence : nous crèverons de rachitisme, ou nous deviendrons une nation adulte.

Reconnaissant les « heureuses transformations » que Groulx a apportées à leur manifeste, Laurendeau n’en prend pas moins la mesure de la situation en mettant le doigt sur une réalité qui permet de comprendre les positions et évolutions de la pensée de Groulx :

Et, à l’heure actuelle, si j’écrivais à M. Lionel Groulx et non à M. l’abbé Groulx, la jeunesse ne jetterait pas les yeux de tous côtés en appelant un chef absent. Ce chef, elle l’aurait. Mais vous [êtes] prêtre21.

La question du chef se pose dans un cahier des Jeune-Canada intitulé « Qui sauvera Québec ? » et elle se posera de façon récurrente. Laurendeau est manifestement confronté à sa nouvelle prise de conscience à ce sujet : « Qui nous donnera de nous-mêmes une conception nette et fournira à nos énergies la vigoureuse orientation sans quoi elles se perdraient ? ». Il a beau « scruter l’horizon », « ce sauveur de la nation », il ne le voit pas, ne le voit plus22.

Groulx est aussi proche de la revue Vivre (15 mai 1934-15 mai 1935) de Québec qui écrira aimer « la doctrine de Groulx, les sourires d’Asselin et les gestes larges et pleins de LaVergne23 ». Groulx est toutefois prudent et avant de donner son aval publiquement au projet, il s’informe auprès de son ami René Chaloult qui lui précise :

Leurs idées, parfois personnelles, sont généralement empruntées à Maurras, Daudet et, chez nous, à Asselin. Jeunes et insuffisamment pourvus de sens critique, ils se laissent facilement séduire par toutes les doctrines de leurs idoles. Vaguement partisans d’une laïcisation générale, ils sont de L’Ordre sans réserves. Au reste je les crois catholiques sincères et pratiquants. Comme Asselin qu’ils visitent, ils admirent vivement votre carrière d’historien et d’éveilleur national. Je crois toutefois que votre rôle d’apôtre catholique ne les frappe guère24 .

L’audace pointe davantage que chez les Jeune-Canada. Groulx, cet « éveilleur national », qui se dit admiratif de leur initiative, écrira, rétrospectivement dans ses Mémoires : « Je me montrai encourageant pour Vivre au-delà de ce qu’il convenait. Un mot du cardinal Villeneuve me rassura ; j’avais fait les réserves opportunes25 ». Les réserves portaient vraisemblablement sur le fait que le national était dissocié du religieux. Signe prémonitoire pour qui connaît la suite de l’histoire.

L’homme qui se dit admiratif des jeunes persiste et signe. Il écrit en 1935 : « Dieu ne peut vouloir notre déchéance nationale, parce qu’il ne saurait entrer dans le plan providentiel qu’un peuple catholique, si petit soit-il, meure ni perde la moindre de ses valeurs spirituelles26 ». Mais des vents adverses soufflent la même année sur Groulx et les mouvements de jeunesse, d’action catholique et d’action nationale. Le jeune dominicain Georges-Henri Lévesque, qui voit évoluer la politique en Europe et dans ce Québec des scandales du gouvernement Taschereau estime qu’il faut distinguer le catholique et le national de façon à ce que le premier ne risque pas de connaître le sort négatif de quelque idée ou de quelque parti. Lévesque calcule qu’il ne faut pas mettre la religion à risque.

Le débat entre les deux hommes est respectueux, mais il entame une conviction fondamentale de Groulx, la jeunesse qu’il a toujours vue catholique et patriotique. L’abbé, maître de tant de jeunes, écrit au père Lévesque :

Quant à moi, je vous l’avoue, je suis comme un homme qui aurait à redresser l’axe de sa vie. Tant que les deux actions, catholique et nationale, ont paru, à l’esprit de notre peuple, parfaitement imbriquées, compénétrées l’une par l’autre, je n’ai pas ressenti de scrupules à faire ce que j’ai fait.

Cette vérité nouvelle sera aussi bousculante pour les Canadiens français : « Maintenant que les deux actions évolueront en des cadres dissociés, vous ne pourrez faire qu’en l’esprit de notre peuple, elles n’apparaissent très profondément dissociées ». Le récent professeur d’histoire du Canada à l’Université de Montréal songe même à une forme de redressement de sa vie : « Peut-être aurais-je enfin trouvé l’occasion que j’ai bien souvent souhaitée : celle de me retirer de toute vie active pour me confiner à mes travaux d’histoire ». Groulx explicite à Lévesque les conséquences d’une telle distinction sinon de séparation :

Nos laïcs ne sont pas préparés et n’ont pas été préparés à se charger eux seuls de leurs intérêts nationaux. Les cadres n’existent point, surtout dans les milieux de jeunesse. Et ces cadres, nos éducateurs ne sont pas enclins à les former. Reste la Providence, mais rien qu’Elle27.

L’impréparation de la jeunesse lui paraît lourde de conséquences, tout comme à Laurendeau en 1932. Et puis, après Vivre, l’idée de dissociation du catholique et du national ou politique fait son chemin.

L’expérience de La Nation de Paul Bouchard (15 février 1936-1er août 1939) fut un révélateur des positions de Groulx à propos d’un État indépendant. Avant même le lancement de la revue, Groulx propose à l’un des futurs rédacteurs une politique pour l’équipe :

Proposons-leur la création d’un Canada français indépendant. Une lutte persévérante autour de cet objectif rétablira rapidement notre vie sur son fondement rationnel et elle redressera notre situation politique à Ottawa et à Québec. Et alors, ou la Confédération sera devenue un cadre acceptable ; ou ce cadre nous l’aurons fait éclater par la vigueur même de nos aspirations28.

On voit mieux ici comment l’objectif d’un Canada français (et non du Québec) indépendant est un moyen de redressement de la situation politique à Ottawa ET à Québec. C’est la porte par laquelle il faut d’abord passer. Demander plus pour obtenir moins.

Puis Groulx prend la peine de rappeler l’esprit de l’enquête de 1922 pour qu’on ne se méprenne point. Il précise que « la Confédération s’en allait se rompant elle-même et que rien ne la peut faire échapper à son sort fatal », mais insiste-t-il, il n’était pas question alors « de provoquer cette dislocation ». Il ouvre toujours la porte à la possibilité d’un redressement autre que le séparatisme : « Je refuse de le provoquer ou de le précipiter ». Reprenant le propos de sa lettre à Pierre Chaloult, il dit miser plutôt sur une « renaissance spirituelle » d’une génération de Canadiens français qui « replaceront à Ottawa et à Québec notre vie politique sur sa base normale » et, ce faisant, « nous aurons déjà créé à notre province tous les organismes d’un État normal ». Alors la Confédération se révèlera viable ou les Canadiens français en feront éclater le cadre « par la vigueur même de [leurs] aspirations ». Il prend aussi la peine de préciser que le cardinal Villeneuve, qui plus jeune avait collaboré à l’enquête de L’Action française de 1922, laisse cela « à vos libres discussions29 ».

Le 17 août 1936, Maurice Duplessis est porté au pouvoir après des soubresauts politiques et partisans typiques de la crise démocratique de ces années.

Groulx confie à René Chaloult :

Cette victoire a eu hélas, son lendemain. Je m’en attriste profondément sans en être trop surpris. Je n’ai jamais pu partager, sur votre chef, à aucun moment ni la confiance optimiste du Dr Hamel, ni la confiance enthousiaste de M. Oscar Drouin à qui il plaisait d’en faire « le plus grand national ». Non, cet homme m’a toujours paru vieux-jeu, vieux monde. Il est resté de la génération des hommes de soixante ans, avec tous les bobards de la bonne-entente et de la coopération entre les deux grandes races.

Il lui avoue s’attendre à quelques réformes administratives, mais il nous faut « faire notre deuil de la grande politique nationale que nous avions rêvée. […] Oui, c’est un grand désenchantement30 ». Groulx se dit « profondément désenchanté et profondément écoeuré par ce début de régime qui se met à l’œuvre sous le signe d’une royale cochonnerie, je garde cependant toute ma foi en l’avenir. Le Bon Dieu a trop fait pour éveiller notre petit peuple depuis deux ans : il ne laissera pas la tâche inachevée31 ». Au moment de la rédaction de ses mémoires vers 1960, Groulx évoquera « les espérances naufragées en 1936 », le « programme si odieusement trahi », « l’affreux marché de dupes de 1936 », le « goût de cendre » laissé par l’élection de M. Duplessis :

Et oui, nous nous sentions, aux environs de 1935, si près de la chance suprême, de l’unique chance peut-être de remonter la dure côte des malheurs accumulés depuis 1760. Et ce sont toutes ces espérances qu’il nous fallut rentrer, les ailes broyées. Qui n’a pas vécu notre déception de ces années-là ne peut se figurer le goût de cendre qu’elle nous a laissé32.

À plus forte raison, faut-il encourager La Nation à restaurer la situation politique. Mais pas inconditionnellement comme l’explique Groulx à Laurendeau :

Vais-je vous surprendre si je vous affirme que nous sommes aussi tout à fait d’accord au sujet de La Nation ? Je n’aime ni leur fascisme à l’italienne, ni leur haine de l’Anglais et de l’Angleterre, ni leurs habituels procédés de polémique. Ils entendent secouer toutes les servitudes, se donner pour des esprits libres. Cependant je ne partage point votre opinion sur l’opportunité d’une polémique doctrinale entreprise publiquement contre les jeunes rédacteurs de La Nation. Ce ne ferait qu’ajouter à nos querelles, à nos divisions déjà si amères et si infécondes. Ce fut l’un des torts de notre passé, je crois, que d’affirmer publiquement nos moindres dissidences quand sur tant de points, il y avait possibilité d’entente. Je n’oublie point que l’équipe de La Nation vient presque en droite ligne de l’ancienne revue Vivre et que la plupart de ces jeunes intellectuels inclinaient fortement vers un farouche anticléricalisme33.

L’audace de la jeunesse à nouveau, le risque à nouveau de dissociation du catholique et du national, mais contenu par Groulx.

« L’éveilleur national » est au même moment présent sur un autre front de la jeunesse, les Jeunesses Patriotes, aux congrès desquels il prend la parole en septembre 1936. Groulx affirme que « les Canadiens français constituent une nationalité » et à son habitude il métabolise les notions nouvelles qui circulent dans les milieux intellectuels catholiques, dont celles de Jacques Maritain avec lesquelles son disciple André Laurendeau est aussi familier. Il importe de dédouaner le nationalisme en explicitant la conjugaison du national à l’international ou à l’universel :

Pour qu’il fût légitime et possible de se limiter au national, il faudrait que le national eût le privilège de contenir tout le bien humain. Or la littérature, l’art, la science, ne sont pas que d’une nationalité, pas plus qu’ils n’empruntent une forme unique d’expression.

Habile à ajuster son lexique, il ouvre une fenêtre :

La solution, quelle est-elle ? D’un mot : s’approprier, s’assimiler toute la portion possible de la vérité humaine, de la beauté humaine, tout en restant soi-même en son fond. En d’autres termes : assimiler sans être assimilé.

Il reprend pour son jeune auditoire la formule de Maritain : « Toujours néanmoins faut-il revenir à la vérité initiale : pour créer une littérature, un art, une civilisation personnaliste et originale, les recettes ne suffisent pas : il faut être d’abord ». À sa façon, Groulx dédouane le nationalisme local en le référant à des valeurs universelles :

Nous possèderons un art, une littérature, le jour où notre éducation, par une prise de possession vigoureuse, résolue, de notre culture, de toute notre culture, nous aurons cessé d’être une ombre de peuple, une ombre de Français, une ombre humaine, pour devenir puissamment de grands Canadiens français, c’est-à-dire de grands humains34.

Le moment ne semble pas être venu, ni pour les Canadiens français ni pour la Providence.

Comme à chaque occasion, il lui importe de préciser sa conception d’un État français ; il l’avait reformulée l’année précédente en parlant de 1867 comme de « la résurrection politique, à l’état de province autonome, du Québec et de notre Canada français », comme de « notre émancipation la plus complète ». Il précisait alors : « nous croyons à l’égalité juridique des deux nationalités devant la constitution fédérative35 ». La formule cette fois était la suivante : c’est le peuple canadien-français qui avait repoussé « l’état unique ou unitaire pour se rallier à un régime de provinces autonomes sous un gouvernement central36 ». 1867 était « la reconnaissance de notre autonomie ethnique et linguistique, le droit de continuer notre histoire à notre guise37 ».

Devant divers publics, il réitère, reformule sa conception de la Constitution de 1867 :

Or, en 1867, je vous le rappelle après tant de fois, il fut décidé, il fut accepté par tous que cette province serait un État français. C’était là l’idéal organisateur, la pensée directrice et souveraine qui devait inspirer, gouverner notre vie économique, orienter, ramener à l’unité toutes nos énergies38.

Au reste, précise-t-il, « le postulat n’est plus un postulat. L’État français dans la province de Québec est devenu, depuis 1867, de droit positif, constitutionnel ». Puis, une incise, qui pique sans doute la curiosité de la salle, mais qui a l’avantage d’être cristalline : « Quand nous parlons, en effet, d’État français, nous n’exigeons par là nul bouleversement constitutionnel. Nul besoin, pour créer cet État, de changer un iota aux constitutions qui nous régissent ». Un État français dans la Confédération ; voilà l’État « normal » de Groulx.

Se demandant ensuite si la Confédération a « des chances de durée », l’homme de l’enquête de L’Action française de 1922 sur « Notre avenir politique » lui applique l’idée que le père Doncoeur avait, pour les lecteurs de La Relève, appliquée au catholicisme canadien-français : « Quoi donc aurait manqué jusqu’à ce jour à la Confédération canadienne ? Il lui a manqué la grande épreuve, la souffrance en commun qui cimente ces sortes d’unions39 ».

Devant les jeunes patriotes, Groulx laisse tomber deux phrases énigmatiques : la première formule que Papineau et Parent avaient fait leur vers 1837 alors que commençait à se formuler le principe des nationalités : « Nulle institution politique n’a le droit d’empêcher un groupe humain d’obtenir son bien propre. Nulle province, nulle nationalité n’est tenue d’accepter d’être gouvernée contre soi-même ». La formule amendée, recomposée est acceptable pour Groulx qui récuse par ailleurs le principe des nationalités. La seconde, inspirée de Salazar, qui ouvre une autre fenêtre, cette fois sur la question des minorités francophones hors Québec : « Quand on ne peut tout sauver, on sauve ce que l’on peut. Et rien ne servirait de périr tous ensemble sous prétexte de s’entraider40 ».

Tout reste ouvert ; à témoin sa demande qu’on lui fasse la preuve de deux choses :

– d’une impossible ressaisie fédéraliste :

[…] j’admets, dis-je, que la Confédération ne peut être que mortelle à notre nationalité. En serait-il de même avec une race nouvelle, je veux dire une race revigorée par une éducation nationale intensive, et qui aurait recouvré un indéfectible attachement à son trésor culturel, un sens élevé de son destin ? L’impossibilité d’une ressaisie, j’aimerais qu’on nous la démontrât de façon plus péremptoire.

– ; puis de la faisabilité de l’indépendance :

[…] serions-nous un État viable ? Incapables de vaincre les obstacles réels ou prétendus du pouvoir central à notre réalisation nationale, serions-nous de taille à assumer les risques nombreux et formidables de l’Indépendance ? Serions-nous en demeure de nous suffire, de procurer à nos nationaux leur bien humain, mieux qu’il ne nous est loisible de le faire dans la Confédération ? Il se peut que oui, mais cela aussi, j’aimerais qu’on nous le démontrât de façon irréfutable.

L’impréparation le travaille encore et toujours. Puis Groulx laisse tomber une formule qui ne décourage pas, qui réouvre tous les possibles, aujourd’hui et après-demain :

Le devoir certain, où il n’y a pas de risque de se tromper, ni de perdre son effort, c’est de travailler à la création d’un État français dans le Québec, dans la Confédération si possible, en dehors de la Confédération si impossible41.

Il y a ici une menace, une mise en demeure à l’égard du fédéralisme. La formule, on le sait téléologiquement, a de l’avenir. Le Parti québécois annulera l’hésitation de Daniel Johnson père qui avait fait sienne à l’élection de 1966 cette formule de Groulx.

Groulx voit clair dans le jeu des opposants des années 1930, répétition de ce qu’il verra chez les cité libristes 20 ans plus tard :

Ne vous en laissez pas imposer, enfin, par quelques grands esprits de chez nous qui trouvent petits, mesquins, ces soucis, ces rêves provincialistes et qui prétendent y substituer leur rêve transcendant de centralistes. Depuis quand mesure-t-on les œuvres humaines, selon le mètre des latitudes et des longitudes42 !.

Six mois plus tard, le 5 décembre 1936, devant les Instituteurs catholiques de Montréal, Groulx prend ses distances d’avec les mouvements qui prônent l’indépendance et atténue la portée de sa formule d’un État français dans ou hors de la Confédération :

Notez-le bien : je ne demande pas, comme le font quelques-uns de mes jeunes amis, de constituer cet État en dehors de la Confédération. Je demande la simple exécution du pacte de 1867, la réalisation de nos propres desiderata, de notre propre volonté d’il y a soixante-neuf ans.

Pour lui, cet État, « aussi longtemps que nous vivrons en Confédération, collaborera loyalement avec Ottawa, mais […] saura rappeler à Ottawa que nous vivrons en Confédération, et qu’il y a une telle chose que l’autonomie provinciale43 ». Autonomie et association.

La Nation est toujours publiée au moment où, le 29 juin 1937, Groulx fait ce qui est devenu son discours mythique, prophétique devant les participants au Deuxième Congrès de la langue française à Québec. Le propos est connu, mais fort diversement interprété lorsqu’il est cité hors texte et surtout hors contexte :

Qu’on le veuille où qu’on ne le veuille pas, notre État français, nous l’aurons ; nous l’aurons jeune, fort, rayonnant et beau, foyer spirituel et pôle dynamique pour toute l’Amérique française. Nous aurons aussi un pays français, un pays qui portera son âme dans son visage.

Et à ceux qui savent entendre et lire, il prendra la peine de préciser que ce discours n’avait rien d’une diatribe « séparatiste44 ». Un État français dans une Confédération dans laquelle les hommes politiques du Québec se tiendraient debout.

Paul Bouchard et La Nation n’ont pas de superlatif assez fort pour célébrer son discours au Deuxième Congrès de la langue française : « le messie providentiel de notre délivrance future » qui « replace la nation dans sa ligne d’évolution historique la plus exacte et la plus sûre », le « seul homme depuis Papineau qui a su donner une orientation à la nation ». Son discours est « notre Marseillaise à nous, notre chant du Départ vers la liberté et les plus hautes aspirations » et il est l’oraison funèbre de « la dernière génération des morts45 ». Roger Vézina tire audacieusement Groulx du côté des séparatistes en expliquant que pour lui l’État français n’est pas que politique, mais aussi une manière de vivre et d’être : « à la suite de Maurras il refuse à la politique la première place dans l’ordre de la dignité, il lui concède manifestement dans l’ordre du temps », mais « l’état français (politique) d’abord pour mieux réaliser notre état de Français ensuite46 ». Mais, depuis le congrès des Jeunesses Patriotes en septembre ١٩٣٦, Groulx ne manque pas l’occasion de faire valoir qu’il n’est pas un séparatiste de la mouvance de La Nation47, qu’il n’est pas un séparatiste : « Quand je dis État français, je parle d’un État fédératif. Je reste dans la ligne de l’histoire. Nous ne sommes pas entrés dans la Confédération pour en sortir, mais pour nous épanouir48 ».

L’adhésion nouvelle de La Nation à l’idée d’autonomie provinciale est claire en septembre 1937 : contre la dénationalisation de Bourassa, Groulx « nous replaça dans la ligne de notre évolution historique la plus droite, la plus sûre, la plus ascensionnelle : la lutte pour l’autonomie […]. Voilà désormais notre raison de vivre. Groulx retrouvait Papineau49 ».

Et le vieil éveilleur de conscience et compagnon de route de tant de jeunes et de mouvements, qui regarde alors La Nation dans le rétroviseur, avoue dans ses Mémoires : « Quand on relit les dernières pages du petit journal, on pense, malgré soi, à ces soirs de batailles perdues, où des blessés, laissés sur le sol, pris de cauchemars, tirent à tout hasard leurs dernières cartouches50 ».

Les Jeunesses Patriotes publient en 1939 une brochure du très original franciscain Carmel Brouillard dans laquelle celui-ci formule la perception que les jeunes contemporains avaient eue de l’abbé Groulx. Il écrivait :

Que le théoricien de l’État français en Amérique répudie le séparatisme, il a ses raisons que nous comprenons et respectons. Mais rien n’empêchera ses livres et ses conférences d’affirmer ce qu’ils affirment. La jeunesse qui marche derrière lui ne se trompe pas. Elle sait choisir ses maîtres et son instinct d’héroïsme l’éloigne des mandarins galonnés, rassis, dont la pensée a sombré dans l’eau saumâtre des honneurs51.

Brouillard a compris que Groulx avait ses raisons de procrastiner.

« Le mal suprême des années 1950 »

Au sortir de la guerre, Groulx qui enseigne l’histoire à l’Université de Montréal, s’investit dans la tâche d’éveiller à l’histoire professionnelle ses jeunes disciples. Il assure une relève à l’Université de Montréal qui crée un Institut d’histoire en 1947, il fonde à l’extérieur de l’Université l’Institut d’histoire de l’Amérique française (1946) puis lance la Revue d’Histoire de l’Amérique française (1947) qu’il dirige. Il a connu l’apogée de sa reconnaissance comme éveilleur national auprès des jeunes dans la décennie 1930 et il a alors formulé l’essentiel de son projet d’État catholique et indépendant et de sa conception du fédéralisme canadien.

Dès le début des années 1950, Groulx et ce à quoi il fait référence sont objet de critique. Un collaborateur de la revue Cité libre entreprend une critique radicale de « notre psychologie collective » et de l’irréalisme de la culture canadienne-française. Conseiller juridique dans le milieu syndical, Pierre Vadeboncoeur amorce la critique d’un « irréalisme profond » qui est « vraiment passé dans notre psychologie » : « Nous nourrissons des mystiques, des idéaux, dont la référence au réel ne se fait plus que vaguement : c’est là le trait le plus irritant de notre culture. » Cet idéalisme, qui fait des Canadiens français des « antimodernes au possible », trouve sa source dans la pensée de l’abbé Groulx : « La tradition, que nous honorons tant, est le lieu de notre irréalisme. […], la faute du groulxisme52 ». Ironique, sinon caustique, l’écrivain-médecin Jacques Ferron voit l’abbé Groulx comme quelqu’un qui avait « vécu le derrière à l’avenir », « penché sur le passé ». Pour lui, le tenant de « Notre maître le passé », est « ce fossoyeur devant sa collection de crânes sans mâchoires et de fémurs blanchis ! », celui qui avait retenu les Canadiens français « dans la préhistoire53 ».

Groulx lui-même voit aussi que les choses ont changé, y compris dans la compréhension du national. Il écrit l’année suivante à son ami économiste à l’École des hautes études commerciales, François-Albert Angers, près de la revue L’Action nationale :

Je ne vous cacherai pas qu’avec plusieurs aînés, je suis fort inquiet au sujet de notre Action nationale. […] La tournure d’esprit en ce camp-là ne me paraît guère rassurante. Ce n’est pas avec de l’anticléricalisme qu’on peut assurer l’avenir d’une Revue dont la bonne moitié des abonnés sont gens d’Église. Je ne crois pas, non plus, que le temps soit venu où un mouvement nationaliste ait chance de réussir au Canada français, en affichant des sentiments anticléricaux plus ou moins camouflés. Quand ce jour-là sera venu, du reste, je n’ai pas besoin de vous dire que je ne serai plus du côté nationaliste54.

Si le catholique avait été dissocié du national au milieu des années 1930, le national commence au début des années 1950 à être dissocié du catholique. Il est clair pour Groulx qu’au Canada français le mouvement nationaliste ne peut être entaché de « sentiments anticléricaux ».

La crise du nationalisme est évidente pour Laurendeau qui en expose les tenants et aboutissants dans L’Action nationale de décembre 1952. La crise intérieure du nationalisme s’amplifie. Le mouvement semble à Groulx « profond » et il dit ne plus comprendre la jeune génération qui lui « paraît prise d’une rage furieuse de faire table rase du passé et de tourner le dos à ses aînés ». S’il a encore des alliés au Devoir et à L’Action nationale, le nationalisme qui est sien ne connaît que des figures qu’il abhorre. Il confie à Anatole Vanier : « Non, quelqu’imparfaits qu’ils soient, je ne sacrifierais ni Le Devoir, ni L’Action nationale à M. Duplessis » ; « je ne les sacrifierais pas davantage à M. Rumilly55 ».

Il se demande si « le nationalisme est effectivement la caricature qu’en offre tel groupe » alors qu’il n’a « jamais considéré le nationalisme comme une forme de conservatisme, mais comme un humanisme dynamique. Rien de plus injuste et de plus faux que de vouloir le réduire à un refus de l’époque, à une stérile nostalgie du passé ». Il estime que « la jeunesse paraît désaxée et le peuple entier en plein désarroi », lui qui « cherche confusément des chefs qu’il n’arrive pas à trouver56 ». Et ce depuis ١٩٣٢, depuis que Laurendeau avait vu que Groulx ne pouvait le vouloir. Groulx pouvait être un maître ; un chef, non.

En décembre 1958, le gouffre se creuse entre les générations et Groulx explique pourquoi il ne peut plus être une caution :

Je ne vois pas ce que j’irais faire dans une Action nationale qui ne peut se réorganiser, si elle le peut, que par une nouvelle et jeune équipe. Je me demande, en effet, si nous, les aînés, nous rendons bien compte du fossé apparemment infranchissable qui nous sépare des générations qui nous suivent […].

Le constat vaut aussi pour la nouvelle génération d’historiens de Montréal :

Je ne reproche pas à la jeune génération son interprétation de notre histoire. Elle prétend l’appuyer sur des faits. Et je la crois d’absolue bonne foi. Tout au plus lui reprocherais-je de ne pas oser tirer les ultimes conséquences de sa philosophie de l’histoire. Mais voilà qui me rend impossible toute collaboration à une revue qui est essentiellement une œuvre d’action patriotique où il faut d’abord s’entendre sur les problèmes de fond.

Puis la rupture se fait avec ceux qui ne sont plus les siens : « Vous voudrez donc considérer cette lettre comme ma démission à L’Action nationale. En ma vie, je n’ai pas donné beaucoup de démissions57. » Dans ses Mémoires, il écrira avoir appréhendé que ce soit « cette rupture des générations qui sera le mal suprême des années 195058 ».

En novembre 1961, La Laurentie, organe de L’Alliance laurentienne de Raymond Barbeau, repique du Devoir du 27 mai le texte d’une entrevue de Groulx où il affirme ne pas être « séparatiste » ; et égal à lui-même : sans être de ceux qui jettent la pierre à ceux qui le sont. Ne parlant « ni en historien, encore moins en prophète », l’infatigable espérant développe un scénario d’avenir du Québec en Amérique dans 40 ans, notant au passage la résistance de Fidel Castro59.

On n’en est plus au passé comme maître, plutôt au projet d’une cité libre et cette évolution l’inquiète : « nos petits désespérés à la Sartre ou à la Camus60 » n’ont plus foi « qu’à je ne sais quel internationalisme où seraient dépassées et démodées ces notions archéologiques de patrie, de nation, de culture nationale61 ». En appelant à une relève, il demande : « Allez-vous tourner le dos à ce passé ? ». Peut-être même son fédéralisme avoué est-il renforcé par la crainte d’un séparatisme laïque : « libres, nous, dans notre État provincial, maîtres de nous gouverner comme nous l’entendons », comme il l’entend. « Appliqué loyalement », le régime fédéraliste est « le plus humain des régimes62 ». Il réitère son credo catholique et nationaliste en 1953 : « Nous serons catholiques ou nous ne serons rien63. » Groulx vient de s’isoler davantage ; il est devenu désenchanté : tous les 25 ans – pense-t-il à 1935 ? –, on voit la relève « fracasser les idoles régnantes » comme si c’était une règle « qu’en histoire chaque génération s’érige en Cour de Cassation64 ». Face aux « jeunes internationalistes » de Cité libre, il ironise en se demandant s’il faut « sous le prétexte de tendre à l’universel » courir « le risque de n’atteindre qu’à l’impersonnel ». Ce barrésien impénitent trouve chez les Canadiens français « tous les symptômes d’un peuple qui manque de boussole intérieure, qui a perdu foi en son destin » ; dans ce milieu où on a « galvaudé […] la notion de nationalisme », « la plus dangereuse espèce d’hommes qui soit, [ce sont] les déracinés65 ». Et comme c’est le cas chez lui, « le Québec a charge d’âmes » et les éducateurs de demain « qui voient clair devront se souvenir que le plus dur, dans la vie d’un peuple, c’est de se racheter d’une génération d’insouciants et de défaitistes66. » Des insouciants, de « petits Messieurs imberbes ou barbons […] qui se feraient coller à un examen élémentaire d’histoire canadienne », se ruent, furieux, « contre le héros de 1660 », Dollard des Ormeaux, que Groulx présente comme un héros là où il n’y en a pas ou il n’y en a plus. C’est là le « phénomène hélas d’un peuple décadent que cet acharnement à salir son lit et à détruire sa propre histoire67. » Le désenchantement est profond. Rien ne va plus.

Groulx a le sentiment que les historiens nationalistes de l’Université de Montréal, dont Maurice Séguin, minent sa vision. Il s’est retenu publiquement non sans leur dire privément ce qu’il pensait de leur thèse sur la Conquête, de « ce refoulé qui ne pourra jamais secréter qu’un pessimisme foncier et total68 ». L’heure est au noir, « à l’heure de la philosophie noire, du roman noir, de la poésie noire, de l’histoire noire69 ». Le ciel est sombre : dix ans avant son décès, Groulx confie à son ami dominicain Benoît Lacroix : « Vous êtes bien aimable et surtout très charitable de vous occuper d’un vieillard qui n’a pas même su disparaître à temps. Le Bon Dieu me réservait, sans doute, l’humiliation d’assister à la faillite de ma vie70. » Les mots sont de plomb.

L’homme garde le cap encore et toujours. Sa conception de l’État ne correspond pas à l’État que ses contemporains sont à construire. Il le conçoit ainsi en 1960 dans son Histoire du Canada :

La province est proprement un État, un type supérieur de personne juridique et morale […] [elle] reste propriétaire de son territoire. […] [Elle] possède une autorité organique, avec pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires. […] Dans les limites de l’article 92, la province canadienne est un État souverain, nullement subordonné à l’autorité centrale, aussi indépendant dans sa sphère que le pouvoir central peut l’être dans la sienne. […] La langue, le droit civil, la justice, l’enseignement, la colonisation, le mariage, les institutions familiales, municipales, sociales, tout cet ensemble de biens ou de réalités sociologiques et culturelles qui constituent l’essence d’une nation et l’armature d’un État, les Pères de la Confédération non sans calcul assurément, l’ont abandonné à la compétence et à la garde des provinces71.

Dans une entrevue à Maintenant, en 1963, il réitère son credo :

En résumé, notre nationalisme doit être catholique d’abord. Notre milieu national est d’atmosphère et d’essence catholiques. […] Ou bien nous accomplirons notre mission comme peuple canadien-français catholique (nous nous conserverons et grandirons) ou bien nous sommes voués à déchoir72.

Il persiste aussi dans son encouragement envers les indépendantistes ; il estime que dans 40, 30 ans, l’indépendance « deviendra l’inévitable solution ». Mais les vieux démons rôdent toujours ; il confie à Raymond Barbeau : « Ce qui m’arrête et me conseille la prudence, c’est notre maigre préparation à la suprême échéance ». Il n’y a pas de conscience nationale, pas de solidarité, pas « l’équipe de vrais politiques ». Irrédentiste, il suggère de recréer « notre ancienne ACJC. […] Son programme d’autrefois menait tout droit à une solution comme la vôtre », c’est-à-dire à soulever la jeune génération au nom de la libération économique73. Dans un tel programme, la religion serait sauve.

Si, depuis 1950, Groulx est intellectuellement sous respiration artificielle, son sort est symboliquement réglé lorsque Pierre Vadeboncoeur met en exergue à son fameux essai de 1963, La ligne du risque, le « notre maître le passé » de Groulx et le « Nous sommes toujours quittes envers le passé » de Borduas. L’histoire intellectuelle du Québec tombait en place.

Groulx n’accepte pas qu’à Parti pris vraisemblablement, les champions de la liberté en Algérie « se montrent plus que tièdes à l’égard de la libération de leur province » et que des articles de journaux étudiants soient des « bravades de petits anticléricaux qu’on dirait d’une Cité libre junior ». Avec la radio et la télévision qui remplacent l’autorité morale et spirituelle du prêtre, le passé n’est plus le maître de l’avenir74. Le vieil homme a globalement « l’impression d’avoir assisté au démantèlement de la jeunesse75 ». Démantèlement de la religion, du national, de la jeunesse.

Groulx qui a toujours eu un sens profond de sa vie voit au terme de cette vie ses fondements mêmes ébranlés. Dans le quatrième et dernier tome de ses Mémoires, Groulx décrira ainsi ce « séisme de l’esprit » que fut pour lui la Révolution tranquille :

Tous les reniements à la fois : reniement de l’histoire, des traditions, le dos tourné au passé ; l’attaque plus que sournoise contre tous les éléments constitutifs de l’homme canadien-français, des fondements mêmes où il avait jusqu’alors assis sa vie76.

À deux semaines de son décès le 23 mai 1967, le chanoine accorde une entrevue à une jeune étudiante en histoire77. Interrogé sur l’enquête de 1922, Groulx rappelle alors qu’il se prononce « pour une idée à laquelle je resterai fidèle toute ma vie, qui n’est pas le séparatisme, mais qui est l’État français ». Il estime que « l’État du Québec, n’est-ce pas, a une nationalité et qu’il doit gouverner pour cette nationalité, sans préjudice des droits de la majo…, de la minorité ». Il fait alors une place à l’État qu’il ne faisait pas dans les années 1930 :

[…] je dis à la jeunesse, dans ma conclusion, vous retrouverez ça là, [seulement] je l’ai [redécouvert l’autre jour], j’avais oublié ces choses-là, je dis : si la jeunesse veut obtenir des résultats un tant soit peu tangibles, elle devra faire en sorte que l’État du Québec se reconnaisse une nationalité. Parce que dès lors, je prévoyais que sans l’appui de l’État, il était pratiquement impossible, quoi, de conquérir l’émancipation économique, puis surtout l’émancipation politique. Mais il faudra attendre jusqu’à 1960.

Le chanoine, qui s’étonne des positions nationalistes du « centralisateur » Jean Lesage, maintient sa conception de la Confédération :

[…] si nous avons voulu la Confédération : pourquoi ? C’est parce que nous voulions nous gouverner nous-mêmes ! Par conséquent, nous reconnaissions par là que l’État français devait exister dans la province de Québec. Alors, c’est ça que moi, je me suis toujours, j’ai jamais été un séparatiste, carrément.

Pas carrément : Groulx persiste et signe dans sa prudence calculée. Il rappelle aussi les conséquences de sa vocation de prêtre :

Parce que vous savez, qu’est-ce que vous voulez, d’abord, je ne crois pas, vous savez, qu’un jour où ce qu’un, comment dirais-je… qu’un prêtre – je ne blâme pas ceux de mes confrères qui vont plus loin – doive donner des directives politiques. Ça, c’est chose des laïcs. Et aussi, je ne blâme pas les laïcs qui vont jusqu’au séparatisme et au-delà. Je ne les blâme pas, c’est leur affaire. Mais je crois qu’un prêtre ne doit pas aller jusque-là. Comme historien, la politique m’appartient, mais la politique du passé. Je ne crois pas que je doive me mêler – ou mêler – à l’actuel sur ce problème-là.

Parle-t-il de « la politique du passé » dans ce passage : « Non, je suis resté à l’État français. Et je crois que l’État français, en développant, vous savez, ses principes, peut aboutir, je ne sais pas à quel moment, mais pourra probablement aboutir à l’indépendance ». L’impréparation réitérée depuis les années 1920 prévaut toujours : « Pour le moment, qu’est-ce que vous voulez, nous n’avons pas les moyens de se payer ce luxe-là. J’estime que c’est une espèce de luxe. Et nous n’avons pas les moyens de nous payer ça. [Pas le moindre du monde.] Il faut attendre… ». Il n’en a pas moins encouragé son voisin Raymond Barbeau de L’Alliance laurentienne de 1957 :

[…] je lui ai dit un bon jour : mais préparez la génération de l’indépendance ! Préparez-là ! J’ai dit : à l’heure qu’il est, qu’est-ce que vous voulez, sur qui peut-on compter ? Puis [pareil] même : si vous avez une équipe de politiciens, de politiques actuellement capables, notamment, de conduire le destin du Canada, nous faire passer à travers toutes les difficultés que l’indépendance va fatalement susciter. Nos intellectuels, maintenant. Dans tous les pays du monde où les jeunes nationalités se sont éveillées, ils ont accédé à l’indépendance par leurs intellectuels.

Mais au Québec, « Nos intellectuels ne sont pas de notre pays ». Ou sa vision de la nationalité n’est pas celle des intellectuels.

Tel nationalisme, telle autonomie

Au terme de ce parcours au plus près de la pensée de Groulx, deux constats globaux. Même s’il n’a énoncé cette position qu’une seule fois, en 1922, Groulx a sans cesse parlé d’un État français indépendant en taisant qu’il s’agissait d’abord d’un État catholique et français indépendant. Ses convictions sont demeurées à ce propos inébranlables, son refus de l’indépendantisme des années 1960 confirmant la hiérarchie de ses valeurs. Une patrie autre d’une jeunesse autre.

Autre constat global : la primauté absolue de la religion ne pouvait lui permettre d’adhérer au « Politique d’abord » de Maurras et de L’Action française de Paris et pas davantage au principe libéral des nationalités. Telle est la ligne de partage des idées chez Groulx.

Sa position sur la question de l’État français indépendant surgit à deux sources. De Tardivel, il a retenu trois axes : le Canada français et non le Québec indépendant comme État français, l’État catholique puis francophone, enfin le rôle déterminant de la Providence, acteur non historique premier du projet historique qui ne peut permettre la déchéance nationale du Canada français et qui ne peut laisser tomber son « petit peuple ». De Bourassa, il hérite de la conception des « deux races », des deux peuples fondateurs, et de la conscience des minorités francophones hors Québec. Il diffère de Bourassa quant à la stratégie : le jeune abbé joue plus fortement l’idée de l’autonomie des provinces dans la Confédération se souciant moins de l’autonomie du Canada dans l’Empire britannique. Mais on remarquera qu’en fin de compte, Groulx n’ira pas plus loin que Bourassa : il ira jusqu’à l’autonomie, mais une autonomie plus martelée, plus aguerrie dans le champ des batailles indépendantistes de 1922, de 1936 et de 1960.

L’idée de cet État français indépendant est énoncée pour la première fois en 1905 dans son manuel manuscrit d’Histoire du Canada et reprise publiquement dans le cadre de l’ACJC en 1912. En 1921, Groulx estime que depuis 1774, cet État français existe « en théorie comme en fait » et il le présente en 1922 comme une « impulsion vitale ». Le grand débat autour du progrès de l’idée aura lieu dans les années 1930, les années de Crise tandis que les années 1950 seront pour lui péniblement crépusculaires.

La conception de Groulx du régime confédératif canadien de 1867 est déterminante pour comprendre sa position sur « l’État » français « indépendant ». Et elle est la marque de l’évolution de sa pensée et du paradoxe qui la traverse : d’une part, la prise de conscience des déceptions du régime jusqu’à la décennie 1930 et, d’autre part, sa conviction ferme que la Confédération canadienne est acceptable et durable à deux conditions : si le principe des deux peuples fondateurs est reconnu et si, secondairement, le Québec réussit enfin à y déléguer des représentants qui se tiennent debout plutôt que de plier à l’habitude de la partisanerie.

Ainsi, en 1912, la Confédération est un « édifice saboté ». Cinq ans plus tard, Groulx parle de « l’avortement de l’œuvre politique de 1867 », diagnostiqué d’un « mal incurable ». En 1922, « la crise de boussole » est devenue crise de gouvernail. Lors du 60e anniversaire de la Confédération, Groulx persiste en parlant de « germes de dissolution ». Durant les années 1930 alors que soufflent des vents d’indépendance singulièrement plus forts, il prend la peine de préciser qu’il n’a jamais voulu provoquer quelque dislocation. En 1936, il estime qu’en 1867, il avait été accepté par tous que le Québec serait un État français indépendant ; « Nul besoin, écrit-il, pour créer cet État, de changer un iota aux constitutions qui nous régissent ». Une Confédération acceptable lui paraît toujours faisable, mais avec « une race nouvelle » d’hommes ». En 1952, le système de 1867 est « le plus humain des régimes ».

Quant à la question des minorités francophones hors Québec, le mot de Salazar peut-il être en 1936 sa ligne directrice : « Quand on ne peut tout sauver, on sauve ce que l’on peut. Et rien ne servirait de périr tous ensemble sous prétexte de s’entraider » ?

Les limites de cet État catholique et français sautent aux yeux lorsqu’on porte attention aux raisons de Groulx de ne point recourir au principe des nationalités. Le Canada français, écrit-il dès 1919, disposait dès 1760 de « tous les éléments d’une nationalité » et surtout de « l’unité religieuse ». L’existence d’un « groupe homogène » et le « péril suspendu » de la survivance sont les principes de la possible émancipation de la nationalité canadienne-française ; la revendication se limite à cette vision. On comprend bien sa conception de l’État, enfin, lorsqu’il adapte en 1936 une des premières formulations minimalistes du principe des nationalités que Papineau et Parent avaient fait leur : « Nulle province, nulle nationalité n’est tenue d’accepter d’être gouvernée contre soi-même ». Nulle province.

En un sens, Groulx vieillit intellectuellement et spirituellement avec les années 1930. Il a 60 ans en 1938. Dès 1932, ses jeunes disciples voient que « l’abbé » Groulx ne peut être leur leader, leur chef. Leur maître, au mieux, sans que ces disciples voient quelque autre « sauveur de la nation ». Sans porter de jugement démobilisateur, Groulx, qui a tant prêché et pratiqué l’éducation nationale, constate l’impréparation de la jeunesse. Il le dit à Laurendeau, au père Lévesque, aux Jeunesses Patriotes. Et puis, déjà avec Vivre et irrémédiablement avec le père Lévesque s’amorce la dissociation entre la religion et la nationalité, se révèlent les partages de la jeunesse.

Groulx axe alors son discours sur l’autonomie provinciale, sur l’autonomisme dont il convainc les têtes fortes indépendantistes de La Nation. Lui qui voit le « deuil de la grande politique nationale » avec l’élection de M. Duplessis en 1936, qui ravale ses espérances, verra « le chef » de l’Union nationale emprunter l’idée de l’autonomie provinciale, la rendre un moment porteuse avant qu’elle ne devienne une scie électorale. On aura beau en certains quartiers le tirer du côté séparatiste, Groulx fait son fameux discours de 1937 qui n’a rien d’une « diatribe séparatiste ». 1867 avait été la reconnaissance de « notre autonomie ethnique et linguistique ». Demeurait toutefois pour les fédéralistes l’épée de Damoclès de la création d’un État français indépendant « dans la Confédération si possible, en dehors de la Confédération si impossible ». Cette pensée et cette stratégie allaient pour une dernière fois en 1966 alimenter le programme de l’Union nationale de Daniel Johnson père. Mais la page avait été tournée par le Rassemblement pour l’indépendance nationale depuis 1960 et l’Union nationale était sur le point de disparaître.

En 1958, Groulx a 80 ans. La crise du nationalisme, flagrante en 1956, finit de séparer la nationalité de la religion. Un nationalisme anticlérical ne dit rien de bon à Groulx. Pas plus que l’universalisme impersonnel des « petits désespérés », des « déracinés » de Cité libre. Lorsque Pierre Vadeboncoeur met face à face les bustes de Groulx et de Borduas en exergue à son essai La ligne du risque, les choses ont basculé. Lorsque Groulx qualifiera avec raison et lucidité « la rupture des générations » de « mal suprême des années 1950 », lorsqu’il verra que les jeunes ont tourné le dos aux aînés, le fossé sera devenu « infranchissable ». Parce qu’il persiste à croire au « catholique ou rien », à un nationalisme catholique d’abord, à une province qui est un État. La jeunesse lui semble à ce point impréparé à un État (catholique) français indépendant qu’il croit même en la résurrection de l’ACJC.

Il dira avoir connu tous les reniements et parlera en 1958 de « faillite de ma vie ». Groulx a cru à la primauté de la religion. Cette conviction commençait à ne plus cadrer avec la patrie et avec la jeunesse au milieu des années 1930, ne cadrait plus en 1960. Il aura été un autonomiste dans la Confédération, mais en martelant sans cesse que ce pourrait être autre chose, quelque chose de plus. Question de maintenir la pression, l’exigence nationale, ce qu’un prêtre pouvait faire de mieux en la matière. Eût-il franchi le pas qu’il se serait retrouvé en Corse ou ailleurs comme le franciscain Brouillard. L’indépendantisme des années 1960 et le souverainisme des années 1970 se sont délestés du nationalisme religieux de Groulx, mais ils ont continué à miser sur la nation et la jeunesse. Mais Groulx a vécu si longtemps et si intensément qu’on s’est mépris sur son propos à force de le tirer à soi politiquement de tous côtés. On ne cherche pas à tirer à soi les mièvres. Et Papineau et Groulx en sont des exemples.

 

 

 

 


1 Groulx a été avec le père Georges-Henri Lévesque, André Laurendeau, Gérard Pelletier et Pierre Vadeboncoeur l’une des figures centrales de mes travaux sur l’histoire des idées au Québec de 1896 à 1965. Les études sur le sujet, par ordre chronologique de publication : Jean-Pierre Gaboury, « L’État français ou Lionel Groulx et la souveraineté du Québec », L’Action nationale, LVII, 10 (juin 1968) : 948-963 ; Stéphane Pigeon, « Lionel Groulx, critique de la Révolution tranquille », mémoire de maîtrise en Histoire, Université de Montréal, 1999 ; Sylvie Beaudreau, « Déconstruire le rêve de nation : Lionel Groulx et la Révolution tranquille », Revue d’histoire de l’Amérique française, 56, 1 (été 2002) : 29-61 ; Simon Giguère, « La pensée politique de Lionel Groulx : 1935-1939 », M.A. (Histoire), Université du Québec à Montréal, 2005 ; Michel Bock, « Apogée et déclin du projet national groulxiste. Quelques réflexions autour de Directives (1937) », dans Yvan Lamonde et Denis Saint-Jacques (dir.), 1937 : un tournant culturel, Québec, Les Presses de l’Université Laval, « Cultures québécoises », 2009, 28-38 ; Mathieu Noël, Lionel Groulx et le réseau indépendantiste des années 1930, Montréal, VLB éditeur, 2011 ; Éric Bédard, « “L’État français’ sans la jeunesse : Lionel Groulx et la Révolution tranquille », Mens, XVI, 2 (printemps 2016) : 37-63 ; Mathieu Bock-Côté, « Du groulxisme comme nationalisme historique », L’Action nationale, CVII, 1-1 (janvier-février 2017) : 33-44 ; Charles-Philippe Courtois, Lionel Groulx. Le penseur le plus influent de l’histoire du Québec, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2017.

2 Énonciation de cette conviction dans un titre on ne peut plus explicite, « Catholique d’abord », Le Semeur (avril 1907) : 229.

3 Lionel Groulx, Journal, 1895-1911, tome 1, édition critique par Giselle Huot et Réjean Bergeron, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1984, 341.

4 J.-P. Tardivel, « Notre avenir », La Vérité, 1er janvier 1905 ; « L’avenir des Canadiens-Français », Le Nationaliste, 2 et 16 juillet, 27 août, 3, 10, 17, 24 septembre, 1er et 8 octobre 1905.

5 Cité dans Jean-Pierre Gaboury, « L’État français ou Lionel Groulx et la souveraineté du Québec », L’Action nationale, LVII, 10 (juin 1968) : 958.

6 L. à O. Héroux, 25 avril 1905, dans Correspondance de Lionel Groulx, édition par Giselle Huot, Juliette Lalonde-Rémillard et Pierre Trépanier, Montréal, Fides, 1989, I : 1095.

7 Réal Bélanger, « Le nationalisme ultramontain : le cas de Jules-Paul Tardivel », dans Nive Voisine et Jean Hamelin (dir.), Ultramontains canadiens-français, Montréal, Boréal, 1985, 295-295 ; pour les discours de Mercier sur le sujet : Honoré Mercier. Discours 1873-1893, sélection, édition et présentation de Claude Corbo, Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 128-130, 130-140, 144-150, 235-237, 257-269, 380-422.

8 Cité dans Louis Cornellier, « La leçon d’Honoré Mercier », Le Devoir, 16 juillet 2016.

9 L. Groulx, Une croisade d’adolescents, Québec, imprimerie de L’Action sociale, 1912, 8.

10 Ibid., 161.

11 Ibid.

12 L. Groulx, « La constitution fédérative », La Revue canadienne (1914) : 394.

13 La Naissance d’une race, Montréal, L’action française, 1919, 293, cité dans J. – P. Gaboury, « L’État français ou Lionel Groulx et la souveraineté du Québec » : 953.

14 L. Groulx, « Conclusions ». L’Action française (décembre 1921) : 720-722.

15 L. Groulx, « Ce cinquantenaire », L’Action française (juillet 1917) : 232-237.

16 L. Groulx, « Notre avenir politique », L’Action française (janvier 1922), repris en volume Notre avenir politique, Montréal, Bibliothèque d’Action française, 1923, 7-30. ; Groulx affirmera en 1926 que le droit à l’indépendance ne se fonde point sur « le principe des nationalités », principe issu de l’idéologie libérale qu’il ne partage pas : « Cette formule de notre avenir politique, on nous fera cette justice de le penser, ne se fonde point sur le principe des nationalités, sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Nous revendiquons seulement le droit élémentaire de ne subir la loi de personne », Dix ans d’Action française, Montréal, L’Action française, 1926, 160, cité dans J. – P. Gaboury, « L’État français ou Lionel Groulx et la souveraineté du Québec » : 957.

17 Notre avenir politique, 113-139.

18 L. Groulx, « Conclusions », Ibid, 233-250.

19 La Direction, « Mot d’ordre : ce soixantenaire », L’Action française (avril 1927) : 194.

20 L. Groulx, « Les Canadien français et l’établissement de la Confédération », L’Action française (mai-juin 1927) : 286-301.1927

21 A. Laurendeau à l’abbé Lionel Groulx, 22 décembre 1932, BAnQ, fonds Lionel Groulx, P1/A, 2143.

22 A. Laurendeau, « Qui sauvera Québec », Qui sauvera Québec ?, 3 décembre 1934, Montréal, Les Cahiers des Jeune-Canada, III, 1935, 52.

23 La Direction, « Vivre », Vivre, I, 5 (décembre 1934).

24 R. Chaloult à l’abbé L. Groulx, 12 octobre 1934, lettre reproduite dans L. Groulx, Mes mémoires, Montréal, Fides, 1972, III, 290.

25 Ibid., 291.

26 L. Groulx, « Pour qu’on vive », Orientations, Montréal, Éditions du Zodiaque, 1935, 223.

27 L. Groulx à G.-H. Lévesque, 24 novembre 1935, lettre reproduite dans Les cahiers d’histoire du Québec au XXe siècle [CHQVS], 2 (été 1994) : 97-98.

28 L. Groulx à Pierre Chaloult, 8 octobre 1935, cité dans Robert Comeau, « Lionel Groulx, les indépendantistes de La Nation et le séparatisme (1936-1938), » Revue d’histoire de l’Amérique française, XXVI, 1 (juin 1972) : 90 ; du même au même, 8 novembre 1935, lettre reproduite dans La Nation du 22 février 1936.

29 L. Groulx à P. Chaloult, lettre publiée dans La Nation du 22 février 1936.

30 L. Groulx à R. Chaloult, 1er septembre 1936, cité dans Donald Thomas, « La carrière politique de René Chaloult, de 1936 à 1952 », M.A. (Histoire), Université de Montréal, 1980, 23.

31 Du même au même, autre partie de la même lettre est citée dans Simon Giguère, « La pensée politique de Lionel Groulx : 1935-1939 », M.A. (Histoire), Université du Québec à Montréal, 2005, 106.

32 L. Groulx, Mes mémoires, Montréal, Fides, 1974, tome IV, 118-121 et 327.

33 A. Laurendeau à Lionel Groulx, 15 mai 1936 et L. Groulx à A. Laurendeau, 2 septembre 1936, lettre reproduite dans « “L’esprit des années trente”. Une correspondance Lionel Groulx-André Laurendeau (1936) », CHQVS, 3 (hiver 1995) : 92-93.

34 « Labeurs de demain », Directives (1937), Saint-Hyacinthe, Éditions Alerte, 1959 ; dans l’ordre des citations : p. 89, 91, 92, 96, 97-98 ; Michel Bock, « Apogée et déclin du projet groulxiste : Quelques réflexions autour de Directives (1937), dans Y. Lamonde et Denis Saint-Jacques (dir.), 1937 : un tournant culturel, Québec, Les Presses de l’Université Laval (“Cultures québécoises”), 2009, 27-38.

35 L. Groulx, « Nos positions », dans Orientations, 245 et 247 ; le mémoire de Simon Giguère « La pensée politique de Lionel Groulx (1935-1939) », Université du Québec à Montréal, 2005, chapitre IV, m’a permis de compléter l’histoire de la pensée de Groulx sur cette question du fameux « État français indépendant ».

36 L. Groulx, « L’éducation nationale à l’École primaire » (1935), ibidem, 121.

37 L. Groulx, « L’éducation nationale et les Écoles normales » (1935), ibid., 176.

38 L. Groulx, « L’économique et le national » (février 1936), dans Directives, Montréal, Éditions du Zodiaque, 1935, 79 et 90.

39 « Labeurs de demain », Directives, 108 et 109.

40 Ibid., 117 et 118 ; à reprocher de ce mot de Salazar – « Nous avons le devoir de tout sacrifier pour tous, mais nous ne devons pas nous sacrifier tous pour quelques-uns » – cité dans Dostaler O’Leary, Séparatisme, doctrine constructive, Montréal, les Éditions des Jeunesses Patriotes, [avril 1937], 182.

41 Ibid., 119-122.

42 Ibid., 122-124.

43 L. Groulx, « L’éducation nationale » (5 décembre 1936), dans Directives, 131 et 183.

44 « L’Histoire, gardienne des traditions vivantes » (29 juin 1937), ibid., 242 et « Pour ceux-là seulement qui savent lire », ibid., 12 ; sur le contexte et la polarisation intellectuelle du Congrès, Karim Larose, « “Les fous d’espoir’. Autour du Deuxième Congrès de la langue française au Canada », dans Y. Lamonde et D. Saint-Jacques (dir.), 1937 : un tournant culturel, 15-26.

45 P. Bouchard, « La foule vibre », La Nation, 1er juillet 1937 ; du même, « Apothéose à l’abbé Groulx », La Nation, 1er juillet 1937 et « Le congrès de la langue française et de la bonne entente », La Nation, 1er juillet 1937.

46 « L’État français d’abord », La Nation, 5 mai 1938.

47 L. Groulx à P. Bouchard, 14 mai 1937, BAnQ, fonds Groulx, P443/A5, 1, 7.

48 « Mise au point de l’abbé Groulx », Le Franc-parleur, 12 août 1937 ; de façon inédite et non sans rappeler la position de Papineau et de certains « rouges », Groulx écrit dans un texte resté manuscrit et qui éclaire sa conception de l’État : « Cependant nous vivons à côté des États-Unis : on devrait savoir ce que peut être un État autonome dans une fédération », cité dans R. Comeau, « Lionel Groulx, les indépendantistes de La Nation… » : 94.

49 La Nation, 2 septembre 1937, cité dans L. Groulx, Mes mémoires, Montréal, Fides, 1972, tome III (1926-1939), 293-294.

50 Ibid., 294 et 296.

51 C. Brouillard, Le séparatisme ne doit pas mourir. Opinions, Montréal, Éditions des Jeunesses Patriotes, [février] 1939, p. 3-4 et 6.

52 P. Vadeboncoeur, « L’irréalisme de notre culture », Cité libre (décembre 1951), repris dans Y. Lamonde (dir.) en collaboration avec Gérard Pelletier, Cité libre : une anthologie, Montréal, Stanké, 1991, 222-227.

53 J. Ferron, « Sur l’abbé Groulx », Le Haut-Parleur, 6 octobre 1951, repris dans Lettres aux journaux, Montréal, VLB éditeur, 1985, 73.

54 L. Groulx à F.-A. Angers, 20 octobre 1952, BAnQ, Fonds Lionel Groulx, P1/A, 58.

55 L. Groulx à A. Vanier, 16 août 1956, BAnQ, fonds Anatole Vanier, P29/K, 380.

56 Jean-Marc Léger, « Le chanoine Groulx et nos problèmes actuels », L’Action nationale, 46, 8-9 (avril-mai 1957) : 571-577.

57 L. Groulx à F. – A. Angers, 8 décembre 1958, BAnQ, fonds Lionel Groulx, P1A58, cité dans Pascale Ryan, Penser la nation. La Ligue d’Action nationale (1917-1960), Montréal, Leméac, 2006, 289.

58 L. Groulx, Mes mémoires, Montréal, Fides, 1971, tome II (1920-1928), 79.

59 « Lettre de M. le Chanoine Groulx », La Laurentie, 102 (novembre 1957) : 85-86 ; « L’indépendance du Québec, solution de l’avenir ? », Le Devoir, 27 mai 1961, repris dans La Laurentie, 114 (septembre 1961).

60 « Lionel Groulx, “Crise de la fidélité française”, 23 juin 1952, reproduit dans Pour bâtir, Montréal, L’Action nationale, 1953, 75.

61 L. Groulx, Survivre ou vivre ? », allocution devant le Conseil de la vie française, 14 septembre 1953, dans Pour bâtir, 146 et 148.

62 L. Groulx, « Pour une relève », 3e Congrès de la langue française, 21 juin 1952, dans Pour bâtir, 49-50, 54, 58-59.

63 L. Groulx, « Où allons-nous ? », conférences du Devoir au Plateau, Le Devoir, 26 mars 1953.

64 L. Groulx, « Foi en l’avenir d’un Canada français », Le Devoir, 30 avril 1957.

65 L. Groulx, Le rôle s’une société nationale en 1958, allocution devant la Société Saint Jean Baptiste de Valleyfield, 19 octobre 1958, [Montréal, sans éditeur, 1958], 4, 9, 11.

66 L. Groulx à A. Laurendeau, octobre 1959, lettre publiée dans Le Devoir, 24 janvier 1960.

67 L. Groulx, Dollard est-il un mythe ?, Montréal, Fides, 1960, 7-8.

68 L. Groulx à Michel Brunet, 20 août 1958, cité dans Stéphane Pigeon, « Lionel Groulx, critique de la Révolution tranquille (1956-1967) », M.A. (Histoire), Université de Montréal, 1999, 31.

69 L. Groulx, devant la Fédération des Sociétés Saint Jean Baptiste du Québec, 30 mai 1959, Le Devoir, 5 et 6 juin 1959.

70 L. Groulx à B. Lacroix, 20 septembre 1958, cité dans S. Pigeon, « Lionel Groulx, critique de la Révolution tranquille », 92.

71 L. Groulx, Histoire du Canada, Montréal, Fides, 1960, tome II, 191-192, cité dans Gaboury, « L’État français ou Lionel Groulx et la souveraineté du Québec » : 951.

72 Maintenant (juillet-août 1963), cité dans Martin Roy, Une réforme dans la fidélité. La revue Maintenant (1962-1974) et la « mise à jour » du catholicisme québécois, Québec, Les Presses de l’Université Laval, « Cultures québécoises », 2012, 194.

73 L. Groulx à R. Barbeau, 4 janvier 1962, BAnQ, fonds Lionel Groulx, P1/D, 76.

74 L. Groulx, « Le phénomène canadien-français », octobre 1964, Chemins de l’avenir, Montréal, Fides, 1964, 19-20, 22, 44.

75 Pierre Léger, « Notre jeunesse se détruit… », Photo-Journal, 6 au 13 mai 1965.

76 L. Groulx, Mes mémoires, Montréal, Fides, 1974, tome IV (1940-1967), 298 ; Sylvie Beaudreau, « Déconstruire le rêve de nation : Lionel Groulx et la Révolution tranquille », Revue d’histoire de l’Amérique française, 56, 1 (2002) : 29-61.

77 Entrevue avec Marie-Lise Brunel, 25 mars 1967, Université de Montréal, Division de la gestion de documents et des archives, fonds D5, Services audiovisuels, document RAU 583, https://calypso.bib.umontreal.ca/digital/collection/_groulx/id/26/rec/7. Document aimablement porté à ma connaissance par Robert Comeau

* Université McGill.

** Dans la section du colloque intitulé « Maurice Séguin et la rupture avec le nationalisme culturel de Lionel Groulx », l’auteur s’est concentré sur la pensée du prédécesseur de Maurice Séguin, Lionel Groulx.