L’auteur était conseiller politique de Camille Laurin lors de l’adoption de la Charte de la langue française (loi 101) en 1977.
Contre l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, il n’y a pas de clause dérogatoire utilisable. C’est à l’article 33 de la Charte qu’il est question de clause dérogatoire. Il y est bien précisé que celle-ci ne s’applique qu’à l’encontre des articles 2 et 7 à 15 de ladite charte.
Est-ce à dire que nous devons nous y soumettre en faisant semblant de nous accommoder ? Certes pas. Dans l’interprétation de l’article 23 par les tribunaux fédéraux, il y a tout bien à penser que le pire est à venir. Un jour ou l’autre, quelqu’un plaidera que l’article 23 doit s’interpréter littéralement. Un jour ou l’autre, la Cour suprême avalisera cette interprétation. Or, le paragraphe (2) de l’article 23 dit bel et bien que « les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction au niveau primaire ou secondaire […] en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction », c’est-à-dire en anglais. Pour avoir le droit, en vertu de la Charte canadienne, à ce que tous ses enfants reçoivent leur enseignement en anglais, il suffit que l’un des deux parents reçoive déjà son enseignement en anglais. Si on interprète littéralement, aucune durée n’est requise. Dès qu’un enfant reçoit l’enseignement en anglais, dans une école passerelle ou dans une autre province, tous ses frères et sœurs, même engagés depuis longtemps dans le réseau francophone, ont le droit de passer à l’école anglaise et de transmettre ce droit à leurs descendants.
Il faut cesser de nous comporter à l’égard de la Cour suprême comme un élève pris en grippe à qui on demande de reprendre indéfiniment son devoir. Ce qu’il faut affirmer, c’est que cet article 23 est frappé d’illégitimité au départ. En regard des lois du Québec, il doit être considéré comme nul et non avenu. Refaisons l’histoire de cet article 23 qui, manifestement, a été concocté pour torpiller la Charte de la langue française. Ceux qui l’ont rédigé (parlement fédéral) et ceux qui l’ont adopté (parlement de Londres) avaient-ils le pouvoir et la compétence pour le faire ?
Le BNA Act de 1867, adopté par le Parlement du Royaume-Uni, établissait un partage des compétences législatives entre le fédéral et les provinces canadiennes. Ainsi l’éducation était-elle de compétence provinciale exclusive, sauf en ce qui concernait les privilèges reconnus aux catholiques et aux protestants dans chaque province au moment de son entrée dans la fédération canadienne (art.23). Ce qui implique que le fédéral n’avait aucune compétence pour légiférer sur la langue d’enseignement ou sur l’enseignement des langues.
Le Parlement britannique ne renonçait pas (en 1867) à légiférer dans les domaines qu’il avait établis comme de compétence fédérale ou provinciale. Le Canada demeurait une colonie britannique. Le Parlement impérial aurait pu, s’il l’avait jugé utile, légiférer sur la langue d’enseignement. S’il l’avait fait, cela aurait sans doute suscité des protestations ; des protestations auraient sans doute parlé d’une loi illégitime, mais on n’aurait pas pu la qualifier d’illégale. Le Parlement impérial souhaitait-il sans doute avoir à légiférer le moins possible pour le Canada et de moins en moins à mesure que le temps s’écoulait, mais il ne se délestait pas de son pouvoir de légiférer, si besoin était, pour les dominions de son empire. Du moins jusqu’en 1931.
Le Statut de Westminster de 1931 n’est pas une loi comme les autres. Ce n’est pas une loi susceptible d’abrogation ultérieure par le Parlement britannique, de façon unilatérale. Il est voté pour donner effet à un consensus entre la Grande-Bretagne et les dominions sur l’indépendance législative de ces derniers. Il a valeur de traité international.
Le paragraphe (2) de l’article 2 établit cette indépendance législative en reconnaissant que les dominions auront désormais :
- le plein pouvoir d’adopter des lois pour leurs territoires respectifs et leurs populations respectives, lois qui seront pleinement valides malgré leur incompatibilité avec le droit anglais et les lois du Parlement britannique ;
- le plein pouvoir de modifier les lois britanniques qui font partie de la législation desdits dominions.
Or, il est dit au paragraphe (2) de l’article 7 que « les dispositions de l’article 2 […] doivent s’étendre aux lois édictées par les provinces du Canada et aux pouvoirs législatifs de ces provinces. » Ce qui veut dire que les provinces, dans les domaines qui sont de leurs compétences, jouissent désormais de la même indépendance législative que le fédéral dans ses propres champs de compétence. Le paragraphe (3) du même article 7 précise :
Les pouvoirs que la présente loi (Statut de Westminster de 1931) confère au Parlement du Canada ou aux législatures des provinces ne les autorisent à légiférer que sur des questions qui sont de leurs compétences respectives.
Donc, depuis l’entrée en vigueur du Statut de Westminster, ni le Parlement britannique, ni le Parlement fédéral canadien n’ont la moindre compétence pour légiférer sur la langue d’enseignement. Les deux parlements, même s’ils se mettaient ensemble en additionnant leurs compétences ne pourraient légiférer dans un domaine qui est totalement de compétence québécoise. Zéro plus zéro, ça ne peut que faire zéro ! Le coup de force de 1982 perpétré par Pierre-Elliot Trudeau et Margaret Thatcher avec la complicité de la Reine est illégitime dans son ensemble et l’article 23 qu’ils y ont inséré est carrément illégal.
En conséquence, l’Assemblée nationale n’a pas à se soumettre à l’article 23 de la Charte canadienne puisque celui-ci a été adopté par des instances non habilitées pour ce faire et que le Québec n’a jamais accepté la loi constitutionnelle de 1982. L’Assemblée nationale appuyée par la députation québécoise au Parlement fédéral devrait proclamer l’illégalité de cet article 23 et son intention de légiférer librement sur la langue d’enseignement.