L’austérité en question

Après l’éclatement de la crise en 2007, rappelons-le, partout on a procédé à la mise en œuvre de programmes de relance économique, au sauvetage et à la nationalisation partielle ou complète d’entreprises et d’établissements financiers, à des garanties de prêts et de dépôts bancaires et au rachat de titres de dette de mauvaise qualité.

Une forte croissance de l’endettement public en a résulté. Déjà, de 1980 à 2000, la dette moyenne des administrations publiques des 30 pays les plus industrialisés était passée de 40 % à 72 % du PIB, manifestation d’une croissance mondiale artificielle propulsée par l’endettement. Sous le poids de la crise, cet endettement est passé de 75 % du PIB en 2007 à 114 % en 2013 (245 % pour le Japon, 180 % pour la Grèce, 128 % pour l’Italie, 112 % pour les États-Unis, 88 % pour le Canada)[1].

La crise de la dette privée s’est ainsi transmutée en crise de la dette publique dont le premier acte a été le déclenchement de la crise de la dette grecque en janvier 2010.

Malgré les interventions massives et soutenues des gouvernements, des banques centrales et des organismes internationaux, aujourd’hui, près de six ans plus tard, l’économie est toujours en panne. La croissance demeure anémique et la récession passe interminablement de la menace à la réalité. Selon l’Organisation internationale du Travail[2], le nombre de 199 millions de chômeurs atteint en 2009 sera dépassé en 2013 et le chômage continuera à augmenter au moins jusqu’en 2017. Il se maintient à près de 12 % en Europe, à près de 30 % en Grèce et en Espagne, à 60 % chez les jeunes en Grèce et 55 % en Espagne.

Les politiques monétaires et budgétaires sont dans l’impasse. Les taux d’intérêt directeurs des banques centrales sont presque nuls. Les liquidités des banques ont considérablement augmenté et les banques ont préféré ne pas prêter leurs fonds, préférant les placer à l’étranger et acheter des obligations gouvernementales. Les dépenses publiques ont été gonflées par le financement des plans de relance, alors que les revenus ont été réduits par le ralentissement économique et la réduction des taux d’imposition.

Pour réduire les déficits ainsi causés, les gouvernements se sont tournés vers de sévères politiques d’austérité, voire de destruction sociale :

  • tarification accrue ;
  • réduction des services publics et de l’aide sociale ;
  • réduction des salaires des fonctionnaires et licenciement de personnel ;
  • réductions des avantages sociaux et des régimes de retraite ;
  • relèvement des taxes à la consommation.

Les premiers pays à s’engager dans cette voie ont été la Grande-Bretagne, l’Irlande, la Grèce, le Portugal, puis l’Italie, l’Espagne et la France. En Grande-Bretagne par exemple, le gouvernement conservateur élu en 2010 a éliminé 500 000 emplois de fonctionnaires. En Grèce, en plus de mesures très sévères à l’endroit des programmes sociaux, le gouvernement a été poussé à s’engager à procéder à la privatisation d’actifs publics de 50 milliards d’euros d’ici 2015, soit une valeur de 20 % du PIB. Mais son budget militaire qui, à plus de 3 % du PIB de 2010, était le deuxième plus élevé de l’OTAN en % du PIB, derrière les États-Unis (4,8 % du PIB), n’a pas été réduit.

Au Québec, le grand coup a été donné dans le budget de 2010-2011 avec l’indexation et la tarification accrue des services publics, l’introduction d’une contribution santé régressive et une augmentation des taxes indirectes. Le nouveau gouvernement élu en 2012 a adopté une politique qui est en stricte continuité avec l’austérité mise de l’avant par le précédent gouvernement.

Au Canada, l’attitude du gouvernement conservateur depuis son accession au pouvoir en 2006 a été centrée sur la réduction des impôts et des dépenses. Après être entré à reculons dans l’action concertée au plan international en faveur de programmes de relance en 2009, il s’en est dégagé à la première occasion annonçant dans ses budgets de 2011 et 2012 des mesures draconiennes de réduction des dépenses en vue d’un rétablissement accéléré de l’équilibre budgétaire. Après avoir déclaré à la fin de 2012 qu’il reportait d’un an, à l’année 2016-2017, la réalisation de cet objectif, estimant en contradiction de ses prétentions antérieures que le déficit zéro n’était pas une fin en soi et que l’austérité pourrait faire plus de mal que de bien, il revenait rapidement à ses sentiments naturels pour déclarer en mars 2013 qu’il fallait au contraire réaliser l’équilibre budgétaire à l’échéance prévue de 2015-2016.

Ces mesures d’austérité auxquelles les gouvernements ont systématiquement recouru ont reporté sur les populations le coût de réparation de manœuvres financières dont elles ne sont pas responsables, alors que les coupables jouissaient de l’impunité. Sur le plan économique, elles empirent la situation au lieu de l’améliorer.

De retentissants mea culpa

Après cinq ans de crise, en avril 2012, les premières mises en garde contre leurs effets ont été exprimées par ceux-là même qui les ont imposées avec force. Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi a lancé un appel à un pacte de croissance européen, en précisant cependant qu’il ne s’agissait pas d’un plan de relance par la dépense publique, mais plutôt d’un plan de relance par la flexibilité de l’emploi (comme en Allemagne). François Hollande, alors qu’il était candidat à la présidence de la France, a lancé au même moment un appel à une relance par la croissance et non par l’austérité.

L’Italie décidait quant à elle en 2012 de reporter d’un an la réalisation de l’équilibre budgétaire, alors que la BCE optait pour une politique d’assouplissement monétaire quantitatif et lançait des « opérations de refinancement à long terme » consistant en des prêts de 1000 milliards d’euros d’obligations de trois ans à 1 % octroyés aux banques européennes.

C’est ensuite le Fonds monétaire international qui a procédé à un mea culpa remarqué. Il a d’abord publié, dans son World Economic Outlook d’octobre 2012[3], une étude intitulée « The good, the bad and the ugly : 100 years of dealing with public debt overhangs », portant sur 26 cas, depuis 1875, où le rapport de la dette au PIB a dépassé 100 %.

L’étude signale l’importance de la croissance du PIB, de la diminution des dépenses et de la hausse des taxes pour réduire le rapport de la dette au PIB.

Mais elle souligne le rôle primordial de la baisse des taux d’intérêt et de la hausse des prix : « […] lorsque les taux d’intérêt étaient élevés et que les prix diminuaient, les politiques de réduction des dépenses et d’augmentation des taxes ont failli ».

Elle donne l’exemple de l’échec lamentable de la Grande-Bretagne dont le rapport dette/PIB était de 140 % après la Première Guerre mondiale.

Sa volonté maladive de rembourser sa dette et de réduire les prix à leur niveau d’avant la guerre a exigé une politique monétaire et budgétaire très rigide (taux d’intérêt de 7 %), qui a permis dans un premier temps de rétablir l’équilibre budgétaire (sans le service de la dette), mais qui a précipité le pays dans la récession et porté le rapport dette/PIB à 170 % en 1930 et à 190 % en 1933.

L’effet négatif des mesures d’austérité a par la suite été dramatiquement mis en lumière, en janvier 2013, par l’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, qui a créé un émoi en dévoilant les résultats d’une étude révélant que, loin d’aider à rétablir la situation économique des pays qui y avaient été contraints, les mesures d’austérité avaient plutôt eu pour effet d’aggraver leur situation[4].

Alors qu’on croyait que l’effet multiplicateur de l’impact d’une réduction de la dépense publique sur le PIB d’un pays était de 0,5, celui-ci était en fait de 1,6, soit un impact plus de trois fois plus élevé. Cela signifie qu’une réduction d’un déficit public d’un euro (ou d’un dollar) se traduit par une réduction de 1,6 euro (ou 1,6 dollar) du PIB ! Loin d’aider à relancer la production, celle-ci se trouve diminuée, non pas d’un montant inférieur à la réduction des dépenses, mais d’un montant plus élevé.

Cela n’empêche pas cependant le FMI de continuer à conditionner son aide à de nouvelles réductions de la protection sociale.

La voie de la radiation de la dette

Une autre voie que celle de l’austérité est désormais considérée sérieusement comme moyen de sortie de crise. Celle de la radiation d’une partie ou de la totalité de la dette publique.

D’abord mise en œuvre pour la Grèce en octobre 2011 dans le cadre d’un « plan de sauvetage de la Grèce et de l’euro », elle a permis pour ce pays la radiation de 53,5 % de la partie de la dette détenue par des établissements privés, soit de 107 milliards d’euros sur 205. L’entente, négociée avec l’Institut de la finance internationale (Institute of International Finance) qui représente les principales banques privées de la planète, a été conclue en avril 2012. Son président a déclaré en novembre 2012 qu’il était temps : « de reconnaître que l’austérité seule condamne non seulement la Grèce, mais l’intégralité de l’Europe à la probabilité d’une ère douloureuse avec une croissance faible ou nulle[5] ».

Après la radiation de ces 107 milliards d’euros de la dette grecque détenue par les créanciers privés, le montant de cette dette, qui était de 350 milliards d’euros avant la radiation, s’élevait toujours à 243 milliards d’euros, dont la majeure partie, 145 milliards d’euros, était détenue par des organismes publics (États, Banque centrale européenne). Elle a continué à augmenter par après.

Dans un article de novembre 2012[6], la revue The Economist rappelle l’expérience de dizaines de pays écrasés par l’endettement en Amérique latine et en Afrique dans les années 1980 et 1990. Les plus endettés d’entre eux, écrit la revue, n’ont commencé à s’en sortir que lorsque leurs dettes, y compris celles qui étaient dues à des créanciers officiels, ont été radiées. La Grèce, soutient-elle, « demeurera un désastre tant qu’elle ne recevra pas le traitement administré aux pays pauvres fortement endettés du passé ». Affirmant qu’il n’y a pas d’autre moyen d’en sortir que par une nouvelle radiation, incluant cette fois non seulement la dette due aux banques privées, mais aussi celle qui est due à la BCE et aux gouvernements européens, elle appelle à renouveler, dans le cas de la Grèce d’aujourd’hui, l’initiative de radiation dont ont bénéficié les pays pauvres lourdement endettés dans les années 1990.

Irlande et Islande

Deux pays, l’Irlande et l’Islande, se sont distingués par la sévérité de leur débâcle financière au début de la crise, en 2008. L’une et l’autre, phares d’un capitalisme financier débridé désigné comme le modèle à suivre, ont connu un effondrement de leur système bancaire face auquel elles ont cependant réagi de manières radicalement différentes.

Alors que le gouvernement irlandais a pris en charge la dette des banques ruinées, gonflant ainsi le déficit budgétaire et la dette publique qui ont atteint respectivement 32 % et 95 % du PIB en 2010, et imposé des mesures d’austérité draconiennes visant à rétablir l’équilibre budgétaire sur une période de cinq ans, le gouvernement islandais a nationalisé les principales banques devenues non solvables et annulé leur dette, et de nombreux banquiers ont été poursuivis en justice et condamnés.

La population islandaise a refusé deux fois par voie de référendum, en mars 2010 et en avril 2011, de souscrire à un accord de six milliards de dollars d’indemnisation des déposants, jugeant qu’elle n’avait pas à assumer les conséquences des spéculations des financiers.

Contesté par les gouvernements britannique et hollandais dont les citoyens avaient été sévèrement touchés par l’effondrement des banques islandaises, ainsi que par le FMI, le droit de refus de la population islandaise de rembourser les épargnants étrangers a été confirmé à la fin de janvier 2013 par un tribunal de l’Association européenne de libre-échange[7], dont l’Islande fait partie avec la Suisse, la Norvège et le Liechtenstein.

Ayant refusé les recettes imposées aux autres pays frappés par la crise et libérée du fardeau d’une dette illégitime, l’Islande a renoué avec la croissance économique et son taux de chômage est désormais sous les 8 %. Ce taux est toujours de 15 % en Irlande où l’économie fait du sur-place. Un sixième budget d’austérité consécutif a été adopté à la fin de 2012 et le rapport de la dette au PIB, qui était de 25 % en 2007, dépassera les 120 % en 2013. Le tiers de cette dette provient de la prise en charge par l’État de la dette des banques ruinées, alors que le gouvernement persiste à exclure toute augmentation du fardeau fiscal des entreprises, le plus bas d’Europe.

Dans une entrevue intitulé Let banks go bankrupt, réalisée lors du forum de Davos en janvier 2013 et diffusée sur YouTube, le président de l’Islande, Olafur Ragnar Grimsson, a expliqué qu’« il est temps de cesser de considérer les banques comme les saintes églises de l’économie moderne » et que « la théorie selon laquelle les banquiers devraient pouvoir jouir de leurs bénéfices quand les affaires vont bien, mais que ce sont les gens ordinaires qui devraient payer pour leurs échecs et pour sauver les banques au moyen des impôts et de l’austérité, les gens ordinaires ne l’accepteront plus à l’avenir dans les démocraties éclairées ».

Argentine : courage et déboires

Contrairement à l’Islande où les choses semblent être réglées, l’enjeu de la radiation de la dette souveraine a pris une ampleur particulière en Argentine qui fait face à une formidable attaque de fonds spéculatifs « vautours », désignés par l’Argentine comme des fonds « charognards et usuriers », et de la justice états-unienne contre la radiation de 65 % de sa dette de 81 milliards dans le cadre d’accords conclus avec 93 % des créanciers de cette dette, survenus en 2005 et 2010. Les récalcitrants non signataires des accords n’ont cessé par la suite de tenter devant les tribunaux d’obtenir des ordonnances de remboursement du plein montant des titres qu’ils détiennent.

L’un d’eux, le fonds spéculatif Elliott Management, a obtenu, le 1er octobre 2012, la saisie de la frégate argentine Libertad dans le port de Tema, au Ghana. Une cour états-unienne a par ailleurs ordonné le paiement à Elliott Management du plein montant de 1,3 milliard de dollars des titres détenus par ce fonds spéculatif, et non de 35 % du montant, auquel ont consenti les autres créanciers. Il va sans dire que si le traitement de 100 % était effectivement obtenu par Elliott Management, cela aurait un effet de boule de neige sur les autres créanciers récalcitrants.

L’Argentine en a appelé de cette décision en novembre 2012 et la Cour a confirmé l’ordre de paiement du plein montant le 27 février 2013. L’Argentine a immédiatement déclaré qu’elle ne se sentait pas liée par cette décision et a annoncé qu’elle ferait défaut de payer le montant de 1,3 milliard si l’ordre de payer lui était imposé. L’Argentine fait évidemment face à la saisie de ses actifs à l’étranger.

Chypre : un type inusité d’austérité

Havre du blanchiment d’argent et paradis fiscal ayant en Europe le plus faible taux d’imposition (10 %) des profits des sociétés, Chypre est devenue, un peu comme l’Islande et l’Irlande, une terre d’accueil de dépôts bancaires qui ont atteint en 2013 quelque 68 milliards d’euros, un montant égal à quatre fois son PIB. Près de la moitié de ces 68 milliards provient de riches citoyens et d’entreprises russes, attirés en particulier par la forte protection des droits de propriété garantie par l’État chypriote, à l’abri de l’intervention de Moscou.

Cet argent a été investi en prêts et placements qui ont atteint plus de sept fois le PIB en 2013. Il a nourri un boum immobilier et été investi pour une large part dans le financement de la dette grecque, dont plus de 50 % de la part détenue par les banques privées, parmi lesquelles les banques chypriotes, a été radiée dans le cadre du plan de sauvetage de la Grèce à la fin de 2011.

Il s’en est suivi de lourdes pertes pour les banques chypriotes dont les deux plus importantes, en faillite, ont réclamé une aide de l’État qui a lui-même sollicité de la BCE, du FMI et de l’Union européenne une aide financière de 17 milliards d’euros, égale à son PIB. Dix de ces 17 milliards étaient destinés à la recapitalisation des banques en faillite.

Une entente quant à cette aide, devenue caduque trois jours plus tard, a été conclue le 16 mars 2013. Elle comprenait une disposition inusitée : pour limiter à 10 milliards d’euros le montant de l’aide reçue, il a été convenu qu’une taxe soit perçue sur les dépôts bancaires, les déposants étant ainsi amenés à financer à hauteur de 7 milliards d’euros le sauvetage du pays, en fait des banques. Cette taxe aurait été de 6,75 % sur les 30 milliards d’euros de dépôts inférieurs à 100 000 euros, même si ces dépôts étaient garantis par l’assurance-dépôts, et de 9,9 % sur les 38 milliards d’euros de dépôts supérieurs à 100 000 euros.

Indignés par cette proposition, les épargnants chypriotes, qui se voyaient imposer une austérité d’un nouveau genre, pour ne pas dire un vol pur et simple de leurs épargnes, l’ont manifesté en force en descendant dans les rues, ce qui a poussé le gouvernement à renoncer au projet dès le 19 mars, transformant du même coup la situation en impasse.

Une nouvelle entente a été conclue le 25 mars. Elle implique une importante réduction du système bancaire chypriote, jusqu’à maintenant hypertrophié, et la hausse à 12,5 % du taux d’imposition des profits qui étaient jusqu’à aujourd’hui de 10 %. La réduction du système bancaire passe par la restructuration de la plus grande banque du pays, la Banque de Chypre, dont les dépôts non assurés sont amputés de plus de 35 %, et par la liquidation de la deuxième banque du pays, la banque Laiki, dont les actifs sains et les dépôts assurés, exempts de la taxe de 6,5 % dont on voulait les frapper dans le cadre du plan mis de côté, sont déposés dans une « bonne banque », qui sera par la suite intégrée à la Banque de Chypre.

Ayant compris le refus de la population de financer la faillite du système bancaire, le gouvernement chypriote et ses créanciers de l’Union européenne, de la BCE et du FMI ont été contraints d’en reporter le poids sur les mieux nantis, ce qui est une première en matière de sauvetage d’un pays en détresse dans la présente crise. Une première dont ils affirment présomptueusement qu’elle demeurera circonscrite à Chypre et qu’elle ne sera pas le modèle d’éventuels futurs sauvetages.

Le « précipice budgétaire » (fiscal cliff) des États-Unis

Deux causes sont à la source du phénomène qui est identifié comme le « précipice budgétaire » aux États-Unis.

I – D’importantes réductions d’impôt pour les plus riches, entrées en vigueur en 2001, 2003 et 2009, ainsi que des réductions de 6 % à 4 % des cotisations à la sécurité sociale, venaient à échéance le 1er janvier 2013, entraînant le double effet suivant :

  1. Le rétablissement des taux d’imposition et de cotisation aux niveaux antérieurs, plus élevés, est l’équivalent d’une hausse des impôts (de 225 milliards de dollars) et des cotisations (85 milliards) en 2013, donc une contribution positive au rétablissement de l’équilibre budgétaire.
  2. Mais cette hausse effective des impôts et des cotisations a un effet de ralentissement de l’économie par la diminution du pouvoir de consommer.

II – L’imbroglio de l’été 2011 sur le relèvement du plafond de la dette s’était soldé par un « compromis » dont l’une des conséquences est la mise en œuvre automatique, faute d’entente entre la présidence et le Congrès, de réductions des dépenses budgétaires de 85 milliards de dollars (dépenses militaires et dépenses sociales) en 2013, entraînant également un double effet :

  1. La réduction des dépenses concourt à la réduction du déficit budgétaire
  2. Mais elle provoque simultanément un ralentissement de l’économie et accroît les tendances à la récession.

Les deux ensembles de mesures ont donc l’effet positif de réduire le déficit (de 500 milliards de dollars en 2013, soit 3 % du PIB), et l’effet négatif d’accroître les tendances à la récession.

Nous arrivons finalement au même constat que précédemment : en voulant réduire le déficit (par des mesures d’austérité notamment), et davantage si on y procède brusquement, on risque de provoquer une dégradation économique, voire alimenter la récession. C’est cette situation qui a d’abord été identifiée en février 2012 par le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, comme un « précipice budgétaire » (fiscal cliff).

Dans la même perspective, les agences de notation mettaient en garde le gouvernement du Canada, à l’automne 2012, contre le recours à l’austérité, l’avertissant qu’il n’y avait pas d’urgence à atteindre l’équilibre budgétaire et qu’agir dans la précipitation peut avoir des effets négatifs. Il faut d’ailleurs mentionner que le gouvernement du Canada avait alors repoussé d’un an, soit à 2016-2017, l’atteinte de l’équilibre budgétaire, avant de revenir sur sa décision en mars 2013.

Mais cela ne semblait pas atteindre le gouvernement du Québec qui a multiplié les mesures d’austérité avec, comme seul objectif fondamental de sa politique économique, celui d’atteindre l’équilibre budgétaire dès 2013-2014, trois ans plus tôt que ce que visait le gouvernement fédéral à l’automne 2012, et quatre ans plus tôt que ce que vise celui de l’Ontario. Nous en connaissons les conséquences, en particulier sur le financement de l’enseignement supérieur et de l’aide sociale.

Ce tour d’horizon serait incomplet s’il ne mentionnait pas cette cause fondamentale des déficits publics, et du recours conséquent à l’austérité, qu’est le détournement des revenus de l’État par l’évasion et l’évitement fiscaux. Le problème est à ce point réel qu’un organisme international comme l’OCDE[8] a lancé en février 2013 un appel aux pays membres du G20 pour qu’ils interviennent en vue d’éradiquer l’évitement fiscal qui permet aux grandes entreprises de se soustraire à l’impôt. Simultanément, le Wall Street Journal, se fondant sur une étude menée auprès de 60 grandes multinationales états-uniennes, alertait la communauté internationale quant aux milliards de dollars de profits échappant au fisc. Selon cette étude, près de la moitié des profits des multinationales recensées seraient détournés vers les paradis fiscaux[9].

Quelle voie de sortie ?

Les illustrations qui viennent d’être faites des effets négatifs des mesures d’austérité sur la situation économique des pays qui y ont été poussés peuvent inciter à croire que la crise pourrait être surmontée par la mise en œuvre de politiques qui sont aux antipodes de l’austérité, c’est-à-dire par l’augmentation des dépenses publiques, qu’il s’agisse des dépenses d’infrastructures, des allocations sociales ou des services publics en général.

Il faut se garder d’une telle déduction. Pour que la dépense publique soit de nature à relancer l’économie, il faudrait qu’elle puisse résoudre le problème qui est à l’origine de son utilisation, soit le blocage de l’accumulation. Dans l’économie capitaliste, dont le seul moteur est la recherche du profit et la fructification du capital, pour qu’une dépense publique, affectée au financement de services publics ou de travaux publics, soit un investissement au sens capitaliste du terme, il faudrait que cet investissement fructifie, qu’il soit productif pour le capital, qu’il « paie pour lui-même ».

Ce n’est pas le cas de la dépense publique qui, si essentielle soit-elle au bien-être de la population, est improductive pour le capital. Cette dépense ne « paie pas pour elle-même ». Elle est au contraire un poids pour le capital. Son financement est assuré par les revenus de l’État, c’est-à-dire par les impôts et les emprunts. La seule activité génératrice d’un profit global accru est celle qui proviendrait de la relance de l’investissement rentable. Et cela suppose que le capital en arrive à en soutirer davantage du travail salarié qui est la seule source de son accumulation[10].

En somme, contrairement à ce qu’on pourrait être incité à croire, la clé de la relance dans cette économie dans laquelle nous vivons, dont le seul moteur est le profit, est plutôt du côté d’une plus grande que d’une moins grande austérité ! Cette conclusion nous amène à une réflexion d’un autre ordre, celle qui porte sur le type de société à inventer pour surmonter l’impasse de la société actuelle. q

[1] FMI, Fiscal Monitor, octobre 2012, p. 80.

[2]Global employment trends 2013. Recovering from a second jobs dip. Annexes statistiques, p. 133-154.

[3] Chapitre 3 du rapport.

[4] Olivier Blanchard et David Leigh, Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers, IMF Working Paper, janvier 2013.

[5] Propos diffusés par l’Agence France-Presse, reproduits dans Le Devoir, le 15 novembre 2012.

[6] Intitulé « Greece’s debt burden. How to end the agony », p. 12..

[7] Voir François Brousseau, « Merde aux banquiers », Le Devoir, 4 février 2013.

[8] OCDE, Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, 2013, http ://dx.doi.org/10.1787/9789264192904-fr

[9]Wall Street Journal, édition du 11 mars 2013.

[10] Voir à ce sujet mon article intitulé « À l’origine des crises : surproduction ou sous-consommation ? », Carré rouge, avril 2009.