L’enfumage juridique du chemin Roxham

Dans un article paru dans le Journal de Montréal (25 janvier 2023) intitulé « Roxham prêche dans le désert », le chroniqueur Guillaume Saint-Pierre dit ceci :

Car la solution recherchée par le gouvernement Trudeau exige que la Maison-Blanche accepte et trouve une façon de reprendre les migrants qui seraient refoulés aux passages irréguliers comme le chemin Roxham.

Ils n’ont, à l’heure actuelle, pas cette obligation.

(Mes italiques)

Voyons ce qu’il en est.

 

– LE DROIT

L’entente sur les pays tiers sûrs a été signée en 2002 entre les États-Unis et le Canada et les articles 1, 2, 3, 4, 5 et 6 sont importants aux fins de la présente. On retrouvera ces articles en annexe.

Le point le plus important à comprendre au départ, c’est ce que cette entente ne s’applique pas aux migrants qui arrivent par le chemin Roxham, qui n’est pas considéré comme un « point d’entrée » officiel en vertu de la loi canadienne.

En effet, un « point d’entrée » est défini à l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002-227 (le RIPR) comme un lieu désigné par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, qui, à ce jour n’a pas désigné le chemin Roxham comme un point d’entrée.

En vertu de l’article 27 (1) du RIPR toute personne qui cherche à entrer au Canada doit se soumettre à un contrôle de la part d’un agent des douanes1 et si cette personne chercher à entrer au Canada à un point autre qu’un point d’entrée, elle doit se présenter au point d’entrée le plus proche2.

Ainsi, si une personne cherche à entrer au Canada par le chemin Roxham, comme cet endroit n’est pas un point d’entrée officiel, elle doit se présenter au point d’entrée le plus proche, c’est-à-dire dans ce cas-ci, au poste de Lacolle, situé à quelques kilomètres du chemin Roxham.

À titre d’exemple, lorsque cette personne se présente au point d’entrée officiel de Lacolle, le Canada a l’obligation d’examiner sa demande d’asile en vertu de l’article 4 de l’entente pour déterminer si elle est admissible à présenter cette demande, c’est-à-dire si elle remplit les 4 conditions énumérées au paragraphe 4(2) de l’entente :

  • elle a un membre de sa famille qui a un statut de réfugié au Canada ou un autre statut que celui de visiteur ;
  • elle a un membre de sa famille âgé de moins de 18 ans qui n’est pas inadmissible à présenter une demande d’asile et qui est en attente d’instance à ce sujet ;
  • elle est un mineur non accompagné ;
  • elle a un visa régulier autre qu’un transit ou elle est dispensée d’en avoir un.

Si la personne n’est pas admissible en vertu des 4 conditions, le Canada doit la retourner aux États-Unis où elle peut présenter une demande pour obtenir le statut de réfugié et les États-Unis ne pourront pas la retourner dans un pays tiers tant que son statut de réfugié n’aura pas été déterminé (article 3a) et ils ne pourront pas retourner non plus cette personne dans un pays tiers en vertu d’une autre entente avec un tiers pays sûr ou par désignation réglementaire.

De façon globale, la personne ne sera pas renvoyée dans un pays tiers tant que son statut de réfugiés n’aura pas été décidé (article 4.3 de l’entente), soit par le Canada ou soit par les États-Unis.

Enfin l’article 6 de l’entente prévoit que, par dérogation à toute autre disposition de l’entente, l’une des parties, ou l’autre, peut, à son gré, décider d’examiner toute demande du statut de réfugié qui lui a été faite si elle juge qu’il est dans l’intérêt public de le faire.

– L’APPLICATION DU DROIT

Ceci étant dit, voyons comment cet accord est appliqué dans le concret concernant le chemin Roxham.

Pour des raisons idéologiques reliées à sa conception multiculturaliste de premier pays « post national », influencé par le projet Initiative Century, fondé par Dominic Barton, ancien dirigeant de McKinsey and Compagny, le cabinet du capitalisme toxique, selon Jean-François Lisée, et impliqué dans une récente controverse, le Canada applique une politique basée sur le diktat de la mobilité internationale, une politique assez « tolérante » pour ne pas dire laxiste.

Ainsi, au lieu de bloquer le chemin Roxham, comme point d’entrée illégal, et d’indiquer aux migrants par une simple pancarte visible par tous, en plusieurs langues, dont l’espagnol (particulièrement pour les nombreux immigrants provenant d’Amérique centrale), qu’ils doivent se présenter au poste d’entrée officiel de Lacolle, le gouvernement Trudeau ne fait pas trop d’obstruction à leur entrée au Canada, pour leur permettre de bénéficier de la loi canadienne avec les longs délais qu’elle implique.

Pour ce faire et pour sauver les apparences, le Canada a installé 2 panneaux avertissant les migrants, dans un premier tableau, que leur entrée est illégale, mais dans un 2e tableau leur disant qu’ils s’ils veulent être considérés comme réfugiés, ils devront répondre à plusieurs exigences précises et risquent d’être retournés dans leur pays, les invitant subtilement et indirectement à entrer.

Comme Justin Trudeau a lancé une invitation le 28 janvier 2017 sur le réseau social Twitter (plus de 50 millions d’abonnés à travers le monde), entre autres, à tous les persécutés du monde, que le Canada les accueillera, le chemin Roxham, par le bouche-à-oreille et les informations probablement très « intéressées » des passeurs, est devenu dans les faits un passage où les migrants tentent leur chance en sachant d’avance, que même s’ils sont arrêtés et détenus, ils auront des chances de rester au Canada en profitant des largesses de la loi canadienne.

Ce qui se passe est simple à comprendre : pour sauver les apparences, les policiers de la GRC les « arrêtent », les « détiennent » pour que leur demande d’asile soit examinée par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada et ces personnes sont logées, nourries et aidées socialement par le gouvernement du Québec, qui réclame depuis longtemps la fermeture du chemin Roxham.

Les statistiques parlent d’elles-mêmes : depuis la déclaration de Justin Trudeau, il est entré près de 100 000 migrants de façon illégale au Canada, la très grande majorité au Québec, alors qu’il n’y a eu aucune entrée illégale en Ontario. En 2022, sur 39,540 « interceptions » par la GRC, 39,171 ont eu lieu au chemin Roxham, soit 99,06 % des entrées illégales.

Comme mentionné précédemment, comme ces personnes sont entrées illégalement – le gouvernement canadien utilise l’euphémisme « entrées irrégulières » – l’entente Canada-USA ne s’applique pas et les États-Unis refusent qu’ils soient retournés sur le territoire américain pour y faire une demande d’asile.

Comment le gouvernement canadien peut-il violer sa propre loi, en particulier l’article 27.2 du RIPR qui dit clairement qu’une personne qui cherche à entrer au Canada par un point autre qu’un point d’entrée (officiel) doit se présenter au point d’entrée le plus proche ?

Tout simplement en étant « laxiste » dans son application en se servant de la GRC pour faire le travail d’emmener les migrants à un agent des services frontaliers. Autrement dit, pour employer une métaphore, c’est la montagne qui va vers la souris et non pas la souris qui va vers la montagne, tout cela aux frais des contribuables canadiens en plus du coût des structures d’accueil.

L’article 6 de l’entente prévoit que les parties peuvent décider, par dérogation à l’entente, examiner toute demande d’asile qui leur est faite, mais encore faut-il que cette demande soit conforme (dans le cas du Canada) à l’article 18 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et aux articles 27 (1) et 27 (2) de son règlement.

En clair et en bref, on assiste dans ce dossier à un tour de passe-passe juridique en laissant croire publiquement que l’obstacle principal de l’arrivée massive de migrants illégaux par le chemin Roxham est l’entente Canada–États-Unis, alors que c’est le Canada qui refuse de l’appliquer en ne bloquant pas ce point d’entrée et en ne donnant pas l’ordre aux migrants de se présenter au poste officiel de Lacolle.

ANNEXE

Articles pertinents de l’entente Canada–États-Unis
sur les tiers pays sûrs

Article premier

1. Dans le présent accord,

a) Par « demande du statut de réfugié », il faut entendre une demande, qu’une personne présente au gouvernement de l’une ou de l’autre partie, de protection en conformité avec la Convention ou le Protocole, la Convention contre la torture ou sur toute autre base en application des lois respectives de chacune des parties ;

b) Par « demandeur du statut de réfugié », toute personne qui présente une demande du statut de réfugié sur le territoire de l’une des parties ;

c) Par « dernier pays de séjour », le pays, soit le Canada, soit les États-Unis, dans lequel le demandeur du statut de réfugié était physiquement présent immédiatement avant de faire sa demande du statut de réfugié à un point d’entrée situé à une frontière terrestre ;

d) Par « membre de la famille », le conjoint, le fils, la fille, les parents, le tuteur légal, les sœurs et frères, les grands-parents, les petits-enfants, l’oncle, la tante, la nièce et le neveu ;

e) Par « mineur non accompagné », un demandeur du statut de réfugié non marié qui n’a pas atteint l’âge de dix-huit ans et qui n’a ni mère ni père ni tuteur légal au Canada ou aux États-Unis ;

f) Et par « régime de détermination du statut de réfugié », l’ensemble des mesures législatives et des pratiques administratives et judiciaires auxquelles a recours le gouvernement national de chaque partie afin de statuer sur les demandes du statut de réfugié.

2. Chaque partie applique le présent accord aux membres de la famille et aux mineurs non accompagnés en conformité avec sa loi nationale.

Article 2

Le présent accord ne s’applique pas aux demandeurs du statut de réfugié qui sont citoyens du Canada ou des États-Unis, ou qui, n’ayant pas de nationalité, ont leur résidence habituelle au Canada ou aux États-Unis.

Article 3

1. En vue de garantir à chaque demandeur du statut de réfugié l’accès à un régime de détermination du statut de réfugié, les parties ne peuvent envoyer ou renvoyer dans un pays tiers le demandeur du statut de réfugié déféré par l’une d’elles, ou par l’autre, en vertu de l’article 4 tant qu’il n’a pas été statué sur la demande du statut de réfugié faite par cette personne.

2. Les parties n’envoient pas un demandeur du statut de réfugié renvoyé dans son dernier pays de séjour aux conditions du présent accord à un pays tiers en vertu de tout autre accord sur les pays tiers sûrs ou d’une désignation réglementaire.

Article 4

1. Sous réserve des paragraphes 2 et 3, la partie du dernier pays de séjour examine, conformément aux règles de son régime de détermination du statut de réfugié, la demande de ce statut de toute personne arrivée à un point d’entrée d’une frontière terrestre à la date d’entrée en vigueur du présent accord, ou par après, qui fait cette demande.

2. La responsabilité de la détermination du statut de réfugié demandé par toute personne visée au paragraphe 1 revient à la partie du pays d’arrivée, non pas à celle du pays du dernier séjour lorsque la partie du pays d’arrivée établit que cette personne :

a) a, sur le territoire de la partie du pays d’arrivée, au moins un membre de sa famille dont la demande du statut de réfugié a été accueillie ou qui a obtenu un autre statut juridique que celui de visiteur sur le territoire de la partie du pays d’arrivée ;

b) a, sur le territoire de la partie du pays d’arrivée, au moins un membre de sa famille âgé d’au moins dix-huit ans, n’est pas inadmissible à faire valoir une demande du statut de réfugié dans le cadre du régime de détermination du statut de réfugié de la partie du pays d’arrivée et a une telle demande en instance ;

c) est un mineur non accompagné ;

d) est arrivée sur le territoire de la partie du pays d’arrivée :

i en possession d’un visa régulièrement émis ou d’un autre titre d’admission valide, autre qu’une autorisation de transit, émis par cette même partie ;

ii ou sans être requise d’obtenir un visa, uniquement par la partie du pays d’arrivée.

3. La partie du dernier pays de séjour n’est pas obligée d’accepter de reprendre un demandeur du statut de réfugié tant que la partie du pays d’arrivée n’a pas statué définitivement au regard du présent accord.

4. Les parties ne peuvent ni l’une ni l’autre revoir une décision attestant qu’une personne peut faire l’objet d’une exception prévue par les articles 4 et 6 du présent accord.

Article 5

Dans les cas de renvoi d’une personne par l’une des parties, par transit sur le territoire de l’autre, les parties sont convenues de ce qui suit :

a) Toute personne renvoyée du Canada en transit aux États-Unis qui présente une demande du statut de réfugié aux États-Unis est retournée au Canada afin que sa demande soit examinée sous le régime de détermination du statut de réfugié du Canada et conformément à celui-ci.

b) Toute personne renvoyée des États-Unis en transit au Canada qui présente une demande du statut de réfugié au Canada et :

i. Dont la demande du statut de réfugié a été rejetée par les États-Unis est autorisée à poursuivre sa route à destination du pays vers lequel elle est renvoyée ;

ii (qui n’a pas vu son statut de réfugié déterminé par les États-Unis, est retournée aux États-Unis afin que sa demande soit examinée sous le régime de détermination du statut de réfugié des États-Unis et conformément à celui-ci.

Article 6

Par dérogation à toute autre disposition du présent accord, l’une des parties, ou l’autre, peut, à son gré, décider d’examiner toute demande du statut de réfugié qui lui a été faite si elle juge qu’il est dans l’intérêt public de le faire.


1 27(1) Sauf disposition contraire du présent règlement, la personne qui cherche à entrer au Canada doit sans délai, pour se soumettre au contrôle prévu au paragraphe 18(1) de la Loi, se présenter à un agent à un point d’entrée.

2 27 (2) Sauf disposition contraire du présent règlement, si la personne cherche à entrer au Canada à un point autre qu’un point d’entrée, elle doit se présenter au point d’entrée le plus proche.