L’éolien ou le thermique

Pour rencontrer l’augmentation prévue de sa demande électrique, le Québec semble vouloir se tourner vers le thermique (centrales au gaz naturel). Les centrales au gaz représentent une très belle technologie. Mais cette technologie est importée, que ce soit l’équipement ou le carburant, rien ou presque ne proviendra du Québec. En plus de l’investissement initial, pour une centrale au gaz naturel comme « Le Suroît », le Québec devra importer environ 300 Millions $ par année de carburant. Une telle centrale émettra quelque 2,25 millions de tonnes de gaz à effet de serre par année, soit une augmentation de l’ordre de 3 % pour le Québec ou l’équivalent d’une flotte de 600 000 autos.

Pour fournir un service sensiblement équivalent à la centrale projetée du Suroît, un projet éolien :

  • nécessiterait un parc éolien d’environ 2000 MW jumelé à l’exploitation du réseau hydraulique existante ;
  • pourrait être construit dans les mêmes délais qu’une centrale au gaz ;
  • éviterait la production de gaz à effet de serre ;
  • exploiterait une ressource indigène au Québec ;
  • créerait une activité industrielle de 200 à 700 M $ par année pour la fabrication des éoliennes durant 5 années et créerait près de 200 – 400 emplois permanents pour l’opération et l’entretien des parcs éoliens ;
  • résulterait en un coût de production de l’électricité de l’ordre de 4 ¢/kWh versus 6,9 ¢/kWh pour « Le Suroît », une économie qui actualisée sur 20 ans vaut près de 2,0 milliards de $ présents.

Particulièrement au Québec, où la ressource est reconnue comme exceptionnelle, l’exploitation de la filière éolienne peut constituer le complément idéal au parc, actuel et à venir, de production hydraulique, Au Québec, la ressource éolienne est de beaucoup supérieure à la ressource hydraulique. De plus, elle est mieux répartie géographiquement. Généralement bien acceptée par la population, elle est parfaitement complémentaire avec un parc de production électrique basé sur la ressource hydraulique, elle présente également une très bonne corrélation mensuelle avec la demande, réduisant par le fait même les besoins de stockage.

Tout comme l’hydraulique, l’éolien fait appel à une ressource renouvelable et consiste principalement en un investissement en capital auquel on ajoute des frais d’entretien, le carburant étant gratuit. Cependant, l’éolien étant un produit manufacturé, il présente un fort contenu d’emplois industriels (75 à 80 % du coût total du projet), comparativement aux emplois en chantiers pour l’hydraulique. La filière thermique quant à elle exporte les emplois à l’extérieur du Québec pour l’achat de turbines à gaz et pour la production du gaz qu’elles consommeront.

L’industrie éolienne mondiale est en pleine croissance et le Québec, possédant des atouts indéniables en ce domaine, pourrait y occuper une place de choix. Ainsi, elle présente :

– un chiffre d’affaires mondial de l’ordre de 16 G $ par année (12 milliards pour les nouvelles éoliennes installées en 2003 et 3,8 milliards pour les 75 TWh produits en 2003) ;

– un taux de nouvelles installations en 2003 de 8133 MW, pour un total de 39294 MW installés ; démontrant une croissance de plus de 26 % en 2003, soit une croissance annuelle de plus de 25 % pour une 7e année consécutive ;

– mondialement, elle procure de l’emploi à près de 100 000 personnes (fabrication, construction et entretien).

La production d’électricité à partir de la ressource éolienne, fait aujourd’hui appel à des technologies éprouvées, la puissance globale installée a crû de 500 % de 1997 à 2003, soit de 7636 MW à 39 294 MW. Rappelons les faits suivants :

– des unités de production de 2 à 5 MW sont commercialement disponibles, elles ont de 80 à 126 mètres de diamètre et sont montées sur des tours de 80 à 120 mètres de hauteur, les éoliennes modernes sont les plus grosses machines tournantes au monde ;

– des unités de production ont démontré une disponibilité de plus de 98 % et elles peuvent fonctionner :

– sous des climats froids ; des versions arctiques sont disponibles pour un coût majoré d’environ 5 % par rapport aux versions standards ;

– sous des conditions givrantes ; des éoliennes sont fabriquées pour opérer sous ces conditions jusqu’à 100 jours par année ;

– la production d’électricité d’une centrale éolienne peut être prévue 48 heures à l’avance, avec une précision de l’ordre de 10 %, les technologies permettant cette prévisibilité sont appliqués depuis 1999 et s’améliorent d’année en année ;

– une haute pénétration démontrée dans plusieurs pays, la partie ouest du Danemark comble, à certaines périodes de l’année, plus de 70 % de la puissance électrique requise pour ses besoins propres. La région de Navarre en Espagne, quant à elle, produisait 55 % de son électricité à partir de l’éolien en 2002 et on prévoyait doubler l’apport des énergies renouvelables pour 2005, l’éolien produirait alors 71 % de l’électricité de la région.

Par ailleurs, les coûts de production de l’éolien sont extrêmement concurrentiels et sont de l’ordre de 4 à 5,5 ¢/kWh. Pour atteindre ces coûts :

– le programme doit avoir assez d’ampleur pour pouvoir réaliser des économies d’échelle (par exemple : rencontrer la nouvelle demande québécoise soit environ 1000 MW par année, en sus de fournir l’énergie escomptée à court terme du thermique) ;

– la propriété et l’exploitation des parcs éoliens, au Québec, doivent être confiés à Hydro-Québec ; (la structure de financement de projet d’une compagnie d’électricité publique permet d’économiser de 1 à 2 ¢/kWh par rapport au privé) ;

– le programme d’implantation doit être réalisé par une équipe bien formée ;

– les éoliennes pourraient être fabriquées localement par un fabricant mondialement reconnu (recruté par appel d’offres) qui en dedans de 3 ans établirait un réseau de sous-traitants locaux (avantage d’au moins 0,5 ¢/kWh, à cause du coût comparatif de la main-d’œuvre) :

– la planification et la construction des parcs éoliens doivent être réalisées par une équipe expérimentée, ce qui pourrait être un constructeur de niveau mondial, recruté par appel d’offres, qui en dedans de 3 ans établirait une filiale locale ou un réseau de sous-traitants locaux ;

À titre d’exemple, l’implantation d’un tel programme, en Espagne, a permis d’atteindre un contenu local de 90 % en dedans de 3 ans et la création d’au moins 20 000 emplois dans les usines d’assemblage des éoliennes et de fabrication de leurs composantes, chiffres qui pourraient s’appliquer de même manière au Québec.

La figure de la page suivante montre une éolienne moderne. Ses composantes principales sont : un rotor comprenant généralement trois pales et un moyeu ; une boîte d’engrenages pour élever la vitesse de rotation et une génératrice électrique. L’éolienne comporte aussi un système d’orientation de la nacelle, un frein, un système de contrôle et évidemment une tour pour supporter la nacelle.

L’abondance du gisement éolien québécois

De nouvelles méthodes d’évaluation de la ressource éolienne appliquent les données historiques de la météo à haute altitude à la prospection éolienne, ce qui donne un historique d’environ 50 ans aux résultats. Les travaux de l’équipe canadienne sont faits en collaboration avec le centre de recherche danois de Risø. Les résultats de calibration (validation du modèle avec des mesures anémométriques) en Suisse, au Sinaï et plus récemment en Saskatchewan et en Gaspésie montrent une précision de l’ordre du 0,5 mètre/ seconde.1

Cette méthode a récemment été utilisée par les chercheurs d’Environnement Canada pour analyser le potentiel québécois. L’ensemble du Québec a été évalué à une résolution de 30 kilomètres et la région au sud du 55e parallèle a été évaluée à une résolution de 5 km. Ces études montrent que :

– l’ensemble du Québec présente 933 800 km2 ayant des vents supérieurs à 7 m/s, ce qui à une densité moyenne de 5 MW/ km2 permettrait d’installer 4 669 000 MW d’éoliennes pouvant produire 14 000 TWh par année, ce qui est près de 75 fois la capacité hydraulique actuelle d’environ 180 TWh. À des vents supérieurs à 8 m/s, on retrouve 555 100 km2, ce qui à 5 MW/ km2 permettrait d’installer près de 2 775 000 MW d’éoliennes pouvant produire 8930 TWh par année ;

– au sud du 55e parallèle, c’est-à-dire de la frontière des États-Unis jusqu’à la limite nord des lignes actuelles de transport d’électricité, on retrouve 298 450 km2 de superficie présentant des vents supérieurs à 7 m/s, ce qui permettrait d’installer, à une densité moyenne de 5 MW/ km2, 1 492 000 MW d’éoliennes qui pourraient produire 4450 TWh par année. À des vents supérieurs à 8 m/s, on retrouve 155 500 km2, ce qui à 5 MW/ km2 permettrait d’installer près de 778 000 MW d’éoliennes pouvant produire 2568 TWh par année.

Rappelons ici que des vents supérieurs à 7 m/s permettraient d’obtenir de l’énergie électrique à partir de l’éolien à des coûts avantageux par rapport à la filière thermique au gaz naturel. En effet, des projets d’envergure, bien conçus, pourraient donner de l’énergie éolienne à moins de 5,6 ¢/kWh pour des vents supérieurs à 7 mètres/seconde et à moins de 4,7 ¢/kWh pour des vents supérieurs à 8 m/s (versus « Le Suroît » estimé à 6,9 ¢/kWh). Ces coûts incluent le raccordement au réseau et le support en puissance (aussi appelé service d’équilibrage).

Comme exemple de parcs éoliens qui permettraient d’éviter la filière thermique, nous avons étudié quatre régions qui pourraient fournir les 13,2 TWh escomptés du thermique (6,5 TWh du projet « Le Suroît » ; 4,1 TWh du projet de TCE à Bécancour, et les 2,6 TWh de la centrale de Tracy opérée en sus du support en puissance lors des périodes de pointe de l’hiver).

Ces besoins pourraient être comblés par :

– un parc éolien de 3750 MW dans la région de La Grande 4 – Laforge, vents de 8,75 à 9,25 mètres/seconde, coût de capital de 4750 M $, résultant en un coût moyen de 4,2 ¢/kWh, pour une économie sur « Le Suroît » de 1983 M $ actualisé sur 20 ans ;

– un parc éolien de 4500 MW dans la région de Manic – Outardes – Bersimis (à proximité du réseau à 735 kV), vents de 7,75 à 8,25 mètres/seconde, coût de capital de 5700 M $, résultant en un coût moyen de 4,9 ¢/kWh, pour une économie sur « Le Suroît » de 1592 M $ actualisé sur 20 ans ;

– un parc éolien de 5300 MW dans la région de Charlevoix (encadré par des lignes à 735 kV), vents de 6,75 à 7,75 mètres/seconde, coût de capital de 6700 M $, résultant en un coût moyen de 5,6 ¢/kWh, pour une économie sur « Le Suroît » de 1095 M $ actualisé sur 20 ans ;

– un parc éolien de 6050 MW en Montérégie, à l’ouest de St-Jean sur Richelieu (à proximité du réseau de 735 kV), vents de 6,75 à 7,25 mètres/seconde, coût de capital de 7670 M $, résultant en un coût moyen de 6,3 ¢/kWh, pour une économie sur « Le Suroît » de 479 M $ actualisé sur 20 ans ;

Le (ou les) parc éolien serait opéré en coopération avec le complexe hydroélectrique près duquel il serait situé, la puissance hydraulique serait modulée pour combler la capacité de la ligne de transport moins la production éolienne. Ainsi, la demande plus faible faite à l’hydraulique permettrait de rebâtir les réserves au complexe hydroélectrique situé près du parc éolien ou à un autre complexe hydroélectrique raccordé au réseau.

En résumé :

– l’éolien est très abondant au Québec, plus de 75 fois la capacité hydraulique déjà aménagée ;

– la technologie éolienne a atteint un niveau de maturité suffisant pour envisager l’opération fiable dans le climat québécois ;

– l’éolien se marie bien avec l’hydraulique, permettant de bonifier et la filière hydraulique et la filière éolienne ;

– combiné avec l’hydraulique, il permettrait d’éviter la filière thermique tout en réalisant des économies appréciables pour Hydro-Québec, le Québec ainsi que pour les consommateurs ;

– pour pallier au risque anticipé de rupture de stock (bas niveau des barrages) des parcs éoliens pourraient être mis en service à l’intérieur d’un délai de 3 ans, sous les lignes de transport existantes, près du complexe « La Grande », près du complexe Manic-Outardes-Bersimis, dans Charlevoix ou en Montérégie ;

– le recours à l’éolien plutôt qu’à la filière thermique, créerait 12 000 emplois de qualité (industrielle), ce qui permettrait au gouvernement du Québec de bénéficier de retombées de l’ordre de 0,3 ¢/kWh ou d’un équivalent de 77 M $ par année ;

D’où, pour rencontrer la demande croissante en énergie électrique au Québec ; pour tirer avantage de l’immense ressource éolienne québécoise ; pour respecter les principes du développement durable ; le gouvernement du Québec doit :

– refuser tout projet de recours à la filière thermique pour rencontrer les nouveaux besoins en énergie ;

– dans un premier temps (si l’urgence des besoins d’énergie invoquée par Hydro-Québec s’avère)

– fournir la quantité d’énergie annuelle escomptée du projet « Le Suroît », (un parc éolien d’approximativement 2000 MW)

– fournir la quantité d’énergie escomptée du projet de Bécancour en discussion avec Trans Canada Energy (un parc éolien d’approximativement 1400 MW)

– fournir la quantité d’énergie escomptée de la centrale thermique de Tracy (autre que celle venant de la production lorsqu’elle est utilisée comme centrale de support en puissance) (un parc éolien d’approximativement 900 MW)

– dans un deuxième temps autoriser Hydro-Québec à se faire construire 1000 MW par année de parcs éoliens pour satisfaire la nouvelle demande.

Une telle politique énergétique :

– favoriserait l’implantation d’une industrie éolienne québécoise ;

– utiliserait l’argent des québécois pour créer des emplois industriels plutôt que pour importer du gaz naturel ;

– permettrait à Hydro-Québec de demeurer une compagnie d’électricité propre et socialement responsable ;

– permettrait à Hydro-Québec de maintenir un des tarifs d’électricité parmi les plus bas au monde ;

– permettrait à Hydro-Québec d’augmenter sa rentabilité en exportant de grandes quantités d’électricité propre vers le marché lucratif des États-Unis.

Pour rencontrer l’augmentation prévue de sa demande électrique, le Québec semble vouloir se tourner vers le thermique (centrales au gaz naturel). Les centrales au gaz représentent une très belle technologie. Mais cette technologie est importée, que ce soit l’équipement ou le carburant, rien ou presque ne proviendra du Québec. En plus de l’investissement initial, pour une centrale au gaz naturel comme « Le Suroît », le Québec devra importer environ 300 Millions $ par année de carburant. Une telle centrale émettra quelque 2,25 millions de tonnes de gaz à effet de serre par année, soit une augmentation de l’ordre de 3 % pour le Québec ou l’équivalent d’une flotte de 600 000 autos.

Récemment publié