Ils sont angéliques. Ils nous promettent un monde meilleur, égalitaire, et invitent ceux qu’ils désignent comme experts du nouveau monde à nous faire la leçon. Ils sont magnanimes, certains diraient même coquets. Ils sourient toujours à pleines dents, plénipotentiaires d’un empire du bien sans limites, ou si peu, soient celles qu’ils nous jurent souhaiter éliminés. Astucieux, ils exploitent des causes rencontrant peu d’opposants au Québec, des causes hautement légitimes comme l’égalité des sexes (ils diront genres) et la justice pour les peuples autochtones. Leur cri d’indignation devant une injustice raciste aux États-Unis n’aura d’égal que leur relatif silence radio devant un crime aussi odieux en France. Ils ne nous disent pas pourquoi. On devrait comprendre. Et se taire.
Certains se disent parfois experts en management, même s’ils n’ont jamais géré une seule entreprise de leur vie. Pour se réaliser, ils donnent des conférences, parcourent les cocktails, parlent de Trump. Sur scène, ils se décrivent « décoiffants », « d’une assurance incroyable », et jurent vous faire vivre « un moment magique. » Les médias leur ouvrent grand leur porte, leur présentent le crachoir, la plume. Plusieurs sont assez puissants pour que les politiciens ne puissent les éviter sans se faire accabler de mots terminant en -isme ou en phobie. Gonflés à bloc, beaucoup ne sauraient se satisfaire du titre de courtisan qu’on leur aurait collé à une certaine époque. Assurés dans leur mission divine, réfutant les rapprochements entre leur comportement et l’histrionisme, ils ne leur restent qu’à éliminer les restants d’un monde à châtier pour jeter les fondations d’un nouveau. Pourtant, on les soupçonne de douter. Lorsqu’ils posent la tête sur l’oreiller le soir et réfléchissant à cette autre journée dans l’œil du public des affaires, on les imagine s’émerveiller de la portée de leur voix, que les micros et caméras les poursuivent. Et si ça venait à s’arrêter ? Et si le réel revenait au galop ? Angoisse.
Certains se disent même chroniqueurs, l’un deux nourrissant la repentance des lecteurs du journal Les Affaires. Généreux, il rallie des militants présentés en sages visionnaires comme lui à sa cause, il donne l’impression d’être à la tête d’une coalition dans un dossier percutant sur la diversité. Témoignage d’un militant antiraciste à l’appui, il condamne le désengagement des entreprises face à la diversité. Fuyant les nuances, enchanté par l’ami militant qui se présente régulièrement lui aussi comme expert, porté par les dernières statistiques de l’ISQ qui fournissent des ratios pouvant servir à accabler les entrepreneurs québécois de racisme, celui qui n’a jamais géré une entreprise de sa vie peut lancer ses accusations et montrer que lui, il sait.
Ne reculant devant aucune méthode de culpabilisation ni d’instrumentalisation, il pointe du doigt. Mieux, il dégaine, il tire. Comment nos entreprises osent-elles ignorer l’existence du programme fédéral de 15 heures par an permettant aux employés de suivre des séances d’information et d’éducation sur les cultures autochtones dans le but de favoriser la diversité et l’humilité ? Comment peuvent-elles ne pas avoir lu le grand penseur américain antiraciste Ibram X. Kendi, connu de tous, qui dit qu’« être antiraciste, c’est conquérir la conscience assimilationniste et la conscience ségrégationniste. C’est s’émanciper de cette dualité, en réalisant que le corps blanc n’est pas la norme et que le corps noir n’a pas à aspirer à devenir blanc. C’est saisir que les corps sont, au fond, racialisés par le pouvoir. » ?
Quand on peut accuser, pourquoi se formaliser de l’univers économique réel, celui de la coupure entre le profil des immigrants « économiques » qu’on dit vouloir accueillir et ceux dont on a réellement besoin ? Car rarement a-t-on entendu parler de pénuries de directeurs ou de vice-présidents. Pour preuve, la réaction sceptique sinon contrastée du milieu lorsque la Banque Laurentienne, institution québécoise, engage une Torontoise unilingue pour gérer les destinées de l’organisation alors que les candidats québécois, femmes et hommes, ne manquent pas selon plusieurs. On reviendra à cet exemple récent plus tard. Pour notre champion, observateur privilégié du journal Les Affaires, on comprend que c’est le racisme de la terre d’accueil et de ses entreprises, et non le difficile arrimage de la main-d’œuvre qui ferait que « 44 % des immigrants sont surqualifiés pour l’emploi qu’ils occupent et cela est vrai pour 55 % des immigrants arrivés il y a moins de cinq ans, ce qui montre combien il leur est difficile d’accéder à des emplois intéressants ».
Pas beaucoup de regards non plus vers les entreprises en région qui font de grands signes pour attirer des immigrants qui choisissent plutôt d’aller se coller à la communauté anglophone de Montréal. L’auteur, plongé dans son univers parallèle, pointe aussi vers cette souffrance qui nous afflige « partagés que nous sommes entre la conscience assimilationniste le souci d’intégrer les minorités à la société en place et donc de les fondre dans le moule et la conscience ségrégationniste. »
Pourtant, s’il allait prendre une marche en regardant autour de lui, il constaterait peut-être que non seulement le peuple québécois n’a pas le pouvoir d’assimiler, mais il n’a pas la capacité d’intégrer et ne peut même plus se faire servir en français dans le centre-ville de sa métropole. L’assimilateur est étranger chez lui. Pire, s’il s’intéressait aux travailleurs en ville, il rencontrerait des employés qui disent éviter d’aborder les clients en français afin de ne pas se faire accabler d’injures. Évidemment, la très grande majorité des citoyens n’a aucune agressivité envers la langue française et le Québec, mais les allusions au comportement colonialiste et à la machine québécoise d’assimilation risquent fort de n’inspirer que le journalisme de science-fiction. Ou bien ce genre est-il le fruit d’une réorientation stratégique du journal Les Affaires ?
Quant à « l’écart considérable » entre le chômage chez les immigrants (6,9 % vs 4,5 %) en 2019, il est dû à notre condamnable propension à marginaliser ces « dénigrés » selon l’auteur. Ainsi, même si des sites populaires comme LinkedIn, les réseaux d’affaires et les nombreux cocktails auxquels participe fort probablement l’auteur témoignent de l’importance des relations établies et d’un fort réseau dans l’obtention d’un nouveau job de haut niveau, notre homme ignore sciemment cette réalité trop prosaïque et absente de ses lectures américaines pour s’inquiéter du comportement de ce peuple québécois tissé serré. Ignore-t-il que ce facteur relationnel est un défi pour quiconque tentant un changement de carrière et qu’il tend à s’atténuer avec les efforts de chacun (entreprises et individus) et le temps ?
Armé de statistiques, il aura vraisemblablement une longue carrière à jubiler devant les ratios lui montrant que quelque groupe est sous-représenté selon son chiffrier Excel. Quand les groupes artificiellement créés et présumément homogènes comme « noirs » ou « asiatiques » ne suffiront plus, il pourra construire de nouvelles déclinaisons inspirées des innovations continues des prosélytes de la théorie du genre. Les carences en francisation, les désalignements entre besoins et disponibilité de main-d’œuvre, les capacités d’intégration de la société d’accueil, ce ne sont pas de très bons sujets lors des cocktails ou grands reportages sur la diversité. Accabler le Québec français quand on est soi-même Français, se délecter devant les ratios servant la communautarisation du Québec, célébrer les auteurs américains en plaquant sur nous les constats accablants qu’ils dédient pourtant à d’autres, interviewer les antiracistes se proclamant experts, ça garantit des reportages « décoiffants » et des conférences. Sourire à l’appui.
D’autres préfèrent s’accrocher à une cause sympathique et ancrée dans les mœurs québécoises, le féminisme, comme vecteur sophistiqué pour se moquer de la majorité francophone historique et célébrer sa noyade annoncée. Bien qu’on avoue généralement et candidement que le Québec fait figure de proue quant à l’égalité des sexes, des hérauts du mouvement agissent comme si on ne saurait se contenter des femmes de chez nous. La planète est si vaste, le Québec est si étroit, l’appel au lointain est inéluctable. Ainsi, l’organisme montréalais « Gouvernance au féminin – Women in Governance », rappelant vaguement le bilinguisme à la Michel Gauvin – Mike Govin, recommande de décloisonner le féminisme, du moins par ses actions. Ainsi, s’assurant des bases dans le monde réel, la présidente de l’organisme dénonce très justement la formation du CA de l’APCHQ par une dizaine de boys semblant sortir du même village, voire du même rang. Elle propose tout aussi pertinemment des noms de femmes pouvant avoir leur place dans ce CA.
Cependant, lorsque la très québécoise Banque Laurentienne recrute une Torontoise pour mener les destinées de la banque, notre présidente exulte sur LinkedIn. Non seulement feint-elle la surprise devant ceux et celles qui s’inquiètent du sort des milliers d’employés québécois devant maintenant s’attendre à des communications en anglais, elle lève son pouce joyeux en lisant un commentaire célébrant en anglais la nomination d’une Égyptienne canadienne basée à Toronto à la tête d’une banque québécoise. Nul doute que la sélectionnée a fort probablement un parcours intéressant et valeureux, mais célèbre-t-on vraiment une entreprise d’ici ne pouvant dénicher chez nous une femme assez compétente pour remettre sur les rails cette banque en dérive ? Notre petite intelligentsia canadian serait-elle toujours possédée par les propos de Donald Gordon, président du CN en 1962, qui affirmait qu’aucun Canadien français n’était assez bon pour siéger sur son conseil ? Pour emprunter une formule récente de Martin Lemay sur le recul du français, je suis étonné que nous soyons étonnés.
Évidemment, ces plénipotentiaires de l’Empire du Bien sont les premiers à célébrer notre américanisation mentale. On se pâme pour Kamala Harris, la vice-présidente d’un pays allié, mais étranger, où la ségrégation a été institutionnalisée, tout comme les génocides des autochtones et de populations noires… Mais pas un mot, un tweet pour Geneviève Guilbeault ou Chrystia Freeland, héritières d’une longue lignée de femmes au poste de vice-première ministre au Québec et au Canada. Rien non plus pour la première ministre Pauline Marois, qui dût échapper à un attentat à sa vie le soir même de son élection, ou une Dominique Anglade qui mérite une honorable mention dans une carrière politique qui ne fait que débuter.
À leur suite, des hommes et papas du Québec et du Canada, ne voulant pas demeurer en reste devant cette coolitude, cette marche en avant, cette américanisation jubilatoire, se lancent sur les réseaux sociaux pour implorer le ciel que leurs filles suivent la voie de Harris. À moins que vous ne viviez sur Mars, votre LinkedIn pullule de ceci. Vient évidemment avec cette célébration de l’Amérique non française l’importation de tous les concepts qui s’y relient, le racisme systémique étant le favori.
Dans des entreprises voulant purger la permanence anthropologique et un lien trop fort avec la « majorité », on ne se contentera pas de promouvoir la diversité des idées, d’engager le meilleur candidat disponible sans égards aux variables culturelles et en respect de la charte. On emploiera discours et tracts dénonçant le racisme systémique, en imposant des programmes qui s’y lient, en favorisant des discussions sur le BLM, des concepts loin de la réalité des Québécois. On organisera des séminaires et le département des RH engagera un conférencier ou obtiendra le concours du (de la) responsable du programme nord-américain de diversité et d’inclusion pour venir sermonner en anglais les petits employés québécois, les amenant subtilement sur le banc des accusés pour des crimes odieux commis au sud de notre frontière.
Au final, il est d’intérêt public que l’on déconstruise les machinations de ces hérauts habillés en grands penseurs qui enveloppent leurs subtiles tactiques de venin derrière des causes très justes. Bien au-delà de la compétence et de la clairvoyance, on serait justifié d’attendre au moins une chose de ceux qui applaudissent des emplois qui quittent le Québec « mâle et blanc » ou qui trouvent la source de leurs accusations de racisme dans des théories américaines sans avoir la lucidité nécessaire pour réaliser que le peuple qu’ils accusent de colonialisme est en fait en train de se noyer lui-même. Ce Québec imparfait qui leur aura néanmoins fourni une voix, de beaux emplois, des études, une culture française unique en Amérique, de la sécurité pour eux et leur famille, loin de ces guerres de communautarisme d’ailleurs. Loin d’une ambiance de guerre civile comme au sud de chez nous. Ce Québec avec des femmes et des hommes « blancs » ayant mis en place l’équité salariale, ayant supporté la nationalisation des garderies, ayant accepté de payer plus de taxes et d’impôts que partout en Amérique du Nord pour bâtir une société plus juste. Ce Québec serait en droit d’attendre une chose bien élémentaire. La gratitude.
* L’auteur dirige sa propre firme-conseil en gestion stratégique et commerciale. Au cours des 24 dernières années, il a également occupé des rôles de direction dans des entreprises manufacturières tant à Montréal qu’à Toronto et a siégé sur des conseils d’administration et comités d’association de manufacturiers canadiens.