L’université de la reproduction corporative

On devrait fonder une chaire pour l’enseignement de la lecture entre les lignes.
– Léon Bloy

Pourquoi un chapitre sur l’université dans un ouvrage sur la trahison de l’État-nation par nos élites ? La raison est toute simple. L’université est l’institution la plus importante de formation de ces élites. L’État-succursale a façonné l’université à son image afin d’assurer sa reproduction perpétuelle, pour que son modèle puisse être passé de génération en génération afin que ceux qui sortent des rangs académiques soient fabriqués sur un moule très précis, aptes à grimper les échelons de l’État pour que celui-ci puisse poursuivre dans la même direction. La compréhension des transformations de l’enseignement supérieur revêt aussi une importance primordiale par le fait qu’elle témoigne, dans l’institution même de la formation de la relève, des grandes transformations qui ont touché le Québec.

Le chercheur comme fournisseur idéologique

L’université a été presque entièrement réorientée vers la recherche. Il nous incombe ici d’insister sur une dimension particulière de ce changement de cap : la mobilisation du chercheur pour la fonction publique. Que les professeurs, qui sont jusqu’à preuve du contraire experts dans leur domaine, acceptent des contrats afin que leur savoir puisse bénéficier à l’État ne devrait pas poser de problème de prime abord. Que des enseignants en énergie, en environnement ou en technologie produisent de la nourriture intellectuelle pour les ministères consacrés à des dossiers, rien de plus normal.

Pour les sciences sociales, cependant, force est d’admettre qu’il est plus aisé de concocter des théories plus ou moins sérieuses. Les technocrates dépersonnalisés peuvent désormais s’improviser thérapeutes grâce à l’assentiment des grands penseurs. C’est ainsi que l’école moderne, au Québec, a pu être pensée, alors que des universitaires ont fourni l’arsenal idéologique et rhétorique aux fonctionnaires du ministère de l’Éducation pour produire ce qu’on a appelé le « renouveau pédagogique  », dernière réforme pédagogique en date1. Abandonnant sa mission de transmettre un monde commun, l’école se contente désormais de former de « bons citoyens  » prêts pour le « marché du travail  ». Par conséquent, on y voit ainsi l’enfant, qu’on appelle désormais « apprenant  » plutôt qu’« élève  », comme détenant des capacités autocréatrices : il ne devrait pas se contenter d’acquérir ce qu’il lui sera transmis, car cela aurait le malheur de l’enfermer dans une vision du monde trop « étroite  ».

En prônant l’acquisition de « compétences  » au détriment de la transmission de connaissances, elle restreint l’éducation à un rôle strictement technique et utilitaire. Les compétences valent-elles quelque chose sans connaissances ? Lorsque les connaissances disparaitront, le savoir disparaitra lui aussi. Le relativisme pédagogique, qui se voudrait garant de l’ouverture d’esprit, est en réalité une manifestation imposante de sa fermeture.

Indispensable à l’épanouissement de l’esprit, la culture générale permet de transmettre une culture commune à tous les citoyens. Mais aujourd’hui, le mot « culture  » fait référence à n’importe quoi : aquaculture, agriculture, culture de la danse, culture culinaire ou festive, etc. La culture devrait cependant s’employer avec un « C  » majuscule : elle n’est pas relative, ne doit pas être relativisée, car elle est à la fois nationale et occidentale. L’éducation devrait élever l’individu et non le rabaisser. Nous sommes de plus en plus étrangers à nos origines : nous ne voulons plus savoir ni comprendre d’où nous venons.

En écoutant les moindres caprices de l’élève, le système éducatif le conforte dans un individualisme obtus, contribuant paradoxalement à limiter sa capacité de jugement et de réflexion. L’école se caractérise désormais par un oubli de la société en général, de ses normes et de ses institutions : cela se traduit notamment par le refus de s’intéresser, sinon d’assumer, l’identité nationale du Québec, son histoire et sa culture. L’idée même d’une éducation nationale semble actuellement inconcevable. L’éducation n’est-elle pourtant pas le moyen par lequel la société renouvelle perpétuellement les conditions de sa propre existence ? L’éducation ne permet-elle pas à l’individu de se placer au sein d’une entité qui lui préexiste et le dépasse ? En cela, le cours Éthique et culture religieuse est aussi révélateur de cette dimension, ne voulant plus transmettre une culture, mais au contraire inciter le jeune à en redessiner une sur une page blanche2. La situation est similaire par rapport à l’Histoire depuis la réforme de son enseignement en 2006, alors qu’on cherche à décentrer le récit du chemin parcouru par le Québec de sa nation3. Ces deux enseignements s’inscrivent dans la même logique que le « Renouveau pédagogique  », celle d’un déracinement radical de l’individu.

La maximisation de l’accessibilité – on ne parle pas ici de l’aspect financier – et la démocratisation ont conduit à un abaissement constant de la réussite à l’école, se caractérisant notamment par les bulletins non chiffrés et l’interdiction du redoublement. L’autorité du maître est également remise en question. Il ne faudrait surtout pas, au nom de l’autonomie de l’apprenant, que celui-ci en vienne à imiter les méthodes de travail de l’enseignant. Il risquerait alors d’être contaminé par la maladie du conformisme. Or, quelle valeur faut-il attribuer à la réussite lorsque celle-ci est étrangère à la notion d’effort et d’autorité ? La valorisation du mérite et de l’excellence ne devrait pourtant nullement s’opposer à l’accessibilité aux institutions d’enseignement.

Bien entendu, l’effritement d’un service public a pour effet de donner des ailes aux partisans du privé qui peuvent savourer depuis une quinzaine d’années le palmarès des écoles secondaires les plus performantes qu’offre le magasine L’Actualité, et qui place toujours les institutions privées en tête de peloton. Détail à mentionner : le palmarès est généralement monté par l’Institut économique de Montréal. Pendant huit ans, l’IEDM le réalisait conjointement avec un cercle de réflexion torontois du même acabit, le Fraser Institute4.

Si l’école moderne est une créature d’universitaires québécois qui versent dans les théories sociologiques et pédagogiques les plus loufoques, l’université tente elle aussi de dépasser le savoir traditionnel, celui qu’on fonderait sur l’évaluation scientifique. Sur quels critères doit-on fonder, dès lors, le nouveau savoir ? À l’instar de l’école primaire et secondaire qui construit des individus compétents, la nouvelle université fonde le savoir qu’elle transmet sur ce qui est profitable et prétend détenir une valeur économique.

L’université comme marché

Le professeur en éducation Normand Baillargeon rappelait l’anecdote5 : en juin 2011, le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, a reçu un doctorat honoris causa du recteur de l’Université de Montréal, Guy Breton, pendant que se tenait à Montréal le Forum économique international des Amériques. Le président-fondateur du Forum, Gil Rémillard, s’était exprimé ainsi lors de la remise de la distinction : « Cela met en relief la relation étroite que veut établir la Conférence de Montréal avec les universités  ». Quand on sait que le but de la Conférence de Montréal était « de développer la connaissance des grands enjeux de la mondialisation des économies  » et de « faciliter les rencontres pour développer les échanges internationaux et les occasions d’affaires6  », Rémillard ne croyait pas si bien dire. L’université est aujourd’hui toute soumise à une logique de rentabilité et de conversion totale aux exigences de l’économie.

Les universités sont aujourd’hui traversées par une double compétition. Celle qui les oppose les unes aux autres, et celle qui les traverse depuis l’intérieur. Commençons par le premier cas.

Les universités sont aujourd’hui obsédées par leur position dans les grands palmarès. En fonction de quoi sont-elles cotées ? Cela dépend du classement. Le « classement de Shanghai  », réalisé par l’Université Jia Tong, utilise six indicateurs, tous liés à la recherche. À qualité égale, on tranchera en faveur de l’établissement où le nombre de chercheurs sera le plus grand7. Celui du journal britannique Times Higher Education, se penche sur l’enseignement et la recherche, mais aussi sur la réputation8. En 2006, le magazine Newsweek a publié, pour la seule fois de son existence, un classement basé exclusivement sur les indicateurs de performance. Le Webometrics Ranking of World Universities, élaboré par un organisme public espagnol, s’intéresse quant à lui à la visibilité et à la présence sur internet des différentes institutions9. Universitas 21 se fonde sur 20 critères liés évaluant l’investissement gouvernemental et privé, les retombées des recherches, la production d’une main-d’œuvre qualifiée répondant aux besoins du marché, les réseaux internationaux, etc10. Nous gardions néanmoins le meilleur pour la fin : Mines ParisTech évalue la force d’un établissement en fonction du nombre d’anciens étudiants à être devenus PDG d’une des 500 plus grandes entreprises du monde11.

L’exposition des méthodologies parle d’elle-même. L’accent mis sur la recherche et la réputation ne peut rester sans impacts. La dérive de l’université, c’est de transformer les programmes d’enseignement en techniques professionnelles dont on valorise les plus utilitaires. Elle se traduit de diverses manières, à commencer par l’abolition des programmes peu rentables financièrement, que les plus grossiers de la pensée économiste appellent « sciences molles  », c’est-à-dire les sciences humaines. On ne trouve guère un meilleur exemple du déclin d’une société que cette dévalorisation du savoir prétendument non utilitaire. Et pourtant, la logique va dans les deux sens : on accroit d’autant plus la désuétude des programmes de « sciences molles  » en laisser miroiter qu’elles sont dénuées de perspectives d’avenir.

La concurrence ne se trouve pas seulement sur le terrain international. Elle se situe aussi à l’intérieur des murs d’une seule et même institution, où la course aux subventions fait force de loi. La survalorisation de la recherche a transformé la vocation du professeur. Celui-ci s’est désintéressé de l’enseignement, s’acquittant à peine du strict minimum en la matière. Transmettre le savoir est devenu beaucoup moins valorisant que le statut social qui vient avec le fait d’appartenir à la grande communauté des chercheurs reconnus du monde globalisé. Ce sont aujourd’hui les chargés de cours, aux emplois très souvent précaires, qui reprennent l’enseignement délaissé par les professeurs. Au premier cycle, plus de 50 pour cent des cours sont donnés par eux.

La structure de financement des universités ne pouvait rester intacte devant ce tout-à-la-recherche. Qui n’a pas entendu un partisan de la hausse des frais de scolarité clamer que les universités sont sous-financées et que ce manque de ressources financières cause de graves insuffisances ? Que ces ratés affectent la qualité de l’enseignement transmis, cela relève de la plus pure et la plus indéniable vérité, ce qui peut rendre l’argument séduisant. Or, les politologues Éric Martin et Maxime Ouellet nous aident à y voir plus clair : l’université québécoise n’est pas sous-financée, mais mal financée12. Prenons, en guise d’exemple, l’Université de Montréal13. Celle-ci segmente ses activités en quatre types de fonds. On y trouve le fonds de fonctionnement, qui comptabilise et est consacré aux activités courantes ; le fonds d’immobilisations, lié aux bâtiments et au matériel, à leur financement et à leur acquisition ; le fonds avec restrictions, où se trouvent les chaires de recherche, les subventions et les contrats de recherche ; enfin, le fonds de dotation, où se trouvent les dons privés capitalisés sur les marchés boursiers, suivant donc les fluctuations de ceux-ci. Les sommes de ce dernier fonds ne peuvent être utilisées pour financer l’enseignement. Le montant des subventions et des contrats de recherche aux universités est passé de 11,9 millions à 1 382 milliards entre 1980 et 200414. L’université ne souffre donc nullement d’un manque de ressources financières, c’est l’enseignement qui en est victime, surtout dans un contexte où la taille des classes ne cesse d’augmenter.

Outre la recherche subventionnée, l’université participe également à des recherches à des fins commerciales lorsque des entreprises choisissent de sous-traiter à un universitaire une étude à leur profit. Cela donne aux entreprises un accès aux chercheurs et – pour des sommes modiques – au personnel, au soutien technique et aux locaux qui demeurent presque exclusivement financés par les fonds publics. Le principal danger de la recherche commercialisée est bien entendu la soumission du chercheur aux intérêts de la compagnie qui la finance. Les objets de recherche sont définis par l’entreprise et, selon l’entente, les résultats lui appartiendront. Ainsi, si la conclusion de l’universitaire désavantage l’entreprise, par exemple sur le caractère sécuritaire d’un produit, la compagnie aurait le loisir de garder les résultats de l’étude pour elle. Cela est d’autant plus dangereux pour les secteurs scientifiques, médicaux et technologiques de la recherche universitaire. On imagine d’emblée les formidables complications légales dans le cas où un chercheur voudrait alerter le public après avoir fait une découverte qui nuirait aux profits de la compagnie qui lui aurait donné le contrat de recherche. Baillargeon le souligne : les conventions collectives des professeurs sur les droits d’auteur, les brevets d’invention ou les licences étaient autrefois minimalistes, mais sont aujourd’hui des documents extrêmement complexes15. Le professeur, potentiellement bâillonné au nom d’intérêts lucratifs, perd toute sa fonction d’analyste critique et de communicateur de cette même pensée critique.

Peut-on dire, au moins, ce que la fixation sur la recherche commerciale rapporte ? Oui, mais pas aux universités, alors que moins de 1 pour cent de leur budget provient de la recherche commercialisée16. Elle entraîne même des coûts supplémentaires, alors que les employés affectés à la gestion de la propriété intellectuelle et aux frais juridiques représentent les masses salariales les plus élevées, respectivement 28 millions et 15 millions en 2008. Les dépenses puisées dans les fonds de fonctionnement et liées à la gestion de la propriété intellectuelle dans les universités ont augmenté de 9 pour cent entre 2007 et 2008, passant de 372 000 à 409 000 dollars17.

Le jeu n’a même pas le mérite d’en valoir la chandelle.

L’invasion par les Chaires

S’il est bien une institution qui promeut le dogme d’une recherche universitaire qui serait le signe ultime d’une distinction sociale de haut calibre, c’est bien la chaire canadienne de recherche. Les professeurs qui parviennent à en faire reconnaître une sont immédiatement érigés au statut de vedettes départementales. L’appartenance à une chaire exige généralement au professeur que celui-ci réduise maximalement le nombre de cours qu’il donne. L’appartenance à une chaire confère aussi à l’universitaire une existence médiatique, et lui vaut d’être de plus en plus couru par les étudiants qui voient – avec raison – leur intérêt à être dirigés, pour leurs études supérieures, par des professeurs qui ont de l’argent et des contrats à distribuer. Les Chaires sont devenues de véritables structures de recrutement et de promotion intra-universitaire.

À l’instar de la recherche commercialisée, les chaires favorisent l’imposition d’un certain programme. Dans le cas présent, c’est l’État canadien et ses organismes subventionnaires qui le tiennent, et, financièrement parlant, le dictent. Et tout comme la recherche commercialisée, l’universitaire ne voudrait surtout pas mordre la main qui le nourrit. Pardonnez-moi ma naïveté, mais l’éducation n’est-elle pas de compétence provinciale ? Qu’importe, le partage des pouvoirs, c’était le passé. Cela est fort commode pour Ottawa dans le contexte où celle-ci tente d’avancer dans son entreprise de construction nationale unitaire. Celle-ci passe par la déconstruction de la nation et de l’État qui pourraient se trouver sur son chemin. Certains diront qu’il n’y a pas de manière québécoise ou de méthode canadienne de comprendre la chimie, et ils auront raison. L’invasion pédagogique n’est cependant pas aussi anodine en ce qui a trait aux sciences humaines. Le président du Conseil de recherches en sciences humaines, Marc Renaud, le disait clairement en 2004, le CRSH devait passer d’organisme subventionnaire à orienteur de savoir, « plus responsable du développement des sciences humaines au pays  », se défendant toutefois de vouloir faire de la réingénierie de recherche18. C’est ainsi qu’un individu tel que Jocelyn Létourneau, qui affirme textuellement que la nation québécoise n’existe pas19 et dont l’œuvre tourne exclusivement autour de cette idée, a pu se trouver à la tête de la Chaire de recherche du Canada en histoire du Québec contemporain. C’est pour faire contrepoids à cette donne que le gouvernement de Pauline Marois a annoncé en 2014 qu’il financerait huit chaires de recherche en identité québécoise, touchant notamment la langue et l’identité20. Le Québec aurait ainsi pu développer un espace académique où il aurait été possible de produire des recherches traitant de sa propre condition, ne laissant plus uniquement ce terrain au Canada et à sa vision radicalement divergente sur ces thèmes. Mais, cette même année, les libéraux ont annoncé, à peine élus, que ces programmes ne verraient jamais le jour, évoquant les « vraies affaires  », dont la connaissance de l’histoire et de la langue ne fait visiblement pas partie21. Les quelques courageux qui souhaiteront étudier des enjeux nationaux devront accepter de continuer à se condamner à la marginalité académique, ou changer de voie pour se convertir à l’exotisme universitaire.

Quand le capital dirige les universités

Si le contenu universitaire est orienté par les impératifs utilitaires et commerciaux et récupéré idéologiquement par Ottawa, une question reste entière : qui dirige les établissements ? Les entreprises, qui sont déjà très présentes par le financement de la recherche, se trouvent aussi sur les conseils d’administration. Ce sont d’ailleurs ces administrateurs qui bénéficient, avec les recteurs et le personnel de gérance et de direction, des hausses de salaire les plus importantes pendant que les professeurs ont vu la masse salariale leur étant consacrée baisser de 4,4 pour cent entre 1997 et 200522.

La catastrophe a cependant été frôlée en 2009, alors que la ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne, a déposé la Loi modifiant la Loi sur les établissements d’enseignement de niveau universitaire et la Loi sur l’Université du Québec en matière de gouvernance, qui n’a heureusement pas vu le jour23. Le projet de loi prévoyait qu’au moins 60 pour cent des administrateurs se qualifient comme « indépendants  ». Par « indépendant  », on implique que l’administrateur ne puisse avoir été à l’emploi de l’établissement au cours des trois années précédentes ou en être étudiant24. Le projet de loi mentionnait noir sur blanc que les « relations ou intérêts de nature philanthropique d’une personne ne sont pas pris en compte dans sa qualification de membre indépendant25  ». Parmi ce quota de 60 pour cent d’administrateurs indépendants,un seul est nommé par le gouvernement. Tous les autres sont nommés par le CA lui-même, établissant une dynamique d’auto-nomination perpétuelle. Le texte est d’une clarté limpide : la porte des CA aurait été grande ouverte aux affairistes de tous les horizons. Le projet de loi n’a certes jamais été adopté, mais n’aurait-il au final que rendu obligatoire une situation qui constitue déjà une tendance ? Il est, dans tous les cas, très éloquent quant à la perception qu’entretiennent nos gouvernants face à la vocation de l’université.

Pour une véritable université

Plusieurs de ceux qui dénoncent cette réalité grandissante en appellent à une université publique. On se contentera quant à nous de parler de véritable université, étant publique par essence. Elle est aussi un levier permettant la transmission d’une culture. Ceux qui s’en imprègnent s’en trouvent de facto enrichis.

Par conséquent, il incombe de voir l’université comme le lieu de formation des véritables meneurs dans les divers domaines qui y sont enseignés. Le nivellement par le bas de l’université causé par la démocratisation massive de l’enseignement doit impérativement cesser, comme si les étudiants n’étaient que des clients qui n’avaient qu’à payer leur droit d’entrée. Il importe de percevoir l’enseignement supérieur à la fois comme un privilège et comme un droit. Privilège, car le niveau universitaire n’est pas, contrairement au primaire et au secondaire, obligatoire. Il faut bien constater une évidence, il y a actuellement trop d’étudiants dans les établissements d’enseignement supérieur. Une hausse des exigences et la mise en place de critères favorisant un plus grand dépassement de soi chez l’étudiant ne pourraient qu’améliorer la qualité de la formation et revaloriser l’université autrement que par des critères économiques. Ce nécessaire tri ne devrait jamais s’opérer sur la base des moyens financiers. Le nécessaire effort prôné ici ne doit jamais en devenir un pour rembourser une dette contractée lors des études. Il n’a pas non plus à mener à un épuisement dans la quête de revenus pour pouvoir terminer ces mêmes études. Quiconque a les capacités d’entreprendre et de réussir des études supérieures devrait pouvoir le faire, nonobstant l’état de son portefeuille. C’est en cela que l’on parle à la fois de droit et de privilège. Le Québec a fait le choix de conserver des droits de scolarité relativement bas. Mais pour que l’éducation soit pleinement l’éducation publique, le Québec devrait faire le choix de la gratuité scolaire, de la maternelle aux études postdoctorales. La gratuité scolaire n’est pas la solution à tout, la marchandisation de l’éducation et la nécessaire révision de la culture universitaire n’accompagneraient pas automatiquement sa mise en place, mais elle serait l’aboutissement logique d’une inversion du processus actuellement en cours.

Le Québec en a les moyens. Plusieurs formules peuvent alors être envisagées. En 2012, quatre chercheurs ont publié une proposition26 plutôt convaincante, qui se décline en cinq volets : octroi de 30 crédits universitaires gratuits, l’équivalent d’une mineure ou d’un certificat ; les crédits supplémentaires aux 30 gratuits seront payables progressivement par l’étudiant seulement après la fin des études, à travers sa déclaration de revenus ; abolition du système de prêts ; abolition du crédit d’impôt pour frais de scolarité ; contribution spéciale exigée pour les anciens étudiants lorsque ceux-ci remboursent leurs droits de scolarité après leurs études.

Que l’on soit d’accord ou non avec chacune des modalités de la proposition a peu d’importance, elle a le mérite d’être réaliste, réalisable et juste. Mais nous sommes encore bien loin de la coupe aux lèvres. Nous en viendrions à voir l’université comme une institution devant former des êtres libres et complets, et non inculquer aux étudiants la mentalité de l’utilisateur-payeur désincarné. La gratuité scolaire percevrait un service public pour ce qu’il est plutôt que comme une occasion d’affaires. L’université québécoise contemporaine va plutôt dans le sens inverse, tournée vers la production de gestionnaires du système global. C’est à la dissolution d’une certaine conception de la communauté à laquelle contribue activement l’enseignement supérieur aujourd’hui, avec les résultats que l’on connaît. Les Montréalais qui s’aventurent au centre-ville peuvent d’ailleurs contempler un formidable monument, emblématique des prétentions entrepreneuriales de l’université, et faisant office de splendide hommage à celles-ci : l’Îlot-Voyageur… 

 


1 Sur celle-ci, on conseillera la lecture du collectif suivant :
Marc Chevier (dir.), Par-delà l’école-machine. Critiques humanistes et modernes de la réforme pédagogique au Québec, MultiMondes, 2010, 208 p.

2 On suggèrera le rapport suivant à quiconque souhaite en savoir davantage sur ce cours de propagande qui est enseigné dans nos écoles.
Joëlle Quérin, Le cours Éthique et culture religieuse : transmission des connaissances ou endoctrinement, Institut de recherche sur le Québec, novembre 2009.

3 Une étude éclairante a été menée sur celui-ci.
Charles-Philippe Courtois, Le nouveau cours d’histoire du Québec au secondaire : l’école québécoise au service du multiculturalisme canadien ?, Institut de recherche sur le Québec, mars 2009.

4 Florent Daudens, « Le palmarès de la discorde  », Radio-Canada, vendredi 19 septembre 2008.

http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2008/09/19/001-palmares-fraser-ecole.shtml

5 Normand Baillargeon, Je ne suis pas une PME. Plaidoyer pour une éducation publique, Essai Libre, 2011, 96 p. (p. 15-16)

6 Page consacrée à la Conférence de Montréal, sur le site du Forum.
http://forum-ameriques.org/montreal

7 http://www.shanghairanking.com/ARWU-Methodology-2014.html

8 https://www.timeshighereducation.co.uk/world-university-rankings/2015/reputation-ranking#/

9 http://www.webometrics.info/en/Methodology

10 http://www.universitas21.com/article/projects/details/153/executive-summary-and-full-2015-report

11 http://www.mines-paristech.fr/Donnees/data03/334-10.-Classements.pdf

12 Éric Martin et Maxime Ouellet, Université Inc. Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir, Lux, 2012, 152 p. (p. 27-32)

13 http://fin.umontreal.ca/direction-finances/description-fonds/index.html

14 Chiffres cités dans Martin-Ouellet, 2012, p. 28

15 Baillargeon, 2011, p. 37

16 La dernière fois, du moins, où la chose a été calculée.
Statistiques Canada, Enquête sur la commercialisation de la propriété intellectuelle dans le secteur de l’enseignement supérieur 2006 et 2005, novembre 2008.

17 Éric Martin et Maxime Ouellet, La gouvernance des universités dans l’économie du savoir, Institut de recherche et d’informations socio-économiques, octobre 2010.
http://www.cadeul.ulaval.ca/envoi/La_gouvernance_des_universites_dans_leconomie_du_savoir.pdf

18 Jean Hamann, « Mutations du Conseil des recherches en sciences humaines du Canada. Des chercheurs sont inquiets  », Le Fil, Université Laval, 15 avril 2004.

19 Antoine Robitaille, « La nation, pour quoi faire ? Quelle nation Stephen Harper a-t-il reconnue cette semaine ? Au fait, cette nation existe-t-elle vraiment ?  », Le Devoir, 25 novembre 2006.

20 Hugo Prévost, « Québec financera des chaires de recherche sur l’identité  », La Presse Canadienne, 2 mars 2014.

21 Philippe Orfali, « Bolduc annule la création des chaires sur l’identité  », Le Devoir, 30 avril 2014.

22 Nathalie Dyke, Michel Umbriaco et Cécile Sabourin, Financement des universités. Investir dans le corps professoral, FQPPU, avril 2008, p. 7.
Cité dans Martin-Ouellet, 2012, p. 29

23 Projet de loi no 38, Loi modifiant la Loi sur les établissements d’enseignement de niveau universitaire et la Loi sur l’Université du Québec en matière de gouvernance, Éditeur officiel du Québec, 2009.

24 Ibid., p. 4

25 Ibid.

26 Jules Bélanger, Oscar Calderon, Yves Richelle et Henri Thibaudin, « Gratuité scolaire, tout en payant “ sa juste part ” Une contribution au débat sur les droits de scolarité au Québec  », Note d’intervention, Institut de recherche en économie contemporaine, avril 2012.