Texte d’une conférence prononcée lors de la table-ronde de l’Institut de recherche sur le Québec sur le thème: l’école au service du multiculturalisme le 4 juin 2009 à Montréal.
Un simple mot d’abord pour vous remercier de votre présence nombreuse. Cette table ronde représente un événement important dans l’entreprise menant à la renaissance d’un mouvement nationaliste décomplexé capable de formuler des propositions fortes sur les questions touchant à l’avenir du Québec. Ce travail est indispensable pour que renaisse intellectuellement et politiquement le mouvement nationaliste qui manque au Québec et qui seul peut sérieusement critiquer les idéologies qui travaillent aujourd’hui à la déconstruction de la société québécoise. J’ajoute qu’il ne s’agit pas d’abord de faire renaître un mouvement de masse, mais surtout un mouvement intellectuel porteur de propositions fortes pour la réaffirmation de l’identité québécoise. Le nationalisme à réaffirmer sera vidé des scories idéologiques qui ont paralysé le souverainisme officiel depuis plusieurs décennies au point d’en faire un vecteur de l’impuissance politique québécoise.
Pourquoi cet événement ? Parce que la question du multiculturalisme traverse notre société. Elle a surgi publiquement avec la crise des accommodements raisonnables au printemps 2006 mais le système médiatique est parvenu depuis à la refouler dans les marges de notre société en laissant croire que rien ne s’était passé. Il n’y a pourtant pas question plus importante aujourd’hui pour l’avenir de notre société que de comprendre les procédés par lesquels se déploie un multiculturalisme qui la transforme radicalement.
Pourquoi aussi poser la question de l’école et du multiculturalisme ? Parce que la première est devenue le laboratoire du second, en bonne partie, et que cette question est symptomatique plus que les autres du retournement des institutions publiques et de l’État québécois contre l’identité nationale. C’est d’ailleurs ce que parmi d’autres j’ai cherché à mettre en scène en dirigeant un dossier de L’Action nationale sur le cours ECR et en multipliant les tribunes sur la question dans les grands journaux. Cette table-ronde s’inscrit dans cette perspective.
Si je l’ai fait, c’est aussi parce jusqu’ici, la critique du cours ECR me semble mal menée. Il y a d’un côté les milieux catholiques qui réclamaient un droit d’exemption par rapport au cours en lui reprochant d’instituer une religion d’État relativisant toutes les croyances pour mieux imposer celle de la religion universelle des « droits de l’homme ». Cela a entraîné le milieu catholique à réclamer une forme d’accommodement raisonnable consacrant paradoxalement la minorisation de la tradition religieuse fondatrice du Québec, ce qui est probablement le stade suprême d’un multiculturalisme parvenu à inverser intégralement la dynamique d’intégration de la société québécoise. Il y a aussi la critique du mouvement laïc qui reproche au cours ECR de contenir la déconfessionnalisation intégrale d’une école québécoise qui devrait désormais s’inscrire sous le seul signe de la laïcité. Les deux analyses, contradictoires sur tous les plans, on s’en doute bien, ne s’en croisent pas moins pour établir un bon diagnostic : le Québec instaure sans le dire ainsi une forme de religion d’État contraire à la fois aux exigences élémentaires de la démocratie libérale et de la perpétuation de l’identité nationale. Une religion d’État progressiste.
Il faut pourtant mener plus loin notre réflexion et rendre compte de la place centrale du cours ECR dans le dispositif du multiculturalisme d’État québécois. Ce qui implique d’abord de reprendre la question du multiculturalisme à la double lumière de la culture politique post-référendaire qui a recouvert son implantation au Québec depuis une quinzaine d’années et de la crise des accommodements raisonnables qui a consacré son implosion. Je dis une quinzaine d’années et non pas une quarantaine d’années. Car si le multiculturalisme canadien à quarante ans, le multiculturalisme québécois, lui, a presque quinze ans. Laissez-moi en rappeler l’acte de naissance officiel.
On le sait, après le dernier référendum sur la souveraineté et surtout après la déclaration de Jacques Parizeau sur l’argent et les votes ethniques, le mouvement souverainiste québécois a été victime d’une terrible crise de mauvaise conscience qui l’a amené à dénationaliser progressivement sa représentation de la société québécoise. Une intelligentsia pluraliste pilotera la transformation du mouvement national en le vidant progressivement de sa matière identitaire. Le Congrès de 1996 sacrifiera la question linguistique en traduisant la défense décomplexée de la langue française dans le langage de l’intolérance. Le Bloc québécois, en 1999, renoncera à toute définition historique de la nation québécoise en renonçant à la référence aux deux peuples fondateurs, dans la mesure où l’appel à la mémoire canadienne-française exclurait de la nation les nouveaux arrivants et les communautés culturelles. L’Affaire Michaud consacrera l’hystérisation du mouvement national et la disqualification de toute référence à la majorité française qui ne devait plus être considérée comme la culture de convergence à partir de laquelle définir la nation québécoise. Il fallait maintenant fonder la nation québécoise sur la seule Charte des droits et libertés et des valeurs progressistes qu’elle incarnerait. L’histoire était en trop désormais. Cette confusion de l’ouverture à l’autre avec le reniement de soi se présentera à travers la querelle du nationalisme civique, qui devait remplacer un nationalisme ethnique périmé. Il fallait sortir de la grande noirceur québécoise, celle de la fermeture à l’autre, celle d’un nationalisme désuet qui ne permettait pas l’inclusion des immigrés à la nation québécoise. C’était notre version locale de la mauvaise conscience occidentale avec son dispositif idéologique pénitentiel qui fonctionne à la repentance. Cette grande dérive du souverainisme post-référendaire conduira en 2005 à l’élection d’André Boisclair à la direction du Parti québécois qui sera perçue alors comme l’avènement à la direction du mouvement national d’une nouvelle génération délivrée de la vieille identité du Québec historique et prête à s’investir dans le nouveau Québec officiel, le Québec pluriel.
Mais on le sait, entre le discours du Québec officiel qui fonctionnait au consensus pluraliste et la vieille identité nationale qui continuait à traverser la société québécoise, il y avait une tension de plus en plus vive, une tension palpable, qui allait tôt ou tard éclater. La culture politique post-référendaire était fondée sur la censure de l’identité nationale, sur la censure de l’expérience historique québécoise. Or, quoi qu’en pensent les théoriciens du multiculturalisme et les ingénieurs identitaires qui prétendent reconstruire par décret l’identité des peuples, cette dernière n’est pas une pâte molle prête à tous les modelages idéologiques ni prête surtout à se faire mouler dans la cuve du progressisme identitaire. Tôt ou tard, cette tension identitaire allait aboutir à une crise politique.
Cette crise, elle est venue. C’était la crise des accommodements raisonnables qui, pendant deux ans, a permis aux Québécois de faire un procès systématique du multiculturalisme qui contribue au laminage de leur identité collective, à sa déconstruction administrative, à sa liquéfaction culturelle. Les Québécois se sont emparés de la notion d’accommodement raisonnable pour faire le procès du multiculturalisme, tout comme les Britanniques ont pris prétexte des attentats de juillet 2005 dans le métro de Londres, les Danois de l’affaire des caricatures, les Néerlandais de l’affaire Théo Van Gogh. Désormais, le multiculturalisme n’était plus intouchable, imperméabilisé contre la critique populaire. Il y avait une brèche dans le système idéologique officiel, une brèche qui s’est élargie et qui a failli entraîner, doit-on le rappeler, un réalignement politique à grande échelle au Québec avec les élections du printemps 2007.
Évidemment, la crise des accommodements raisonnables n’a pas entraîné la déconstruction du multiculturalisme québécois qui est solidement implanté dans l’appareil étatique. Elle a néanmoins réaffirmé la légitimité d’un questionnement sur l’identité nationale et d’une critique du multiculturalisme. Elle a ouvert sur sa droite l’espace public en réhabilitant un certain conservatisme culturel attaché à la défense de l’identité nationale et des traditions qui la traversent. Elle a rappelé qu’une société d’accueil est en droit d’exiger de ses immigrés non seulement le respect de grands principes universels contenus dans les chartes, mais aussi, et surtout, de prendre le pli identitaire et culturel de la majorité d’accueil pour s’y intégrer substantiellement.
Mais la politique est une activité dynamique et il ne fallait pas croire à la capitulation de l’intelligentsia progressiste non plus que de la technocratie pluraliste. Jamais au vingtième siècle, l’intelligentsia n’a vraiment aimé la nation. La gauche est sa patrie bien davantage que n’importe quelle patrie concrète. Elle a été successivement personnaliste, marxiste et multiculturaliste sans jamais cesser d’être progressiste. Or le progressisme, on devrait le savoir, est de moins en moins compatible avec le fait national et sa nécessaire institutionnalisation au sein d’une communauté politique qui n’est pas qu’une page blanche, mais bien une expérience historique en droit de rappeler son antécédence à ceux qui font le choix de la rejoindre. L’intelligentsia avait donc l’intention de contre-attaquer et de ne pas laisser défaire en quelques mois le dispositif institutionnel au service du multiculturalisme qu’elle a mis en place.
Cette contre-attaque, on l’a vu avec la commission Bouchard-Taylor. Il fallait consulter la liste des membres et des experts sollicités par la commission Bouchard-Taylor pour voir à quel point elle aura dévoilé les structures et les réseaux du parti multiculturaliste incrusté dans les institutions québécoises. Et la contre-attaque passait d’abord par la disqualification morale de la crise des accommodements raisonnables, pour ne pas dire sa diabolisation.
Or, quelle interprétation de la crise des accommodements raisonnables nous a proposé l’intelligentsia ? D’abord, apparemment, l’identité québécoise serait traversée par une grande fragilité culturelle, celle d’une peur terrible de disparaître qui lui ferait appréhender la différence culturelle sous le signe de la menace identitaire. Mais aussi, et surtout, la crise des accommodements raisonnables aurait prouvé que le vieux schème de l’État-nation traditionnel serait encore agissant dans l’identité québécoise. Un vieux schème qui inciterait les Québécois à se poser comme culture de référence dans leur propre espace national et à ne pas considérer celui-ci comme une page blanche à partir de laquelle dessiner un tout nouveau Québec qui n’aurait plus rien à voir avec le Québec historique. Un vieux schème qui ferait de la société québécoise non pas le fruit d’un pur contractualisme progressiste à reconstruire à la lumière d’une définition pluraliste de la justice sociale, mais bien d’une expérience historique appelée à s’institutionnaliser. Autrement dit, il y aurait une substance identitaire générée par l’expérience historique québécoise et la communauté politique devrait s’en investir pour définir les termes de l’appartenance au Québec. Or, selon l’intelligentsia, cette vision de l’identité québécoise serait pathologique, elle serait symptomatique d’une représentation ethnocentriste de la collectivité nationale qui la prédisposerait naturellement à un réflexe de crispation identitaire devant la différence. Pire : cette vision de l’identité nationale entraînerait ceux qui la portent à dériver vers l’intolérance, la xénophobie, voire, le racisme, en refusant de se plier à l’impératif de l’égalitarisme identitaire.
Il y aurait donc une double pathologie identitaire québécoise. Celle d’une société traversée par la peur historique de disparaître et qui serait pour cela paranoïaque à ses heures. Celle d’une société adhérant au vieux modèle de l’État-nation qui l’amènerait à investir la communauté politique d’une définition historique d’elle-même à laquelle les nouveaux arrivants devraient se rallier pour témoigner de leur loyauté à leur nouveau pays, ce qui l’amènerait nécessairement à multiplier les réactions d’intolérance devant les manifestations de la différence.
Plus jamais ça ! C’était le cri de ralliement des pluralistes persuadés d’avoir assisté à un grand dérapage collectif, comme l’écrira à plus d’une reprise Gérard Bouchard, certainement le grand théoricien du multiculturalisme à la québécoise. Le multiculturalisme est un utopisme malfaisant qui fonctionne à partir de l’explication suivante : si les Québécois rejettent le multiculturalisme, ce n’est pas parce qu’ils y ont été trop exposés, mais insuffisamment exposés. Il ne faudrait pas moins de multiculturalisme mais plus de multiculturalisme pour parachever la transformation de la société québécoise.
On devine donc le constat : pour parachever l’implantation du multiculturalisme au Québec, il faudrait transformer définitivement l’identité québécoise. C’était la conclusion de la commission Bouchard-Taylor qui reconnaissait qu’à défaut de convaincre le peuple, il fallait en fabriquer un nouveau. D’ailleurs, c’était une thèse forte traversant tout le rapport Bouchard-Taylor : l’identité du Québec historique ferait obstacle à l’avènement d’une nouvelle identité québécoise, véritablement inclusive, qui se serait d’abord incarnée dans la génération de la loi 101. Autrement dit, la culture québécoise telle qu’on la définit traditionnellement, celle de la majorité francophone, ne pourrait être la culture « commune » du Québec. Bien plutôt, il faudrait intégrer la culture de la majorité à une « nouvelle identité québécoise », celle mise en place par le Québec officiel, par la technocratie pluraliste, une culture centrée principalement sur les chartes de droits et les valeurs progressistes qu’elles incarneraient. Ce ne sont plus les immigrés qui doivent s’intégrer au Québec, mais le Québec historique qui doit s’intégrer au Québec pluriel qui s’incarnerait d’abord chez les immigrés, surtout ceux associés à la génération de la loi 101. Il ne faut pas se laisser berner quand la gauche idéologique parle d’intégration pour corriger les excès du multiculturalisme. « L’intégration » progressiste n’est qu’une étape de plus dans la mise en place de la citoyenneté multiculturelle. Quand la gauche idéologique parle « d’intégration », elle ne dit pas « intégration des immigrés à la culture nationale » mais bien « intégration de toute la société à une nouvelle identité qui ne sera pas celle de la nation historiquement définie et qui sera définie en laboratoire par les experts en diversité de la technocratie chartiste ». C’est ce que j’ai appelé l’inversion du devoir d’intégration.
Il faut donc reconstruire l’identité nationale. Il faut reconstruire l’identité collective. Et l’intelligentsia, qui est bien consciente de l’appel limité de sa doctrine démiurgique dans la population, entend mobiliser les institutions publiques pour mener à terme la reconstruction pluraliste. Le rapport Bouchard-Taylor n’en faisait pas mystère en plaidant notamment pour la multiplication des campagnes de sensibilisation à la différence ou pour le financement massif par l’État des groupes et mouvements qui font la promotion du pluralisme identitaire dans l’espace public. Il faudrait aussi reconstruire l’espace public pour en proscrire l’expression de l’identité nationale et criminaliser l’expression de tout nationalisme conservateur en assimilant toute défense d’une définition traditionnelle de la nation au racisme et à la volonté de perpétuer un système discriminatoire illégitime. Il ne devrait plus y avoir de liberté d’expression pour les adversaires du multiculturalisme. Dans un rapport connexe au rapport Bouchard-Taylor, Maryse Potvin proposera même de faire usage de la censure pour interdire la représentation négative du multiculturalisme dans les médias de masse.
Mais le véritable enjeu était ailleurs et consistait à prévenir en amont toute prochaine remise en question du multiculturalisme en fabriquant dès l’école le nouveau peuple dont a besoin le multiculturalisme d’État pour parachever son implantation. Nous rencontrons ici la thématique de notre table ronde, de notre soirée. Pour assurer la véritable reconstruction pluraliste de la société québécoise, il fallait mettre l’école au service de la nouvelle utopie progressiste, il fallait en faire la fabrique du multiculturalisme.
Bouchard et Taylor en étaient bien conscients en proposant de mener à son terme la réécriture de l’histoire nationale, qu’il fallait présenter de manière véritablement inclusive, ce qui consistait à dire qu’auparavant elle ne l’était pas. Comme l’a magistralement démontré Charles Courtois, un nouvel enseignement de l’histoire permettrait de reconstruire la conscience nationale et d’en évacuer la dimension majoritaire, pour n’apercevoir dans le passé collectif que discrimination et intolérance, ce qui devrait nous conduire à la découverte du pluralisme identitaire et des chartes qui en assurent la protection et la mise en forme. Ils proposèrent aussi et surtout, c’était la proposition G4, la mise en place du cours ECR appelé à fabriquer à travers le système scolaire le nouveau peuple réclamé par le multiculturalisme.
La conversion de l’école au multiculturalisme a ses théoriciens et le principal d’entre eux, dans le contexte actuel entourant le cours ECR est certainement Georges Leroux. Georges Leroux n’a pas cherché à dissimuler la mission du cours. Dans un petit livre, Éthique et culture religieuse : arguments pour un programme, Leroux l’a expliqué clairement, l’école doit programmer dans la jeunesse une vision de la démocratie appelée à s’accomplir dans le multiculturalisme :
On doit […] concevoir une éducation où les droits qui légitiment la décision de la Cour suprême [à propos de l’affaire du kirpan], tout autant que la culture religieuse qui en exprime la requête, sont compris de tous et font partie de leur conception de la vie en commun. Car ces droits sont la base de notre démocratie, et l’enjeu actuel est d’en faire le fondement d’une éthique sociale fondée sur la reconnaissance et la mutualité. C’est à cette tâche qu’est appelé le nouveau programme d’éthique et de culture religieuse.
Leroux expliquait aussi que l’école apprendrait aux élèves à valoriser pour lui-même le pluralisme, à passer du pluralisme de fait au pluralisme normatif, et cela, en intériorisant la nouvelle vision du monde qui est à la fois post-libérale, post-nationale et post-occidentale. Dans un autre texte où il prenait la défense du cours ECR, Leroux expliquait pourquoi il s’opposait à toute exemption par rapport au programme : personne ne devrait pouvoir se dérober aux exigences de l’éducation pluraliste. Quant on connaît le lexique codé du système idéologique officiel, on peut aisément traduire la chose ainsi : personne ne devrait pouvoir se soustraire à l’endoctrinement multiculturaliste. À l’école, on intégrera la société dans le crédo chartiste officiel. À l’école, on apprendra à sacraliser le chartisme et les élèves qui seront réfractaires à cet enseignement connaîtront de très sérieuses sanctions.
Il faut nommer les choses par leur nom : la conversion de l’école au multiculturalisme relève d’une stratégie délibérée d’endoctrinement de la jeunesse pour guérir une société de son identité nationale et lui en fabriquer une nouvelle, selon les méthodes de l’ingénierie identitaire. D’ailleurs, Gérard Bouchard l’a avoué lui-même dans son récent témoignage autour du procès ECR en disant que si ce cours avait été appliqué plus tôt, jamais il n’y aurait eu de crise des accommodements raisonnables. C’est-à-dire que si le cours avait déjà reprogrammé l’identité nationale telle qu’il entend le faire, les Québécois n’auraient pas réagi de manière critique à la multiplication des « accommodements raisonnables » symptomatiques de l’implantation du multiculturalisme. C’est ce qu’on a appelé en d’autres circonstances les « finalités sociales et politiques » du cours ECR qui vise une transformation radicale de la société québécoise.
Je vois à cette démarche trois grands problèmes, en dehors évidemment du grand problème qu’est celui d’une école ne transmettant plus de connaissances sérieuses, mais un humanitarisme gâteux fait pour plaire à tous les bien-pensants : le premier est national, le second est démocratique, le troisième est libéral.
Le problème national d’abord. Dans l’histoire politique occidentale, l’État est l’expression politique d’une expérience historique, celle d’une nation qui trouve ainsi à se constituer en fondant dans la durée son existence collective. L’État n’est pas en droit de se retourner contre la société et d’en reconstruire l’identité nationale, comme si l’expérience historique de cette société était pathologique et réclamait le zèle idéologique des technocrates de l’État thérapeute se croyant dépositaires de la raison historique pour la féconder d’une utopie transformatrice. L’État est là pour assurer la préservation de l’identité nationale et certainement pas pour la déconstruire.
Le problème démocratique ensuite : les progressistes, les multiculturalistes, si l’on préfère, ont renoncé à l’espace politique d’une société démocratique et ont décidé de s’en prendre aux enfants en les transformant en cobayes de l’utopie multiculturelle. C’est bien évidemment là la conséquence de la vision progressiste de la démocratie occidentale : dans la mesure où son expérience historique serait pathologique, dans la mesure où le peuple adulte serait contaminé par cette identité pathologique versant naturellement dans l’intolérance, il faudrait donc miser sur une jeunesse encore immunisée contre l’expérience historique de sa propre société et la soumettre à de tout nouveaux processus de socialisation qui permettront d’accoucher d’un homme nouveau et par là, d’un monde nouveau. Au vingtième siècle, on a vu jusqu’où pouvait mener cette tentation qui consiste à vouloir rompre radicalement avec les sociétés historiques pour accoucher de sociétés utopiques. En démocratie, la souveraineté populaire ne devrait pas être criminalisée et devrait encore moins être confisquée par une caste d’experts-technocrates qui se croient en droit d’imposer à une société des transformations radicales contre lesquelles elle s’est pourtant de bien des manières prononcée.
Le problème libéral enfin : la démocratie libérale repose sur une définition non pas minimale, mais modeste, du politique. C’est-à-dire que si l’État est autorisé à aller au-delà de ses fonctions régaliennes, il n’est pas autorisé, néanmoins, à politiser toutes les relations sociales, à les étatiser, pour ensuite travailler à leur reprogrammation. Il y a là une prétention démiurgique de planisme identitaire et de contrôle social qui est contradictoire avec le maintien d’une société libérale où les individus sont en droit de ne pas assister à l’idéologisation systématique de leur existence privée. Quand l’État se transforme en thérapeute censé délivrer une société de ses héritages culturels traditionnels, il outrepasse de cent bornes son domaine d’action légitime et verse dans un usage abusif de l’autorité qui peut le mener à bien des dérives.
J’en arrive à ma conclusion : le cours ECR n’est pas un problème isolé qui n’aurait rien à voir avec la question soulevée il y a quelques années des accommodements raisonnables. Il cristallise plutôt aujourd’hui le malaise politique d’une société soumise à une perpétuelle ingénierie sociale menée pour éradiquer son expérience historique. Le malaise généré par le cours ECR va de pair avec le malaise causé par une réforme scolaire qui accélère la déculturation de la jeunesse québécoise, une immigration qui outrepasse nos capacités d’intégration et qui ne prend plus le pli identitaire de la majorité nationale, la régression généralisée de la liberté d’expression, la sacralisation des chartes de droits et l’emprise croissante de la bureaucratie sur tous les domaines de l’existence collective. On pourrait résumer le tout en parlant des conséquences générées par la confiscation de la souveraineté populaire par l’expertise technocratique qui a poussé notre société au bord de la crise en faisant tout en son possible pour la laminer idéologiquement. On pourrait aussi dire qu’avec lui culmine au Québec cette vision progressiste de l’histoire occidentale héritée des radical sixties qui consiste à la disqualifier moralement et donc, à délégitimer sa transmission, ce qui justifie donc une reconstruction intégrale de la société à partir d’une utopie en processus de radicalisation systématique. Pour lutter contre le cours ECR, il ne faut pas seulement se le représenter comme une bataille localisée sur un enjeu en marge de la société québécoise mais plutôt le reconnaître comme l’expression la plus radicale d’un projet de transformation de la société québécoise porté à la fois par l’intelligentsia progressiste, la technocratie chartiste et les médias politiquement corrects, qui forment les trois piliers d’un parti multiculturaliste résolu à déconstruire le Québec historique.
Ce n’est qu’ainsi qu’il sera possible de reprendre à notre tour l’offensive contre le multiculturalisme, en ayant une vision d’ensemble de notre société transformée en champ de bataille par ceux qui veulent en déconstruire les institutions et la culture. Ainsi, on comprendra qu’il ne faut pas seulement réclamer une exemption par rapport au cours ECR. Il faut déconstruire pièce par pièce le multiculturalisme d’État qui a dénaturé la société québécoise et a pu mener si loin sa dénationalisation. Il faut abolir le cours Éthique et culture religieuse. q