Transcription de l’allocution de clôture du Colloque Maurice-Séguin.
Merci aux organisateurs, Josiane Lavallée, Denis Monière et Robert Comeau, pour l’organisation de ce colloque. Je dois vous avouer d’emblée que je ne suis pas historienne de formation. Il y a deux ans, je ne connaissais pas Maurice Séguin. J’ai entendu Josiane en glisser un mot lors d’une conférence et c’est avec bonheur que je me suis immergée dans ses écrits. Je voudrais rappeler, pour ceux qui ne le savent pas, que j’ai une formation scientifique. Je suis ingénieur mécanique de formation et toute mon expérience professionnelle a été dans le développement énergétique et industriel. Donc, quand je me suis mise à lire Maurice Séguin, qui a développé une analyse basée sur des faits et non sur des opinions et des croyances, son approche a tout de suite rejoint ma formation scientifique et mon expérience de développement économique.
Le mythe des deux peuples fondateurs
Depuis un certain nombre de mois, par la force des choses, j’ai fait et je continue de faire une réflexion sur l’état du mouvement souverainiste-indépendantiste au Québec. La lecture de Maurice Séguin m’a beaucoup aidé à démystifier les discours ambiants et leurs origines, en particulier le mythe des deux peuples fondateurs. J’ai été plus de 30 ans au Parti québécois, et croyez-le ou non, je n’ai à peu près jamais entendu parler de la Conquête dans les discours. Il faut se le dire une fois pour toutes : on a été conquis. Je pense que c’est important parce que tout découle de là et je vais lire certains extraits de Maurice Séguin ; il écrit :
[les séparatistes] rendent au Canada français le plus grand des services, celui de démasquer l’imposture de la tradition La Fontaine – Étienne-Parent, ce bon vieux mythe d’une égalité possible entre les deux nationalités, ou mieux, de la possibilité pour les Canadiens français d’être maîtres dans un Québec qui demeurerait à l’intérieur de la confédération. Le plus grand devoir dans l’ordre des idées est de dénoncer l’aliénation fondamentale, essentielle dont souffre le Canada français.
On a été conquis et, en fait, il n’y a pas deux peuples fondateurs, il y a deux peuples conquis : les Canadiens (comme ils s’appelaient à l’époque) et les Autochtones. D’ailleurs aux États-Unis, ils appellent la conquête « the French and Indian War ».
Avant d’aborder la conquête de 1760, permettez-moi de faire un petit détour. On entend souvent qu’on est un peuple de colonisés. Colonisés ? Pourtant, la conquête était la prolongation d’une guerre entre la France et l’Angleterre et, à ce que je sache, la France et l’Angleterre étaient deux puissances mondiales ! On a été donc été conquis ! Pas colonisé ! Les Français ont colonisé le territoire, puis, après la conquête, les Britanniques ont, d’une façon bien différente, colonisé aussi le territoire. Et il faut le dire, ce n’est pas du tout la même sorte de colonisation. Et cette différence est très importante pour la suite des choses. Samuel de Champlain est arrivé sur le territoire avec une vision de partenariat avec les nations autochtones. Il a conclu une alliance militaire et commerciale où les colons français appuyaient les Montagnais (Innus), les Algonquins (Anichinabés) et les Etchemins (Malécites) et ensuite les Hurons (Wendats) pour la protection de leur territoire contre les attaques iroquoises. Les Autochtones, de leur côté, accompagnaient les colons français dans leur adaptation au climat et au territoire ainsi que, bien sûr, pour le commerce des fourrures. Il y avait beaucoup de métissage. Avec les Britanniques, c’est une tout autre approche, une approche complètement différente. C’est de l’apartheid avec Macdonald qui a fait adopter sa Loi sur les Indiens, qui a créé les « réserves d’indiens ». C’est carrément du racisme. Et du racisme, Macdonald en a fait preuve aussi contre les Canadiens français, mais comme ils étaient trop nombreux pour l’assimilation, il a manœuvré autrement. Voilà pour le détour.
Revenons donc à la Conquête. Je pense que c’est important, parce qu’avec la défaite de 1760, il y a eu premièrement la conquête économique. Maurice Séguin explique très bien pourquoi les Canadiens français ont été éliminés du commerce des fourrures et ont dû se replier sur l’agriculture. Avant 1760, on était dans tous les domaines. On était dans le commerce des fourrures, dans le transport, dans l’importation, on était dans tout. Mais après 1760, la métropole, c’est devenu Londres, ce n’était plus Paris. Et les Canadiens, Canadiens français qui sont devenus des Québécois aujourd’hui, n’avaient plus accès au marché. Ils ont donc été complètement exclus des volets économiques. Donc 1760 : conquête économique ! En 1840, l’Union est venue compléter la conquête militaire et économique par la conquête politique. Cette union nous a été imposée ! Et vous me permettrez de lire ce passage de Séguin : « en 1840 la nation canadienne, déjà déclassée économiquement, devient annexée politiquement et une décennie plus tard, minoritaire sur le plan démographique. Toutefois il demeure impossible de l’assimiler ».
Et c’est ça notre chance. Ce n’est pas parce que les Britanniques ont été gentils avec nous. C’est parce qu’ils n’étaient pas capables de nous assimiler ! Il faut arrêter de penser qu’ils ont été gentils. Ce mythe-là, des deux peuples fondateurs, intoxique notre imaginaire. Il nous fait croire à l’appartenance au Canada. Et il est difficile de se défaire de cette illusion, c’est dur émotivement. Il n’y a jamais eu deux peuples fondateurs. Cette union, consacrée en 1867 avec l’adoption de la constitution canadienne, et peu importe le type d’union (que ce soit une union fédérale autre chose), c’est une union qui résulte de la Conquête.
Vous savez, les mots ont de l’importance. Depuis un certain nombre d’années, je ressens un malaise lorsqu’on appelle ceux qui sont contre l’indépendance des fédéralistes. Parce que le mot fédéraliste réfère à un type de système très abstrait et théorique. Que le régime soit fédéral ou non, ce n’est pas le problème. Le problème, c’est la Conquête et ses conséquences. Ceux qui se disent, et qu’on nomme, fédéralistes sont d’abord et avant tout pour le Canada peu importe le système. Nous devrions donc les nommer en conséquence. Plusieurs alternatives sont possibles : des unionistes, des canadiannistes, etc. J’ai opté pour canadianniste. Je trouve que c’est l’expression qui est la plus claire et la plus exacte.
La Grande Illusion
Je pense que c’est à partir de 1840 qu’est née la Grande Illusion. Moi, je l’appelle la Grande Illusion, Séguin, lui, l’appelle l’illusion progressiste. Je le cite : « Ainsi les Canadiens français, dès 1846, commencent à nourrir des illusions sur leur situation réelle à l’intérieur du Canada. On assiste alors à la formation de l’illusion progressiste ». J’aime mieux l’appeler la Grande Illusion, c’est plus accessible.
Les Canadiens français en viennent à croire qu’ils sont politiquement libres d’administrer le Bas-Canada à leur guise et, après 1867, la province de Québec. Sur le plan économique, ils commencent à penser qu’ils sont eux-mêmes responsables de leur infériorité économique et que le développement de l’industrie et du commerce n’est qu’affaire de volonté individuelle. Cette illusion va devenir, pour un siècle, le credo national des Canadiens français.
Cette illusion est basée sur le mythe des deux peuples fondateurs qui, selon la logique du mythe, auraient négocié d’égal à égal. Voyons donc ! On a été conquis ! Conquis économiquement et conquis politiquement. Nous n’avons jamais été égaux. Nous étions subordonnés aux conquérants britanniques. Et cette Grande Illusion, qu’a-t-elle de si malsain ? Elle fait croire aux Canadiens français que c’est de leur faute s’ils ne réussissent pas à se développer économiquement. Elle engendre de la culpabilisation, de l’autodénigrement. Séguin disait qu’il n’est pas possible de vraiment se développer économiquement, car tous les leviers économiques appartenaient à l’État canadien, à l’État fédéral donc aux Britanniques ! Que ce soit les douanes, le commerce international, le transport ferroviaire, les voies navigables, l’immigration tous ces leviers appartiennent toujours au gouvernement canadien. Certes, on a, de peine et de misère, réussi à créer quelques leviers, mais je peux vous dire que dès qu’ils deviennent performants, les Canadiens anglo-saxons les laissent partir à l’étranger ou ont l’œil dessus et veulent les accaparer. On a qu’à penser à l’exode de plusieurs sièges sociaux du Québec inc. et, tout récemment, à la Banque de l’infrastructure du Canada créée par Justin Trudeau, localisée à Toronto, qui vise à utiliser notre Caisse de dépôt et placement du Québec. Aujourd’hui, ils lorgnent même Hydro-Québec directement ou indirectement avec le transport interprovincial d’électricité !
La Grande Illusion et le développement économique : l’exemple des sièges sociaux
Ce mythe des deux peuples fondateurs est extrêmement puissant et toxique. Il est important de le déboulonner, car il fait encore partie du discours politique.
Je vous lis un extrait du discours inaugural de François Legault.
Je prône un nationalisme rassembleur dont l’objectif est d’assurer le développement économique de la nation québécoise à l’intérieur du Canada ; tout en défendant avec fierté son autonomie, sa langue et sa valeur et sa culture.
C’est exactement une reproduction de la Grande Illusion que dénonçait Maurice Séguin qui a démontré qu’il était impossible de faire le développement économique de la province de Québec à l’intérieur du Canada, car les leviers les plus importants appartiennent au Canada. Je vais vous donner juste un exemple : les sièges sociaux. Je travaillais chez Hydro-Québec lorsque notre client, l’aluminerie Alcan, a été acheté par Rio Tinto. Les impacts sur la relation commerciale ont été très importants, mais le déménagement du siège social semblait inévitable. J’ai longtemps pensé qu’à cause du libre marché, l’État ne pouvait intervenir pour empêcher l’exode de nos sièges sociaux. C’est ce qui était répété tout le temps : le libre marché, vous ne pouvez pas intervenir parce que ce sont les actionnaires sur toute la planète qui décident. Il fallait jouer le jeu du marché. Alcan, Rona, Bombardier ! Et bien tous ces beaux fleurons on les a perdus l’un après l’autre, pas à cause du libre-marché Tout-Puissant, mais parce qu’on ne dispose que d’un État provincial !
Il en existe pourtant un pouvoir étatique qui permet de faire autrement. Je l’ai découvert quand je suis allée à Ottawa. C’est un pouvoir qui existe pour favoriser le développement économique canadien. C’est le pouvoir d’autoriser, ou non, chaque transaction importante impliquant une entreprise étrangère selon son impact sur le pays, donc sur le Canada. Ce pouvoir permet d’empêcher l’exode d’un siège social. D’ailleurs, le gouvernement canadien l’a utilisé pour Potash Corp. À l’époque je m’étais demandé comment ils avaient fait pour empêcher Potash Corp de passer sous contrôle étranger. Eh bien , facile, il suffisait de refuser l’achat de Potash Corp. par une compagnie étrangère. Facile, mais le gouvernement canadien n’a pas utilisé ce pouvoir pour protéger Alcan, il ne l’a pas utilisé pour protéger RONA ni pour protéger Bombardier. Bizarre non ? Eh bien non, pas bizarre, car le gouvernement canadien ne voit aucun avantage à protéger le développement économique du Québec. Et si le Québec avait été un pays, on aurait pu utiliser ce pouvoir pour d’autres transactions. Par exemple, pour protéger Provigo qui a été acheté par Loblaws dont le siège social est en banlieue de Toronto. Ce déménagement de siège social a eu un impact négatif important sur nos agriculteurs et sur toute notre chaîne alimentaire.
Il est donc illusoire de penser pouvoir faire du développement économique avec seulement des outils provinciaux. François Legault n’arrête pas de nous comparer à l’Ontario en soutenant qu’on est moins bon sans nous dire que l’État canadien a toujours favorisé l’Ontario et toujours défavorisé le Québec. Ça, c’est complètement absent de son discours ! Et on se culpabilise et on se sent impuissant parce qu’il nous manque le meilleur outil !
Le Québec, une province, une nation annexée pas encore une nation indépendante Maurice Séguin nous dit qu’il y a trois possibilités pour qu’une nation vive : il faut qu’elle soit indépendante, il faut qu’elle puisse prendre toutes ses décisions et qu’elle ait tous ses outils. Sans cela, elle est condamnée à végéter, c’est une nation annexée, ou à mourir, et là c’est l’assimilation totale. C’est arrivé à quelques nations.
Selon Séguin, le Québec se retrouve dans la deuxième situation comme peuple annexé. L’annexion impose une logique de survivance parce que la nation ne peut se développer par elle-même. Il explique que lorsqu’une nation est annexée, elle n’a pas tous les pouvoirs nécessaires à son développement, elle est une nation incomplète qui, au lieu de se développer et de s’améliorer, ne peut que régresser vers la médiocrité. Et si on accepte de voir la réalité en face, nous pouvons constater l’exactitude de ses théories.
Les décisions du gouvernement canadien nous font reculer décision après décision. On a beau être dans le déni, on a beau se mettre la tête dans le sable, on est en train de reculer. Il faut se réveiller et arrêter d’embellir la réalité. C’est normal de constater les problèmes si on veut faire un changement. Si la situation n’est pas problématique, on n’a pas besoin de faire un changement et l’indépendance c’est un grand changement ; mais c’est un grand changement pour le mieux. Parce qu’actuellement on est annexé et on est réduit à la survivance même qualifiée de médiocre par Séguin. On n’aime pas entendre ça ! Comme on n’aime pas le mot province ! Mais si on était un pays, on n’aurait pas besoin de faire l’indépendance.
Ce qui nous empêche de faire l’indépendance c’est le mythe des deux peuples fondateurs qu’a bien analysé Maurice Séguin. Son analyse a inspiré la renaissance du mouvement indépendantiste dans les années 50 et 60 qui a abouti à la presque victoire de 1995. Mais depuis 1995, on est retombé dans cette Grande Illusion engendrée par le mythe des deux peuples fondateurs, qui nous amène à croire qu’on peut améliorer la place du Québec à l’intérieur du Canada, qu’avant de faire l’indépendance, il faut faire le déficit zéro, qu’il faut régler tous les problèmes sociaux. Ce n’est pas vrai, on ne peut pas faire cela sans les outils d’un pays !
On est donc retombé dans le mythe et malheureusement on a une élite, même souverainiste, qui alimente le mythe. Et un mythe, c’est quoi ? Un mythe c’est une histoire inventée ! Et ceux qui inventent des histoires, on les appelle des mythomanes et la mythomanie c’est une pathologie ! C’est d’inventer des histoires, fuir une réalité qu’on ne peut accepter.
Il faut donc sortir de ce mythe des deux peuples fondateurs. parce que tant qu’on va croire que c’est possible de réformer le Canada, tant qu’on va travailler à améliorer les lois canadiennes, tant qu’on acceptera de se limiter à travailler à l’amélioration du gouvernement du Québec, donc de l’État provincial, on travaillera à améliorer le Québec à l’intérieur du Canada. Ce n’est pas du tout la même chose que de travailler à l’indépendance. Ce sont deux projets complètement différents. Et pour moi, il est clair que d’améliorer le Québec à l’intérieur du Canada, outre marginalement et temporairement, c’est impossible fondamentalement, d’où la Grande Illusion.
Nationalisme provincialiste et nationalisme indépendantiste
Ma deuxième réflexion, plus récente, porte sur le nationalisme. Elle découle de la dernière campagne électorale pendant laquelle on a dit et répété à satiété que François Legault incarnait le nationalisme ; nationalisme qu’il a lui-même qualifié de rassembleur dans son discours inaugural. Le nationalisme est utilisé à toutes les sauces et tout le monde se réclame du nationalisme même ceux qui ne veulent pas faire de pays. François Legault, il ne veut pas faire de pays ; il l’a déjà voulu, mais il ne le veut plus.
Maurice Séguin parle de nationalisme complet et de nationalisme incomplet. Selon lui, le nationalisme complet existait avant 1760 et aussi après tant qu’on n’avait pas perdu nos leviers politiques. Un nationalisme complet c’est un nationalisme qui s’incarne dans toutes les sphères économiques. Mais après 1840, c’est devenu un nationalisme incomplet qui s’incarnait surtout dans une seule sphère, l’agriculture, là où les Canadiens français étaient confinés. Une forme d’autonomie pour améliorer l’état provincial. J’appellerais cela du nationalisme provincialiste. Il faut distinguer entre les nationalistes qui veulent faire l’indépendance et les nationalistes qui ne veulent pas faire l’indépendance. D’ailleurs Maurice Séguin disait que tout nationalisme complet est séparatiste. C’est logique ! Moi, ce que j’aime de la pensée de Maurice Séguin c’est que c’est logique ! C’est factuel ! Cela correspond à mon esprit d’ingénieure ! Et j’ajouterais que ce sont des nations et non des provinces qui sont membres des Nations unies. Et lorsqu’on obtient la nationalité, c’est la nationalité d’un pays et non pas d’une province. En toute logique, le nationalisme au Québec devrait être indépendantiste.
Il y a des partis qui rendent les choses confuses en se réclamant de l’indépendance, mais en se limitant à vouloir gouverner une province sans rien faire une fois élu pour la promotion de l’indépendance. Je suis triste de vous le dire, mais pendant les 18 mois où j’ai été au gouvernement, le gouvernement du Parti québécois n’a rien fait pour l’indépendance. Ce n’est pas une blague, je veux bien admettre qu’on était minoritaire, mais même comme gouvernement minoritaire, il est possible de prendre des décisions. On n’a même pas voulu utiliser un cent de l’État pour faire quelques études que ce soit. On n’a rien fait ! On ne s’aide pas en faisant cela. Quand un parti qui prône l’indépendance tasse l’indépendance de sa plateforme électorale pour la remettre à plus tard ; il est en train de dire à tout le monde qu’elle n’est pas réalisable ou urgente et qu’on peut se développer avec les pouvoirs d’une province. Ce parti alimente involontairement la Grande Illusion.
Le même phénomène se produit avec le Bloc qui veut se faire élire à Ottawa pour défendre les intérêts du Québec, sous-entendu dans le système actuel, donc dans le système canadien pour défendre les intérêts de la province de Québec. Des députés acceptent de parler d’indépendance dans des assemblées militantes, mais pas aux médias en lien avec l’actualité. On l’a vu dans le dossier de la Davie parce que, disaient certains, faire un point de presse au parlement d’Ottawa avec les travailleurs de la Davie et parler d’indépendance, cela serait d’instrumentaliser les travailleurs. Prétexte, baliverne, un canadianniste ne trouverait pas meilleur argument. J’avais prévu le coup, j’en avais parlé d’avance aux travailleurs et ils comprenaient tout à fait la logique et la respectaient. Mais au fond, qu’est-ce que cela indique ?
Cela indique que certains députés agissent comme si on pouvait améliorer les choses dans le système canadien actuel. Pourquoi serait-il nécessaire d’en sortir ? En voulant se limiter à demander notre juste part de la Stratégie canadienne de construction navale, sous-entendu que cette juste de part serait gérée par le gouvernement canadien, au lieu de présenter ce que nous pourrions faire avec une stratégie de construction navale pour la République du Québec, ces députés défendent les intérêts de la province de Québec. Défendre les intérêts de la province de Québec ce n’est pas promouvoir l’indépendance. Cela ne fait aucunement avancer l’indépendance, c’est au contraire sous-entendre que celle-ci n’est ni urgente ni nécessaire. Cela alimente également la Grande Illusion.
Qu’est-ce qu’on peut faire pour préparer l’indépendance ?
Nous avons une réflexion à faire pour l’avenir. Il est important que l’on regarde ce qui peut être fait et que l’on arrête de se sentir impuissant face à l’avenir. Il y a plein de choses à faire, plein de choses qui font une différence. Je sais qu’il y a des statistiques qui ont été avancées pour montrer le déclin du soutien des jeunes à l’indépendance, mais je pense que les résultats de la dernière élection devraient au contraire nous encourager puisque 48 % des jeunes ont voté pour un parti indépendantiste. Je sais bien que l’indépendance n’était pas à l’ordre du jour parce que le Parti québécois l’a écarté comme enjeu politique, mais il y a quand même 48 % des jeunes qui ont voté pour un parti qui a inscrit dans son programme la réalisation de l’indépendance du Québec.
Pour avancer, il faut d’abord sortir de la Grande Illusion, il faut sortir du mythe des deux peuples fondateurs, il ne faut plus accepter de travailler à l’intérieur du système constitutionnel canadien, il faut arrêter de mettre nos énergies à chercher à améliorer ce système ! Quand vous déposez, à la Chambre des communes, un projet de loi pour améliorer une loi canadienne, vous indiquez vouloir améliorer le système actuel. Au lieu de déposer un projet de loi pour améliorer une loi canadienne, on devrait déposer un projet de loi qui définirait comment ce sera dans la République du Québec ! À Ottawa, on ne prendra de toute façon jamais le pouvoir et le rôle des indépendantistes n’est pas d’améliorer le Canada. On doit être là pour faire la promotion de l’indépendance !
Je pense qu’il faut arrêter de mettre nos énergies à faire fonctionner le système imposé par la constitution canadienne tant à Ottawa qu’à Québec. Il faut mettre notre énergie à dire comment on va pouvoir s’améliorer en sortant du système. On a été conquis et on veut sortir du système. Et c’est avec cet esprit qu’il faut traiter chacun des dossiers d’actualité. Et, on devrait toujours agir dans la perspective d’un nationalisme complet. Non pas un nationalisme provincialiste, mais un nationalisme indépendantiste.
Le transparlementarisme, c’est du nationalisme complet ! C’est du nationalisme indépendantiste ! Accepter de fonctionner dans la structure canadienne qui divise les pouvoirs entre le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral, c’est de jouer le jeu du Canada ! Et ça, ce n’est pas faire avancer l’indépendance ! Quand on regarde un dossier, comme celui de l’environnement, si on se limite aux pouvoirs provinciaux, ce qu’on peut faire est très limité, totalement incomplet. Mais si on envisage ce qu’on peut faire avec l’ensemble des pouvoirs, cela fait toute la différence parce qu’avec les pouvoirs d’un État normal on peut agir au niveau international et on peut augmenter les ressources financières.
Au lieu de mettre notre argent dans l’achat de TransMountain, on aurait pu investir 900 millions de $ (notre contribution au 4,5 milliards de $) pour diminuer les gaz à effet de serre au Québec par l’efficacité énergétique, par l’électrification des transports ou le transport en commun ! Au lieu que ce soit le Canada avec tous ses prix fossiles qui participe à la COP24 en notre nom, ce serait le Québec – qui a déjà atteint 50 % d’énergie renouvelable – qui nous représenterait. Imaginez la contribution qu’on pourrait avoir pour la planète ! Il faut donc regarder l’ensemble des pouvoirs et c’est cela la logique du transparlementarisme. Je peux vous dire que moi, après y avoir gouté, je suis devenue complètement « addict », et je ne veux plus m’en passer, parce que de se limiter à ne regarder que les pouvoirs provinciaux, on est toujours plafonné puis on se retrouve toujours devant un mur. C’est tannant ça !
Des changements de culture importants, cela vient avec des connaissances. Mais vous écouterez les périodes de questions tant à l’Assemblée nationale qu’à la Chambre des communes et vous n’entendrez pas souvent parler d’indépendance. Il y a une peur chez plusieurs élus pour qui trop parler d’indépendance allait faire perdre des votes, allait leur faire perdre leur poste bien que l’appui à l’indépendance soit autour de 37 %, bien plus que l’appui à n’importe quel parti indépendantiste. Eh bien ! ils n’en ont pas parlé, et ils ont tout perdu ! Je ne suis pas certaine que le choc soit assez fort pour changer ce paradigme. Parce que le choc, on l’avait déjà eu en 2014, en 2012, puis même avant en 2011 avec le Bloc. En 2012, on a été élu comme gouvernement, mais minoritaire alors qu’il y avait un contexte de corruption et de printemps étudiant. Malgré ce contexte très favorable, nous avons juste réussi à faire élire un gouvernement minoritaire. Une lumière jaune aurait dû s’allumer, cela ne s’est pas produit. 2014, lumière rouge cette fois-là avec la défaite électorale, mais cela n’a pas suffi ! Le PQ a continué dans le déni avec sa stratégie de reporter l’indépendance à un éventuel deuxième mandat. Suite aux résultats de 2018, certains de mes anciens collègues ont dit qu’ils étaient bien déçus de la population… Donc, je ne sais pas si le désastre électoral de 2018 sera un choc suffisant pour changer de paradigme.
Il faut être fier de qui on est, parce qu’on ne convaincra personne de devenir indépendantiste si nous ne sommes pas fiers de l’être ! Et il faut mettre en lumière tous les avantages de l’indépendance du Québec avec les dossiers d’actualité ; que ce soit l’immigration, l’ALENA, le cannabis, l’environnement ! Je suis allée dernièrement à la marche citoyenne pour la planète, et moi j’en suis du mouvement citoyen, j’y ai contribué pendant une bonne dizaine d’années. Mais il y a un problème, le mouvement citoyen a fait une coupure avec le politique, comme si la question environnementale allait se régler avec des gestes individuels. C’est bien les gestes individuels, mais c’est clairement insuffisant. Il n’y a que le politique qui va pouvoir contraindre l’économique ! Les individus sans le politique n’y arriveront pas. Car l’économique, son moteur, c’est l’argent et l’enrichissement des actionnaires et non pas une meilleure société. Et le politique c’est l’État, ici c’est deux états, le provincial et le fédéral. La lutte aux changements climatiques c’est par l’indépendance que ça passe. C’est ça qu’il faut dire aux plus jeunes ! Parce que ça ne sera pas possible d’améliorer l’environnement à l’intérieur du Canada pétrolier, c’est impossible ! Imaginez le Québec pays et tout ce qu’on pourrait apporter comme contribution à la planète. Avec toute l’expertise qu’on a, notre vision qui est beaucoup beaucoup beaucoup plus environnementaliste que le reste du Canada ! Cela ferait toute une différence, mais il faut le dire ! Ce n’est pas une déduction que tout le monde va faire automatiquement !
Je pense qu’il faut diffuser la pensée indépendantiste de Maurice Séguin et organiser des formations, des conférences pour les militants. C’est la mission du Mouvement Québec indépendant qui vient d’être créé. Nous produirons un magazine indépendantiste et ludique ; parce qu’il faut aussi avoir du plaisir ! Notre ligne éditoriale soutiendra un indépendantisme assumé, transpartisan, transparlementaire et de bonne humeur et qui va permettre d’illustrer avec chacun des dossiers d’actualité, l’avantage pour le Québec d’être libre de ses choix.
J’entends depuis plus de 20 ans dans le mouvement souverainiste qu’il faut renouveler le discours, actualiser les exemples, etc. Mais, ça ne se fait pas. Je ne sais pas si c’est par manque d’imagination, par peur de se tromper ou par méconnaissances des dossiers de l’autre parlement, mais il est temps de passer de la parole aux actes. Non seulement on peut, mais on doit commencer dès maintenant à préparer l’indépendance, et plus on va améliorer nos connaissances, plus on va être fier, plus on va faire reculer l’ignorance, plus on va faire reculer la peur. Parce que la peur c’est elle qui va encore être notre principale adversaire la prochaine fois.