(Extrait d’une fiche technique préparée dans le cadre des États généraux sur la souveraineté.)
1/ L’impossible stratégie nationale pour le Québec
Reflet des impératifs de l’Empire britannique (puissance maritime de l’époque), l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 a concédé au fédéral tout ce qui concerne le maritime et le fluvial en territoire québécois. En vertu de la politique des pouvoirs résiduaires (les activités inexistantes en 1867 qui reviennent d’emblée au fédéral), le secteur aérien et le transport interprovincial des énergies sont eux aussi à 100 % de compétence fédérale. La section 92(10) de l’AABN fait en sorte que le Québec est exclu de toute entreprise relative aux « lignes de bateaux à vapeur ou autres bâtiments, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres travaux et entreprises reliant la province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendant au-delà des limites de la province », ainsi que les travaux qui, « bien qu’entièrement situés dans la province, seront avant ou après leur exécution déclarée par le Parlement du Canada être pour l’avantage général du Canada, ou pour l’avantage de deux ou d’un plus grand nombre des provinces. » Des énoncés qui disent tout sur l’incapacité du Québec de se doter d’une véritable politique en matière d’aménagement du territoire et de planification du transport.
Cette même section 91(2) accorde au fédéral le pouvoir de faire des lois relatives à la « réglementation du trafic et du commerce. » Ces lois sont prépondérantes. Reste au Québec, le pouvoir sur « les travaux et entreprises d’une nature locale » (section 92.10 de l’AABN). Mais encore le fait que, pour se relier aux principaux marchés du nord et du Midwest américain, le principal pôle industriel du Québec se retrouve prisonnier des ponts fédéraux sur la rive sud du Saint-Laurent laisse le Québec dans une situation de grande vulnérabilité sur le plan du développement économique. C’est un fait incontestable que face à l’incapacité de se donner une stratégie nationale en matière de transports des marchandises et des personnes, l’économie du Québec joue dangereusement son avenir économique.
2/ Le rôle stratégique du transport dans l’avenir de l’économie industrielle du Québec
L’économie du Québec n’est pas une économie fermée, mais exportatrice. À l’instar de ses concurrentes, elle est à la recherche d’une réduction constante des temps et des coûts de transport. Elle privilégie l’utilisation de liens mettant en réseaux les entreprises multinationales et leurs filiales avec d’autres unités de production ou de marché.
Aujourd’hui, affirment les spécialistes du transport, les conditions de la prospérité économique d’un État sont étroitement associées à des réseaux de plaques tournantes au sein de corridors de développement où la qualité des infrastructures est liée à de très hauts niveaux d’accessibilité. Ces plateformes de groupage-dégroupage de fret généralement conteneurisé (navires-mères de la grande navigation océanique et convois ferroviaires groupés pour les approvisionner ou assurer l’approvisionnement et la desserte) doivent permettre aux entreprises du Québec d’intégrer rapidement les activités des transporteurs maritimes, ferroviaires et routiers.
Mais le Québec n’a pas grand-chose à dire en matière d’infrastructures et de routes de transport stratégiques. À la fin du XIXe siècle, le fédéral a construit tout le réseau des ports sur les deux rives du Saint-Laurent, en 1970, sans consultation, il a tout démonté. À la même époque, il déménageait le réseau du transport aérien à Mirabel, malgré les hauts cris du gouvernement du Québec qui avait plutôt besoin du site Saint-Hubert pour favoriser l’économie de sa métropole.
3/ Le transport par voies maritimes et fluviales
Le corridor fluvial et maritime du Saint-Laurent représente une ressource nationale de premier plan pour le développement futur des régions du Québec. À ce titre, on doit s’assurer qu’il demeure disponible pour une multiplicité d’usages. Partout dans le monde, le transport des marchandises par voies fluviales ou maritimes est en train de connaître une expansion fulgurante. Dans le monde, plus de 90 % du transport des marchandises (même excluant les hydrocarbures) se réalise aujourd’hui selon ce mode, contre 10 % par routes et par chemins de fer, car les infrastructures disposent d’une grande capacité disponible, à la différence des corridors de transport terrestre qui eux sont de plus en plus congestionnés.
Le port de Montréal est d’une importance internationalement reconnue. Il dispose de quatre terminaux à conteneurs couvrant une superficie d’environ 80 hectares. Environ la moitié du trafic conteneurisé du port a pour origine ou destination le marché du Québec et celui de l’Ontario. L’autre moitié prend la direction du marché américain, principalement le Midwest (Illinois, Michigan, Minnesota, Wisconsin et Ohio) et le Nord-Est (Nouvelle-Angleterre et État de New York). Le port est donc au service de la base industrielle du Québec, en constante évolution. Il crée près de 18 000 emplois directs et indirects et il génère des revenus annuels d’environ deux milliards de dollars.
L’emplacement stratégique du port de Montréal lui confère beaucoup d’avantages. Mais selon certaines évaluations, sa capacité est déjà atteinte. À terme, des décisions importantes devront être prises quant au corridor Québec-Montréal déjà très fragilisé par l’envasement dû à l’érosion. Parmi les solutions, creuser et élargir le chenal actuel, créer en aval une super plateforme maritime intermodale (« hubs maritimes ») ou rediriger graduellement des opérations sur Halifax, comme on l’a fait pour la construction navale. Le Québec-province n’a absolument rien à dire sur aucune de ses options.
4/ Le transport terrestre par rails et par routes
En 2009, le gouvernement du Québec avait énoncé une politique sur le transport. Par la force des choses, cette politique se confinait au transport terrestre, et pour cause, là s’arrêtent ses prérogatives. On y traite donc abondamment de « charges fiscales, d’embauche et de formation, de recrutement et de rétention de la main-d’œuvre, de congestion, de fardeaux administratifs, d’asphalte », bref, de tout ce qui intéresse une grosse municipalité.
On n’y parle pas du tout d’alimentations terrestres de ces plaques tournantes que sont les ports et les carrefours ferroviaires. On ne traite pas du tout du chemin de fer du CN, dont le seuil de capacité entre les Maritimes et Montréal a atteint sa limite, alors qu’il faut répondre à une augmentation des flux de marchandises pouvant aller jusqu’à 4,5 % annuellement. Mais surtout, on n’anticipe absolument pas le phénomène naissant de la gigantesque confiscation de cette capacité de transport par les grandes pétrolières pour leur transit vers l’est des pétroles des sables bitumineux de l’Alberta et des pétroles de schiste du Dakota.
Pour tout planificateur du développement industriel, le cauchemar plane déjà sur l’agglomération industrielle montréalaise, en raison de la situation plus que problématique des ponts fédéraux, passages obligés pour l’exportation vers les États-Unis.
L’horizon n’est pas clair non plus en ce qui a trait à cet axe Atlantique-Montréal. Il faut bien prendre conscience que toute réduction soudaine du flux de trafic des conteneurs entraîne automatiquement un impact négatif sur l’activité économique du Québec. Le Nouveau-Brunswick et les États du nord-est des États-Unis sont actuellement à mettre en place un grand corridor routier est-ouest (poste-frontière de St Stephen), afin de mieux structurer la desserte vers le Maine, le New Hampshire et le Vermont. À noter que ce corridor constitue le plus court chemin entre le port de Halifax et Toronto. q
* Vice-président du Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM), ex-gestionnaire et conseiller socio-économique, gouvernement du Québec.