Après une décennie de silence, et ce au moins depuis le rapport Pelletier publié en 2001, la question constitutionnelle au Québec est brièvement redevenue d’actualité cette année. Philippe Couillard, nouvellement élu à la tête du gouvernement du Québec, a signifié plus tôt cette année qu’il entendait signer la constitution canadienne d’ici 2017, année du 150e anniversaire de la Confédération canadienne. En réaction aux propos de Couillard, Pauline Marois, alors première ministre du Québec et chef du Parti québécois, disait qu’il vaudrait mieux que la constitution canadienne intègre minimalement la notion des deux peuples fondateurs, ou à tout le moins, une forme de statut particulier pour le Québec, si tant est que ce dernier entende signer la constitution.
Or, force est de le reconnaître : la notion des deux peuples fondateurs, ou encore des deux nations fondatrices du Canada, l’une française, l’autre britannique, laisse à plusieurs un arrière-goût d’anachronie. Que ce soit dans les départements de sciences sociales, dans les politiques québécoises d’intégrations des immigrants, ou tout simplement dans ce que l’on peut situer comme relevant du politiquement correct ambiant, défendre la notion des deux peuples fondateurs n’est pas chose aisée, quand on ne la considère pas comme carrément dépassée. On arguera çà et là que le Québec et le Canada sont des sociétés plurielles, ou encore qu’une telle notion évacue la place des premières nations dans l’aventure canadienne.
D’un point de vue québécois, il s’agit cependant d’une posture pour le moins étrange que de répudier spontanément et sans appel, l’idée des deux nations fondatrices. Parce qu’en dépit de la mise en désuétude à laquelle plusieurs la destinent, elle demeure aujourd’hui un référent implicite de première importance relativement aux revendications constitutionnelles du Québec. Et il serait faux de lui attribuer uniquement le rôle d’une notion aux visées purement revendicatrices. Car il s’agit bien d’un principe évoqué, tantôt implicitement, tantôt explicitement, pour justifier l’adhésion des élites canadiennes-françaises à la Confédération de 1867[1].
Puisqu’il faut en outre spécifier qu’il s’agit d’un principe autour duquel se profile un contentieux durable, notamment en ce qui a trait à l’idéal démocratique prévalant de part et d’autre de la rivière des Outaouais, soit entre Québécois et Canadien anglais. En effet, on peut parler de façon générale d’un conflit relativement à la place que l’on attribue aux droits collectifs en opposition aux droits individuels dans la démocratie canadienne.
C’est dans cette optique que nous tenterons, dans cet article, de retracer les différentes modalités de cette opposition en explorant de part et d’autre ce contentieux, tel qu’il prend forme dans le rapport Laurendeau-Dunton, afin d’en reconstituer les grandes lignes et les points de convergences. Ensuite, nous verrons dans quelle mesure la conception démocratique dominante au Canada anglais a finalement triomphé. Enfin, nous tenterons de reformuler le tout sous forme de conclusion synthétique.
Le rapport préliminaire de la commission Laurendeau-Dunton
Publié en 1965, le rapport Laurendeau-Dunton, publié à l’issue des consultations de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et biculturalisme, définissait les contours d’une crise qui prenait de l’ampleur dans la fédération canadienne. Cette crise, définie comme « provinciale au départ, devient canadienne à cause de l’importance numérique et stratégique du Québec[2] ». Comme le spécifie les coprésidents André Laurendeau et Davidson Dunton, c’est là une crise qui a des racines profondes, au moins depuis 1867, date à laquelle est fondée la Confédération canadienne.
Alors, si les racines de cette crise remontent à environ un siècle avant la rédaction du rapport préliminaire, comment se fait-il qu’elle ne se soit pas manifestée avant ? Les commissaires l’affirment sans détour : « l’état des choses établi en 1867 et jamais gravement remis en question depuis, était pour la première fois refusé par les Canadiens français du Québec[3] ». En ce sens, il faut se rappeler qu’au moment de la rédaction dudit rapport, le Québec vivait une époque très intense de transformations politiques et sociales, bien connue sous le nom de « Révolution tranquille ».
Il peut paraître utile de le souligner aujourd’hui : la Révolution tranquille dans le Québec de 1960 s’érige contre la période antérieure, communément qualifiée de « Grande Noirceur ». Cette période marquera grandement l’imaginaire collectif des Québécois. Entre mythes et réalités, elle sera retenue comme étant caractérisée par un conservatisme social abusif, soutenu par l’église et le régime provincial de Maurice Duplessis. Néanmoins, si opaque ait été cette Grande Noirceur, elle contiendra assez de lumière pour préparer ce qui adviendra par la suite.
Comment ne pas se rappeler des slogans « Maîtres chez nous » du Parti libéral de Jean Lesage en 1962, ou de celui de l’Union nationale de Daniel Johnson en 1966 « Égalité ou indépendance » ? Bien sûr, la Révolution tranquille est caractérisée par une forte poussée moderniste, mais cela ne s’effectue en aucun cas de façon désincarnée. L’énergie collective invoquée par cette poussée moderniste relevait indéniablement, d’abord et avant tout, du nationalisme canadien-français qui se mutera ensuite en nationalisme québécois.
Car il s’agit bien de cette nation, qui en pleine mutation identitaire vient troubler le statu quo. En effet, la Commission notera que, de façon générale, les Canadiens anglais sont satisfaits de l’état des choses et ne comprennent pas ce que veut le Québec[4]. La crise, si toutefois elle existe, serait l’apanage des Canadiens français. La Commission en viendra à dire que les deux protagonistes du « drame » sont bel et bien le Québec français et le Canada anglais, puisque ceux-ci s’opposent dans « un conflit entre deux majorités : le groupe majoritaire au Canada et le groupe majoritaire au Québec[5] ». Ainsi donc, le problème réside dans le fait que le Québec français refuse de plus en plus le statut de minorité ethnique qu’il a longtemps accepté au sein de la fédération canadienne. Pour la Commission, dans la mesure où les deux peuples fondateurs forment le Canada et que l’un d’eux est manifestement insatisfait du traitement qui lui est réservé, le Canada est en crise, et il faut impérativement retrouver un équilibre adéquat entre ceux-ci pour régler le problème.
Discussions autour du principe de démocratie
Dès le début des consultations publiques de la commission Laurendeau-Dunton, on note rapidement le fait qu’il existe plusieurs échelles à travers lesquelles s’expriment différentes majorités et que le tout peu facilement devenir éminemment complexe. Car la règle de la majorité, principe que l’on associe la plupart du temps à l’expression démocratique d’une entité politique donnée, peut s’exprimer aussi bien à l’échelle provinciale qu’à l’échelle fédérale.
Comme le note le politicologue Guy Laforest dans son ouvrage Trudeau et la fin d’un rêve canadien, ce qui se formulait à ce moment-là avec de plus en plus d’acuité dans l’esprit d’André Laurendeau,
c’était la réalité sociologique des deux majorités au Canada : la première, celle du Canada français, s’exprimant principalement dans les actions de l’État provincial québécois, la seconde, celle du Canada anglais, s’exprimant surtout dans les œuvres de l’État central. Le Québec avait besoin d’un statut particulier parce qu’il n’était rien de moins que l’État national des Canadiens français[6].
En effet, cette problématique semblait partagée par bien des gens durant les consultations publiques de la Commission. Pour beaucoup, le fait de la concentration des Canadiens français dans le Québec rendait éminemment problématique « l’application intégrale de la règle de la majorité au Canada[7] ». C’était là, pour plusieurs, « le problème fondamental de la Confédération[8] ».
S’articule donc graduellement à travers les propos de ces gens, une opposition entre la conception démocratique au Canada anglais et au Québec. Une opposition que les Commissaires voyaient se dessiner à travers la place que l’on accordait aux droits des individus en démocratie : la règle de la majorité appliquée à la politique canadienne soulignait les droits de l’individu en tant que pierre angulaire de la démocratie et, inversement, tendait à minimiser les droits collectifs, comme ceux que réclament les nations[9]. Plus courante au Canada anglais, on considère qu’il n’existe qu’une seule majorité, laquelle se déploie au sein d’un seul État, le Canada, « où la règle de la majorité, ainsi que la liberté de l’individu, sont des principes centraux[10] ».
Un autre point de vue, plus courant chez les Canadiens français, voyait le Canada français comme une société minoritaire détenant en elle sa propre cohérence, laquelle demeurait sous la domination politique, économique et culturelle de la société canadienne-anglaise. Ce point de vue est assez bien exposé à travers les propos sur l’égalité entre les peuples d’un avocat de Québec :
Quand on parle d’égalité, les Canadiens anglais parlent d’égalité des droits civiques individuels, c’est-à-dire des personnes prises individuellement, tandis que nous Canadiens français, quand nous parlons d’égalité, nous ne parlons pas du tout de droits civiques, nous parlons de droits nationaux de la collectivité, de la nation canadienne-française comme pouvant s’épanouir suivant ses caractéristiques propres[11].
Poursuivant, en y introduisant une perspective historique, une citoyenne de Port-Arthur ajoute que le Canada français, détient le droit « en tant que nation fondatrice, à des avantages égaux, ainsi qu’à un statut égal, en tant que l’une des deux nations fondatrices, et non pas comme un groupe ethnique qui doit lutter pour maintenir sa propre culture[12] ». On voit ainsi comment, sans remettre en question la primauté des droits individuels, les Canadiens français souhaitaient, comme société minoritaire, mettre l’accent sur les droits du groupe. Dans la même lancée, certains citoyens, durant les audiences publiques, estimaient qu’il fallait d’abord assurer le maintien et la perpétuation, de façon majoritaire, de la langue française et de la culture canadienne-française au Québec. Une fois ces conditions maintenues, la règle de la majorité et les droits individuels pourraient être appliqués pleinement.
Les désaccords de principes sur les droits démocratiques s’accompagnent en outre de vues différentes concernant le fonctionnement de la démocratie. Dans les dernières lignes du cinquième chapitre du rapport préliminaire, les commissaires soulignent la récurrence de l’opposition précédemment mentionnée entre les deux peuples fondateurs concernant leurs visions respectives de la démocratie. Au Canada anglais, nous l’avons dit, l’accent est mis sur l’individu certes, mais aussi sur une vision plus pragmatique de la démocratie. Cela se traduit par le fait « qu’il ne doit pas s’exercer de contrainte en démocratie et qu’il faut employer la méthode du compromis pour résoudre tensions et conflits[13] ». Relativement à cela, on évoquait, la plupart du temps, l’idée selon laquelle on ne pouvait imposer le bilinguisme dans la fonction publique comme norme de compétence.
Ainsi, le discours dominant associé au Canada anglais renvoyait au fait que la démocratie était peut-être davantage une mentalité, ou encore un éthos démocratique, qu’un système ou encore un régime se traduisant par des droits. Une mentalité qui se traduirait bien sûr par un accent mis sur l’individu, son autonomie et ses responsabilités, mais aussi par l’idée selon laquelle il fallait être flexible, enclin au compromis, disposé au changement et à la négociation. En ce sens, on préconiserait davantage une approche pragmatique visant à résoudre des problèmes particuliers selon les circonstances. Au Canada anglais, il semblait donc y avoir très peu de disponibilité vis-à-vis d’un discours qui favoriserait des réformes institutionnelles d’envergure.
Or, le discours dominant au Canada français à l’époque de la Commission reflétait un tout autre point de vue. Le pragmatisme que préconisaient les Canadiens anglais en la matière rendait les Canadiens français méfiants de ce processus visant la résolution de problèmes ponctuels. Pour eux, ce processus, bien que vertueux et modéré a priori, serait inexorablement « déterminé par la majorité[14] ». Ainsi, tout se passe comme si la majorité seule pouvait se permettre une approche pragmatique de problem-solving, là où de toute façon elle demeurerait structurellement dominante, voire en mesure d’altérer les compromis établis par le passé.
Au Canada français, pour que se tienne un dialogue entre égaux digne de ce nom, figurait donc une condition sine qua non : celle d’une reconnaissance « de la dualité comme la réalité fondamentale au Canada[15] ». En conséquence, la Commission notait l’insistance dont faisaient montre les Canadiens français vis-à-vis de « la nécessité de réformes institutionnelles radicales[16] ». Plus explicitement encore, on estime que « pour que fonctionne le processus de compromis et d’arrangements, on devra admettre, sur un pied d’égalité, les deux piliers de la nation canadienne basés sur la culture d’expression anglaise et la culture d’expression française[17] ».
En guise de conclusion, remettant en perspective l’opposition entre Canadiens anglais et Canadiens français autour du contentieux linguistique, les commissaires notent que de part et d’autre, aucun des citoyens des deux entités n’apprécie se faire imposer l’usage d’une langue qui n’est pas la sienne, que ce soit par le biais d’une « aristocratie économique » ou par la loi. Était donc récurrente l’idée selon laquelle aucune des deux entités ne voulait « subir » une influence indue de la part de l’autre et, bien que « les porte-parole des deux groupes en tiraient des conclusions pratiques souvent contraires, tous favorisaient la démocratie, mais chacun se représentait les réalités politiques sous un jour différent[18] ».
Bilinguisme et biculturalisme
Comme nous l’avons vu précédemment, le rapport préliminaire de la commission Laurendeau-Dunton souligne constamment l’existence de deux peuples fondateurs, associés de part et d’autre à deux cultures distinctes dans la fédération canadienne. À l’époque, le mandat donné à la Commission est d’examiner quel pourrait être la signification d’une reconnaissance juridique de cet état de fait, et comment le principe d’égalité entre les deux peuples pourrait se traduire. Dans cette optique, l’introduction générale du Livre I du rapport final[19], les fameuses « pages bleues » de ce dernier, rédigées à l’époque par Laurendeau lui-même, établissaient les prémisses conceptuelles dudit rapport.
Attardons-nous un moment à la signification attribuée ici au concept de culture, telle que définie dans les pages bleues. D’emblée, les commissaires reconnaissent que le concept même de culture paraît lui-même hautement polysémique. En effet, le mot culture renverrait bien souvent dans le sens commun aux arts et lettres. Or, pour les commissaires, le terme de culture doit viser une acceptation plus large. C’est pourquoi ils la définissent ainsi :
[…] la culture est une manière globale d’être, de penser, de sentir ; c’est un ensemble de mœurs et d’habitudes, c’est aussi une expérience commune ; c’est enfin un dynamisme propre à un groupe qu’unit une même langue[20].
On voit donc différentes implications à la définition prodiguée par les commissaires : la culture ne se limite aucunement à l’ordre du consommable, non plus qu’elle ne se réduirait à ce qui est matériel, palpable. Elle semble signifier bien davantage une manière d’être que l’on peut associer à un groupe en particulier, ou encore à un « style de vie distinct[21] ». Et en ce qui concerne la notion de biculturalisme, il est clair que les deux cultures auxquelles l’on réfère ne sont pas distinctes en tous points. On souligne en effet qu’elles possèdent « plusieurs éléments en commun », tout en conservant de part et d’autre leur distinction.
C’est pourquoi les commissaires précisent que les notions de bilinguisme et de biculturalisme ne doivent en aucun cas « conduire à une mixture de deux langues, de même que la dualité culturelle au Canada ne saurait suggérer le mélange de ces deux cultures[22] ». Cela ne signifie pas non plus que ces cultures soient inaltérables de par le passage du temps : « elles évoluent, elles se font constamment des emprunts ; dans la mesure où elles sont vivantes, elles ne cessent de se transformer selon le dynamisme et la direction qui leur sont propres[23] ». La culture vivrait en outre en marge des idéologies, bien qu’elle puisse paraître s’y aligner à différents moments. Cela fait en sorte qu’elle « ne détermine pas ce qu’une collectivité pensera ou fera, mais colore sa manière de penser ou de faire[24] ».
Il y a donc plusieurs façons de vivre une même culture selon les différentes caractéristiques que l’on peut associer aux individus. Il est donc d’emblée admis qu’une culture ne porte pas atteinte à ce qui distingue les individus les uns des autres. C’est pourquoi elle est « la somme des caractéristiques à la fois propres à un groupe et communes aux individus qui y participent[25] ».
Dans la fédération canadienne, comme nous le disions précédemment, on trouve deux cultures dominantes, lesquelles conditionnent les individus à adopter un certain style de vie. Ce style de vie consiste à vivre, parler, sentir d’une façon spécifique, là où y baigner porte l’individu à ne pas soupçonner « qu’il existe bel et bien une façon de vivre différente de la sienne : encore moins cherche-t-il à la comprendre[26] ».
Deux cultures distinctes, disions-nous, lesquelles s’incarnent au Canada dans deux grandes sociétés distinctes, là où le mot société désigne « les formes d’organisations et les institutions qu’une population assez nombreuse animée par la même culture s’est donnée et a reçue, dont elle dispose librement sur un territoire assez vaste où elle vit de façon homogène, selon des normes et des règles de conduite qui lui sont communes[27] ». Selon cette définition, on notera que le Québec comprend les principaux éléments d’une société francophone distincte dans la fédération canadienne, tout comme le Canada anglais constitue une société anglophone cohérente.
C’est dans cette optique que ce que l’on considère comme relevant du biculturalisme au Canada recoupe deux réalités centrales. Premièrement, tout simplement le fait de l’existence sociologique de deux cultures dominantes et, deuxièmement, le fait de la nécessité de leur collaboration en vue de mener à bien une coexistence politique saine, équilibrée et démocratique. Pour les commissaires, ce dernier point « implique que les individus, pour être pleinement efficaces, doivent accepter l’autre culture et être sensibles à ses exigences[28] ».
Cette dernière condition à l’établissement de relations saines et harmonieuses implique donc que l’on tienne compte de l’importance du rapport entre la langue et la culture. C’est en ce sens qu’il ne faut pas considérer uniquement la langue comme étant un moyen de communication, soit dans son aspect strictement utilitaire. Non seulement la langue « véhicule-t-elle les notions et les modes d’expression qui font partie d’une culture, mais c’est aussi par elle qu’un groupe culturel découvre et assimile les éléments qui lui viennent de l’extérieur[29] ». Le rôle d’une langue est donc de constituer un véhicule capable d’exprimer les réalités fondamentales de notre temps, à défaut de quoi, le lien entre culture et langue devient évanescent et ces deux éléments perdent conséquemment de leur vigueur respective.
L’idée de voir rompre le lien entre langue et culture au Canada français inquiète éminemment les commissaires. Ceux-ci notent que « même une grande langue de culture, même une langue universelle comme le français, peut, dans certaines conditions sociologiques, s’étioler au point de ne plus pouvoir exprimer, pour certains groupes particuliers, les choses essentielles de la civilisation d’aujourd’hui[30] ». En effet, qui soutiendrait qu’une culture donnée soit encore vivante, si tant qu’elle est ne soit pas à même d’exprimer via la langue dont elle constitue le corolaire, les réalités dont est fait la majeure partie de sa vie quotidienne ? Advenant un tel cas, la culture s’en trouve gravement atteinte, graduellement déclarée caduque, ayant elle-même emboîté le pas vers sa propre mise en désuétude.
Dans le contexte canadien, les commissaires soutiennent que cette réalité rejoint en partie l’état du français. Au travail, chez les groupes professionnels relatifs aux domaines techniques usant de vocabulaire spécifique, l’anglais l’emporte allègrement au profit du français[31]. Ainsi, ceux dont la langue maternelle est le français, en utilisant l’anglais relativement au vocabulaire technique, en font évidemment une utilisation limitée qui, circonscrite d’une telle façon, limite évidemment leur possibilité de développement professionnel. En ce sens, l’utilisation partielle d’une langue qui n’est pas maîtrisée en totalité peut devenir un frein au développement des compétences des gens les plus talentueux. En conséquence, soulignent les commissaires, on constatera « le développement inégal des ressources humaines des divers groupes[32] ».
On notera ici qu’une telle situation, soit la sous-utilisation du français dans les domaines techniques, demeure de nos jours tout s’étant grandement atténuée. On peut cependant noter qu’une tendance similaire s’est installée dans le rapport des Québécois à la culture de masse de l’Amérique mondialisée, relativement au divertissement. Dans des domaines comme la musique, les médias sociaux, la mode et la consommation, on voit parfois bien mal la nécessité d’une utilisation « mur à mur » du français, là où il devient de bon goût de s’exprimer çà et là en faisant usage d’expressions anglaises. Dans certaines circonstances où l’on invoque la culture de masse, il peut donc paraître dépassé, inadéquat de s’exprimer en français.
Quoi qu’il en soit, il semble que le fait de paraître dépassée ou inadéquate dans certaines situations constitue le risque principal que court une langue. Dès qu’elle passe de « l’étape de la “survivance” pure et simple à une pleine acceptation de la vie, de ses défis et de ses risques », une langue donnée fait face à la possibilité, bien réelle, de « s’abâtardir[33] ».
Pour résumer le lien fondamental qui subsiste entre langue et culture, il faut noter deux choses : qu’une langue en tant que telle n’est pas réductible à sa seule dimension utilitaire, soit qu’elle n’est pas seulement un moyen de communication et que la culture ne se réduit pas « à la persistance de quelques traits psychologiques ou folkloriques[34] ». Si l’on réduit d’une telle façon langue et culture, si l’on restreint leur application à de tels archétypes, le danger est grand que, de façon subreptice, « l’acculturation au groupe dominant devienne plus complète à mesure que les générations passent[35] ».
Le principe d’égalité entre les deux nations fondatrices ou l’equal partnership
Le mandat de la commission Laurendeau-Dunton était principalement d’examiner les modalités autour desquelles pourrait se matérialiser cette égalité entre les deux peuples fondateurs. Ce principe, que l’on retrouve au cœur de la constitution de 1867, est fréquemment évoqué par la Commission dans l’interprétation de son mandat. Lorsqu’on parle ici « d’égalité entre les nations fondatrices », il faut spécifier que cela « ne saurait être seulement celle des deux peuples qui ont fondé la Confédération mais aussi celle de leurs langues et de leurs cultures respectives, donc celle de tous ceux qui parlent ces langues et participent à ces cultures, quelle que soit leur origine[36] ».
Dès le début, les commissaires prennent bien soin de spécifier qu’il y a une égalité antérieure à celle que pose leur mandat. En effet, celle-ci recoupe cette égalité que possèdent tous les êtres humains dès la naissance, soit celle des droits inaliénables qui renvoient à la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948 par les Nations unies. Ces droits fondamentaux sont reconnus par le gouvernement fédéral depuis 1960 et sont, aux dires des commissaires, indiscutables, valant pour tous les Canadiens sans exception[37].
L’égalité dont traite ici la Commission porte sur celle entre anglophones et francophones au Canada, peu importe l’origine ethnique de chacun. Fait notable : on comparait souvent dans les consultations publiques les revendications des Canadiens français à celle des noirs aux États-Unis. Or, pour les membres de la Commission, cette comparaison ne tient pas la route. En effet, les Noirs américains, mis à part certains groupes marginaux, n’auraient jamais réclamé d’être reconnus pour une langue ou pour une culture particulière. Bien au contraire, ils réclamaient le droit d’une complète intégration au milieu américain[38]. Tandis qu’en ce qui concerne les Canadiens français, ces derniers réclament des institutions françaises dignes de ce nom qui leur permettront de perpétuer leur distinction culturelle et de vivre eux-mêmes conformément à leur langue et à leur culture.
Cette revendication de la part des Canadiens français ne se réduit donc pas à des droits individuels. Pour qu’ils puissent détenir les mêmes chances de promotions sociales que les Canadiens anglais sans être discriminés, eux-mêmes devraient avoir droit aux mêmes institutions et privilèges dont jouit le groupe majoritaire. L’égalité entre les individus passe donc par la reconnaissance des traits culturels qui lient le groupe[39]. En d’autre termes, ne considérer que les droits individuels reviendrait implicitement, dans un tel cas, à faire face à un agrégat d’individus culturellement homogènes.
L’égalité est donc recherchée principalement à travers les institutions sociales. Cela entre en jeu principalement lorsque l’enfant quitte graduellement sa famille pour intégrer le milieu scolaire, lequel lui fournira « un milieu et des moyens qui lui permettront de se développer selon l’esprit de sa culture[40] ». Viendra ensuite le moment où il amorcera sa vie professionnelle, cherchant un milieu de travail qui lui permettra de progresser selon ses goûts et talents, tout en s’y sentant valorisé au sein de sa culture mère. En dehors du travail, il voudra bénéficier de divertissements, « d’instruments de culture et d’information conformes à sa mentalité[41] ». Comme citoyen, il voudra tout naturellement être en mesure de communiquer aisément, dans sa langue avec les administrations publiques, tout en se reconnaissant lui-même dans les symboles et les institutions publiques de son pays[42].
Or, lorsqu’on fait partie de l’entité majoritaire, tout ce processus de développement personnel conforme à une culture donnée se fait naturellement, en étant largement tenu pour acquis. C’est là un privilège, une inégalité de fait par rapport à la situation du minoritaire. Plus encore, les individus de culture majoritaire sont tentés, dans une certaine mesure, de « naturaliser[43] » leur situation de supériorité, et ainsi d’inférioriser le minoritaire. Il en va de même de ce dernier, lequel finit lui-même par intérioriser, dans son acculturation, de tels paramètres[44].
Cette quête de l’égalité à travers les institutions sociales peut donc s’exprimer de différentes façons. La Commission souligne cependant que « le principe d’égalité entre les deux langues et les deux cultures dominantes ne peut signifier une égalité absolue des membres des deux groupes[45] ». Ce qui doit être recherché ici serait l’égalité des chances, mais une égalité des chances réelle, une égalité qui ne saurait se cantonner à son aspect théorique, qui tendrait à se matérialiser de façon pragmatique avec le temps. C’est là un principe que la Commission avance toutefois avec prudence, voulant éviter, encore une fois, de poursuivre vainement un idéal radicalement égalitariste que l’on voudrait voir se matérialiser dans l’absolu.
1982 et la tentation de l’unitarisme au Canada anglais
André Laurendeau, le coprésident de la Commission, décède après la publication du premier volume du rapport final en 1968. Les balises du rapport sont néanmoins posées, mais Laurendeau manque à l’appel pour défendre les grandes lignes du rapport aux moments cruciaux des tractations politiques qui façonneront le Canada à venir. Pierre Elliott Trudeau, élu premier ministre du Canada en 1968, ne retient guère plus du rapport Laurendeau-Dunton que le terme de bilinguisme, qu’il établit de façon pancanadienne et faisant écho, désormais, aux droits individuels.
Dès 1982, le bilinguisme et le multiculturalisme sont enchâssés dans la constitution canadienne. Le rapport à la langue du bilinguisme à la Trudeau en est un clairement dénué de culture. Il ne fait état ni du biculturalisme, ni de sociétés distinctes. Dans sa croisade contre le nationalisme québécois, Trudeau en aura conclu qu’il valait mieux reconnaître toutes les différences culturelles. Comme le note le politologue Guy Laforest, il apparaît nettement, dans ce cas-ci, que reconnaître toutes les différences culturelles équivaut à n’en reconnaître aucune[46]. Dans une étonnante manœuvre machiavélienne, Trudeau aura finalement consacré, paradoxalement, l’unité du Canada dans la pluralité.
Toujours selon Laforest, l’esprit de 1982 semble s’inscrire dans ce qu’il appelle le conquêtisme, soit une inaptitude tenace à vouloir dépasser la charge impériale, unitariste de la Conquête de 1760. Cela se traduit par l’échec et le manque de volonté majoritaire à reconnaître la dualité, ou encore le pluralisme national[47]. Selon l’interprétation de Laforest, l’esprit impérial de 1982 correspond largement à celui du temps où lord Durham répudiait, en quelque sorte, la dualité en recommandant l’assimilation des Canadiens français. La dualité équivalant à la division, « qu’il s’agisse de deux nations, deux peuples, deux races ou deux sociétés distinctes, leur coexistence et leur reconnaissance dans les institutions publiques d’une société politique ne peuvent mener qu’à des conflits perpétuels[48] ».
Dans différents travaux issus des sciences sociales au Canada anglais[49], Laforest voit, à différents degrés, des actualisations de la Conquête[50]. Au moment de l’Accord du lac Meech, il décèle parmi les réticences de ces collègues canadiens-anglais la même fixation pathologique que Durham par rapport à l’unité du pays. Le Canada, telle l’avant-garde de l’humanité, amorcerait un mouvement historique libéral visant à « créer un monde aseptisé et plus homogène, où la perte en diversité sera compensée par des gains du côté de la civilisation, de la prospérité et de la liberté[51] ».
Ce mouvement historique libéral, dans un élan téléologique, voit dans la disparition des minorités nationales une « nécessité du point de vue de l’histoire […] justifiée dans la perspective de l’éthique[52] ». Les bienfaits de la modernisation auront conséquemment tôt fait de convaincre les sujets de la modernité d’abandonner les « “béquilles” du protectionnisme culturel ». Être un individu moderne, progressiste, ce serait donc de réduire notre spécificité culturelle à sa plus simple expression, voire encore de s’en délester à des fins de civisme[53]. Quoiqu’il advienne, fort heureusement, l’assimilation se fera sans douleur :
La politique [assimilationniste] la plus éclairée consiste en l’adoption de mesures intrinsèquement libérales : droits individuels et libertés fondamentales, accès égal au système politique et aux activités socio-économiques pour les individus appartenant aux minorités nationales[54].
Conclusion
Nous aurons d’abord vu, dans ce texte, comment le contexte de la Révolution tranquille a engendré une vigueur politique nouvelle autour du nationalisme québécois, forçant le gouvernement fédéral et le Canada anglais à considérer un nouveau rapport de force. Un contexte dans lequel naîtra, par la suite, la commission Laurendeau-Dunton. Cette dernière, dans son étude des conséquences politiques d’une éventuelle dualité entre les deux peuples fondateurs, fait état de profondes divergences relativement à leurs conceptions réciproques de la démocratie.
Au Canada anglais, la démocratie consiste en un éthos démocratique, où se conjugue l’application de la règle de la majorité, un certain pragmatisme libéral dans son application, et un accent mis sur les droits individuels. Au Canada français, sans récuser ces aspects de la démocratie, la condition de minoritaire et le sentiment de précarité linguistique et culturel rehaussent la nécessité de leurs ancrages dans une communauté nationale. Si les Canadiens français considèrent les droits individuels comme étant de la plus haute importance, il faut ces derniers de l’abstraction pour les voir s’enraciner dans une communauté historique particulière, la leur.
Nous aurons vu ensuite, en analysant le contenu des « pages bleues » du premier volume de la Commission rédigé par Laurendeau, le lien fragile qui subsiste entre langue, culture et société. En effet, refuser de considérer ce lien en réduisant une langue à son aspect strictement utilitaire, une culture à ses manifestations strictement folkloriques et une société sans prendre en compte qu’elle vit par ses institutions, ce sont là tous les moyens qui mènent à l’atomisation individuelle et plus largement à l’anomie.
Nous avons traité en outre de ce que la commission Laurendeau-Dunton concevait comme étant le principe d’égalité entre les deux nations fondatrices. Ce principe, sans envisager son application en termes d’absolu, porte bien davantage sur l’égalité des chances, une donnée qui doit se manifester dans le quotidien, prendre corps, sans ambigüités, à travers les institutions sociales.
Enfin, nous avons décrit les grandes lignes du contenu de la Constitution canadienne de 1982. Comment cette dernière, investie de la charge antinationaliste propre à celui qui l’a enfanté, Pierre Eliott Trudeau, se voulait ultimement le coup de grâce porté envers toute revendication future de la part des nationalistes québécois. Nous avons rappelé, avec le politologue Guy Laforest, la charge impériale, unitariste, en continuité avec les recommandations du rapport Durham, contenue dans l’esprit de 1982. Cette dernière s’inscrit dans le cadre d’un mouvement historique libéral souhaité qui, en assimilant les minorités nationales, rendrait la justice libérale accessible à tous.
Épilogue – Réalisme et idéalisme dans les tractations politiques entre les deux nations fondatrices
50 ans ont passé depuis le coup d’envoi de la commission Laurendeau-Dunton et quelques années de plus depuis le début de la Révolution tranquille qui a fait des Canadiens français du Québec des Québécois. Plus de 150 ans ont passé depuis que la couronne britannique eût pris possession, par les armes, de la Nouvelle-France. Notre époque, la classe politique, le détournement de l’opinion publique vers des questions gestionnaires, comptables ; autant de choses qui nous somment d’oublier, pour soi-disant « aller de l’avant » ou encore « passer outre les vieilles chicanes ».
Aujourd’hui encore, n’en déplaise à ceux qui veulent « passer à l’avenir », la donnée fondamentale des tractations politiques entre les deux nations fondatrices nous semble n’avoir jamais cessé d’être de ces évènements qui incarnent autant de non-dits autour de nos pratiques politiques. En d’autres mots, vouloir comprendre ce que nous vivons aujourd’hui, sans avoir pris conscience de ce qui a eu lieu hier, c’est se cantonner soi-même dans l’ignorance.
Et pourtant, il y a quelques récurrences qui gagneraient à être mentionnées si l’on daigne s’exercer à analyser la trajectoire des peuples fondateurs dans leur rapport à eux-mêmes depuis le début de l’aventure canadienne. On retracera, de part et d’autre de la rivière des Outaouais, des idéaux qui n’ont jamais pu s’assouvir en raison de la présence de l’autre.
Les Canadiens français du Québec, les Québécois, se bornent à maintenir, quoi qu’on en dise, leur distinction culturelle. Très tôt, les colons de la Nouvelle-France, pour différentes raisons, auront voulu faire de cette terre d’Amérique leur chez-soi, en marge de la métropole. Malgré la Conquête de 1760, malgré l’Acte d’Union de 1840, cette idée ne s’était pas encore éteinte. Avec l’Acte d’Union, la « soumission honorable » préconisée par Étienne Parent, nous avions compris que cette terre ne serait la nôtre que si nous étions en mesure de la partager à deux. Les élites canadiennes-françaises, au moment de la Confédération de 1867, avaient évidemment souvenance de cette condition sine qua non dictée par la Conquête et l’autorité impériale.
Entre réalisme et utopisme, entre la survivance à laquelle nous incite François-Xavier Garneau et le rêve dualiste que préconise Henri Bourassa, il y avait là une forme de paradoxe. Toutes nos institutions, nos forces collectives étaient orientées vers un seul but : survivre. Survivre jusqu’au moment où nous ferions face à de meilleurs jours, ce jour où nous pourrions être nous-mêmes sans que cela ne se traduise par un combat collectif et individuel au quotidien. C’est durant notre hiver de la survivance que Lionel Groulx et L’Action française de 1922, Esdras Minville et L’Action nationale penseront les modalités politiques et économiques de notre éveil. À la veille du « désormais » de Paul Sauvé, André Laurendeau pensera à voix haute dans les pages de L’Action nationale et du Devoir notre futur État du Québec, sans jamais abandonner le rêve dualiste.
Les souverainistes québécois l’oublient trop souvent : leurs ancêtres ont été Canadiens, puis Canadiens français, et le Canada était, à tort ou à raison, leur pays. Rétrospectivement, avons-nous trop investi, collectivement, dans le rêve dualiste ? En d’autres mots, avons-nous été abusivement naïfs ou rêveurs ? Peut-être bien. N’en demeure pas moins qu’il peut paraître quelque peu paradoxal d’investir tant d’énergie dans un nationalisme de survivance sans échéance fixe. Dans un projet, disons-le, radicalement lucide, alors que l’on investit avec tout autant de vigueur dans le rêve d’un pays dualiste où conquérants et conquis d’hier vivraient aujourd’hui ensemble, égaux. N’est-ce pas là la trajectoire d’un peuple, bien prompt à l’alternance rapide entre utopisme et extrême lucidité ?
À différents degrés, la trajectoire du Canada anglais est tout aussi instructive. De 1776 à 1783, les colons anglais demeurant loyaux à la couronne britannique suite à la déclaration et à la guerre d’indépendance des États-Unis, vinrent s’établir dans la province de Québec. Leur venue entraine la scission de la province de Québec avec l’Acte constitutionnel de 1791. Dès le début donc, on conditionne les deux peuples fondateurs à une existence séparée. Il en sera ainsi jusqu’à l’Acte d’Union, recommandé par lord Durham dans son rapport.
Entre mépris et grandeur, lord Durham verra dans le peuple canadien-français « un peuple sans histoire et sans culture » qui gagnera à être assimilé aux colons anglais. « Sans histoire et sans culture » du point de vue d’un Lord anglais, qui a grandi dans la métropole impériale de la plus grande puissance coloniale de toute l’histoire de l’humanité, l’étions-nous ? Dans une certaine mesure, on peut présumer que oui. Pour un peuple conquis, coupé de l’ancienne mère patrie et dont les élites sont rentrées dans la métropole au lendemain de la Conquête, c’est là une présomption que l’on peut se permettre.
Il y a chez Durham, très nettement, l’idée d’une mission civilisatrice et il y a fort à parier qu’elle imprègne fortement l’imaginaire collectif d’une majorité de Canadien anglais. On en fait état durant les consultations publiques de la commission Laurendeau-Dunton en 1965, on la ressent chez Pierre Eliott Trudeau, personnalité politique qui a su séduire le Canada anglais par sa fibre civilisatrice. Avec 1982, nous oserions dire de surcroît qu’elle fût, en quelque sorte, constitutionnalisée dans sa symbolique.
Le Canada anglais, lui aussi, semble s’être tenu depuis bien longtemps entre le réel et l’utopie. À l’endroit des Canadiens français, les politiciens portant l’étendard du Canada anglais ou du Canada de 1982 ont presque toujours été d’une extrême lucidité. Une lucidité qui rime le plus souvent avec unitarisme à partir de l’Acte d’Union, en passant par le projet d’union législative de John A. Macdonald, la centralisation fédérale du milieu du XXe siècle avec la commission Rowell-Sirois et enfin, la Constitution de 1982.
Au nom d’une certaine idée de la modernité, au nom d’un projet de justice libérale monochrome, au nom d’une certaine idée du Canada comme avant-garde de l’universel, il y a aussi, en constance, dans l’unitarisme canadien-anglais, l’idée de faire œuvre de civilisation en châtiant le nationalisme québécois et le Québec comme société distincte.
Si l’on se penche de plus près sur les projets, les idéaux respectifs des deux peuples fondateurs, il a lieu de croire que la présence de l’autre dans la fédération canadienne eût toujours donné, en quelque sorte, l’impression d’un empêchement de voir aboutir politiquement lesdits idéaux. Cela n’a pas empêché les deux nations fondatrices de les poursuivre en constance, parfois intensément, parfois avec un certain relâchement. Néanmoins, de part et d’autre de la rivière des Outaouais, ni le Canada anglais, ni le Québec ne semblent adhérer au projet de l’autre. Ce pays n’a jamais eu grand-chose d’un contrat, ou d’un pacte entre les deux nations. Au contraire, cette contractualité n’a jamais été explicitée d’une quelconque façon.
Nos deux nations fondatrices, incapables de se reconnaître mutuellement pour ce qu’elles sont, sont arrivées depuis plusieurs décennies à une ère où leurs tractations politiques ont tout d’une union pathologique, d’un vieux couple où aucun des partenaires ne semble disposé, de bonne foi, à changer leurs vieilles habitudes. Au fond, nos deux peuples fondateurs ont tout d’un vieux couple aigri, inégalitaire, qui, bien que vivant dans une commune demeure, fait chambre à part depuis longtemps. Jamais la nécessité d’un divorce n’aura été aussi criante. Et pourtant, rien de tel ne figure à l’horizon.
[1] Chevrier, Marc. 1996. « Le fédéralisme canadien et l’autonomie du Québec : perspective historique ». Québec : Ministère des Relations internationales. En ligne : http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/bs43059 p. 6.
[2] Laurendeau, André et Davidson Dunton. 1965. Rapport préliminaire de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et biculturalisme. Ottawa : Imprimeur de la Reine. P.5.
[3]Ibid. p.5.
[4]Laurendeau, Dunton (1965) p. 117.
[5]Ibid., p.127
[6]Laforest, Guy. 1992. Trudeau et la fin d’un rêve canadien. Montréal : Septentrion. p. 95.
[7]Laurendeau, Dunton (1965) p. 90.
[8]Ibid p. 90.
[9]Ibid. p. 91.
[10]Ibid. p. 91.
[11]Ibid. p. 91.
[12]Ibid. p. 92
[13]Ibid. p. 95.
[14]Ibid. p. 95.
[15]Ibid. p. 95.
[16]Ibid. p. 95.
[17]Ibid. p. 95.
[18]Ibid. p. 95.
[19]Laurendeau, André et Davidson Dunton. 1967. Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et biculturalisme : Livre I – Les langues officielles. Ottawa : Imprimeur de la Reine. p. IX-XLII.
[20]Ibid. p. XXI.
[21]Ibid. p. XXI.
[22]Ibid. p. XXII.
[23]Ibid. p. XXII.
[24]Ibid. p. XXII.
[25]Ibid. p. XXII.
[26] Ibid. p. XXIII.
[27]UNESCO. 1953. L’enseignement des langues vivantes. Recueil d’études rédigées à l’occasion du stage international organisé par l’Unesco à Nuwara Eliya (Ceylan). Cité dans Laurendeau-Dunton, 1967, p. XXIII.
[28]Laurendeau-Dunton, 1967. p. XXIV.
[29]Ibid, p. XXV.
[30]Ibid. p. XXV.
[31]Ibid. p. XXV-XXVI.
[32]Ibid. p. XXVI
[33]Ibid. p. XXVI.
[34]Ibid. p. XXIX.
[35]Ibid. p. XXVIII.
[36] Ibid. p.XXIX.
[37]Ibid. p. XXX.
[38]Ibid. p. XXX.
[39]Ibid. p. XXXI.
[40]Ibid. p. XXXI.
[41]Ibid. p. XXXII.
[42]Ibid. p. XXXII.
[43]On me pardonnera l’usage d’une telle formule, quelque peu anachronique et faisant foi d’une radicalité certaine auprès de nos contemporains qui n’était en aucun cas celle de la commission Laurendeau-Dunton. Je persiste néanmoins à l’utiliser à des fins pédagogiques, en raison de sa clarté et de sa simplicité.
[44]Ibid. p. XXXII.
[45]Ibid. p. XXXII.
[46]Laforest. 1992. p. 238.
[47]Ibid. p. 237.
[48]Ibid. p. 238.
[49]L’auteur mentionne notamment les travaux de Janet Ajzenstat, David Bercuson et Barry Cooper, ainsi que de Ramsay Cook.
[50]Ibid. p. 238-239.
[51]Ibid. p. 238
[52]Ibid. p. 239.
[53]Ibid. p. 239.
[54]Ibid. p. 239.