La place du français en sciences au Québec

Introduction

Les travaux de la commission Laurendeau-Dunton dans les années soixante avaient mis en évidence une division linguistique du travail au Québec qui tendait à favoriser l’anglais dans les sphères de travail plus rémunératrices et nécessitant un degré d’éducation plus élevé, et laissaient une place au français d’autant plus grande que l’on descendait dans l’échelle des salaires et des diplômes. La commission avait noté (en parlant du secteur privé) : « De tous les domaines d’activités communs aux grandes entreprises, exception faite de la direction, c’est dans le génie, la recherche et le développement que la présence francophone et la place du français sont les plus restreintes. Dans tout notre échantillonnage, 22 % seulement des salariés affectés à ces activités sont francophones. Moins de 10 % des ingénieurs, scientifiques et techniciens anglophones occupent des postes exigeant le bilinguisme1 ». Le français était quasi-absent du domaine des sciences et du génie à l’époque. Ce qui faisait dire au sociologue Jacques Brazeau : « à plusieurs égards le français est une langue non employée au Canada »2.

C’était il y a quelque quarante ans. Quelle est la situation aujourd’hui ? Quelle est la place du français en sciences3 au Québec ? Et d’abord, pourquoi s’intéresser à ces questions ? Laissons répondre Fernand Dumont, qui a peut-être le mieux formulé le problème : « S’il est vrai que la langue française est dotée d’un statut précaire dans le monde du travail lorsqu’il s’agit d’occupations liées à l’information, donc au savoir, on jugera d’autant mieux son destin en s’interrogeant sur son rôle dans la communication scientifique. Il y a là une illustration extrême de notre problème, une situation limite qui peut éclairer toutes les autres ; ce qui me justifie d’insister sur ce point ».4 Le statut et la présence du français en sciences peuvent servir d’indicateur avancé en quelque sorte, sa régression ou son essor annonçant l’évolution du français dans la société en général.

Quelle est aujourd’hui la place du français dans le domaine des sciences au Québec ? Posons quelques repères et quelques pistes de réflexions en nous attardant aux aspects suivants : 1) Financement des universités anglophones et francophones par les gouvernements fédéral et québécois 2) La langue des demandes de subventions 3) La langue des publications 4) La langue de travail.

1) Le financement des universités anglophones et francopho­nes par les gouvernements fédéral et québécois

Commençons par une banalité : Le recensement de 2001 indique qu’il y a 82 % de francophones, 7,9 % d’anglophones et 10,1 % d’allophones au Québec (selon la langue maternelle). Ces chiffres devraient guider notre réflexion sur le financement des systèmes universitaires au Québec. Une répartition équitable des sommes entre systèmes anglophone et francophone devrait refléter la proportion relative de francophones et d’anglophones. Notons que notre analyse pourrait être modifiée s’il existait un réseau d’universités francophones au Canada ailleurs qu’au Québec et si nos calculs pouvaient ainsi se faire au niveau canadien. On pourrait alors calculer si le total des sommes consenties correspond à peu près au pourcentage de francophones au Canada (22,9 % en 2001). Comme un tel réseau n’existe pas5, notre analyse se circonscrira au Québec.

Subventions du gouvernement du Québec

En 2002-2003, le gouvernement du Québec versait 1 766 379,10 $ en financement aux universités du Québec6. Ce financement était réparti de la façon suivante entre les établissements :

Tableau 1. Répartition du financement québécois selon les universités

UniversitéPourcentage du total
Bishop’s 1,6
Concordia 9,3
Laval 16,0
McGill 12,4
Montréal 17,4
HEC 4,1
Ecole Polytechnique 3,5
Sherbrooke7,9
Université du Québec 27,8

Si on fait le total pour les systèmes francophone et anglophone respectivement :

Tableau 2. Répartition du financement des systèmes anglophone et francophone

Francophones76,8%
Anglophones23,2%

Nous constatons donc que les établissements anglophones sont surfinancés d’un ratio de 2,9 soit presque au triple du poids démographique des anglophones au Québec.

Subventions du gouvernement fédéral

Le gouvernement fédéral, pour sa part, bien qu’il ne possède pas de compétences en éducation selon la Constitution canadienne, versait également des sommes importantes aux universités par le biais de fondations échappant au contrôle du Parlement (la « Canadian Foundation for Innovation » ou CFI). Les sommes cumulatives relatives au 25 juin 2003 versées par la CFI se chiffrent ainsi :

Tableau 3. Répartition du financement fédéral selon les universités

UniversitéMontant Relatif
Bishop’s 0,034
Concordia 4,28
Laval 26,16
McGill 28,97
Montréal 17,28
HEC 0,29
Ecole Polytechnique 7,63
Sherbrooke3,58
Université du Québec 10,35
Total98,577

Faisons à nouveau le total pour les systèmes francophone et anglophone respectivement :

Tableau 4. Répartition du financement des systèmes anglophone et francophone

Francophones65,28%
Anglophones33,28

On constate que les anglophones récoltent 4,2 fois leur poids démographique dans les subventions du gouvernement fédéral. La différence est particulièrement évidente dans le cas de l’université McGill qui dépasse toutes les autres universités au Québec au chapitre du pourcentage de fonds récoltés.

Présence d’étudiants canadiens non résidents dans les universités du Québec

Le tableau 5 présente le pourcentage d’étudiants canadiens non résidents du Québec dans les universités québécoises pour l’année 2001-2002. On peut remarquer que les étudiants canadiens sont massivement présents dans les trois universités anglophones du Québec alors qu’ils sont plutôt présents en doses homéopathiques dans les universités francophones.

Tableau 5. Pourcentage d’étudiants canadiens non résidents dans les universités québécoises8

UniversitéPourcentage de canadiens non-résidents
Bishop’s 40
Concordia 9,8
Laval 0,7
McGill 25
Montréal 0,7
HEC 0,5
Ecole Polytechnique 0,5
Sherbrooke0,5
Université du Québec 0,6
Total98,577

Cette présence massive d’étudiants canadiens non résidents dans les universités québécoises couplée avec l’écart dans les subventions accordées aux universités francophones et anglophones constitue un sujet d’interrogation.

Quel est le comportement de ces diplômés des universités anglophones ? Intègrent-ils le milieu québécois du travail ? Utilisent-ils l’anglais comme langue de travail dans leur milieu de travail au Québec s’ils choisissent de rester ? Vont-ils tout simplement ailleurs au terme des leurs études ?

Une étude récente de l’Association des facultés de médecine canadiennes (AFMC) indique qu’environ 60 % des médecins formés à McGill quittent le Québec9. Cet exode affecte également les natifs du Québec. À l’inverse, les facultés de langue française ont un taux de rétention qui oscille autour de 88 %.

Il semble donc y avoir un net clivage linguistique dans les comportements migratoires. Des données exhaustives n’existent pas pour d’autres facultés et filières professionnelles. Les salaires pour les ingénieurs, les scientifiques, sont généralement plus élevés en Ontario et aux États-Unis. Des études prenant en compte le clivage linguistique ne devraient-elles pas être réalisées afin d’avoir une idée plus claire de l’impact des universités anglophones sur le fameux exode des cerveaux ?

Car il ne s’agit plus ici de simplement financer des programmes de formation pour servir les besoins de la communauté anglophone du Québec, mais bien de financer des programmes de formation pour servir les besoins de la communauté anglophone du Canada. Les universités anglophones du Québec semblent fonctionner – en partie – comme composantes du réseau des universités canadiennes hors-Québec. Le surfinancement des universités anglophones du Québec équivaut à favoriser le secteur anglophone au détriment du secteur francophone (comme le tableau 1 l’a montré). Le Québec est-il tenu à tant de générosité ?

Soyons clair. Le nœud du problème est le fait qu’il n’y pas de réciprocité entre le Québec et le reste du Canada ; le Québec finance des études pour plus d’une dizaine de milliers d’étudiants canadiens non résidents par année dans la langue de la minorité alors que dans le reste du Canada, les universités et collèges francophones sont rares comme des zèbres albinos.

Notons aussi que les études en français ne semblent pas beaucoup intéresser les étudiants anglophones (tel que le montre le tableau 5).

2) La langue des demandes de subventions

La langue des demandes de subventions peut servir d’indicateur du statut d’une langue dans divers laboratoires et universités. Un chercheur aura logiquement tendance à écrire la demande dans la langue officielle qu’il maîtrise le mieux ou d’utiliser la langue qui lui paraît maximiser les chances d’obtenir une réponse positive au concours. Le fédéral prônant une norme bilingue où l’anglais et le français sont juridiquement égaux et cette norme se substituant aux lois québécoises, la présence de l’appareil fédéral dans le domaine de l’éducation au Québec est susceptible d’avoir un impact sur la langue des demandes de subventions au Québec. Notons que cet impact serait symbolique avant tout, car les demandes de subventions qui sont adressées au Fonds de recherche sur la nature et les technologies (NATEQ) peuvent être rédigées en anglais ou en français10.

On peut acquérir une idée de la fréquence de l’utilisation de l’anglais dans les demandes de subventions adressées au NATEQ en se penchant sur les résultats de concours pour 2002-2003. Si on fait le total pour le « Programme de soutien aux équipes de recherche » et « Établissement de nouveaux chercheurs » on obtient les résultats indiqués au tableau 6. Notons au départ que l’échantillon est assez réduit (17 demandes pour McGill au total et 13 pour Concordia), ce qui peut diminuer la précision des résultats. il faudrait colliger plus de données du NATEQ afin d’avoir un échantillon statistiquement significatif et isoler le comportement par chercheur à l’aide d’un questionnaire individuel. Cependant, ces résultats peuvent être utilisés pour indiquer la tendance.

Tableau 6. Pourcentage des demandes de subventions en anglais au NATEQ selon les universités

UniversitéUniversité Pourcentage des demandes en anglais (%)
Bishop’s 0
Concordia 76,9
Laval 0
McGill 70,5
Montréal 0
HEC 0
Ecole Polytechnique 0
Sherbrooke0
Université du Québec 13,3

On remarque qu’une grande proportion des demandes en provenance des universités anglophones sont rédigées en anglais. Par contre, les demandes en provenance des universités francophones sont presque toujours rédigées en français.

Voyons ce qu’il en est pour la CFI.

Tableau 7. Pourcentage des demandes de subventions en anglais au CFI selon les universités

UniversitéUniversité Pourcentage des demandes en anglais (%)
Bishop’s 100
Concordia 100
Laval 19,8
McGill 100
Montréal 35,6
HEC 0
Ecole Polytechnique 16,6
Sherbrooke28,8
Université du Québec 20,5

Le tableau 7 fournit un pourcentage relatif à chaque institution. Notons que pour l’ensemble du Québec, 46,7 % des demandes sont rédigées en anglais. Les données ne se recoupent pas nécessairement entre la CFI et le NATEQ, c’est-à-dire que ce ne sont pas nécessairement les mêmes chercheurs qui sont en cause dans chaque université.

On remarque tout de suite que les résultats sont assez différents pour la CFI versus le NATEQ. Les demandes adressées au CFI par des chercheurs appartenant à des institutions anglophones sont exclusivement en anglais. Un grand nombre de demandes en provenance des universités francophones sont aussi rédigées en anglais alors que le comportement est presque inversé pour les demandes adressées au NATEQ. Comment comprendre ces données ? Sont-ce là des chercheurs qui ont été formés en anglais et qui ont adopté cette langue comme partie intégrante de leur outillage intellectuel ? Est-ce un effet de système, les individus se conformant à la norme linguistique en vigueur dans leur milieu ? Il faudrait creuser un peu cette question. Quoi qu’il en soit, ces données démontrent que la langue des demandes de subvention semble être influencée par le destinataire. Les chercheurs semblent percevoir qu’ils ont intérêt à rédiger leurs demandes de subventions au gouvernement fédéral en anglais. On peut conclure que la présence du gouvernement fédéral dans ce domaine contribue à diminuer l’utilisation et le prestige du français au Québec dans les universités.

3) La langue des publications

La problématique de la langue des publications est trop complexe pour être résumée en quelques lignes ; mentionnons simplement que l’anglais s’est imposé comme langue de communication écrite de façon presque exclusive en sciences et ce, à la grandeur de la planète. Le degré de déclin des autres langues face à l’anglais varie cependant par pays : ainsi, 1.8 % des publications en sciences naturelles, en génie et en sciences biomédicales étaient en français au Québec en 1993 contre 13.3 % en France11. On voit que si le contexte mondial a un impact certain, l’environnement local ne peut non plus être négligé. Il y avait quand même proportionnellement dix fois moins de publications en français au Québec qu’en France a cette époque. Parions que la situation s’est encore dégradée dans les dix dernières années.

En outre, une étude datant de 1991 a montré que dans les universités francophones, 50 % des manuels utilisés dans les cours de premier cycle sont en anglais, cette proportion atteignant 61 % en informatique, 71 % en chimie et 72 % en physique12. La raison pour cet état de choses n’est pas claire. Il faudrait probablement des mesures pour favoriser l’édition scientifique en langue française. En effet, si tout le matériel d’enseignement dans les universités francophones est anglo-américain, on comprendra certains étudiants francophones de vouloir aller directement à la source et de choisir McGill avant l’université de Montréal pour leurs études.

4) La langue de travail

Voyons maintenant ce qu’il en est pour la langue de travail. Pierre Serré a récemment publié une étude basée sur les données du recensement de 2001 qui s’intéressait à la place de l’anglais au travail au Québec13. Il y démontrait, entre autres, que la langue de l’insertion socio-économique est un déterminant primordial des choix linguistiques qu’effectuent les immigrants dans leur nouvelle société. C’est-à-dire que la langue de travail détermine le profil d’assimilation. Nous récapitulons brièvement ses résultats pour le secteur qui nous intéresse afin de compléter notre portrait (tableau 8).

On constate donc que, relativement, semble exister le libre choix de la langue de travail a Montréal ; les anglophones travaillant en anglais et les francophones en français. Cependant, le Québec étant à 82 % francophone, les pourcentages sont trompeurs car 10 % de francophones représentent beaucoup plus de personnes que 15 % d’anglophones. En effet, si on multiplie le nombre de francophones dans la communauté métropolitaine de Montréal (3 237 540) par le pourcentage de francophones travaillant dans les services professionnels, scientifiques et techniques (5 %) par le pourcentage travaillant en anglais (10 %) on obtient le nombre de professionnels, scientifiques et techniciens francophones travaillant en anglais (16 187 personnes). Si on fait la même opération du côté anglophone (316 103 x 0,10 x 0,15), on obtient 4742 personnes. On constate donc qu’en chiffres absolus, il y a 3,4 fois plus de francophones qui travaillent en anglais que d’anglophones qui travaillent en français dans ce domaine. Remarquons également qu’une nette majorité d’allophones travaillent en anglais. Bref, le libre choix profite beaucoup plus souvent aux anglophones !

Tableau 8. La langue la plus souvent utilisée au travail selon les groupes d’industries, par groupe linguistique, RMR de Montréal, recensement de 2001.

Langue le plus souvent utilisée au travailServices professionnels, scientifiques et techniques14
Anglophones
Français77%
Anglais15%
Francophones
Français10%
Anglais84%
Allophones
Français49%
Anglais34%

Conclusion

Nous avons pu constater qu’il existe un important surfinancement du système universitaire anglophone au Québec, ces universités étant surfinancées par rapport au poids démographique de la communauté anglophone d’un ratio de 2,9 par le gouvernement du Québec et d’un ratio de 4,2 par le gouvernement fédéral. Le Québec est la seule province où ce phénomène est présent. Aucune autre province hors le Nouveau-Brunswick ne subventionne d’université dans la langue de la minorité15. Les gouvernements fédéral et québécois se trouvent à sous-financer le réseau d’universités francophones et à fournir des « bourses d’études » pour des milliers d’étudiants canadiens non résidents. Les autres provinces canadiennes sont loin d’être aussi généreuses. Par exemple, si l’Ontario versait l’équivalent de 2,9 fois le poids démographique de la communauté franco-ontarienne à chaque année (soit 4,3 % de la population selon le recensement de 2001), il y aurait 335 millions de dollars en 2002-200316 distribués à une ou des universités francophones. Imaginons la floraison de la culture franco-ontarienne que cette somme permettrait…

Cette distorsion dans le financement entre systèmes francophone et anglophone constitue à la fois un facteur d’anglicisation et une injustice sociale. McGill récolte la majorité des fonds versés par la CFI au Québec, ce qui lui permet de se doter des équipements les plus modernes et d’attirer les chercheurs les plus éminents. L’UQAM et l’université de Montréal ont présentement dans leurs cartons divers projets visant à offrir une partie de leurs cours en anglais afin d’attirer des étudiants anglophones. Ne devrait-on pas plutôt commencer par corriger le sous-financement dont souffrent les universités francophones afin d’augmenter leur attractivité avant d’appliquer des mesures pour les angliciser ?

Une évaluation précise de l’exode des diplômés des universités selon la langue, l’université d’appartenance et les filières professionnelles reste à faire. Loin d’être « politiquement incorrecte », une telle étude nous permettrait de sortir des vœux pieux et des discours vides lamentant « l’exode des cerveaux » et de nous rattacher au réel en nous faisant comprendre ses mécanismes. À défaut d’une telle étude, on peut évaluer très grossièrement que la perte sèche pour la société québécoise due au surfinancement des universités anglophones se chiffre dans les centaines de millions de dollars par année17. Curieusement, la correction de cette inéquité flagrante n’est jamais à l’ordre du jour des divers efforts de « rationalisation » des budgets de l’État québécois tant sous les gouvernements péquistes que libéraux. On veut à tout prix – et au mépris des faits – considérer que le français a triomphé comme langue commune pour éviter d’avoir à apporter des correctifs.

Presque la moitié des demandes de subventions émanant de chercheurs québécois sont rédigées en anglais. La norme bilingue basée sur le principe de personnalité prônée par le gouvernement fédéral semble favoriser la domination de l’anglais et n’assure pas sa juste place au français. On peut logiquement s’attendre à ce qu’une présence toujours plus marquée du gouvernement fédéral de par son « pouvoir de dépenser » en viendra, à terme, à marginaliser la langue française en ce domaine.

Enfin, l’ancienne domination anglophone des milieux de travail reliés au savoir à Montréal est toujours présente, quoique sous une forme atténuée par rapport à ce qui avait cours dans les années soixante. La langue de travail semble pourtant déterminer la langue d’assimilation. Or presque la moitié des immigrants travaillent principalement et exclusivement en anglais dans le secteur des sciences à Montréal.

Ainsi, la place laissée au français en sciences ne correspond toujours pas au poids de la majorité francophone du Québec et demeure loin de satisfaire l’objectif de faire du français la langue commune au Québec.

Une étude récente18 concluait d’ailleurs que l’avantage de l’anglais sur le français dans les milieux de travail et dans l’univers de l’éducation supérieure semblait contrebalancer les efforts de francisation par la langue de scolarisation, l’effet de la durée du séjour au Québec n’exerçant pas d’influence notable sur la francisation des immigrants et la majorité des transferts linguistiques continuant de se faire au profit de l’anglais (grosso modo 67 %). Ces faits étonnent moins quand on prend conscience que le réseau des universités anglophones au Québec est financé presque au triple du poids de la population anglophone au Québec par le gouvernement québécois et au plus du quadruple par le gouvernement du Canada.

Que faire face à ce constat ? Peut-être devrait-on s’inspirer d’un passage du rapport de la Commission Laurendeau-Dunton afin de restructurer le système universitaire anglophone : « Même au Québec, d’égales possibilités d’études universitaires pour la minorité anglophone ne supposent pas une réplique exacte de l’enseignement supérieur en français. Les trois universités québécoises de langue anglaise dispensent une grande variété de cours des premier et deuxième cycles. Mais parce que la population francophone est plus nombreuse, l’enseignement supérieur en langue française se développera plus rapidement et disposera de moyens, dans l’enseignement spécialisé et la recherche, qu’on ne pourra trouver dans les établissements de langue anglaise. Les anglophones désireux de se spécialiser dans ces domaines devront ou continuer leurs études en français, ou les poursuivre à l’extérieur de la province. »19

Nous pourrions par exemple ; 1) Obliger les chercheurs à fournir une version en français de leurs demandes de subventions ; 2) Favoriser l’édition scientifique en français et l’utilisation de manuels en français dans les universités francophones ; 3) Faire une étude sur la langue de travail à Montréal qui nous renseigne sur l’utilisation du français et de l’anglais à l’écrit comme à l’oral, à l’interne comme à l’externe dans les entreprises, notamment dans les communications entre travailleurs de langues maternelles différentes ; 4) Demander aux provinces anglophones d’ouvrir un réseau d’universités francophones à l’extérieur du Québec financé à égale hauteur (relativement) du réseau anglophone du Québec.

En cas de refus de cette dernière demande, il serait envisageable d’imposer des tests de français aux étudiants canadiens candidats à l’admission aux universités anglophones du Québec pour s’assurer de leur habileté d’exercer leur métier en français au Québec à la fin de leurs études.

Les voies d’actions permettant de redresser la situation sont donc nombreuses ; ne manque que la volonté politique. ■

1 Rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, Volume 3B, p. 516, Ottawa, 1969.

2 « Language differences and occupational experience », The Canadian Journal of Economics and Political Science, novembre 1958, Vol. XXIX, No 4, p. 536.

3 J’utilise « sciences » pour englober les activités et professions reliées au sciences pures et au génie telles que physicien, chimiste, biologiste et ingénieur.

4 Fernand Dumont, Raisons Communes, Boréal, 1995, p. 139.

5 Hors l’université de Moncton.

6 Source : Ministère de l’Éducation du Québec (MEQ).

7 Le reste des sommes est distribué aux CÉGEPS, que j’exclus de mon analyse.

8 Source : MEQ (http://www.meq.gouv.qc.ca/ens %2Dsup/ftp/Cal-def-0102.pdf). Le calcul est basé sur le nombre d’étudiants équivalents temps plein (EETP).

9 Isabelle Paré, Le Devoir, 4 avril 2003.

10 Ceci m’a été confirmé par un responsable du Fonds dans une communication personnelle.

11 Benoît Godin, « Parle, parle, jase, jase : L’utilisation du français dans les communications scientifiques, INRS Urbanisation, Conseil supérieur de la langue française, Voir : http://www.cslf.gouv.qc.ca/Publications/ PubK105/K105-2.html.
12 Yves Gingras et Camille Limoge, La langue de publication des chercheurs québécois en sciences naturelles, génie et sciences biomédicales, recherche réalisée pour le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Science, Québec, 1991, p. 24.

13 Pierre Serré, « Portrait d’une langue seconde : Le français comme langue de travail au Québec au recensement de 2001 », L’Action nationale, Volume XCIII, Numéro 7, septembre 2003.

14 Notons que la définition du système de classification des industries de l’Amérique du Nord utilisé par Statistiques Canada inclut des professions comme avocats, architectes et publicitaires avec les professions reliées à la recherche et au développement scientifiques dans cette catégorie. Il n’est pas possible d’isoler le comportement des seuls scientifiques et ingénieurs.

15 J’exclus l’université d’Ottawa en Ontario qui est « bilingue » et qui ne me semble pas constituter un équivalent de McGill ou Concordia où les anglophones peuvent étudier sans être en contact avec la langue de la majorité au Québec.
16 Voir le site du ministère des Finances de l’Ontario. http://www.gov.on.ca/FIN/ bud03e/statement.htm.

17 Il n’y a qu’à faire le calcul : nombre d’étudiants canadiens hors-Québec présents au Québec fois 9000 $ de subvention par année fois 60 % de départs annuels.

18 Charles Castonguay, « Analyse critique de l’amélioration de la situation du français observée en 2003. Quelle est la force d’attraction réelle du français au Québec ? », Le Devoir, 10 décembre 2003.

19 Rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, Tome II, Ottawa 1969, p. 188.

Introduction Les travaux de la commission Laurendeau-Dunton dans les années soixante avaient mis en évidence une division linguistique du travail au Québec qui tendait à favoriser l’anglais dans les sphères de travail plus rémunératrices et nécessitant un degré d’éducation plus élevé, et laissaient une place au français d’autant plus grande que l’on descendait dans l’échelle […]

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